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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Denis Monière, Le discours électoral. Les politiciens sont-ils fiables ? (1988)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Denis Monière, Le discours électoral. Les politiciens sont-ils fiables ? Montréal: Québec/Amérique, 1988, 194 pp. collection: dossiers documents. [Autorisation accordée par l'auteur le 2 décembre 2003 et reconfirmée le 7 septembre 2021.]

[13]

Le discours électoral.
Les politiciens sont-ils fiables ?

Avant-propos

Est-il utile de tromper le peuple ?


« Gouverner c’est faire croire », disait Machiavel. L’auteur du Prince est reconnu pour avoir posé les fondements de la théorie politique moderne en déterminant les moyens à prendre pour conquérir et conserver le pouvoir. La réflexion de Machiavel est dite moderne parce qu’il ne subordonne pas son analyse à un point de vue moral ou religieux, il s’interroge plutôt sur le rapport entre le moyen et la fin et cherche le meilleur moyen pour conquérir le pouvoir. Et pour ce faire, il se fonde sur l’observation de l’histoire. Il constate que même si l’honnêteté est souhaitable en politique, les Princes qui ont accompli les plus grandes choses sont ceux qui ont fait peu de cas de la parole donnée. Dès lors, il soutient qu’il peut être justifié de recourir à la ruse, au mensonge, à la dissimulation pour obtenir l’obéissance du peuple. Machiavel donnait le conseil suivant à ceux qui voulaient réussir en politique :

Un Prince bien avisé ne doit point accomplir sa promesse lorsque cet accomplissement lui serait nuisible et que les raisons qui l’ont amené à promettre n’existent plus : tel est le précepte à donner. (Le Prince, Paris, coll. 10-18, 1962, p. 57)

[14]

Mais s'il est normal que le Prince ne tienne pas parole, il doit cependant paraître loyal, sincère et honnête. Il doit donc dissimuler, sauver les apparences autant que faire se peut.

Hier comme aujourd'hui, cette thèse n'a pas fait l'unanimité et a alimenté une vive polémique. Avant d'accéder au trône de Prusse, Frédéric II avait rédigé un opuscule dans lequel il s'objectait aux thèses machiavéliennes. Contrairement à l'auteur du Prince, il prétendait que le prince devait tenir parole :

L'artifice donc et la dissimulation habiteront en vain sur les lèvres de ce prince, la ruse dans ses discours et dans ses actions lui sera inutile; on ne juge pas les hommes sur leur parole, ce serait le moyen de se tromper toujours, mais on compare leurs actions ensemble, et puis leurs actions et leurs discours; c'est contre cet examen réitéré que la fausseté et la dissimulation ne pourront jamais rien. (Examen du Prince de Machiavel, La Haye, 1741, II, p. 19)

Mais les bonnes intentions ne résistent jamais longtemps aux exigences du pouvoir. Sa pratique politique ne se conformera pas à son idéal éthique et donnera raison à Machiavel. Frédéric II demandera d'ailleurs à Voltaire de détruire son œuvre de jeunesse qui témoignait de façon trop éloquente de ce hiatus entre la théorie et la pratique.

Malgré tout, cette question continua de l'obséder. Peut-être pour se donner bonne conscience et conserver son image de roi-philosophe, le roi de Prusse ne put refuser à l'encyclopédiste D'Alembert la permission d'organiser un concours à l'Académie de Prusse sur le thème de la dissimulation politique. D'Alembert expliquait ainsi sa requête:

Je pense, pour moi, qu'il faut toujours enseigner la vérité aux hommes et qu'il n'y a jamais d'avantage réel à les tromper. L'Académie de Berlin en posant cette question pour le sujet du prix de métaphysique se ferait je crois [15] beaucoup d’honneur et se distinguerait des autres compagnies littéraires qui n’ont encore que trop de préjugés. (Lettre de D’Alembert à Frédéric H, Œuvres de Frédéric le Grand, Berlin, 1854, XXIV, p. 467)

D’Alembert voulait que l’Europe intellectuelle débatte la question suivante : Est-il utile de tromper le peuple ?

La formulation de la question est en soi révélatrice du nouvel esprit philosophique. La problématique n’est pas définie de façon normative ou morale. On ne se demande pas s’il est bon ou mauvais de tromper le peuple, mais plutôt si cela est utile. On s’interroge donc sur les effets de l’action et non sur les motifs.

Ce thème suscita une très forte participation puisque 42 essais furent soumis à l’Académie, ce qui représentait un chiffre record pour ce concours. Des 32 textes acceptés, 12 répondaient à la question posée par l’affirmative et 20 par la négative. Mais pour ne pas déplaire au roi, le jury décida de partager le prix entre deux auteurs : Becker et Castillon, le premier avait répondu non alors que le second estimait que le gouvernement était justifié de mentir au peuple si ce mensonge servait les intérêts des gouvernés. À son avis, la politique était un des domaines où le mensonge était nécessaire et utile. Ainsi, Castillon pensait qu’il était préférable de ne pas informer le peuple des erreurs commises par le Souverain, car cela pouvait miner la confiance que le peuple doit avoir envers ses dirigeants et signifier à long terme la destruction du principe d’autorité. Toute vérité n’était pas bonne à dire. Une telle conclusion ne pouvait que réjouir les gouvernants qui voyaient ainsi la règle du secret légitimée non plus par la raison d’État mais par l’intérêt du peuple.

La problématique de la manipulation et de la dissimulation se pose de façon encore plus aiguë dans les sociétés démocratiques. Puisque dans une démocratie, le pouvoir est formellement fondé sur le consentement des citoyens, l’accès à la gouverne dépend de la capacité de persuasion d’un candidat ou d’un parti. Ce consentement est obtenu par l’élection qui permet à l’électeur de faire son [16] choix entre plusieurs candidats et partis. La personnalité du leader, l’image projetée, le programme et les promesses électorales présentés par les partis en concurrence sur le marché des électeurs sont des facteurs qui interviennent dans la décision de l’électeur d’accorder sa confiance à un parti plutôt qu’à un autre. Il importe donc de comprendre les fonctions du discours électoral et son rapport à l’action gouvernementale.

Dans cette étude, nous tenterons de saisir l’interaction dynamique entre les discours électoraux, les électeurs et les actions des gouvernants afin de déterminer s’il y a concordance entre les discours et les politiques. Nous étudierons les relations entre le programme des partis, les discours électoraux et le programme législatif du parti gouvernemental. Nous chercherons aussi à déterminer le degré de fiabilité du discours politique. Le citoyen peut-il se fier au discours électoral pour prédire les décisions gouvernementales ?



Retour au texte de l'auteur: Denis Monière, politologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le samedi 11 septembre 2021 7:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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