|
RECHERCHE SUR LE SITE
Références bibliographiques avec le catalogue En plein texte avec Google Recherche avancée
Tous les ouvrages
numérisés de cette bibliothèque sont disponibles en trois formats de fichiers : Word (.doc), PDF et RTF |
Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Montréal, LE DEVOIR, jeudi le 14 septembre 2006, page A7- idées. “Quelle est la vraie nature d'André Boisclair ?” Montréal, LE DEVOIR, jeudi le 14 septembre 2006, page A7- idées. Le discours du nouveau chef du Parti québécois suscite un certain scepticisme tant chez les observateurs de la scène politique que chez les militants de ce parti. Depuis son accession à la direction de ce parti, certains lui ont reproché son arrogance, une propension aux discours ronflants mais peu substantiels, ou encore sa tiédeur à l’endroit de la souveraineté. Pour évaluer le bien fondé des réserves exprimées à l’endroit du nouveau chef du parti québécois, nous avons réalisé une étude lexicométrique de 5 discours qu’il a prononcés depuis son entrée en fonction et qui sont accessibles sur le site Internet du Parti québécois. Ces 5 discours totalisent 21491 mots répartis en 895 phrases. La longueur moyenne de ses phrases est de 24 mots ce qui correspond à la norme habituelle des discours politiques puisque la longueur moyenne des phrases prononcées par les premiers ministres québécois depuis 1960 est de 24,7 mots. L’étude des caractéristiques lexicales des discours d’André Boisclair permet de jeter un éclairage nouveau sur la nature de ses interventions tant sur le plan du style que du contenu.
Le discours de Boisclair est-il centré sur sa propre personne? L’emploi des pronoms personnels de la première personne du singulier et du pluriel peut être un indicateur de la vision implicite qu’un locuteur a de lui-même : l’usage du « je » révélant une conception personnalisée de la gouverne alors que l’usage du « nous » suggère une conception collégiale du pouvoir. Chez Boisclair, le « nous » l’emporte nettement sur le « je » 304/206). Cette prédominance de la référence collective s’observe aussi dans l’usage des pronoms possessifs (nos, notre 194; mon, ma, mes : 21). Le « nous » peut aussi être remplacé par le pronom impersonnel « on » qui joue la même fonction. Le « on » qui réfère à un collectif indéterminé est employé à 149 reprises. La référence au collectif est donc deux fois plus importante que la référence à sa propre personne ce qui laisse penser qu’il n’est pas aussi imbu de lui-même qu’on l’a dit. En comparant les proportions de « je » et de « nous » par phrase chez André Boisclair avec celles de son prédécesseur B. Landry, on constate d’une part que la proportion de « je » est supérieure chez Boisclair (.23 comparativement à .13), mais que la proportion de « nous » est elle aussi supérieure (.34 versus .20). Si Boisclair donne l’impression d’avoir un égo surdimentionné, cela dépendrait moins du vocabulaire qu’il utilise que de son langage corporel. Si Boisclair préfère parler au nom d’un collectif qui l’englobe, à quelle dimension du collectif se réfère-t-il le plus? Que désigne son « nous » : le parti, les Québécois, ou d’autres collectifs? Comme trois de ses discours s’adressaient à des assemblées partisanes, c’est le Parti québécois qui est principalement désigné par ses usages du « nous » (46%), alors que 43 % de ses « nous » réfèrent aux Québécois et aux Québécoises, les autres désignant pour la plupart les politiciens. Cette insistance sur le collectif partisan indique une volonté de rassemblement des troupes après la dure épreuve de la course à la direction.
Un souverainiste mitigé?
On a mis en doute les convictions souverainistes d’André Boisclair et on lui a reproché de ne pas en faire la promotion. Pourtant Boisclair ne ménage pas les références aux concepts clés du discours nationaliste : la souveraineté revient à 32 reprises, il parle explicitement de la nation québécoise (5 fois). Il mentionne 8 fois « la nécessité de faire la souveraineté ». Comme l’ont soutenu les autres dirigeants de ce parti avant lui, la souveraineté est un moyen pour faire progresser le Québec : «Il nous faut la souveraineté du Québec pour réinvestir en éducation, pour accorder la priorité au développement durable, pour soutenir les familles et assurer la pérennité de la langue française.» La souveraineté est le seul moyen d’effectuer de vrais changements. « Ce qu’on veut au Québec c’est un pays ». « La souveraineté, pour nous au Parti québécois, en 2006, c’est un moyen pour accélérer le développement du Québec. C’est ça le défi qu’il faut relever. » Il répète à 8 reprises un slogan cher à Jacques Parizeau « Un Québec pour le monde ». Il s’est engagé à faire le référendum « le plus rapidement possible » après son élection. Il est donc parfaitement en phase avec le programme de son parti et ne déroge pas de la ligne de pensée de ses prédécesseurs.
Les axes de communication de Boisclair
Tous les leaders souverainistes ont dû assumer la dualité du projet national et du projet social en axant leur stratégie de communication sur des objectifs à court terme devant être réalisés par un gouvernement provincial et l’objectif principal de l’accession à la souveraineté. Ils développent donc un argumentaire qui offre de nouvelles politiques réalisables tant que l’indépendance n’est pas faite, mais qui favoriseront le développement du Québec et inciteront les Québécois à dire oui au projet de pays. Cette dialectique postule que plus le Québec sera fort, plus il fera de gains, plus les Québécois voudront prendre possession de l’ensemble du coffre d’outils. Voici un exemple de ce raisonnement :
Pour identifier les axes de communication privilégiés par André Boisclair, nous avons relevé les substantifs les plus fréquemment employés qui sont révélateurs des principales préoccupations d’un chef politique. Dans le cas d’André Boisclair les substantifs les plus utilisés sont les suivants: développement 80, région 51, monde 51, gouvernement 51, État 50, défi 40, souveraineté 32, éducation 28, économie 26, entreprises 24, ensemble 24, recherche 23, jeunes 20, services 20, confiance 18, emplois 18, avenir 16, santé 16, succès 16. Le positionnement idéologique d’André Boisclair tente de concilier la tradition social-démocrate qui valorise les services publics et l’État comme outil de développement et les préceptes du néo-libéralisme qui font de l’entreprises privée le moteur de l’économie et de la création d’emplois. « Il faut reconnaître, dit-il, l’apport considérable du modèle social-démocrate québécois… Par contre, il faut admettre qu’une part des critiques qu’on entend contre l’interventionnisme de l’État sont fondées.» (19 août 2006) Il se tient à mi-chemin de la gauche et de la droite. Il se rallie à la gauche par les objectifs et les valeurs qui fondent sa politique : l’équité, l’égalité des chances, la responsabilité, la démocratie et la défense de l’identité culturelle, mais il se rapproche de la droite par les moyens qu’il préconise pour les atteindre. « Plutôt qu’un État uniforme, omnipotent, omniprésent, je préfère un État chef d’orchestre qui arbitre les choix entre divers modes de prestations de services ». L’État coordonne, établit les normes et contrôle leur mise en œuvre mais laisse ensuite jouer la concurrence entre les secteurs public, privé et communautaire pour déterminer lequel serait le plus efficace pour réaliser la prestation de services. Il peut ainsi se démarquer de la gestion des libéraux tout en se montrant ouvert au monde de l’entreprise privée. Se tenir à mi-chemin entre ces deux logiques de l’action gouvernementale sera un pari difficile à tenir et le rendra vulnérable à la tentation de l’ambivalence.
Un style combatif
Pour évaluer la combativité d’André Boisclair nous avons recensé les adverbes de négation comme non, ne, n’, pas qui peuvent servir de révélateurs d’un discours polémique ou critique. Chez André Boisclair, la proportion de phrases contenant un adverbe de négation est de .30 ce qui implique qu’environ un tiers de ses phrases a une portée polémique alors que l’indice de B. Landry était de .27. On peut donc affirmer qu’André Boisclair est aussi combatif que son prédécesseur. On peut compléter cet indicateur par la propension à nommer son adversaire. Lorsqu’un chef de Parti désigne son ou ses adversaires dans son propre discours, ce n’est pas pour les louanger, mais pour les dénoncer. La pugnacité de Boisclair est attestée par le fait que Jean Charest est mentionné 43. Cette propension à l’attaque est aussi démontrée par les 19 références qu’il fait aux libéraux. Dès son entrée en fonction, le nouveau chef du Parti québécois est passé à l’attaque en dénonçant l’indécision du gouvernement Charest. Les discours d’André Boisclair semblent beaucoup plus substantiels depuis quelques mois. Le corpus que nous avons analysé est certes limité, mais il pose les jalons de l’argumentaire qui alimentera sa rhétorique électorale.
|