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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Milot, Forme polythéiste du croire et culture plurielle”. Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Daniel Mercure, La culture en mouvement. Nouvelles valeurs et organisations, pp. 57-75. Québec : Les Presses de l'Université Laval, 1992, 314 pp. Collection : Sociétés et mutations. [Autorisation formelle accordée par Mme Milot le 24 juillet 2005 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

[57]

Micheline Milot

Sociologue, département de sociologie, UQAM

Forme polythéiste du croire
et culture plurielle
.”

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Daniel Mercure, La culture en mouvement. Nouvelles valeurs et organisations, pp. 57-75. Québec : Les Presses de l'Université Laval, 1992, 314 pp. Collection : Sociétés et mutations.

En même temps que les sciences sociales observaient, en Occident, la perte d'emprise des orthodoxies religieuses sur les consciences individuelles et l'effondrement des pratiques qu'elles déterminaient, prenait place une religiosité non instituée dont les manifestations étaient repérées, aussi bien dans les sociétés occidentales de tradition catholique qu'ailleurs, mais peut-être dans celles-là tout particulièrement. Une telle érosion des instituants traditionnels s'est accompagnée, dans le contexte de la pluralité sociale et culturelle, de l'éclosion d'un système pluriel de réalités symboliques, laissant libre cours à une appropriation individuelle du sens et à des imaginaires polymorphes. L'individu ne puise plus à un seul et unique système d'interprétation pour constituer son propre répertoire symbolique de croyances. Les concepts traditionnels hérités de la socialisation première se voient désormais chargés d'une polysémie étonnante, tel le concept « Dieu », qui est probablement l'exemple le plus manifeste à cet égard. S'agit-il toutefois d'un simple déplacement des significations [58] anciennes qui prendraient corps dans de nouvelles représentations ? Autrement dit, la pluralité explicite voile-t-elle le maintien d'une uniformité implicite dans le champ des représentations et des pratiques qu'elle détermine ? Au contraire, n'assisterions -nous pas à une mutation beaucoup plus profonde des mentalités, dessinant une nouvelle morphologie culturelle de la croyance ?

Les croyances [1] permettent diverses stratégies de domination du présent et d'organisation symbolique du devenir. En cela, elles nous informent sur la recomposition des champs de représentations et de pratiques, opérée par les individus dans la sphère privée. Ces champs induisent des préférences morales pouvant infléchir sensiblement la production culturelle par l'habitus qu'elles génèrent. La mutation du champ des croyances et des pratiques instituées a déjà donné lieu à plusieurs analyses et interprétations ; le plus souvent, la mutation est décrite en des termes tels que « l'éclatement des croyances », le « syncrétisme », la « religion à la carte » (Bibby, 1988) et la « privatisation » du religieux. Mais l'individu vit-il son rapport à la croyance comme un univers éclaté ou syncrétique ? comme un menu ? comme un refuge dans sa vie privée ? On le voit, ces éléments descriptifs nous permettent de qualifier l'amalgame des symboliques et non de cerner la cohérence de l'individu, puisqu'ils se réfèrent à la logique d'organisation du système plutôt qu'à la logique de l'acteur. Bien qu'il s'agisse là des deux pôles dialectiques de la tension constitutive du champ culturel et social, le modèle d'analyse peut toutefois maximiser soit la logique du système, soit celle de l'acteur (Juan, 1991).

Nous nous intéressons tout particulièrement à la forme [2] par laquelle la sphère individuelle de la croyance participe à la production culturelle et à la construction sociale, privilégiant ainsi le moment où les individus s'inscrivent comme acteurs. Dans cette perspective, nous considérons que les déterminations sociales induites chez l'individu par le marché des biens symboliques et leur envahissement massif du [59] quotidien n'ont pas un effet unidirectionnel sur les acteurs sociaux. Par ailleurs, l'appropriation subjective des systèmes d'interprétation et la réorganisation individuelle des pratiques ne signifient pas nécessairement un repli vers la sphère privée. il nous apparaît au contraire que la capacité individuelle d'action et de choix des idéaux acquiert une portée qui n'est pas sans effet sur la structuration d'habitudes et sur leur cristallisation culturelle. De ce point de vue, nous constatons que la croyance ne s'ancre plus à un principe unique et transcendant et que, bien plus qu'un amalgame hétéroclite ou « à la carte », nous avons affaire à un croire qui, chez un même individu, spécialise son négoce avec divers types de forces et de puissances autonomes. il nous semble ainsi que la morphologie de la croyance glisse vers une forme de « polythéisme », qui induit de nouveaux modes d'organisation de l'espace symbolique et une recomposition du lien social entre les individus.

Pour mieux fonder cette hypothèse - quelque peu audacieuse - d'une forme de polythéisme de la croyance, nous présenterons d'abord les caractéristiques que revêtent les répertoires de croyances des individus [3]. Ensuite, nous examinerons en quoi ces systèmes de croyances s'apparentent à un polythéisme. Enfin, nous considérerons cette nouvelle morphologie du croire, à la fois dans sa capacité de refléter et de représenter des situations empiriques de la société contemporaine, et dans son incidence sur les comportements et les attitudes repérables socialement.

NOUVEAUX TRAITS QUE
REVÊTENT LES CROYANCES


Le concept de « croyances » s'applique à plusieurs ensembles de représentations dont la catégorisation varie selon le modèle retenu par les chercheurs ; mais il suppose toujours un sentiment que les différents niveaux de la réalité (individuelle, sociale ou cosmique) sont investis de puissances autonomes échappant au contrôle social et individuel, et dont l'existence est non démontrable, mais qui s'avèrent toutefois sources de valeurs, de sens et de motivation.

[60]

L'autonomisation des individus par rapport aux institutions officielles et traditionnelles est sans doute l'un des traits socialement les plus manifestes de la mutation de notre mode de croyance. L'idée qu'une institution puisse monopoliser le foyer de la vérité et du sens est devenue étrangère à la croyance de l'individu. Les rouages du contrôle des convictions individuelles tournent maintenant à vide. Une appropriation subjective des systèmes d'interprétation et une réorganisation individuelle des pratiques en découlent, battant en brèche la normativité des autorités instituées. Une sélection est alors effectuée à même la tradition d'appartenance et le marché des biens symboliques, donnant lieu le plus souvent à une redéfinition, par l'individu, des signifiants qui constitueront son répertoire symbolique. C'est dire que chaque répertoire individuel puise à une pluralité de sources, ce qui pulvérise les frontières de toutes les orthodoxies [4].

En outre, la valeur des croyances est mesurée à l'aune des besoins quotidiens des individus ; elle est ainsi fonction des questions et des expériences immédiates. Ce fait induit une connotation moins permanente des adhésions, celles-ci devenant relatives au temps et aux situations existentielles que rencontre le croyant. Les croyances suscitent le maintien de l'adhésion dans la mesure où elles fournissent une voie de compréhension ou d'explication des aléas de la vie et contribuent au mieux-être psychologique, physique ou relationnel de l'individu. Cette fonction des croyances est corrélative au fait que la culpabilité et la peur ne figurent plus au répertoire symbolique du croire et que la morale n'est plus appréhendée comme principe extérieur. En même temps que se dissolvent les sentiments angoissants se diluent également les représentations précises et anthropomorphiques qui ont marqué, par exemple, l'imaginaire catholique pendant longtemps. Les croyances se cristallisent ainsi autour de signifiants se rapportant le plus souvent à des forces ou à des puissances, plutôt qu'à des êtres divins personnalisés [5]. Ces forces et ces puissances sont [61] ressenties comme multiples, autonomes les unes par rapport aux autres, ce qui correspond à une fragmentation de l'unité du principe divin.

Enfin, une dernière caractéristique : le système de croyances de l'individu ne se rapporte plus à une communauté concrète pouvant regrouper les personnes qui partageraient un ensemble homogène de représentations et de pratiques [6]. Le concept de « religion individuelle » ne s'avère pas pour autant adéquat pour décrire ce nouveau phénomène. Tout d'abord parce que l'individu puise toujours à des représentations culturelles pour constituer son répertoire plus particulier. Ensuite, parce que même si cette forme de dévotion à des forces supérieures ne suppose pas de rapports directs entre ceux qui adhèrent à tel ou tel signe, elle induit toutefois le sentiment de ne pas être seul agrippé à une croyance atomisée. Un clan virtuel semble se dessiner dans le prolongement imaginaire des croyances individuelles. En l'absence de communauté sociologique, un sentiment d'appartenance demeure niché dans la conscience des individus, appartenance dont le principal reflet demeure la famille d'origine (Milot, 1991a). Marcel Mauss (1980), dans son analyse de la religion et de la magie, évoquait un phénomène analogue en précisant que cette dévotion fédère en « un groupe à distance » tous les individus qui sont dans une situation similaire. Comme il s'agit d'un groupe disparate où les liens interindividuels sont disloqués, la fonction d'appartenance tient aux signes, éléments fédérateurs qui permettent le ralliement symbolique. On pense ici aux publicités spécialisées, aux diverses manifestations publiques (tels le salon de l'ésotérisme ou les lieux de consultations divinatoires) ou au marché prolifique des livres sur des sujets allant du récit des réincarnations de telle vedette jusqu'aux moyens et méthodes pour ensorceler ses ex-amants. Nous reviendrons plus longuement dans la dernière partie de cet article sur l'effet que peut avoir ce type d'appartenance au regard de la recomposition des liens sociaux et de l'identité.

[62]

POLYTHÉISME :
UTILISATION HABITUELLE DU CONCEPT
ET CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES


Avant de mettre cet univers de croyances en relation avec les processus socio-culturels, il importe d'avoir une vision plus systémique du modèle qu'il représente. Voyons en quoi les caractéristiques que nous observons dans l'organisation des croyances individuelles nous permettent de poser l'hypothèse analytique que ce système de significations incarnées dans des symboles s'apparente à une forme de polythéisme [7]. L'utilisation habituelle du terme « polythéisme » rend quelque peu délicat le recours à un tel concept. Dans le cadre scientifique, ce sont principalement l'ethnologie et l'histoire qui l'ont constitué en objet de recherches et d'études depuis le XIXe siècle. Mais en général, le concept et la réalité que le terme recouvre ont été appréhendés à des fins polémiques internes dans les sociétés occidentales à dominante religieuse chrétienne. Utilisé abondamment comme adjuvant des entreprises missionnaires dans les sociétés qu'elles rencontraient, le « polythéisme » a d'abord fait son apparition en anglais chez Samuel Purchas, en 1614, dans le contexte d'une polémique contre les papistes : les réformateurs accusaient alors ceux-ci d'offenser la monarchie divine par leurs multiples dévotions à la Vierge, aux saints, aux reliques, etc. Considéré idéologiquement en opposition au monothéisme, le polythéisme est encore le plus souvent objet d'une utilisation dépréciative au relent d'évolutionnisme par les théoriciens du progrès ou de la dégénérescence de la civilisation (on parlera alors de séquelles, de survivances, de retour du paganisme).

Sans verser dans le romantisme du siècle dernier qui réactivait l'idée d'une sagesse primitive par l'idée de polythéisme, il faut reconnaître [63] que ce concept a été réhabilité pour sa valeur heuristique par un certain nombre d'auteurs depuis quelques années. Signalons, entre autres, l'historien David L. Miller (1979), le psychologue James Hillman (1982) et l'ethnologue Marc Augé (1982). Le concept n'a toutefois pas encore été utilisé pour désigner l'émergence d'une nouvelle morphologie culturelle de la croyance. Voyons comment il s'avère pertinent comme modèle d'interprétation pour rendre compte des différents caractères que revêtent désormais les croyances. C'est à Marc Augé que nous empruntons les caractéristiques permettant de définir le polythéisme. Augé emploie également le terme « paganisme », qui se trouve dans l'intitulé de son ouvrage, en le définissant comme une religion constituée par le polythéisme, les deux termes se renvoyant l'un à l'autre. Nous utilisons toutefois celui de « polythéisme » pour qualifier précisément la constitution du système de croyances et de pratiques ayant remplacé celui de la religion traditionnelle monothéiste. Le phénomène du polythéisme circonscrit par Augé acquiert une valeur descriptive de premier ordre qui tient à l'abondante documentation ethnologique sur laquelle il fonde ses assertions, de même qu'à l'articulation critique et rigoureuse qu'il développe à partir de l'examen des études classiques sur la religion, la magie ou la croyance qu'ont effectuées Durkheim, Weber, Freud, Lévi-Strauss, Dumézil, Girard et plusieurs autres.

Le premier caractère qui permet de qualifier un système de croyances de « polythéiste » a trait, bien sûr, au « multiple » : une structuration en termes pluriels du système de représentations qui, d'une part, n'accepte aucune figure totalitaire et, d'autre part, conçoit aisément l'addition de nouvelles puissances. Des forces ou des esprits multiples peuvent faire l'objet de croyances et de dévotion, structuration dont peut rendre compte le terme « polythéisme ». Mais celui-ci ne nous renvoie-t-il pas à la pluralité des dieux, conçus de façon anthropomorphique ? On pense spontanément au panthéon grec et à la religion romaine. La religion grecque ne donne-t-elle pas une figure individuelle et une forme humaine aux puissances divines ? Selon Vernant (1965) et Augé (1982), le polythéisme ne se réduit pas à la représentation de plusieurs « personnes » divines, l'idée de forces ou de puissances étant première :

Aucune relation personnelle ne s'établit entre le fidèle et le dieu. Ni Dionysos ni les autres dieux du panthéon grec ne sont des personnes : [64] ils sont des puissances que l'on peut classer et situer les unes par rapport aux autres, dont on peut analyser les différents types d'action et les positions respectives en termes d'opposition ou de complémentarité. De ce 'caractère impersonnel Vernant voit une preuve supplémentaire dans la définition indifféremment et alternativement singulière et plurielle des divinités (Augé, 1982 : 117).

Que les principes de puissance soient parfois représentés par des figures humaines n'apparaît que comme une modalité des formes possibles du polythéisme, encore qu'il ne s'agisse pas là d'une application du concept de « personne ». Dans son analyse de la religion romaine, Dumézil (1966) rappelle également que les dieux ne sont pas ici, comme pour la religion grecque, des personnes ayant entre elles des relations de type humain. Le peuple romain, préoccupé par l'efficacité, n'aurait retenu le plus souvent de ses dieux que le concept fonctionnel qu'ils représentaient. Ils sont des figures théologiques des trois fonctions (la souveraineté magique et juridique, la force physique et la fécondité) qui ordonnent la réalité.

La conception d'une puissance supérieure se fragmente en principes complémentaires, et c'est bien là l'un des caractères les plus surprenants des systèmes de croyances que nous analysons : l'idée d'un principe divin est maintenue dans le répertoire individuel de la croyance en même temps que s'ajoute le sentiment d'être soumis aux forces du destin ou à la loi du karma. Les différents recours du croyant s'adressent donc à des forces « spécialisées ». L'idée d'un seul principe divin coiffant tous les registres de l'expérience ne semble plus apte à rendre compte de la complexité de l'expérience, comme en témoignent les exemples suivants. Lors d'une grave maladie, une dame d'une soixantaine d'années (se reconnaissant comme catholique) implore Dieu de lui apporter la guérison, consulte une voyante pour évaluer la durée de la maladie et invoque les forces du destin pour s'expliquer que cette épreuve lui arrive à elle plutôt qu'à une autre personne. Le même constat peut être fait lorsqu'on dépasse la sphère individuelle : les cataclysmes naturels sont attribués à une force vengeresse de la nature, trop agressée par la folie humaine, et la capacité d'être en harmonie avec cette nature est considérée comme étant induite par une puissance cosmique plus vaste, englobant l'homme et la nature.

On peut se demander si cette forme polythéiste du croire n'a pas toujours couvé sous le monothéisme de tradition catholique. La [65] religion populaire n'a-t-elle pas entretenu des dévotions à de nombreux saints ou un culte marial qui représentaient un négoce le plus souvent indépendant de toute intervention du Dieu... pourtant trinitaire ? Weber ne reconnaîtra d'ailleurs que deux religions strictement monothéistes : le judaïsme et l'islam. L'historien Francis Schmidt rappelle la polémique ouverte par les réformateurs contre le paganisme de l'Église romaine :

Le culte marial, les saints, les anges, les manifestations d'adoration aux images, les processions, les reliques, la messe sont autant de croyances et de pratiques idolâtres qui font des « papistes » les héritiers et les propagateurs du paganisme. D'après les réformateurs, en établissant des relations entre l'homme et cette multiplicité de substituts de Dieu que sont les anges ou les saints, ces fausses croyances fragmentent l'unicité du divin (1988 : 15).

Longtemps après la Réforme, Vatican II a d'ailleurs senti le besoin de tiédir le culte des statues dans les églises, dévotion qui tournait à l'idolâtrie [8]. Dans son ouvrage intitulé Génie du paganisme, Augé souligne à propos du catholicisme : « Avec son culte des saints et son goût des statues il semble n'avoir pas fini d'en découdre avec son propre fond païen » (1982 : 66). Quoi qu'il en soit des prédispositions historiques du catholicisme à l'égard d'un culte pluriel, le fait que les systèmes de croyances s'articulent désormais autour de symboliques étrangères à cette tradition a certainement rendu plus manifeste le phénomène. En outre, sa cristallisation culturelle actuelle nous renvoie à une nouvelle symbolique de l'organisation sociale dont nous décrivons plus loin quelques traits.

Si ce caractère de la multiplicité des principes de puissance s'avère nécessaire pour délimiter une forme polythéiste, il n'est toutefois pas suffisant pour la caractériser dans sa différence radicale d'avec l'orthodoxie monothéiste du christianisme. Au moins trois autres propriétés doivent compléter le tableau : la conscience persécutive du mal, le sens de la force et l'immanence du monde divin au monde humain (Augé, 1982 : 72). Les traits que revêtent les croyances que nous avons par ailleurs analysées vont dans le même sens que ces trois propriétés.

[66]

Les systèmes polythéistes n'érigent pas la morale en principe extérieur aux rapports de force et de sens de la vie sociale et individuelle. Augé souligne vigoureusement que l'idée de péché ou d'infraction à des principes moraux dictés divinement est étrangère à de tels systèmes de représentations : « Le paganisme admet que l'homme puisse commettre des erreurs mais n'a aucune idée du péché ; la maladie, au pire, ne renvoie l'homme qu'à ses aveuglements » (1982 : 72). Le mal vient d'un autre, c'est-à-dire qu'il est toujours attribué à une force ou une puissance, non humaine, pouvant perturber le cours normal de l'existence individuelle ou collective. Cette conception du mal se traduit dans la croyance aux ondes néfastes, à la loi du karma, au mauvais sort. Le système de croyances situe, désigne cet autre : comme chez le Grec qui ne pouvait rapporter à une quelconque volonté humaine une horreur ou un crime incompréhensibles de se dire « Un dieu l'a sans doute rendu fou ». Dans l'univers des croyances que nous avons étudiées, la conscience du mal ne se trouve ramenée ni à la faute de l'individu ni à celle d'ancêtres universels. En évacuant de ses représentations la conception d'un Dieu juge et principe même de la morale, c'est toute la culpabilité individuelle qui s'est dissoute en même temps que la notion de salut. Quand les crimes ou les souffrances ne sont pas rapportés simplement aux mauvaises circonstances (enfance malheureuse et frustrée expliquant la violence criminelle, ou malencontreux accident ayant produit une souffrance physique), des principes de force seront pointés comme causes probables : le destin (« ça devait arriver »), les ondes négatives de tel environnement ou de telle personne, la conjoncture astrologique, la loi du karma, etc.

Le sentiment que des forces investissent les différents niveaux de la réalité se rencontre toujours dans les systèmes polythéistes : un sentiment de subordination à des pouvoirs qui dépassent l'homme, une idée de force non mise en doute par l'expérience, en même temps qu'une soumission au destin, au sort, aux astres. Nous avons également constaté que la conception qu'a l'individu de ces forces peut se passer de représentations précises, par exemple que le langage se contente d'approximations vagues telles que « il y a quelque chose, mais je ne sais trop quoi... en tout cas, je le sens ». Ces forces ont une vocation à la fois logique et pratique : elles sont tout autant principes d'ordre que principes d'action pour l'individu.

[67]

Ces principes impersonnels que traduisent les aléas de la vie individuelle et sociale servent donc d'explication à l'ordre du monde et aux problèmes de l'existence. Ce caractère accentue d'ailleurs l'immanence de ces forces. Le lien avec les besoins quotidiens prime largement sur des considérations de transcendance. Il s'agit d'une croyance en des puissances circonscrites dans les aléas de l'expérience, puissances attestées par les effets qu'on leur attribue. Aucun des nombreux signifiants offerts sur le marché des biens symboliques ne donne, à lui seul, toute sa signification à l'existence ; aucun ne semble apte à réaliser la synthèse du sens et de l'être, avec une garantie de stabilité éternelle. D'où le recours de l'individu à des parcelles de sens ayant chacune leur vocation dans le système des croyances ainsi réorganise, restructuré sur une base individuelle, évoluant au gré de l'histoire personnelle de chacun. Cette évolution atteste elle-même l'immanence du monde des croyances au monde humain, car toutes les propriétés d'un divin transcendant ne s'accommodent pas aux contingences évolutives de ses fidèles. Les dieux perdent leur figure humaine et sont davantage reconnus comme puissances, chacune autonome et complémentaire, pour aider l'organisation de la vie sociale et individuelle. Même s'il s'agit d'une forme du croire qui s'institue sans Église, sans foi ni culte unifié, cet univers de croyances à morphologie polythéiste n'en constitue pas moins une importante source de valeurs et de motivation pour l'individu.

DOUBLE FONCTION DU POLYTHÉISME
DANS L’ESPACE SYMBOLIQUE
DE LA CULTURE


La morphologie des systèmes de croyances que nous venons de décrire n'est pas seulement affaire d'idiosyncrasie. Par sa cristallisation, elle participe des restructurations sociétales et des mutations culturelles. Les usages auxquels cette forme de croyance donne lieu et la profondeur des adhésions se déclinent différemment selon les variables sociologiques traditionnelles (profession, sexe, etc.). Il semble toutefois que ce polythéisme du croire remplit, de façon générale, une double fonction dans l'espace symbolique de la culture : il s'agit, d'une part, de sa capacité d'exprimer certains traits de la réalité sociale et, d'autre part, de sa virtualité à informer les conduites sociales et culturelles selon des aspects nouveaux.

[68]

Cette double fonction des systèmes de symboles est bien décrite par l'un des théoriciens de l'anthropologie religieuse, Clifford Geertz. Dans sa théorie de la religion, Geertz considère les ensembles de symboles présents dans la culture, y compris les croyances, comme des « modèles culturels ». Le terme « modèle » a deux sens qui expriment la double relation que les symboles entretiennent avec la réalité sociale et psychologique : ils sont des modèles de et des modèles pour ces réalités. Le premier sens - modèle de - « met l'accent sur la manipulation de structures symboliques pour leur mise en parallèle, plus ou moins étroite, avec le système non symbolique préétabli, comme lorsqu'on a une compréhension de la technique des barrages en faisant une théorie de l'hydraulique » ; le second sens - le modèle pour - « met l'accent sur la manipulation de systèmes non symboliques en fonction des relations qui s'expriment dans le système non symbolique, comme lorsqu'on construit une digue d'après les principes d'une théorie de l'hydraulique » (Geertz, 1972 : 26). Autrement dit, les formes signifiantes - religieuses ou autres - expriment le climat du monde tout en lui donnant une forme (19 72 : 2 8). Marc Augé souligne également ce double jeu de symbolisation, en reconnaissant que la fonction de représentation du social constitue l'essence intellectuelle des dieux, représentation rendue possible parce qu'elle est explicitement condition et principe d'action (Augé, 1982 : 116). Voyons comment se réfracte l'émergence des formes culturelles dans la double symbolisation des systèmes de croyances étudiés, et ce, sous trois aspects.

1. Reflet de la pluralité ; principe de relativité. À son niveau le plus simple, cette forme polythéiste reflète certainement (modèle de) la pluralité socio-culturelle : situation dans laquelle plusieurs valeurs et différents schémas d'interprétation interviennent ou du moins coexistent dans l'organisation sociale. Mais le polythéisme du croire ne se limite pas à une question de pluralisme social (bien qu'il le présuppose), pas plus qu'il ne se confine au fait d'adorer plusieurs dieux. La complexité et la diversité des puissances supérieures suggèrent la vocation qui leur est octroyée : fournir un système pluriel de réalités symboliques susceptible de rendre compte de la totalité d'une expérience de vie qui, chez un même individu, est de plus en plus complexe et diversifiée. Le système de croyances s'avère un modèle approprié pour nommer la pluralité dans un langage symbolique. [69] Cette fonction rejoint celle de la religion selon Durkheim : fournir aux individus le moyen de se penser comme société.

En tant que mode d'articulation de la diversité sociale et culturelle, cette forme du croire informe (modèle pour) d'une certaine façon les attitudes qui se dessinent dans le tissu culturel : elle induit une relativisation de toute vérité et de toute morale. Ce recul des individus par rapport à l'unicité d'un seul instituant engendre une nouvelle capacité de relativiser les mots d'ordre de quelque autorité que ce soit. Plusieurs auteurs, dont Augé (1982), Hillman (1982), Miller (1979), Schmidt (1988) et Scheid (1988), signalent également comment les formes polythéistes du croire, comparées aux monothéismes, génèrent un esprit de plus grande tolérance face à la diversité. Augé souligne plus vigoureusement, à partir de comparaisons historiques et ethnologiques, que contrairement aux formes monothéistes le plus souvent « missionnaires », un système polythéiste « accueille la nouveauté avec intérêt et esprit de tolérance ; toujours prêt à allonger la liste des dieux, il conçoit l'addition, l'alternance, mais non la synthèse [...] il n'a pour sa part jamais eu de pratique missionnaire [...] ; chez les païens ce sont les vainqueurs qui empruntent leurs dieux aux vaincus » (1982 : 14, 78).

Toutefois, on conviendra que cette capacité de relativité qu'acquièrent les individus à l'égard des systèmes symboliques est elle-même toute relative - et même fragile - si on en juge par la montée mondiale des intégrismes religieux qui prennent naissance dans chacune des trois traditions monothéistes - chrétienne, juive et musulmane -, panorama clairement brossé par Kepel (1991). Cet intégrisme semble bien s'inscrire comme une réaction défensive, en contre-pied de l'accentuation massive de la pluralité, deux polarités de la tension inévitable mais constitutive de la dynamique de l'espace symbolique.

2. Miroir d'une fragmentation des communautés d'appartenance ; source d'une nouvelle fédération symbolique. La forme polythéiste du croire est également le miroir d'une société où les communautés d'appartenance sont fragmentées, où les points de repère objectifs, tant pour l'identité et le sens que contre l'anomie, ne sont plus assurés par les liens interindividuels d'un milieu homogène qui informerait chaque acteur social. Le fait que l'individu puise à plusieurs systèmes symboliques différents pour constituer son propre répertoire pluriel [70] de croyances suggère bien la disparité des liens sociaux et l'effritement de l'homogénéité des communautés sociologiques. D'où l'importance des signes : si la diversité de ceux-ci marque bien une certaine disparité, ces signes acquièrent d'autant plus d'importance pour fédérer (modèle pour) symboliquement un groupe à distance, comme nous l'évoquions au début de notre exposé.

Juan (1991 : 90) propose également cette hypothèse de la fonction fédératrice du signe, du moins pour les croyances divinatoires qu'il analyse, fonction qui génère en quelque sorte une recomposition des liens sociaux. L'individu, nous l'évoquions plus tôt, ne croit pas être seul agrippé à une croyance atomisée. La vraisemblance même de son propre répertoire original de croyances repose finalement sur le sentiment que ces représentations sont également partagées par d'autres, sans qu'il soit nécessaire d'être en lien relationnel effectif avec ces autres croyants. Les liens sociaux demeurent nécessaires pour contrer l'anomie et pour conférer cette vraisemblance aux croyances individuelles. Ces liens sont toutefois reconstitués symboliquement à partir de signes qui désignent ce groupe virtuel, rendant vitaux « les appuis sur des modes d'interprétation susceptibles de donner du sens et de recréer - fût-ce symboliquement - des communautés, des clans autour d'emblèmes (tels que les signes astrologiques) » (1991 : 95). Nous avons déjà démontré par ailleurs (Milot, 1991a) comment le fait de ponctuer certains événements de la vie par la sacramentalisation a, entre autres fonctions, celle de réaffirmer l'appartenance à un groupe. L'abandon manifeste de ce signe marquerait une telle rupture avec le groupe symbolique qu'est la famille que chaque acteur social se sent incapable de renoncer, par exemple, au baptême des enfants ou au mariage religieux. Le signe « informe » le croyant atomisé, de façon comparable au totem ou aux blasons héraldiques qui, selon Durkheim (1912), sont les signes de reconnaissance des clans (à la différence des communautés morales qui ont des pratiques identiques issues d'une même croyance).

Le système pluriel des croyances reflète (modèle de) la disparité en même temps qu'il fournit (modèle pour) des repères pour le sens et crée un effet d'intégration non recherché pour lui-même (consciemment, du moins). Ce type d'appartenance symbolique semble un nouveau mode d'inscription de l'identité. Bien que les croyances paraissent atomisées, leur morphologie donne à penser qu'il s'agit implicitement de l'adhésion à un mode de vie collectif.

[71]

3. Expression d'une faible participation sociale ; principe de différenciation des sphères d'existence. Cette recrudescence d'une diversité de croyances en de multiples forces et puissances qui investiraient les différents niveaux de la réalité psychologique et sociale nous semble également refléter (modèle de) une conscience d'« être agi » chez les acteurs sociaux. Autrement dit, le sentiment des acteurs d'avoir très peu d'emprise et de capacité d'action dans les événements socio-politiques, professionnels et relationnels semble corrélatif à une plus grande intensité de croyances en des forces échappant au contrôle social ou individuel. Salvador Juan soutient, à propos de la montée du phénomène de la divination, que la croyance est d'autant plus forte que la participation sociale est faible : une importante capacité d'action correspond en général à un niveau élevé de capital scolaire et socio-professionnel qui fournit un cadre expressif aux acteurs sociaux (1991 : 88-108).

Si un tel lien peut aisément être dégagé à propos de l'un ou l'autre type de croyances parmi celles qui composent le répertoire individuel, la morphologie polythéiste du croire complexifie toutefois le travail d'analyse des correspondances entre le degré d'adhésion et les variables sociologiques habituelles. Cette forme de croyance a la caractéristique, nous l'évoquions plus tôt, de « spécialiser » les recours qui peuvent n'être que « temporaires » dans la biographie de l'individu. L'hétérogénéité des types de croyances disponibles dans l'horizon culturel permet que certains modèles d'interprétation soient fournis à l'individu pour donner sens à des événements de l'existence (modèle pour), de façon plus ponctuelle ou plus limitée. Ainsi, nous observons que des acteurs sociaux, même jouissant d'un capital scolaire et socio-professionnel élevé, ont recours, lors d'épreuves relationnelles importantes par exemple, à des interprétations qui témoignent de croyances au destin, à la loi karmique, au mauvais sort.

Les systèmes polythéistes de croyances reflètent donc sans doute un faible niveau de participation sociale ou de contrôle sur les événements dans un type de société programmée et bureaucratisée où les processus organisationnels échappent à l'individu ; mais le polymorphisme du croire se prête à une fonctionnalité adaptée à la complexité de l'expérience individuelle dans l'un ou l'autre de ses aspects professionnel, affectif, intellectuel, relationnel, physique ou [72] psychologique. Ce constat oblige à tenir compte de cette différenciation des sphères de l'existence pour évaluer adéquatement le sentiment plus ou moins élevé de contrôle sur la réalité au regard du degré d'adhésion et de la correspondance avec les stratifications sociales.

CONCLUSION

Les nouveaux traits que revêtent les croyances plurielles des individus composent une morphologie culturelle de forme polythéiste, les dieux apparaissant davantage comme des puissances ou des forces que comme des personnes. Plus fondamentalement, la nouvelle sensibilité croyante réside peut-être simplement dans la mise à contribution de ces puissances pour structurer une expérience de vie qui se présente de plus en plus complexe et diversifiée. Les acteurs sociaux se pourvoient ainsi de paradigmes qui permettent d'inscrire leur existence dans un univers qui est en mesure de lui conférer un « sens ». Cette structure n'empêche pas que, dans ce panthéon un peu particulier, prenne place la représentation d'un principe divin supérieur ; cependant, les autres forces faisant objet d'adhésion conservent leurs propriétés d'être des « échappées » dans les aléas de l'existence et demeurent autonomes au regard du principe divin supérieur. Même si l'individu est relativement souverain à l'égard de l'aggiornamento de ses croyances, il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une religion personnelle : « La relation entre hommes et dieux, même lorsqu'elle concerne les aspects les plus intimes de l'organisme individuel (la stérilité, la maladie), reste une relation fonctionnelle et, dans cette mesure, sociale » (Augé, 1982 : 55).

La recomposition des liens sociaux, sous la forme de clans symboliques fédérés par des signes, entraîne sans nul doute la création d'un nouveau type de solidarité et de nouveaux modes de normativité, radicalement différents de ceux que l'on retrouve dans les communautés morales homogènes. Reste à voir si la tolérance que supposent la pluralité et l'inévitable relativisation des interprétations pourra effectivement être intégrée à l'organisation politique, afin que les processus organisationnels s'articulent réellement à la pluralité sociétale. Reste à voir également, comme le pensait Nietzsche, si [73] l'individu s'accorde la même liberté qu'il accorde au dieu dans ses relations avec les autres dieux, notamment en face des lois, des mœurs et des voisins. Et s'il accorde à ses voisins cette liberté qu'il s'accorde à lui-même.

BIBLIOGRAPHIE

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[1] C'est tout l'univers des croyances, tant religieuses, cosmiques, ésotériques ou autres, que nous désignons.

[2] Nous entendons par « forme » le caractère qu'adoptent les individus dans la gouverne de leur existence, en matière de croyances. Plus que la simple apparence, la forme exprime ici, sur le plan analogique, ce que l'on veut signifier lorsque l'on décrit le caractère d'un gouvernement selon sa Constitution, par exemple, une forme monarchique ou démocratique.

[3] Ces caractéristiques sont tirées des résultats de nos travaux (1991a, 1991b).

[4] Si l'expression « religion à la carte » (cristallisée par Bibby, 1988) est souvent utilisée pour décrire le « fait » de la sélection plurielle opérée par les individus, elle ne rend pas compte, à notre avis, de la logique sous-tendant cette sélection.

[5] Nous ne qualifierons pas théoriquement ces notions de forces et de puissances par un concept comme « mana », utilisé par plusieurs auteurs du début du siècle, dont Durkheim. il suffit, pour notre propos, de rendre compte du sentiment qu'en ont les acteurs sociaux.

[6] Cette caractéristique ouvre une discussion théorique intéressante sur la distinction entre le religieux et le magique, telle qu'elle est définie par Durkheim (1912), distinction qui repose en grande partie sur cette absence de « communauté morale » dans la magie. Bien que nous ne puissions la développer dans le cadre restreint de cet article, nous posons l'hypothèse que la distinction entre les deux sphères symboliques tend à s'estomper.

[7] Il s'agit là, comme pour toute hypothèse analytique, d'une construction de deuxième degré, c'est-à-dire formulée dans les concepts propres à une démarche de sciences humaines, et non du langage dans lequel les acteurs sociaux prennent conscience d'eux-mêmes. Berger et Kellner (1981 : 40,42) décrivent cette distance inévitable : « The meanings of ordinary life have been transposed into a different world of meanings, namely that of the social scientist ; [...] Sociological concepts are second order constructs (the first order constructs, of course, being the typifications that the sociologist already finds within the situation). »

[8] On sait que, en langage théologique, le culte de latrie est celui que l'on rend exclusivement à la divinité, le culte de dulie, celui qu'il est permis de rendre aux saints.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 16 mars 2019 19:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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