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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Micheline Milot, Modalités d'intégration des représentations religieuses chez l'enfant et analyse des programmes d'enseignement religieux catholique au primaire.” Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Marcel Aubert, Micheline Milot et Réginald Richard, Le défi de l'enseignement religieux. Problématiques et perspectives, pp. 133-155. Québec : Université Laval, Groupe de recherches en sciences de la religion, 1988, 242 pp. Collection : Les Cahier de recherches en sciences de la religion, vol. 9. [Autorisation formelle accordée par Mme Milot le 24 juillet 2005 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Micheline Milot

Sociologue, département de sociologie, UQAM

Modalités d'intégration
des représentations religieuses
chez l'enfant et analyse des programmes
d'enseignement religieux catholique
au primaire
.”

Un article publié dans l'ouvrage sous la direction de Marcel Aubert, Micheline Milot et Réginald Richard, Le défi de l'enseignement religieux. Problématiques et perspectives, pp. 133-155. Québec : Université Laval, Groupe de recherches en sciences de la religion, 1988, 242 pp. Collection : Les Cahier de recherches en sciences de la religion, vol. 9.

[241]

RÉSUMÉ

Modalités d'intégration des représentations religieuses chez l'enfant et analyse des programmes d'enseignement religieux catholique au primaire

Au Québec, la très grande majorité des enfants reçoivent un enseignement religieux catholique à l'intérieur de leur curriculum normal d'apprentissage scolaire, et ce dès la première année du primaire, soit 87% en 1986 pour le réseau scolaire confessionnel catholique. À partir de discours d'enfants originant de différentes enquêtes, nous avons tenté de cerner comment les enfants intègrent ce qui leur est transmis de la religion. La mise au jour de ces modalités d'intégration chez l'enfant fournit ensuite une grille d'analyse des programmes d'enseignement religieux catholique du primaire. Des réflexions d'ordre pédagogique et de psychologie du développement s'adjoignent à cette analyse.

[133]

1. L'INTÉGRATION
DU DISCOURS RELIGIEUX
CHEZ L'ENFANT


La pensée symbolique relève de la communication. C'est donc dire que chronologiquement, considérant le temps de l'individu et non celui de la culture, l'ordre psychologique est subordonné à l'ordre sociologique. On dira, à propos de la religion, que l'expérience de Dieu n'est jamais première : la culture comporte déjà toute faite sa symbolique religieuse qui est communiquée à l'enfant par ce qu'on lui en dit et par ce qu'il peut en voir.

Nous nous sommes intéressée à savoir comment l'enfant intègre ce qui lui est transmis de la symbolique religieuse, considérant ainsi le moment psychologique du rapport de l'enfant à cette symbolique. Nous dégageons, à partir de recherches empiriques, certaines modalités que revêt cette intégration chez l'enfant, ce qui nous fournit en quelque sorte une grille d'analyse d'un volet du « déjà-là culturel », soit le discours pédagogique tel que prévu dans les programmes d'enseignement religieux catholique au primaire.

Fondement empirique de l'analyse

Trois enquêtes effectuées auprès d'enfants de 6 à 12 ans, et ce entre 1984 et 1986 par entrevues individuelles ou de groupe, ont fourni les matériaux permettant de dégager les modalités selon lesquelles les enfants intègrent la symbolique [134] religieuse. Les problématiques correspondant à chacune de ces enquêtes étaient les suivantes :

1. Selon quelle logique les représentations de différents univers mettant en scène de l'« altérité » (telles la religion et la science-fiction) modulent leurs relations dans la perception et l'imaginaire de l'enfant de 6 à 9 ans ?

2. Comment les enfants, en fin de primaire (11-12 ans), replacent les signifiants religieux dans leur propre expérience et dans le réseau culturel des signifiants ?

3. Quelle perception les enfants qui suivent ou l'enseignement religieux catholique ou l'enseignement moral, ont-ils d'eux-mêmes et du groupe se retrouvant dans l'autre option ?

Chaque série d'entrevues a été effectuée à l'aide de questions ouvertes [1] qui visaient à ce que l'enfant s'exprime le plus possible dans ses propres catégories. L'analyse des données de ces recherches révèle cinq modalités principales caractérisant l'intégration de la symbolique religieuse chez l'enfant, soit :

  • une logique de pensée sous le mode de la croyance ;
  • une dérive opérée sur les représentations ;
  • une tendance à effectuer des combinaisons fonctionnelles ;
  • une perception non relativisée de la tradition chrétienne ;
  • une perspective relationnelle.

Nous nous proposons dans ce qui suit de décrire comment ces modalités apparaissent, et de les illustrer du discours [135] des enfants [2] tel que recueilli lors des entrevues.

1.1 UNE LOGIQUE DE PENSÉE
SOUS LE MODE DE LA CROYANCE


Après Piaget, il est difficile de ne pas considérer les stades du développement de la pensée chez l'enfant quand on aborde toute étude à caractère psychologique auprès de celui-ci. Ainsi, l'enfant, tant qu'il n'a pas atteint le stade de la pensée formelle, opérera sous un mode concret, c'est-à-dire principalement à partir des éléments visibles et tangibles dont sa pensée ne peut encore s'abstraire. En général, l'enfant aura tendance à croire « ce qu'il voit » et « ce qu'on lui dit » des réalités, habitudes de la pensée dont il se dégagera en principe graduellement vers l'adolescence. Ne disposant donc pas encore de recours à des modes de pensée et à l'information qui lui permettrait d'évaluer la pertinence d'un discours, l'enfance rime souvent avec croyance.

Plus particulièrement au registre de la communication, il importe de noter que la crédibilité dont jouit l'adulte auprès de l'enfant se répercute directement sur le message émis. Par exemple, on connaît l'impact et même l'ascendant qu'a auprès du jeune enfant le parent ou l'enseignant : il est bien difficile pour un tiers qui n'est pas directement en relation affective avec l'enfant de venir contredire ce que « maman » ou « le professeur » a dit.

Ceci apparaît particulièrement vrai en ce qui concerne la communication portant sur un objet religieux. À titre d'exemple, les enfants interrogés à savoir s'ils croient en Dieu ou en Jésus, fourniront presqu'invariablement une réponse affirmative tout en justifiant celle-ci par le dire ou le témoignage d'un adulte :

Oui, je crois à Jésus, parce que les maîtresses d'école l'ont dit en première, deuxième et troisième année. (9 ans)

Oui, parce que tout le monde le dit dans ma famille. (9 ans)

 [136]

Je pense qu'il y a un Dieu, parce qu'il y a beaucoup de monde qui dit qu'il est partout. (11 ans)

La tradition chrétienne est elle-même basée sur le témoignage. Mais il faut voir que l'enfant qui reconnaît comme vraies les représentations religieuses répond ainsi au « désir » que l'adulte a sur lui en faisant son éducation religieuse. On ne peut encore parler d'adhésion librement consentie chez le jeune enfant. S'il croit au message, c'est parce qu'un adulte en qui il croit le dit. Quant à la pertinence du contenu, elle n'est pas mise en question en elle-même.

1.2 UNE DÉRIVE SUR LES REPRÉSENTATIONS

Si pour le croyant, les signifiants de la religion réfèrent à un Réel, inaccessible et objet de foi, pour l'enfant chez qui on veut éveiller la foi, l'évidence du Réel n'est pas incluse dans le symbole présenté. L'enfant qui accepte ce symbole le fait selon la perspective concrète de sa pensée. Mais aussi, il assimile cet élément en l'intégrant à l'organisation des données déjà enregistrées à l'intérieur de ses structures cognitives. C'est alors que, par le jeu des liens qu'opère l'enfant au contact d'autres sources d'informations et de crédibilité (telle la télévision), les représentations ne seront pas nécessairement assimilées telles que le prévoit l'intention qui les transmet. Elles peuvent même présenter des effets de dérive plus ou moins importants par rapport au contenu intentionnellement transmis au départ.

Ainsi, des enfants de 6 à 10 ans ont comparé des représentations religieuses et de science-fiction à partir d'un ensemble de similitudes qu'ils reconnaissent aux personnages appartenant à l'un ou l'autre univers. Environ 85% des enfants interrogés établissent des liens entre les personnages de Jésus, E.T. l'extra-terrestre et Goldorak [3] ; 33% vont même jusqu'à remplacer le personnage de Jésus dans la crèche par celui d'E.T. l'extra-terrestre, et selon ces mêmes enfants, Goldorak apparaît plus apte à sauver le monde que Jésus.

[137]

E.T. et Jésus, ça fait pareil dans la crèche... Ils ont tous les deux des pouvoirs et ils viennent du ciel tous les deux.

Goldorak et Jésus, ils veulent tous les deux sauver le monde.

Les enfants évaluent aussi les potentialités de chaque personnage en ces termes :

Jésus, il a déjà fait des miracles, mais Goldorak, il a des instruments, il est plus fort.

Jésus a soigné des gens, E.T. aussi il guérit les bobos avec son doigt magique ; il serait peut-être meilleur pour guérir que Jésus.

Bien que les enfants distinguent l'aspect fictif et inventé de la science-fiction du caractère de vérité historique de certains faits présentés par le discours religieux, il n'en demeure pas moins qu'ils estiment comparables et même interchangeables les représentations des deux univers. La symbolique proposée par la religion se retrouve en quelque sorte, pour les enfants, sur un marché « concurrentiel » avec d'autres symboliques présentant certaines similitudes, et ce, quelle que soit la dissemblance physique des personnages ou quel que soit le sens véhiculé par chaque univers symbolique.

Les enfants plus âgés en fin de primaire (11-12 ans) opèrent aussi une certaine dérive sur le langage religieux tel que transmis. Ce sera chez eux moins par le recours à l'imaginaire proposé par les films et les bandes dessinées, - le correctif éducatif aura eu le temps de leur apprendre à ne pas mêler imaginaire et religion -, mais par un début de questionnement et même de mise en doute, prémisse des opérations formelles.

Jésus, il a existé, des gens l'ont vu. Mais Dieu, on n'est pas sûr qu'il existe, lui. D'où ça part ça, Dieu ?

À propos des miracles attribués à Jésus :

Non, je ne pense pas que ça se peut. Même les statues qui pleurent, je pense qu'il y a un truc.

[138]

Il doit être arrivé des petites choses, et les gens ont grossi ça.

La virginité de Marie interroge aussi les enfants...

Moi, ce que je ne comprends pas, c'est que Marie a eu un enfant de Dieu, mais Dieu n'était pas là. Puis Joseph, c'est le supposé père de Jésus, mais sans rapport, parce que ce n'est pas son enfant...

Moi, j'comprends plus rien... le père de Jésus, y as-tu un père, lui ?

L'enfant de cet âge, par la télévision mais aussi par l'apprentissage scolaire (avec les sciences de la nature, par exemple) est rejoint peu à peu par l'influence de la science et de la technique, dans une culture qui a accentué la crédibilité de l'observation et de l'expérimentation en regard de celle du dire et du témoignage. Cette influence s'adjoignant au développement de sa pensée rend possible un questionnement du contenu de la croyance. Mais comment l'enfant arrive-t-il à sauvegarder son imaginaire ou son questionnement, sans récuser le dire de l'adulte dont la crédibilité et l'autorité peuvent difficilement être remis en question à cet âge ? Nous avons été amenée à constater que les enfants effectuent certaines « combinaisons fonctionnelles » à même le contenu du discours religieux.

1.3 LES COMBINAISONS FONCTIONNELLES

Les combinaisons fonctionnelles définissent ici un système d'ajustement par lequel l'enfant tente de maintenir ensemble à la fois des éléments de son imaginaire ou de son questionnement, et le contenu du discours religieux tenu par l'adulte. Cette attitude de l'enfant suggère déjà que le discours sur la religion est transmis comme « à croire », sans être relativisé ni explicité dans ses aspects symboliques.

Les enfants, jusqu'à environ 9 ans, établissent des rapprochements entre les signifiants de chaque système de représentations, selon ce qu'ils reconnaissent comme vrai dans le religieux, et comme vraisemblable dans la science-fiction, ce qu'on leur dit sur Jésus et ce qu'ils voient dans la science-fiction.

[139]

On dit que Jésus dans le temps, il faisait des miracles... Jésus est peut-être plus fort que Goldorak dans les pouvoirs, mais Goldorak, physiquement, il est plus fort, il a des instruments.

Ce processus est particulièrement évident chez les enfants plus âgés, bien qu'il se module quelque peu différemment. Par exemple, deux discours sur les origines ont été présentés aux enfants de 11-12 ans, en leur demandant ce qu'ils en pensaient : celui de la Bible, présentant symboliquement la création du monde en sept jours, et le discours scientifique qui parle des milliards d'années d'évolution qu'a connue la terre pour qu'enfin la vie s'y développe à l'échelle de millions d'années. Nous notons d'abord que les jeunes ont été absolument incapables de situer la signification symbolique du récit biblique, symptôme du type de transmission qui en est faite, comme nous le notions plus haut. Le sujet a donné lieu à une dynamique intéressante entre les enfants qui ont tenté de comparer les deux discours comme relevant d'une même épistémologie, et de diminuer progressivement l'écart de contradiction apparente. Voici un extrait des échanges auxquels ce sujet a donné lieu entre les enfants :

Je pense que sept jours, c'est pas assez ... mais qu'un milliard, ce serait pas mal gros.

La Bible, ils n'étaient peut-être pas au courant quand ils ont écrit ça...

Mais il y en a qui disent que Dieu, il peut tout faire, qu'il n'y a rien d'impossible... c'est pas impossible qu'il l'ait faite en sept jours.

Peut-être que Dieu, il a pris sept jours à créer, et des millions pour améliorer.

Accord des autres enfants sur la dernière remarque.

Un autre élément de discussion entre les enfants de ce groupe de sixième année fut le discours sur l'après-mort, où ils devaient dire ce qu'ils pensaient du fait que circulent des discours différents tels ceux qui portent sur la résurrection et sur la réincarnation. Encore là, les échanges entre les enfants ont tendu graduellement à diminuer l'écart entre les deux réalités.

[140]

La réincarnation, moi je pense que c'est faux, car Dieu nous attend en haut.

Mais il y a d'autres religions, peut-être qu'elles ne croient pas à la même chose.

Si on se réincarne, la fin du monde n'arrivera jamais, si tout le monde revient tout le temps.

Si quelqu'un est mort, il peut être partout, il est rendu libre de faire ce qu'il veut. Alors, il ne se réincarne pas, ça va être une autre vie, dans la paix et l'amour.

Ce sera un genre de réincarnation de l'amour et de la paix.

Accord des autres enfants.

On voit déjà apparaître dans le discours des enfants la dialectique du croyant confronté à des croyances différentes des siennes : est-ce que le contenu de la croyance de l'autre est de nature à anéantir la mienne ? Si tu te réincarnes, est-ce que ma fin du monde n'arrivera jamais ?

Incapacité de situer la symbolique des récits et de considérer une croyance qui diffère de celle qu'on lui transmet. Cette difficulté à aborder les contenus pour eux-mêmes porte encore pour une part, la trace des habitudes concrètes de la pensée. Mais on constate en plus un effort d'« ajustement » d'éléments provenant d'autres sources de crédibilité au discours transmis comme à croire par les adultes en relation immédiate avec lui. Cette attitude n'est certainement pas exclusive au rapport à la symbolique religieuse, mais elle nous apparaît particulièrement prégnante dans ce registre.

1.4 UNE PERCEPTION NON RELATIVISÉE
DE LA TRADITION CHRÉTIENNE


Il se dégage de tout le matériel recueilli auprès des enfants que ceux-ci en restent à une perception non relativisée de la tradition chrétienne. Ils semblent incapables de considérer cette religion comme une parmi d'autres. Bien qu'ils soient à même de savoir, par la télévision ou le milieu environnant, qu'il y a des gens qui appartiennent à d'autres religions, ils n'arrivent pas à faire une lecture de cette pluralité, con-une l'illustre cet extrait d'échanges entre l'intervieweuse et les enfants :

[141]

Est-ce que tout le monde est chrétien ?
Oui, tout le monde.
Il n'y a pas d'autres religions ?
Ah oui, il y a les Indiens.
C'est quoi de la religion ?
C'est prier Jésus.
C'est aller à la messe et parler de Jésus.

Malgré la pluralité religieuse de plus en plus évidente au Québec, on constate un niveau général d'ignorance sur les autres religions ou sectes et de là, une incapacité à situer sa propre religion parmi d'autres.

La conception de Dieu est tout aussi problématique. Bien que l'enfant sache répéter que le Dieu de Jésus est le seul vrai, il est aussi confronté à des représentations divines provenant d'autres traditions religieuses, même s'il manque d'informations générales sur celles-ci. Sa réaction est une fois de plus d'atténuer le plus possible l'écart entre les différentes représentations. Voici à ce titre, un autre extrait de l'échange entre les enfants.

Il y ajuste un Dieu.

Mais il doit y avoir d'autres dieux, car il y a d'autres religions.

Le vrai Dieu, il a créé la terre, l'eau, les oiseaux, nous, l'amour.

Quand même il y en aurait plusieurs dieux, ça ne servirait pas à grand'chose, parce qu'il y en a un et il est partout, il voit tout.

Peut-être qu'Il en a mis d'autres pour distribuer les tâches à faire.

Moi je dis qu'il ne peut y avoir plusieurs dieux, car Dieu, il connaît toutes les religions, c'est lui qui a créé les religions.

C'est peut-être un peu le même, mais sous une autre forme.

La confrontation de la pluralité conduit à l'inscription de la différence marginale plutôt qu'à la reconnaissance et à l'acceptation de l'autre option. Il y a ceux qui « croient » en Jésus, et ceux qui « ne veulent pas ». L'autre option, religieuse ou non religieuse, n'est par reconnue valable pour elle-même, [142] mais est interprétée comme un refus de l'option dans laquelle on se retrouve soi-même, soit la tradition catholique dans le cadre de notre propos.

La structure même du régime d'option entre l'enseignement religieux catholique et l'enseignement moral, semble accentuer cette perception. Les entrevues effectuées avec des enfants de cinquième année se retrouvant dans l'un ou l'autre cadre d'enseignement sont très révélatrices à cet égard. La justification que les uns et les autres avancent à la question « Pourquoi es-tu en enseignement religieux ou en enseignement moral ? » porte très souvent sur l'acceptation ou le refus de la croyance catholique.

Enfants du groupe d'enseignement religieux catholique :
C'est parce que nous autres, on croit à Jésus. En morale, ils ne croient pas à Dieu et à Jésus.
Enfants du groupe d'enseignement moral :
Je suis en morale, parce que je ne crois pas aux affaires de Jésus. C'est juste ceux qui croient en Dieu qui ont de l'enseignement religieux.

Ainsi, le fait d'être identifié à l'intérieur du groupe ayant l'option religieuse implique l'adhésion à la croyance véhiculée, et vice versa. Une discussion sur les origines en sixième année a amené de la part des enfants une attitude illustrant une fois de plus cette conception. Une petite fille bouddhiste mettait en doute la vraisemblance des sept jours de la création... les autres enfants de répondre : « C'est parce qu'elle est en morale ».

Il est pour le moins interrogeant, du point de vue du développement de la conception du monde que se fait l'enfant, de voir que plusieurs enfants qui sont en enseignement religieux perçoivent l'enseignement moral comme une étape transitoire pour mieux comprendre la religion, et revenir ensuite joindre les rangs.

Y'en a en morale, parce qu'il y a des gens qui ne comprennent pas très bien c'est quoi la catéchèse. Celle que j'ai connue, elle allait en morale pour mieux connaître Jésus.

[143]

La morale, c'est quand tu sais pas faire la catéchèse, que tu ne connais pas vraiment Dieu, que tu crois même pas que c'est lui qui a fait la terre ; là, tu vas en morale, c'est là qu'ils vont réussir à te faire croire que c'est lui Dieu qui a fait la terre.

La perception non relativisée de la tradition chrétienne, d'où découle un jugement de valeur sur ce qui en diffère et que nous constatons dans le discours des enfants, semble déjà chez eux une modalité par laquelle il s'approprie le discours religieux. S'agit-il d'une phase transitoire de l'enfance, ou des premiers traits d'une logique inévitable de la structure cognitive du croyant ? L'apprentissage dans les autres matières comporte-t-il ces mêmes traits de non relativisation ?

1.5 UNE PERSPECTIVE RELATIONNELLE

Le rapport entre le langage religieux et l'expérience de l'enfant s'articule chez celui-ci selon une perspective relationnelle. Dieu, Jésus, l'Esprit Saint dépassent le domaine de la cognition de représentations : l'enfant apprend que ces « personnes » sont en relation avec lui. Comme il s'agit là d'une conception fondamentale du chrétien, il est normal qu'elle soit reconduite dans le discours de l'enfant.

On remarquera cependant que les enfants recourent à une matrice d'associations fermée sur elle-même pour exprimer cette perspective relationnelle avec Jésus ou Dieu. Ils n'arrivent pas à dépasser certaines associations stéréotypées pour dire ce qu'ils pensent de ce qu'on leur transmet de cette relation dans leur vie et en restent à des raisonnements circulaires.

Jésus, c'est notre ami. Il est dans notre coeur.
- Comment le sais-tu ?
Il nous aime.
- Explique un peu...
Il nous éclaire et nous aide.
- Peux-tu me donner des exemples ?
C'est notre protecteur.
- Comment te protège-t-il ?
Il est dans nos coeurs.

[144]

Cette relation de Jésus à l'enfant semble polarisée par la fonction d'aide de Jésus. À la question « Qu'est-ce qu'il fait Jésus ? », les enfants répondent fréquemment par l'aide qu'il peut apporter. Mais ils parviennent plus facilement à dire comment Jésus peut aider les autres (qui sont malades, font la guerre ou sont dans la misère) qu'à identifier ce qu'il peut faire pour eux, comment il peut les aider et être leur ami.

Il peut guérir nos parents s'ils sont malades.

Il pourrait aider ceux qui ont de la misère.

Il y en a qui font la guerre ; il les aide peut-être à faire la paix, en leur parlant dans leur coeur, parce qu'ils ne comprennent pas directement comme ça...

D'ailleurs, les enfants réussissent plus facilement à sortir de cette matrice d'associations Jésus-ami-aide lorsqu'ils sont en entrevue individuelle plutôt que de groupe, où les associations faites par les pairs, alors plus marquées par les apprentissages communs en la matière, ont davantage d'impact sur la subjectivité de chacun. Il arrive fréquemment à ce moment que les enfants révèlent qu'au fond, ils ne sentent pas vraiment Jésus en relation d'« amitié » et d'aide avec eux.

C'est pas vrai que Jésus m'aide il n'a jamais rien fait pour moi.
Je le sens loin, on dirait qu'il fait rien pour nous.

Ces derniers propos d'enfants, de même que le constat des raisonnements circulaires qu'ils opèrent pour nous parler d'un des points fondamentaux de leur apprentissage de la religion chrétienne, soit la relation vivante de Jésus aux chrétiens, nous suggèrent qu'il s'agit davantage de la reconduction du discours adulte dans celui de ces enfants que de l'assimilation à valeur expérientielle chez ceux-ci de cet apprentissage.

Les cinq modalités d'appropriation de la symbolique religieuse chez les enfants que nous venons de présenter ne prétendent pas être les seules que nous puissions déceler chez eux, et n'apparaissent probablement pas selon une même intensité chez tous les enfants. Mais le fondement empirique en [145] est cependant certain, et il pourrait à la rigueur faire objet de mesure avec une méthodologie appropriée. Dans la suite de notre propos, ces matériaux empiriques nous fournissent en quelque sorte une grille de lecture et d'analyse du discours religieux prévu dans le programme d'enseignement religieux catholique au primaire.

2. ANALYSE
DU DISCOURS PÉDAGOGIQUE


Ces discours des enfants, s'ils révèlent quelque chose des modalités par lesquelles ils entrent en contact avec le langage religieux, laissent aussi transparaître certaines caractéristiques du type de transmission qui en est faite. Plusieurs sources concourent à la structuration progressive de la conception de l'enfant en matière de religion : la famille d'abord, puis l'environnement, la télévision, les amis, l'école. Dans le cadre de cet article, l'école, ou du moins le discours pédagogique sur la religion qui est prévu y être tenu, retiendra notre attention.

L'enseignement religieux à l'école demeure un lieu privilégié par lequel l'enfant est mis en contact avec la tradition chrétienne, par la régularité, la constance et la systématisation de ses apprentissages. À la lumière des modalités repérées chez les enfants, nous examinerons le discours religieux prévu dans les nouveaux programmes d'enseignement du primaire. Cette analyse se situe d'emblée du côté d'une problématique de psychologie du développement et de psychopédagogie. Il s'agit donc d'un point de vue, qui peut différer passablement de celui que pourrait avoir un croyant considérant l'éducation religieuse des enfants de l'intérieur de la communauté à laquelle il appartient. Notre analyse s'autorise du simple fait que l'enseignement religieux catholique est dispensé, non pas à l'intérieur de la communauté de référence, mais dans une institution scolaire publique [4], au même titre que les autres matières d'enseignement, en s'inscrivant dans les finalités éducatives telles qu'énoncées par le Ministère de l'éducation du Québec : une éducation qui vise à développer [146] la personne dans toutes ses dimensions, y compris l'ouverture à la transcendance (MEQ, 1979).

À la lumière de ce qui a déjà été repéré chez les enfants, trois aspects du programme d'enseignement religieux ont été dégagés et questionnés au plan éducatif : tout d'abord deux modalités pédagogiques, soit une pédagogie de la croyance et une pédagogie du « relationnel », et ensuite le statut du discours religieux qui y est élaboré.

2.1 UNE PÉDAGOGIE DE LA CROYANCE

Ce qui attire tout d'abord l'attention dans le programme d'enseignement religieux catholique, c'est qu'il vise nommément l'adhésion aux contenus enseignés. Ceci apparaît dans l'énonciation des grands objectifs d'apprentissage : l'enfant doit « connaître et comprendre le contenu et l'organisation des affirmations essentielles de la foi chrétienne et trouver en elles des significations qui le touchent personnellement » (objectif cognitif) (MEQ-DEC, 1984a, 9. Nous soulignons). En cohérence avec une telle visée, la foi et le témoignage de l'enseignant deviennent des critères fondamentaux que l'on doit attendre de celui ou celle chargé/e de l'enseignement religieux catholique au primaire (MEQ-CCCSE, 1985).

L'enseignement religieux fonde donc sa pertinence sur le témoignage et le rapport à la croyance. Il ne s'agit pas ici d'évaluer la possibilité qu'a un adulte de témoigner de ses croyances à d'autres personnes : cet exercice est reconnu, avec ses limites eu égard au bien commun, dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Il faut plutôt se laisser interroger par les implications au plan éducatif d'un enseignement qui, tout en justifiant sa place à l'école par sa contribution au projet éducatif global, ne relève pas des mêmes impératifs pédagogiques que les autres types d'apprentissage que fait l'enfant. En effet, l'enseignement religieux confessionnel vise l'adhésion aux valeurs enseignées de même qu'un engagement personnel, ce qui n'est pas la modalité pédagogique utilisée dans les autres matières, où l'enfant n'a pas à adhérer aux contenus pédagogiques, mais doit plutôt les comprendre. En guise d'illustration, citons simplement quelques objectifs terminaux des différents niveaux du primaire, objectifs qui précisent les résultats anticipés chez les élèves en termes de changements attendus à la fin d'une période donnée.

[147]

Accueillir positivement la Bonne Nouvelle découverte par les disciples d'Emmaüs après la mort de Jésus (1re année).

Connaître des signes personnels de l'amitié de Jésus. Exprimer son amitié à Jésus de différentes façons (2e année).

Accepter de poser des gestes par lesquels il dit sa contribution à la réalisation du Rêve du Père (3e année).

Formuler en quelques phrases sa profession de foi (6e année).

Toute religion comporte son système de croyances : c'est là un donné structurel. Cependant, l'adhésion à ce système de croyances peut-elle être considérée comme un « objectif pédagogique », sujet à évaluation de la part de l'enseignant ? Faut-il voir un lien de causalité entre cette composante fondamentale d'une religion, le contenu des croyances, et le type de pédagogie mise en oeuvre ? Autrement dit, l'enseignement d'une confession religieuse ne peut-il se penser qu'en termes d'adhésion à un contenu ? Réfléchissons un peu sur les conséquences d'une telle problématique en termes d'apprentissage chez l'enfant.

On a constaté que l'enfant se reporte à l'adulte pour justifier sa croyance. L'enfant dit croire parce qu'il est encore à un stade de développement où il peut difficilement prendre distance par rapport à l'autorité et évaluer le contenu d'un discours. Alors en voulant susciter l'adhésion, en voulant « Produire chez l'élève un changement profond qui le touche en son for intérieur, dans ses sentiments, ses attitudes et ses convictions personnelles » (MEQ-DEC, 1984,9), n'est-on pas en train de tabler (exploiter ?) sur une caractéristique de l'enfance plutôt que sur le développement d'une intelligence effective de l'objet en cause ?

Ce type de pédagogie peut avoir un certain succès tant que dure l'enfance, mais qu'en advient-il au sortir de celle-ci, lorsque l'adolescent peut introduire, au moyen des opérations formelles, une évaluation de la pertinence du discours par des outils plus rationnels tout en prenant distance par rapport à de l'autorité ? Les études sur l'adolescent démontrent [148] la caducité d'une telle pédagogie [5]. On peut aussi se demander quelles en sont les conséquences sur le développement de la conception du monde de l'enfant, sur sa compréhension et son acceptation de la pluralité des options de vie possibles ?

On invoque couramment la nécessité que l'enfant soit d'abord initié à « sa » religion, afin d'être en mesure de faire un choix éclairé plus tard. Voilà pourtant un parcours qu'on n'exige pas de l'enfant en politique par exemple : on n'exige pas qu'il fasse d'abord partie d'un groupe politique et communie à son idéologie pour comprendre les règles de la démocratie et s'habiliter à faire un choix éclairé en matière de politique. L'enfant, au contraire, apprend peu à peu les règles de la démocratie tout au long de son apprentissage à la socialisation et est initié, par les sciences humaines entre autres, au fonctionnement du politique, après quoi il sera invité à faire des choix en tant que citoyen selon la conception de la vie en société qu'il aura construite graduellement.

Bien sûr, l'enfant ne peut pas ne pas être marqué par les croyances de son milieu, autant en matière de politique que de religion. Une bonne connaissance de ces conceptions du monde est même un apprentissage désirable et cohérent avec une visée de socialisation élémentaire. Mais cette empreinte du milieu n'est pas du même ordre que celle inscrite par une vision du monde transmise systématiquement comme à croire dès le plus jeune âge.

2.2 UNE PÉDAGOGIE DU RELATIONNEL

Toute religion comporte une certaine lecture de l'expérience, en congruence avec la vision du monde présentée par son système de croyances. L'enseignement religieux catholique intègre cette dimension à ses objectifs. D'ailleurs, plus particulièrement depuis les années soixante, l'enseignement religieux a voulu partir du « vécu » de l'enfant et du jeune comme point d'ancrage de l'annonce du message évangélique. C'est autour des capacités d'émerveillement, de communion et d'engagement de l'enfant, et autour du thème privilégié de l'amitié que s'est surtout cristallisé ce recours au vécu. C'était alors un véritable pas en avant par rapport au « par coeur » du petit [149] catéchisme traditionnel. Mais comment articuler la lecture chrétienne de l'expérience au vécu de l'enfant ? Comment ancrer dans l'expérience même de l'enfant la conception chrétienne d'une relation vivante de Jésus avec les croyants ?

Nous examinerons plus particulièrement le thème de l'amitié qui s'avère très important tout au long de l'enseignement religieux. Tout d'abord, les objectifs d'apprentissage prévoient une prise de conscience chez l'enfant de l'importance de l'amitié dans sa vie. Puis, à partir de ce vécu, l'enfant est amené à « connaître les manifestations d'amitié dans la vie de Jésus » pour enfin « connaître et être attentif aux signes par lesquels Jésus lui dit son amitié » (MEQ-DEC, 1984b, 147).

Les scénarios d'enseignement-apprentissage prévus dans le guide pédagogique du primaire, poursuivant cet objectif d'amener l'enfant a une conception d'un vécu en relation d'amitié avec Jésus, se présentent ainsi :

JÉSUS VEUT ÊTRE L'AMI DE TOUS ET CHACUN D'ENTRE NOUS.
C'est à partir de différents événements de la vie que l'on peut constater l'amitié de Jésus. « D'après vous, quel est le premier événement de la vie qui exprime le plus clairement L'AMITIÉ DE JÉSUS ? » Après quelques minutes de discussion, collectivement ou en équipes, l'enseignant relève sur des cartons préparés à l'avance L'ÉVÉNEMENT trouvé par les élèves. Il insiste sur les réponses qui se rapportent à la VIE, à la NAISSANCE. Il fait remarquer que la vie, c'est un cadeau précieux, (et que) ... par l'eau du baptême, Jésus nous dit : Je t'aime, je veux que tu sois bien vivant. Tu es mon ami pour toujours. (MEQ-DEC, 1984b, 151-152. Majuscules dans l'original. Les italiques sont de nous)

Même si, au niveau des intentions pédagogiques, on considère partir du vécu de l'enfant et de son expression, les passages du guide pédagogique rapportés ici donnent pourtant le sentiment que la parole donnée à l'enfant doit converger inexorablement vers la réponse chrétienne que détient le maître (notons au passage que la symbolique chrétienne du baptême [150] telle que présentée dans cette leçon est quelque peu douteuse, dans son extrême simplification, eau du baptême : amitié de Jésus, en regard de la tradition théologique elle-même). Considérant les objectifs pédagogiques, comment respecter l'expression intégrale du vécu de l'enfant et la lecture chrétienne de ce vécu, sans sélectionner ce qui de ce vécu peut en fait correspondre à la vision chrétienne ?

On peut se demander, d'une part, si la lecture religieuse de l'amitié qui est faite correspond à l'expérience de l'amitié telle que réellement vécue par l'enfant avec ses pairs : une amitié qui est sélective, souvent exclusive, qui se nourrit ou se brise constamment à partir des signes concrets entre les partenaires. Et bien que l'on se réfère, dans la formulation des objectifs pédagogiques, à des termes comme « reconnaître », « constater », etc., il semble difficile de vraiment ancrer dans le vécu concret d'amitié chez l'enfant la conception de l'amitié de Jésus pour lui.

D'autre part, Jésus apparaît aux enfants comme un ami qu'ils n'ont pas choisi, un Jésus qui est en quelque sorte leur ami malgré eux. Ce postulat « incontestable » de l'amitié de Jésus envers tout le monde amène les enfants à concevoir qu'ils ont une série d'obligations envers cet ami : « lui parler, ne pas le laisser tomber, faire attention à ce qu'on dit, bien se conduire... ». Cette logique pédagogique n'est-elle pas questionnable au niveau de la structuration progressive chez l'enfant de sa capacité de justifier les choix relationnels qu'il fait et sera appelé à faire ?

2.3 LE STATUT DU DISCOURS RELIGIEUX

Les données recueillies auprès des enfants révélaient que ceux-ci ont une perception non relativisée de la tradition chrétienne et une lecture littérale des aspects symboliques des récits bibliques. Nous avons donc examiné les nouveaux programmes d'enseignement pour savoir si les apprentissages prévus abondent dans le même sens.

2.3.1 LE CARACTÉRE SYMBOLIQUE DU RÉCIT

Comme la question des origines du monde avait été abordée lors des entrevues, nous avons considéré principalement les objectifs d'apprentissage s'y rapportant, lesquels sont prévus pour le début de la troisième année du primaire.

[151]

LA TERRE NOTRE DEMEURE, DON DU PÈRE

Objectif : saisir que Dieu est le Père à l'origine de la terre notre demeure et qu'il appelle les humains à être cocréateurs.

Contenu : Terre : don du Père. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » Objectif terminal : Reconnaître que la terre est un don du Père.

Objectif intermédiaire : Identifier les versets du récit de la création qui montrent que la terre est don du Père. (MEQ-DEC, 1984b, 169)

L'énonciation des objectifs nous renvoie à l'ordre de l'observation et de la constatation. Une ambiguïté est donc inscrite dès le départ : l'enfant est amené à considérer le récit biblique comme une vérité sur la question des origines qui ne se distingue pas du type de vérité produite par la méthode scientifique. Le scénario d'enseignement-apprentissage prévu propose à l'enseignant de susciter l'émerveillement de l'enfant devant les beautés de la nature, pour mieux établir des relations avec le récit biblique (MEQ-DEC, 1984b, 178). Quelques textes en annexe proposent à l'enseignant une réflexion sur la confession de foi et la prise de conscience de nos dépendances que représente le récit de la création pour le chrétien. Si cet accent sur la foi revêt certainement une pertinence dans l'abord de ce texte, il semble être mis au détriment d'une compréhension de la construction symbolique du récit, ce qui risque de cantonner l'enfant à une interprétation littérale du texte, comme nous l'avons d'ailleurs constaté.

Les recherches de Goldman (1964, 58-59) sur le développement de la pensée lorsqu'elle porte sur des notions religieuses, ont révélé un certain retard dans l'accès à la pensée formelle dans la sphère religieuse, en comparaison avec les autres domaines de l'apprentissage. L'enfant éprouve dans le domaine religieux de la difficulté à développer une pensée plus abstraite et critique sur la religion. Une utilisation littérale et fidéiste du matériel et du langage religieux n'est-elle pas de nature à rendre difficile ce dégagement des habitudes de la pensée concrète ?

[152]

2.3.2 LA PLACE DE LA LECTURE CHRÉTIENNE DE L'EXISTENCE

Le type de présentation qui est faite de la lecture chrétienne de l'existence amène-t-il à considérer celle-ci comme relative ou absolue ? Toujours à partir du thème de la création, nous avons analysé l'extrait suivant.

DES FAÇONS D'ËTRE CO-CRÉATEUR

Objectif intermédiaire : Nommer des personnes qui participent à l’œuvre de la création.
L'enseignant dit : « Dieu partage sa puissance avec l'homme et la femme en leur confiant la terre. Par leur travail, ils participent à l’œuvre de la création ». Puis il met à la disposition des élèves une série de photos illustrant d'une part des réalités naturelles et des objets fabriqués, d'autre part. Ex. : champ de blé agriculteur, boulanger, vendeur, camionneur.

Écrire toutes les façons de participer à l’œuvre de la création énumérées par les élèves. L'enseignant conclut : « Les hommes et les femmes en transformant les éléments naturels contribuent à l’œuvre de la création ». (MEQ-DEC, 1984b, 182)

Du point de vue d'un croyant, de telles activités du genre humain peuvent, bien sûr, être lues dans sa propre perspective religieuse. Cependant, pour l'enfant qui est en apprentissage et en construction progressive de sa conception du monde, n'est-ce pas là lui apprendre une façon d'interpréter l'activité humaine qui risque de lui rendre difficile la reconnaissance et l'acceptation de lectures différentes de celle qui lui est apprise ? En effet, dans un tel scénario, quelle que soit la manière de concevoir le sens de leurs activités, les agriculteurs, les boulangers, les vendeurs... sont inévitablement à l'intérieur de la lecture chrétienne de l'existence. Qu'un certain nombre d'individus reconnaissent Jésus au cœur de leur vie et en témoignent est tout à fait valable ; tenir à l'enfant une lecture religieuse de l'expérience que font d'autres individus, sans considération de leur propre lecture de l'existence apparaît beaucoup plus délicat. Ces boulangers et ces agriculteurs dont on parle à l'enfant, interprètent-ils leurs activités comme des façons de contribuer à l’œuvre de 14 création du Dieu chrétien ?

[153]

Le type d'évaluation des apprentissages prévu, s'inscrivant dans le prolongement des objectifs de formation, semble plus religieuse que pédagogique :

CHANGEMENTS ANTICIPÉS chez l'élève : (affectifs). Être attentif aux signes par lesquels Jésus lui dit son amitié.
  • Indiquer un moment de sa vie ou il voit davantage une manifestation de l'amitié de Jésus.

  • Illustrer, à sa façon, comment il peut se montrer attentif à quelques-uns des signes d'amitié reçus de Jésus depuis sa naissance. (MEQ-DEC, 1984b, 164)

  • Accepter de participer à des activités où il dit sa reconnaissance pour la terre, don du Père.

  • Composer une prière ou un poème dans lequel ou laquelle il dit sa reconnaissance pour la terre, don du Père.

  • Participer à la réalisation d'une célébration pour remercier Dieu le Père, du don de la terre. (MEQ-DEC, 1984b, 192)

L'évaluation porte donc sur la conformité de l'expérience de l'enfant à la lecture religieuse transmise.

La question théorique que cette analyse soulève, est de savoir si une tradition religieuse particulière peut assurer une éducation religieuse promotrice de sa propre interprétation de l'existence et en même temps considérer explicitement les visions qui diffèrent de la sienne, ce qui l'obligerait à situer sa propre relativité. Du point de vue pédagogique, l'enfant peut-il à la fois intégrer une vision du monde non relativisée tout en s'appropriant l'inévitable présence de la différence ? Voilà un enjeu pédagogique qui apparaît de taille en matière d'éducation religieuse...

CONCLUSION

Les caractéristiques du discours pédagogique prévu en matière d'enseignement religieux catholique, soit une pédagogie axée sur la croyance, avec un accent sur une lecture particulière de l'expérience humaine, et ce à même un discours dont le statut symbolique et relatif ne fait pas objet de [154] compréhension critique, peuvent être mis en parallèle avec les modalités par lesquelles les enfants intègrent le discours religieux, telles que nous les avons repérées lors de nos recherches. Plus qu'une simple phase transitoire imputable chez les enfants au stade de développement de la pensée, on peut supposer que ces modalités se situent dans le prolongement d'une logique éducative que les nouveaux programmes réaffirment.

La conception religieuse de l'enfant se structure à même plusieurs sources et non uniquement à partir de ce qu'il apprend à l'école. De plus, l'apprentissage scolaire est sans doute marqué par la personnalité des enseignants. Il faut considérer cependant que ceux-ci se réfèrent tous à un même programme d'enseignement. Et la régularité et la systématisation de l'enseignement scolaire sont de nature à conférer en quelque sorte un dénominateur commun à tous les enfants au niveau des apprentissages en matière de religion.

Sans remettre en cause la pertinence d'un enseignement religieux confessionnel auprès de jeunes enfants, ni les contenus de foi d'une tradition religieuse, notre analyse soulève cependant, au strict plan pédagogique, un certain nombre d'interrogations qui peuvent d'ailleurs être transposées à tout enseignement religieux, quelle que soit la tradition religieuse en cause. La considération de ces interrogations pourrait nous permettre de mieux cerner les enjeux de formation et la nature de l'impact de cet enseignement sur le développement de la conception du monde chez l'enfant.

Une conception implicite sous-tend tout projet d'éducation religieuse auprès de jeunes enfants et qui est : la religion doit être apprise dès qu'on est jeune. La longue tradition éducative qui appuie cette conception ne rend pas celle-ci évidente pour autant. Bien qu'elle puisse s'avérer tout à fait valable, quels fondements pourrait-on invoquer pour justifier une telle logique éducative ? La connaissance de la religion de son milieu ne suffit pas ici, puisque celle-ci peut se réaliser sans qu'une adhésion soit sollicitée pour soutenir l'apprentissage au plan cognitif. La connaissance de « sa » religion afin d'être en mesure de choisir ultérieurement relève davantage du sophisme que de la logique éducative : comment le jeune peut-il choisir ultérieurement ce qui lui a été transmis d'abord comme « sa » vision du monde ? Le choix ne pourra alors [155] consister qu'à « ratifier » ou bien « renier » cette même vision du monde.

L'enseignement d'une confession religieuse peut-il se présenter dans sa relativité par rapport aux autres propositions de sens, ou ne peut-il, structurellement, que présenter sa lecture de l'existence comme la seule, à croire ? C'est là une question qui ne semble pas avoir de réponse évidente au premier chef. Les retombées en terme d'apprentissage chez l'enfant ouvrent des voies de recherche, pour mieux comprendre la structuration progressive de la construction de la réalité chez lui : quel impact sur la structure mentale et la conception du monde peut avoir une lecture religieuse de l'expérience intégrée dans une logique de croyance par rapport à une lecture compréhensive et critique de la nature des différentes visions religieuses et non religieuses de l'existence ?

RÉFÉRENCES

GOLDMAN, Ronald

1964 Religious Thinking from Childhood to Adolescence, London, Routledge and Kegan Paul.

MEQ (Ministère de l'éducation du Québec)

1979 L'École québécoise. Énoncé de politique et plan d'action, Québec, Éditeur officiel du Québec.

MEQ-CCCSE (Ministère de l'éducation du Québec. Comité catholique du Conseil supérieur de l'éducation)

1985 Éduquer la foi à l'école. L'enseignant chargé de l'enseignement moral et religieux catholique et l'éducation de la foi, Gouvernement du Québec.

MEQ-DEC (Ministère de l'éducation du Québec. Direction de l'enseignement catholique)

1984 (a) Programme d'études. Primaire. Enseignement religieux catholique, Gouvernement du Québec, Ministère de l'Éducation.

1984 (b) Guide pédagogique. Primaire. Enseignement religieux catholique, Premier cycle, Québec, Ministère de l'Éducation du Québec, 1984.

RICHARD, Réginald

1985 Religion de l'adolescence. Adolescence de la religion, Québec, Presses de l'Université Laval.



[1] En guise d'illustrations, voici les questions-types qui ont été posées dans chacune des trois enquêtes mentionnées :

1. Imaginons que des enfants font une crèche de Noël. Ils s'aperçoivent qu'ils n'ont pas de petit Jésus pour déposer dans la crèche, et ils se demandent ce qu'ils pourraient bien faire pour remédier à la situation. Alors un enfant dit : « Mettons E.T. l'extra-terrestre dans la crèche, ça fait pareil ». Certains enfants disent oui, d'autres disent non. Qu'est-ce que tu aurais dit toi ? Explique pourquoi tu dis cela ? (Cette histoire-situation est la transposition d'un fait vécu par des enfants dans une école au moment où le personnage d'E.T. était très populaire via le film du même nom, fait que nous avions recueilli lors de la préenquête).

2. C'est quoi de la religion ? Est-ce nécessaire d'avoir une religion ? Est-ce que tout le monde a la même religion ? Est-ce qu'il y a seulement un Dieu ? Si non, pourquoi penses-tu qu'il y en a plusieurs ? Il est écrit dans la bible que Dieu a créé le monde en sept jours : que penses-tu de cela ? est ce que c'est possible ?

3. C'est quoi l'enseignement religieux ? Et l'enseignement moral ? Pourquoi es-tu en enseignement religieux ou en enseignement moral ? Qu'est ce qu'ils font dans l'autre groupe ?

[2] Environ 150 enfants ont été rencontrés lors de ces entrevues. les citations servant d'illustrations ne prétendent pas être des « preuves » de ce que sont les enfants ; elles sont cependant des indices précieux qui nous parlent indubitablement des enfants, et qui, livrés à la recherche quantitative, pourraient être mesurés. Notons que les verbalisations des enfants ont été transcrites aussi intégralement que le permettait la compréhension de celles-ci.

[3] Goldorak est un personnage de bandes dessinées télévisées de science-fiction ; il vient de l'espace, protège et défend les humains contre des ennemis extra-terrestres.

[4] Notons que, bien que cette institution scolaire puisse, chez les francophones, se qualifier de confessionnelle catholique, ce lieu d'apprentissage n'est pas pour autant perçu par l'enfant comme greffé sur une communauté chrétienne.

[5] Pour une analyse de ce processus chez l'adolescent, voir Réginald Richard 1985.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le samedi 16 mars 2019 19:44
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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