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DEUXIÈME PARTIE :
Des champs et des forces
“TYPOLOGIE
DE L’ORGANISATION
DES SYSTÈMES DE CROYANCES.” *
Micheline MILOT
Professeure au Département de sciences religieuses
de l’Université du Québec à Montréal
I. Perspectives analytiques et méthodologiques [116]
II. Traits généraux dégagés des matériaux analysés [118]
III. Les modèles-types d’organisation des systèmes de croyances à dominante Religion [121]
IV. Réflexions et discussion [129]
Références [132]
L’éclosion d’un marché pluriel et fortement concurrentiel de biens symboliques, corrélative à l’érosion des adhésions officielles à des institutions totalisant la vision du monde des adhérents, confine désormais chaque instituant particulier à n’être qu’un « fragment » de la culture. L’ensemble des fonctions d’intégration habituellement imputées à la religion, plus spécifiquement en contexte de chrétienté, se voit déplacé, transmuté quand ce n’est pas tout simplement remplacé chez les acteurs sociaux eux-mêmes qui semblent ainsi faire l’école buissonnière de toute orthodoxie globalisante ! Les systémiques institutionnelles se désagrègent, battues en brèche par la reconstruction de systèmes individuels de significations.
Ainsi, d’un système de significations définissant et globalisant l’expression de l’appartenance chrétienne, on passe à un ensemble de systèmes pourvoyeurs de sens, où la persistance d’un certain répertoire de croyances chrétiennes cohabite avec de nouveaux types de croyances dans un vaste ensemble qui redéfinit les frontières de l’orthodoxie. L’individu circule désormais entre différents univers symboliques à partir desquels il se constitue sa propre formule culturelle à ce chapitre des biens symboliques.
Cette constatation a donné naissance, dans le jargon des analystes, à diverses expressions qui tentent de rendre compte de ce nouveau mode de transactions avec l’univers symbolique : « éclatement des champs de significations », « déplacement du sacré », « désenchantement », « religion à la carte » (Bibby, 1988). Il faut toutefois reconnaître que ces expressions connotent, à leur face même, une évaluation de ce qu’est désormais le champ des croyances sur le fond d’une certaine représentation (très souvent mythique !) de ce qu’il fut par le passé. En effet, on [116] ne peut parler d’« éclatement » que relativement à un univers conçu comme « homogène », de « déplacement » que par rapport à ce qui devait occuper une certaine « place », de « désenchantement » que sur un fond de scène « enchanté », et de menu « à la carte » que par comparaison à.. .une « table d’hôte » (où le chef vous simplifie en quelque sorte la vie en définissant pour vous l’organisation de votre repas !). Nous sommes donc en face d’analyses différentielles basées sur la considération d’un mouvement diachronique.
Si les transmutations et l’éclectisme des univers symboliques sont des phénomènes reconnus et incontestables, un pas de plus nous semble devoir être fait, tant au plan méthodologique que théorique, afin de dégager les types d’organisation auxquels cette nouvelle conjoncture culturelle donne lieu. Il s’agit de tenter de comprendre la dynamique d’interaction et d’agencement des différents univers de croyances repérables dans le discours des acteurs sociaux, qui semblent bien désormais être les premiers définisseurs des « systèmes de croyances » auxquels ils donnent leur adhésion.
Notre propos sera donc principalement axé sur l’importance et la variété des types de systèmes de croyances analysés dans leur systémique intrinsèque, en démontrant les lois d’organisation et les traits de transformation qui sous-tendent la dynamique mouvante de ces univers du croire chez les individus. Quelques « modèles-types » d’organisation sont extraits des données empiriques et regroupés en fonction de la similitude structurelle des propriétés qui semblent le plus adéquatement rendre compte de ces combinatoires symboliques.
I. Perspectives analytiques et méthodologiques
Un mot tout d’abord sur la perspective théorique avec laquelle les contenus de croyances seront ici abordés - soit l’analyse culturelle - et ses conséquences méthodologiques. Ancrée dans la conception weberienne de la culture en tant que tissu de significations élaborées par l’homme (Weber, 1963), l’analyse culturelle s’intéresse surtout aux significations disponibles dans l’horizon culturel et, partant, qu’on suppose [117] partagées par un certain nombre d’acteurs sociaux. La tâche de l’analyste, pertinemment systématisée par Berger (1981), Camilleri (1988) et surtout Geertz (1973 ; 1986), consiste à dégager clairement ces significations et à les relier entre elles, en décomposant leurs expressions et en caractérisant celles-ci.
Au plan méthodologique, il s’agit de « traduire » ce que nous livrent les acteurs sociaux. Traduire ici ne veut pas dire une simple refonte de la façon dont les individus interviewés présentent les choses afin de les formuler en termes qui sont les nôtres ; mais il s’agit d’une « démonstration logique » de leur façon de penser, selon nos manières de nous exprimer à l’intérieur de notre perspective disciplinaire (Geertz, 1986 : 16). Concrètement, c’est dire que la formalisation des propriétés structurelles rendant compte des données empiriques est construite rigoureusement à partir des éléments « substantifs » qui se retrouvent dans le discours des acteurs sociaux, et non construite a priori. On diminue ainsi le risque de « forcer » les données afin qu’elles s’insèrent dans des schémas théoriques pré-établis (Glaser et Strauss).
La formalisation conceptuelle des modèles d’organisation et d’agencement des champs symboliques du croire, spécifiés selon les quatre polarités définies par la recherche (soit le Religieux, le Cosmique, le Moi et le Social), repose sur l’analyse des critères motivationnels qui sous-tendent la persistance ou la modification de l’organisation antécédente du croire chez l’individu. Autrement dit, notre étude des combinatoires symboliques ne se base pas uniquement sur une analyse sémantique des contenus de croyances énoncées. Si l’on ne veut pas en rester à un modèle statique, les lois de réorganisation systémique des univers de croyances et leurs traits de transformations doivent être repérés dans le rapport étroit qui relie les énoncés de croyances à l’« axe mobilisateur » qui en découle.
Ce que nous dénommons « axe mobilisateur » est directement en lien avec la problématique générale de la recherche. Cet axe mobilisateur correspond strictement aux catégories suivantes de l’interview :
- le fondement de la certitude, ou ce à quoi se réfère le répondant pour fonder sa croyance ;
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- l’enracinement et l’évolution historique de la croyance ;
- les comportements perçus par le répondant comme découlant directement de ses croyances ;
- les résultats expérimentés, dans lesquels se vérifie en quelque sorte, pour le répondant, la validité de ses croyances ;
- la fonction de ses croyances, telle que la perçoit le répondant ;
- l’espérance qui se greffe aux croyances, ou autrement dit, les résultats « escomptés » de ce en quoi on croit.
En fait, l’organisation du système de croyances auquel l’individu adhère se présente comme un phénomène extrêmement dynamique et mouvant, répondant à une logique qui s’est elle-même déplacée : la fonctionnalité psychologique - effective ou virtuelle, ce dont nous discutons plus loin - a pris le relais de l’autorité institutionnelle normative, extérieure au sujet, comme critère de base de l’adhésion consentie à telle ou telle parcelle des différents univers symboliques disponibles dans l’horizon culturel. C’est de cette nouvelle dynamique, considérée dans ses diverses variantes, que nous traçons ici le portrait, illustré d’exemples à partir desquels ces modèles-types ont été mis en forme.
II. Traits généraux
dégagés des matériaux analysés
Tout d’abord, présentons quelques assertions d’ordre général que suggère l’analyse de nos données.
1. Les croyances sont habituellement organisées en « système de croyances » chez l’individu, entretenant entre elles des transactions de différents types et souvent hiérarchisées ; ce qui s’oppose à l’amalgame hétéroclite ou inchoatif.
2. Ces systèmes de croyances se présentent comme des organisations « psychologiques » de signifiants, se différenciant ainsi de la logique propre aux systémiques « institutionnelles » découlant d’une autorité instituante. Le système de croyances ne se présente pas nécessairement selon une forme logique (Rokeach 1980 : 2), au plan de l’orthodoxie ou de la rigueur sémantique objectives.
3. Toutes les croyances d’un individu ne sont pas également fonctionnelles, et leur degré de fonctionnalité n’entretient pas [119] nécessairement une corrélation positive avec le degré de mobilisation d’un individu. Autrement dit, une croyance peut, à la limite, être complètement dysfonctionnelle au plan psychologique (par exemple, croire que l’on est possédé d’un démon) et être très mobilisatrice dans l’ensemble de la vie quotidienne.
4. L’adhésion à une croyance n’est pas une variable dépendante de sa validité empirique expérimentée par le croyant lui-même. Sa fonctionnalité « virtuelle » est souvent un fondement suffisant pour y adhérer. La virtualité signifie qu’il n’est pas nécessaire de concevoir l’objet de croyance comme une possibilité immédiate ou réalisable « pour soi ». Par exemple, plusieurs informateurs croient que les morts peuvent communiquer avec les vivants, sans toutefois concevoir qu’une telle éventualité puisse se présenter pour eux-mêmes. La croyance, dans un tel cas, n’en acquiert pas moins un statut fonctionnel en regard de la gestion psychologique de la question de l’après-mort.
5. Bien que l’organisation des systèmes individuels de croyances s’avère fortement colorée par le parcours biographique de chaque individu, certains traits récurrents d’agencement fonctionnel peuvent être repérés, puisque les différents acteurs sociaux puisent dans un même univers culturel qui s’avère, somme toute, un répertoire multiple mais non pas illimité.
6. Majoritairement dans la population étudiée, le « réaménagement » des systémiques de croyances s’opère à partir du cadre religieux reçu lors de la socialisation première (en général catholique dans notre échantillon).
Considérant cette dernière constatation et l’ampleur qu’elle recouvre dans nos données, nous avons opté pour présenter dans cet article l’analyse des organisations et agencements opérés entre le champ du religieux et l’un ou l’autre des trois autres registres de significations de l’enquête. Pour limiter notre propos, notre présentation couvre seulement les systémiques dans lesquelles le champ du religieux s’avère le cadre de significations dominant dans le discours d’un informateur. On peut en effet repérer assez facilement dans tous les discours recueillis que l’une ou l’autre des polarités - Religion, [120] Cosmique, Moi ou Social - prédomine l’agencement des croyances chez un individu. Autrement dit, une polarité apparaît sensiblement plus intégratrice de la mobilisation du croyant et plus englobante de sa vision du monde. C’est principalement l’axe mobilisateur qui sert de critère de délimitation d’une telle « dominante » [1].
Il importe de noter que le discours d’une même entrevue comporte rarement un seul champ discursif : on peut en effet distinguer, parmi les croyances énoncées par un individu et auxquelles il adhère, des énoncés provenant d’univers symboliques différents. L’analyse d’une entrevue comporte donc en général le repérage d’une polarité dominante, et très souvent, la délimitation d’un, deux ou trois autres champs de significations dans lesquels sont puisés des objets de croyances. Une analyse encore plus fine révèle la plupart du temps une polarité que l’on pourrait qualifier de « sous-dominante », dans la mesure où elle comporte un ensemble d’éléments significatifs, suffisamment intégrés et mobilisateurs, mais de façon moins globalisante de l’investissement et de l’identification du sujet que peut l’être la polarité dominante. Les différentes combinatoires de sens sont évidemment plus manifestes et significatives au plan analytique entre le champ discursif dominant et celui que nous qualifions de sous-dominant, ou du moins, les indices et les propriétés structurales permettant de délimiter les types d’agencement entre univers de significations y sont alors plus substantielles.
Si la polarité religieuse est celle qui est le plus fréquemment en position dominante dans les discours recueillis (46% des répondants), il faut cependant souligner que cette dominante se présente souvent comme un lieu discursif référentiel qui n’engage pas véritablement un univers de significations qui lui [121] soient congruentes. Dans ce dernier, au contraire, le cadre d'énonciation se distingue du champ des significations et des interprétations. Ce dernier peut même représenter une importante dérive par rapport au premier. Dès lors le lieu discursif auquel on se réfère et qui définit globalement l’adhésion du sujet, le pôle Religion, s’il domine le discours, ne domine pas nécessairement le contenu sémantique. Il est réinvesti par des significations qui, bien que secondaires dans le discours, en altèrent plus ou moins profondément le contenu. L’intérêt réside alors dans l’analyse de ces champs de significations qui réinvestissent le cadre d’énonciation et d’identification du croyant, afin de repérer les modifications substantielles que subit le champ du « religieux », révélant ainsi la porosité de ses frontières.
III. Les modèles-types d’organisation
des systèmes de croyances
à dominante Religion
Cinq modèles-types d’organisation et d’agencement des systèmes de croyances peuvent être dégagés des entrevues présentant un système de croyances à dominante Religion. Chacun de ces modèles présente des traits spécifiques de transformation intrinsèque du champ de croyances « religieuses » et de la logique selon laquelle ce dernier compose avec des univers de sens pluriels et différenciés. Nous identifions :
- • Le réinvestissement sémantique ;
- • La complémentarité fonctionnelle ;
- • Les glissements notionnels ;
- • La subordination d’un champ de significations ;
- • La juxtaposition de champs de croyances.
- 1. Le réinvestissement sémantique
La notion de réinvestissement sémantique renvoie à un type d’organisation des champs de significations où le cadre d’énonciation des croyances et des différents éléments de l’axe mobilisateur est typiquement celui du catholicisme traditionnel, mais dont les contenus sont redéfinis à partir d’éléments complètement exogènes. Cette importation de significations de [122] champs symboliques autres que celui du catholicisme est repérable à deux plans : celui des énoncés et celui des différentes catégories que recouvre l’axe mobilisateur.
L’exemple suivant illustre bien la redéfinition de signifiants religieux traditionnels :
- - un informateur, s’identifiant comme catholique, affirme croire en Dieu et aux anges ;
- - il définit toutefois ce qu’il entend par Dieu et anges comme :
-
- de l’énergie pure avec laquelle on peut communiquer.
On retrouve donc des énoncés faisant partie du cadre discursif associé ici au catholicisme, mais investis d’une signification importée de l’univers symbolique défini comme Cosmique. Cette polarité, qui couvre elle-même une bonne partie de l’ensemble de l’entrevue dont l’extrait ci-haut est tiré, infléchit en outre la définition de l’axe mobilisateur. Encore là, des pratiques rituelles et des comportements vécus comme inhérents à la religion catholique seront réinvestis de symboliques nouvelles. Ainsi, la messe et le mariage religieux, pratiques considérées par le sujet comme conséquentes de ses croyances, deviennent chez lui :
- des lieux d’accomplissement de la mission ou de la force énergétique qui nous habite, permettant de joindre les énergies positives.
La vision du monde associée au catholicisme est encore dominante et reconnue telle par l’individu, mais les symboliques du champ de croyances définies en termes cosmiques deviennent de plus en plus restructurantes du sens investi dans les énoncés de croyances et dans les pratiques effectives. Ce degré d’infusion d’un univers de sens à l’autre s’apparente, à strictement parler, à un remodelage du système de croyances antérieur de l’individu, le remodelage étant entendu comme le fait de modifier un objet pour l’adapter aux besoins découlant d’une conjoncture nouvelle.
Une interpénétration aussi étroite des registres de sens rend délicate la délimitation du champ dominant dans le système de croyances présenté par l’informateur. En effet, au plan de l’analyse substantive, on peut considérer qu’une sous-dominante [123] ayant un impact aussi important sur la dominante s’avère, de fait, la dominante au plan du signifié. Elle s’inscrit alors dans un cadre d’énonciation qui ne lui sert que de répertoire de signifiants. Ou encore, peut-être, la sous-dominante est-elle en voie de devenir, chez le croyant, la polarité dominante à laquelle il s’identifiera désormais. Concrètement dans l’exemple ci-haut, on peut faire l’hypothèse que le remodelage de l’univers religieux à partir de significations de type cosmique est une étape dans un processus graduel de désinvestissement et de désidentification par rapport au catholicisme.
- 2. La complémentarité fonctionnelle
L’agencement de plus d’un type d’univers de significations dans le système de croyances de l’individu répond fréquemment à une logique de complémentarité fonctionnelle. Dans ce type d’organisation systémique, un champ de croyances s’adjoint à la polarité religieuse dominante en pourvoyant le croyant de significations que ne fournissent pas les énoncés religieux. La sous-dominante de ce type ne remodèle pas en général les énoncés de la dominante, mais s’en tient surtout à fournir à la dominante religieuse un complément ou un renforcement de l’axe mobilisateur. Un tel appui permet en général au croyant de sauvegarder la systémique religieuse dominante, tout en comblant ses lacunes ou sa mauvaise adéquation à l’égard de certains registres de l’existence.
Par exemple, une croyante, dont le répertoire religieux du catholicisme fournit la plupart des signifiants de croyances et de pratiques, décrit les « résultats » expérimentés de ses croyances ainsi :
- Dieu m’a soutenue quand mon mari a été opéré pour le cancer du poumon et l’a aidé à guérir.
Toutefois, elle recourt à un autre champ discursif. Le registre Cosmique en l’occurrence, s’adjoint à ses croyances religieuses et comporte la croyance au destin :
- ce qui nous arrive doit nous arriver
et en la clairvoyance (boules de cristal) :
- Je crois aux boules de cristal, parce que c’est arrivé : j’avais eu l’annonce du cancer du poumon de mon mari.
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Bien que la religion catholique soit pour cette personne nettement au centre de son investissement et globalisante au plan de sa vision du monde, les symboliques de type cosmique suppléent ici aux manques expérimentés dans cet investissement : soit l’incapacité d'expliquer pourquoi les malheurs arrivent aux uns et non aux autres, et l’absence de prévisibilité, par les médiations religieuses, des épreuves incontournables. La croyance au destin et à la clairvoyance comble ces deux faiblesses du religieux à fournir certains types de significations psychologiquement fonctionnelles, tout en permettant que ne soit pas érodée la certitude accordée aux croyances religieuses.
La complémentarité des univers de sens apparaît avec beaucoup d’acuité dans un autre registre spécifique d’expérience, révélant ainsi une fois de plus l’étonnante fonctionnalité des croyances et de leur organisation subjective par le croyant. On constate en effet que la complémentarité fonctionnelle est particulièrement opérante dans les secteurs de l’expérience du croyant qui ne peuvent être intégrés ou pris en charge symboliquement par le cadre de référence dominant. Dans de tels cas, une autre polarité de significations (Cosmique, Moi ou Social) fournit à l’individu les signifiants rendant possibles la cohésion et le soutien psychologiques concernant des registres qui ne s’intègrent pas d’emblée à l’intérieur du schème global de vision du monde que constituent les symboliques religieuses ou qui en sont tout simplement exclus. Cette « exclusion » peut être objective (structurelle) ou subjective (perçue comme telle par l’individu). On y retrouve notamment et de façon récurrente les questions concernant le divorce, la sexualité et les problèmes économiques.
Par exemple, chez un répondant, on peut relever un certain nombre de croyances traditionnelles inhérentes au catholicisme : au Dieu Père, aux saints, dont les fonctions sont principalement d’être « source de rééquilibre et de ré-orientation pour mieux se situer quand on a beaucoup d'épreuves et de peine... ». Cela ne fonctionne cependant pas dans le cas de son divorce : cet événement n’est en aucun moment associé au « religieux », ni pour l’expliquer, ni pour y puiser une source de rééquilibre. C’est par la « volonté qui peut tout », en laquelle il croit [125] fermement, qu’il affirme avoir surmonté l’épreuve, puisant ainsi à la polarité du Moi ; et en même temps, c’est par la croyance au destin qu’il trouve une explication à ce qu’il conçoit comme un échec, recourant alors aux significations de la polarité Cosmique.
La complémentarité fonctionnelle est peut-être, de tous les modèles-types dégagés de notre analyse, le seul type d’organisation de croyances qui, au premier abord, semble correspondre à la qualification de « religion à la carte ». Mais on l’aura remarqué, la simple dénomination, tout en comportant une certaine valeur descriptive, ne permet pas de comprendre la logique fondamentale selon laquelle l’individu opère de telles combinatoires de sens. D’où l’importance d’analyser la logique interne aux discours de croyances afin de bien saisir la dynamique du croire chez ceux-là même qui redéfinissent leur système de croyances.
La notion d’« équivalents fonctionnels » (Grönblom et Thorgaard, 1981 ; Berger et Luckmann, 1986) nous semble d’ailleurs plus adéquate pour traduire la dynamique de l’organisation des croyances décrites dans cette section, que ne peut l’être celle de « religion à la carte » qui s’en tient à une description de surface et très « statique » des univers symboliques en question [2]. L’intérêt du concept d’« équivalent fonctionnel » réside en outre dans sa valeur opérationnelle : il permet de repérer les traits de transformations des systémiques de croyances, en dégageant les différents registres symboliques intégrateurs et compensatoires nécessaires à l’équilibre psychologique de l’individu, mais ne pouvant être imputés à la religion.
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- 3. Les glissements notionnels
Les glissements notionnels correspondent à l’importation de concepts ou de signifiants étrangers à l’intérieur du cadre de croyances religieuses. Ces signifiants s’y insèrent sans que ne soit perçue, par le croyant effectuant un tel agencement, l’incompatibilité structurelle à l’égard de la systémique officielle. En fait, la systémique de croyances religieuses catholiques ne semble pas affectée, chez le croyant, par l’ajout d’éléments strictement exogènes à la source chrétienne. Tel est le cas des personnes qui se disent catholiques et qui croient à la réincarnation, mais non à la résurrection, ou bien en même temps à l’une et à l’autre.
Les nombreux glissements notionnels facilement repérables d’un champ de significations à l’autre (mais du point de vue de l’analyste seulement), sont probablement l’indice le plus manifeste que l’orthodoxie des systèmes de croyances ne procède plus de la normativité institutionnelle, battue en brèche par la dynamique subjective de chaque croyant.
- Je crois à la réincarnation parce que Jésus s’est réincarné ...c’est écrit dans les Évangiles...
- La pré-destination... est provoquée par Dieu.
C’est probablement en regard de ce type de combinatoires que le terme d’« éclectisme » s’avère le plus adéquat. On décrit parfois ce phénomène en termes encore moins flatteurs, comme celui de « récupération » dans le cadre chrétien de croyances qui en diffèrent, mais qui représentent un certain attrait pour le croyant qui ne veut pas ébrécher pour autant son appartenance officielle ou psychologique au catholicisme.
Si ce type de glissements notionnels ne semble pas, à prime abord, modifier la systémique globale de la dominante religieuse chrétienne chez le répondant, on peut toutefois faire l’hypothèse qu’un tel phénomène, qui se révèle d’abord au plan des signifiants seulement, est susceptible de conduire à plus long terme à un véritable « réinvestissement sémantique » dans la systémique du croyant, telle que décrite au premier point. Les notions exogènes à la source chrétienne sont en effet utilisées dans l’environnement culturel selon d’autres acceptions qui révèlent bien souvent, quant à elles, leur distinction quand ce n’est pas [127] tout simplement leur incompatibilité logique avec la systémique catholique. La porosité des frontières épistémologiques peut alors amener une transformation interne plus profonde du cadre global de références du croyant.
- 4. La subordination d’un champ de significations
On rencontre ce type de relation de subordination dans les cas où le répondant importe dans un système sous-dominant (Cosmique, Moi ou Social) des éléments de significations puisés dans le champ de croyances religieuses. La sous-dominante, bien que possédant alors des caractéristiques suffisantes pour être considérée en soi comme distincte de la dominante, est cependant « imbibée » et « dépendante » de la cohérence de la polarité dominante. Par exemple, en explicitant sa sous-dominante articulée au pôle Moi, un répondant dira croire au fait que
- quelqu’un qui veut peut tout...
- mais, en définitive,
- seule la foi peut déplacer des montagnes.
C’est ici la polarité dominante religieuse qui imprègne des conceptions qui appartiennent davantage à la polarité du Moi. La subordination se distingue du modèle-type décrit comme « glissement notionnel », en ce sens que les énoncés de croyances peuvent être nettement délimités dans l’un ou l’autre des champs symboliques sans qu’il n’y ait confusion ou éclectisme. Cependant, c’est la polarité religieuse qui fournit en quelque sorte la « validité psychologique » des autres polarités sémantiques. On peut noter dans le déroulement de ce type d’entrevue une attention particulière de la part de l’informateur pour maintenir la pertinence totalisante et la crédibilité de la structure religieuse.
- 5. La juxtaposition de champs de croyances
Ce type d’organisation révèle une hétérogénéité des différentes polarités discursives par rapport à la polarité dominante. Une relation si peu significative par rapport à la dominante n’en constitue pas moins un point d’intérêt pour l’analyse, puisqu’elle [128] indique un mode de rapport spécifique à l’univers du croyable. Plusieurs visions du monde ou cadres d’interprétation peuvent cohabiter chez un même individu. L’acte de croire peut alors se structurer de façon différenciée à l’intérieur de chaque cadre ou polarité de significations.
Cette structure « multi-axiomatique », apparaissant avec une certaine récurrence dans les entrevues réalisées, révèle que le système de croyances élaboré par l’individu peut comporter plus d’un foyer nodal autour duquel s’organise habituellement l’ensemble de ses croyances. Tout se passe comme si, corrélativement aux multiples rôles et sous-personnalités qu’il est appelé à jouer dans l’organisation sociale contemporaine, cet individu « spécialisait » chaque univers de croyances, imputant chacun aux besoins d’un registre particulier de son existence. [3] Plusieurs répondants puiseront ainsi dans le répertoire du catholicisme à l’occasion de certains événements de leur existence (par exemple la mort, la maladie), mais se dissocieront radicalement de cet univers de sens pour résoudre les problèmes liés à d’autres questions telles l’avortement, les liens familiaux, etc. Ils laissent ainsi cohabiter, dans leur conscience, plusieurs systèmes de significations ayant des effets mobilisateurs dans des sphères de leur existence qui deviennent, en quelque sorte, indépendantes.
Cette constatation nous oblige à prendre distance par rapport aux analyses habituelles de la psychologie sociale (Rokeach et autres), où les systèmes individuels de croyances et de valeurs sont conçus selon le « modèle nucléaire », comportant un noyau central fort dont l’ancrage historique est ancien, qui s’avère structurellement résistant et organisateur de l’ensemble de la systémique de significations : une sorte de pierre angulaire qui soutiendrait tout l’édifice des croyances. Au contraire, la [129] spécialisation de certains types de croyances au regard de certains secteurs de la vie semble, chez plusieurs de nos répondants, l’un des traits de transformation importants de l’univers des croyances.
Chez eux, l’étanchéité de chaque sous-système par rapport aux autres est plutôt mis en évidence. Il est alors improbable qu’une seule institution symbolique puisse s’avérer suffisante pour assurer leur identité en tant que sujets et le maintien de cette identité, de même que la stabilité de leurs valeurs, opinions et attitudes.
IV. Réflexions et discussion
Un certain nombre de réflexions et d’hypothèses dérivent directement de l’analyse des modèles-types d’organisation de systèmes de croyances que nous venons de décrire.
Un fait attire d’abord notre attention : il semble bien que l’individualisation des systèmes de croyances désagrège la corrélation entre le degré d’adhésion à une croyance et le fait qu’elle soit partagée par l’environnement humain, tel qu’on le constatait dans les analyses de psycho-sociologie de la dernière décennie, particulièrement chez Rokeach (1980). Ce dernier constatait en effet que plus les croyances concernant l’existence étaient partagées, plus elles semblaient fonctionnelles et mobilisatrices pour l’individu. Nos données suggèrent toutefois que dans le cas des croyances « religieuses », étudiées ici en position dominante, le fait que ses propres croyances soient ou non partagées n’affecte pas l’intensité de l’adhésion ni le degré de mobilisation du croyant. Très souvent d’ailleurs, les individus considèrent que les croyances qui s’avèrent à leurs yeux les plus importantes ne sont pas partagées par la majorité des gens. On dénote même une évaluation plutôt négative des univers de croyances d’autrui, par exemple : « Moi, je crois en Dieu, à l’Amour et à la Volonté personnelle »,...et « les autres ne croient qu’à l’Argent et au Prestige personnel ». On peut donc constater une certaine mutation dans les transactions d’identification qu’entretient l’individu avec le groupe au registre du champ des croyances, si on compare, par exemple, les données [130] de notre étude avec celles recueillies par Moreux (1982) qui soulignait le fort degré d’identification de l’individu au groupe, dans le cas du Québec.
Un fait structurel très manifeste et significatif mérite alors d’être souligné : l’autonomie des biens symboliques par rapport aux institutions qui les diffusent, donnant lieu à des organisations particularistes de systèmes signifiants chez les acteurs sociaux [4]. Ce fait confirme à quel point l’identité psycho-sociale se détache de l’appartenance officielle à une institution englobante, normative et totalisante de la vision du monde de ses adhérents.
En se plaçant du point de vue du système de l’acteur social, on doit admettre que des éléments appartenant à des champs symboliques différents et parfois même divergents, peuvent coexister et faire sentir simultanément leurs effets, même s’ils ne revêtent pas tous le même degré d’ancrage historique ni le même degré de profondeur. Et, de même que les éléments d’une combinatoire symbolique peuvent devenir autonomes les uns par rapport aux autres, de manière à permettre l’inclusion d’éléments nouveaux et à en maintenir d’autres inchangés, on constate que l’autonomie relative de « séquences » de signifiants permet de les réinvestir de sens nouveau, sans pour autant en modifier leur manifestation concrète (Remy, Hiernaux, Servais, 1975 : 100-101 ; Castoriadis 1975).
Un fait fort intéressant se dégage alors de l’ensemble des entrevues réalisées. Nous l’évoquions dans notre introduction : c’est le réaménagement des systèmes de croyances qui s’effectue à partir de la systémique religieuse chrétienne transmise lors de la socialisation première. Celle-ci sert en quelque sorte de référent de base. Elle fournit des « schèmes » de croyances, dont les contenus seront redéfinis et modifiés, mais à travers lesquels on peut repérer la persistance d’un donné primordial. Ainsi, d’un point de vue culturel, le christianisme semble-t-il [131] indissociable de la civilisation occidentale : l’histoire a bien inscrit dans cette culture un schème de pensée structurellement relatif à une altérité manquante et nécessaire (Certeau et Domenach, 1974 : 62-63).
Nous constatons empiriquement la récurrence de ce schème du croire sous des contenus de croyances puisés aux champs de significations non-religieux. Tout se passe comme si le paradigme de la croyance religieuse transmise dans l'enfance avait définitivement inscrit son schème cognitif, et que celui-ci servait de base aux différentes variations de contenu du croire qui s’effectueront tout au long du parcours biographique [5]. Cette logique de base semble persister chez la majorité des individus interviewés. Reste à voir si la mutation interne des significations n’affectera pas, à long terme, ce schème structurel du croire forgé par la chrétienté...
Nous n’avons abordé ici que les configurations de croyances à dominante Religion. Certes les structures à dominante Moi et Cosmique entretiennent elles aussi des transactions avec les diverses formations du champ de la conscience croyante. Cependant, jamais le « religieux », en position sous-dominante, n’est en mesure de redéfinir sémantiquement le Cosmique, le Moi ou le Social. Tout au plus est-il associé en appui (et dès lors redéfini) ou juxtaposé à sa dominante, comme on le voit dans la présentation qu’en fait Alain Leboeuf (infra). Autrement dit, les rapports d’influence entre le pôle Religion et les autres pôles de l’imaginaire croyant sont unidirectionnels. Les sous-dominantes Cosmique, Moi et Social, sont capables d’influencer la dominante Religion jusqu’à en redéfinir le contenu, mais l’inverse n’est pas vérifiable. Quand on met en place une dominante autre que « religieuse », on a plutôt tendance à donner un statut très secondaire aux signifiants « religieux » qui peuvent subsister.
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Une analyse intrinsèque des systèmes symboliques s’avère une voie pertinente dans l’étude des phénomènes religieux. Elle diminue le risque des a priori qui enferment bien souvent nos interprétations dans ce qui s’apparente davantage à une évaluation qu’à une réelle analyse systématique. De plus, la compréhension de la dynamique interne des univers symboliques permet de circonscrire les caractéristiques des traits de transformation de ces pans de la culture et, à la limite, d’en dégager une certaine prévisibilité.
Enfin, les modèles types dégagés, tout en reflétant le plus adéquatement possible la teneur des matériaux analysés, transcendent les particularités locales et peuvent être importés dans d’autres études sur l’organisation et l’agencement des systèmes de représentations du monde des acteurs sociaux. Une recherche permettant d’étudier les systémiques individuelles en les inscrivant à l’intérieur des systèmes socio-culturels plus globaux prolongerait pertinemment notre propre analyse.
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* Cette présentation couvre la dimension empirique centrale de la recherche, à laquelle se rattachent plusieurs articles du présent ouvrage (Milot, Leboeuf, Guindon et Richard, Lemieux). Il faut toutefois noter que les perspectives analytiques diffèrent selon les appartenances disciplinaires de chaque auteur. Les autres méthodologies particulières empruntées au sein du projet de recherche pour la cueillette d’autres matériaux sont présentées dans chaque article particulier (Richard et al.. Bouchard, Couture, Shiose et Zylberberg).
[1] Pour l’ensemble de la population étudiée (soit environ 150 interviews), la polarité Religion s’avère dominante dans 46% des cas ; la polarité Moi dans 20%, la Cosmique dans 17% et celle du Social est la polarité dominante dans 8% seulement des discours. 9% des cas n’ont pu être clairement délimités, étant donné la pauvreté sémantique du discours recueilli. Quoique ces proportions ne soient pas exactement celles qui concernent les « énoncés » de croyances recueillis dans la pré-enquête (cf. Lemieux, supra, p. 66), elles vont dans le même sens. La catégorie du Moi, qui comporte moins de signifiants que celle du Cosmique, atteint cependant un nombre légèrement supérieur de répondants.
[2] Nous nous permettons ici, puisque l’expression « religion à la carte » est puisée chez R. Bibby (1990), une remarque à l’effet que la présentation même du volume en question puisse illustrer mieux cette expression que la réalité que veut décrire l’auteur : en effet, le livre est articulé à partir de la référence a de multiples recherches, aux méthodologies différentes et faisant état le plus souvent de données de « deuxième main », ce qui lui donne un peu l’allure d’un « menu à la carte » des diverses études et sondages sur les croyances des individus... plutôt que du menu de leurs croyances.
[3] Tout en considérant qu’un tel agencement puisse refléter jusqu’à un certain point la structure du déroulement de l’entrevue dans certains cas - celle-ci pouvant à l’occasion s’être déroulée un peu mécaniquement et produisant un discours en autant de chapitres qu’il y avait de questions -, il importe de souligner que la structure du questionnement permettait de contourner cet effet possible, en introduisant une section investiguant la centralité et le degré de certitude et d’adhésion accordés à chaque énoncé de croyance formulé pendant l’entrevue. Cet ajout méthodologique permettait de vérifier s’il y avait effectivement « un » centre de gravité pour l’ensemble du système de croyances de l’individu.
[4] La méthode de cueillette de nos données favorisait certainement le fait que transparaissent aussi manifestement les systèmes de significations individuels, puisqu’elle était résolument orientée de façon à donner le plus largement possible la parole aux informateurs, comme nous le décrivions plus largement dans le chapitre précédent.
[5] Voir à ce propos, infra, « Histoires de vie et postmodernité religieuse ».
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