[193]
Françoise Morin
Anthropologue, professeure émérite, Université Lumière, Lyon 2
professeure associée, dép. d'anthropologie,
Université Laval et chercheure associée, CIERA.
“L’indianité comme
Nation contre l’État.”
Un chapitre publié dans l'ouvrage collectif L'indianité au Pérou. Mythe ou réalité ?, Chapitre VI, pp. 193-239. Paris : CNRS, 1983. Centre régional de publications de Toulouse Amérique latine - Pays ibériques.
- Introduction
- La revendication d'une nation majoritaire andine
- Le valasquisme comme creuset de l'indianité
- Lima, lieu de construction de l'indianité
- L'indianité comme bricolage idéologique
- Annexe
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INTRODUCTION
"Affirmer et fortifier notre Nation Aymara, Quechua et Amazonnienne dont l'histoire a plus de 20,000 ans, faire reconnaître et revendiquer le respect et les droits de notre Nation Majoritaire, refuser le nouveau colonialisme qu'incarnent les partis politiques traditionnels qui, à aucun moment, ne respectent l'unité et l'organisation de nos communautés et notre Nation Majoritaire, lutter pour notre Libération Nationale en refusant toute forme de manipulation ou tutelle occidentale".
Ces revendications politiques font parti des nombreuses conclusions de la première rencontre des Bases Amazonenses, Aymaras y Quechuas réunies à Lima en septembre 1979 et considérée par les organisateurs comme un "évènement historique" [1].
En effet, après cinq siècles de marginalisation, d'oppression culturelle, économique et politique, les indiens revendiquent aujourd'hui leurs langues et leurs cultures, dénoncent le néo-colonialisme « de l'État Péruvien, refusent les institutions de cette République fondée par des "créoles séparatistes", et veulent lutter pour leur autonomie politique. Ces revendications font partie de ce "réveil indien" qui se manifeste aujourd'hui dans toute l'Amérique Indienne et en particulier dans l'Amérique Andine. Dans des pays comme la Colombie, l'Équateur ou la Bolivie, des mouvements sont nés qui, après plus de dix années de luttes, ont réussi à s'exprimer sur la scène politique à travers leurs propres organisations comme le CRIC (Consejo Regional Indigena del Cauca), la Fédération des Centres SHUAR, le MITKA (Movimiento Indio Tupac Katari) ou le MRTK (Movimiento Revolucionario Tupac Katari). Au Pérou, cette revendication indienne est beaucoup plus récente et n'a encore aucune représentation politique. Comment expliquer ce caractère embryonnaire de l'indianité au Pérou qui est pourtant l'un des pays andins où la population [196] indienne représente encore près de la moitié de la population totale ? L'histoire de la société péruvienne n'est certes pas étrangère à cette particularité. Que le Pérou soit à la fois l'un des pays andins où la pensée indigéniste a connu son plus large développement et celui où l'indianité s'organise plus tardivement nous semble significatif. L'indianité en effet se pose en rupture avec l'indigénisme traditionnel qui, tout en déclarant vouloir protéger une spécificité indienne, vise en fait son intégration. Mais celle-ci n'a pas eu lieu, le "projet des vainqueurs pour intégrer les vaincus au sein de la société née de la conquête" [2] a échoué. Les raisons de cet échec résident notamment dans l'ambiguïté de ces politiques indigénistes. Elles apparaissent en effet comme un artifice du groupe dominant qui, sous couvert d'une intégration culturelle de l'indien, continue en réalité à le dominer économiquement et politiquement [3]. Pour Henri Favre par exemple, les politiques indigénistes du début du 20ème siècle qui "correspondent logiquement et chronologiquement aux différentes phases de l'édification locale du capitalisme" tendent en réalité "à favoriser l'essor des forces productives". Selon cet auteur, la vaste législation pro-indigène de l'époque n'aurait eu d'autre finalité que de favoriser la mobilité d'une main-d'oeuvre pour mieux la prolétariser dans les domaines de l'oligarchie capitaliste côtière comme plus tard les lois éducatives pour "culturiser l'indien" et le castillaniser auraient eu pour objectif d'éveiller en lui de nouvelles aspirations et besoins pour mieux "l'inscrire dans le circuit des échanges monétarisés... et le transformer de plus en plus en consommateur" [4].
L'indianité manifeste une volonté de rompre avec ce type de pratiques sociales et politiques. Elle exprime le refus par l'indien de ce modèle intégrationiste et de cette relation coloniale :
- "Nous savons maintenant tous que l'État Péruvien, son gouvernement et le système politique qu'il incarne, sont les principaux ennemis de nos ayllus et communautés parce que, depuis la "fausse" indépendance, l'unique chose qu'ils nous ont donné fut [197] une destruction encore plus grande que celle des Conquistadores avaient commencé ; l'État et les gouvernements mistis ont en effet toujours appuyé et justifié les attaques des ennemis des communautés parce qu'ils sont eux nos premiers et principaux ennemis... Ils ont essayé de nous faire croire qu'ils étaient les disciples de Tupac Amaro, qu'ils étaient notre "être national" qui se libérait du colonialisme espagnol, mais en réalité ils ne peuvent cacher qu'ils sont identiques à leurs pères esclavagistes, féodaux et bourgeois" [5].
Que revendique ces indiens ? Et quelles sont leurs organisations ? Comme la plupart des mouvements de revendication ethnique qui émergent depuis plus d'une décennie tant dans les sociétés de la, tradition que dans les sociétés de la modernité, l'indianité revendiquée au Pérou est un mouvement éclaté c'est à dire divisé et représenté par plusieurs tendances mais dont les deux principaux groupes sont :
- - des intellectuels qui développent un discours "indianiste" dans le cadre du Movimiento Indio Peruano (MIP),
- - des résidents de "pueblos jovenes" de Lima qui ont créé l'Organizacion de Bases Amazonenses, Aymaras y Quechuas (OBAAQ)
Yvon Lebot propose dans un précédent chapitre de ce livre une analyse comparative de ces différentes tendances des revendications indiennes, en particulier de leurs idéologies sous-jacentes ou exprimées.
Nous voudrions ici étudier la dynamique de l'une de ces organisations, l'0BAAQ, montrer ses modalités de fonctionnement et ses objectifs politiques. Après l'exposé de ces données recueillies en octobre-décembre 1980 par entretiens avec différents de ses membres, une analyse de sa presse et une participation à toutes ses activités, nous nous interrogerons sur le contexte politique de la société globale qui précède l'émergence de cette organisation et sur la nature du lieu où elle se constitue. En d'autres termes, nous nous demanderons : [198] Pourquoi cette organisation est-elle née en 1977 et à Lima ? Le Vélasquisme ne sert-il pas de creuset à l'indianité ? Pourquoi Lima, la créole, engendre-t-elle la construction de cette indianité ? Des éléments de réponse à ces deux questions amèneront enfin à opposer la problématique de "l'ethnicité-mode de vie" à celle de "l'ethnicité-bricolage idéologique".
LA REVENDICATION
D'UNE NATION MAJORITAIRE ANDINE
À la différence d'autres groupes dirigés ou fortement influencés par des intellectuels ou idéologues d'ex-partis politiques, l'OBAAQ a pour spécificité d'être essentiellement constituée de résidents de "pueblos jovenes" de Lima et du Callao. Nous verrons cependant qu'elle sait, lors de ses manifestations, utiliser "le capital intellectuel" andiniste pour lui faire en quelque sorte légitimer ses revendications.
Retraçons brièvement l'histoire de sa formation. En 1977 plusieurs résidents, tous d'origine aymara, décident de s'organiser pour fêter le 150ème Anniversaire de la Provincia de Huancane, située au Nord du Lac Titicaca, coeur de la terre et de la culture aymara et qui, à toutes les époques de l'histoire, tant précolombienne que coloniale, s'est distinguée par ses actions guerrières et ses rebellions. Une commission d'organisation se met sur pied le 5 mars 1977 qui se charge tant au niveau des media (presse et radio) qu'au niveau des résidents eux-mêmes d'informer et de programmer les activités de ce 150ème anniversaire. C'est la première fois que des aymaras vivant dans les "pueblos jovenes" de la capitale prennent ce type d'initiative. Les manifestations dureront une semaine. Elles débuteront le 11 septembre par une finale de championnat de football pour la coupe du 150ème Anniversaire de Huancane. Suivra une semaine culturelle dans l'Auditorium de la Biblioteca Nacional où des tables rondes réuniront différents professionnels aymaristes invités pour exposer et discuter des mouvements paysans dans le département de Puno, des problèmes de Huancane et des solutions qu'on peut proposer, des [199] problèmes de socio-linguistique andine - en particulier de la langue aymara abordée par des chercheurs de l'INIDE (Instituto Nacional de Investigacion y Desarrollo de la Educacion), de la culture et de la technologie andine. Ce 150ème anniversaire se terminera le dimanche par un grand rassemblement de danses folkloriques au Colisée "El Amauta".
C'est en préparant ensemble ce 150ème Anniversaire qu'une prise de conscience collective émerge parmi ceux qui vont devenir, un an plus tard, les fondateurs de l'OBAAQ. Une revendication linguistique révèle cette prise de conscience. Ils adressent en effet à la fin de cette semaine culturelle une pétition au Général Morales Bermudez, alors Président de la République, réclamant la reconnaissance de l'aymara comme langue officielle au même titre que le quechua dont l'officialisation avait eu lieu deux ans auparavant.
Cette semaine culturelle avait réuni pour la première fois aymaras et aymaristes qui, préoccupés par le devenir de cette langue et de cette culture, décident avant de se séparer de constituer une commission préparatoire d'une prochaine rencontre appelée "El Primer Seminario de Lengua y Cultura Aymara". Il aura lieu cinq mois plus tard sous la présidence d'Ernesto More, directeur de l'Instituto Nacional de Cultura Andina et aura pour objectifs de :
- - stimuler la production des études concernant la langue et la culture aymaras,
- - rendre hommage aux personnalités passées et présentes qui ont contribué à la connaissance de la langue et de la culture aymaras,
- - évaluer la situation du peuple aymara dans les Républiques du Pérou, Bolivie et Chili.
Outre l'appui d'institutions officielles qui travaillent sur la culture et la langue aymaras comme ILCA et INCA, ce sont surtout les membres des organisations de résidents aymaras qui vont coopérer à l'organisation de ce séminaire en appliquant les [200] principes de l'AYNI "Hoy tu por mi, mañana yo por ti". Des bulletins informatifs vont tenir au courant les membres des 27 organisations aymaras des "pueblos jovenes" dont les délégués participent aux réunions préparatoires. Ainsi dans celui du 2 Février 1978 on peut lire que ce séminaire "doit servir à nous faire prendre conscience que nous faisons parti d'un peuple à la fois millénaire et toujours jeune qui a réussi à survivre aux avatars de l'histoire. La préparation de cet évènement est une école d'action collective dont nous devons profiter pour développer notre vocation coopérative comme le sont nos institutions séculaires l'AYNI et la APJ'ATA.”
À ce premier séminaire du 20 au 26 février 1978 participent des écrivains, poètes, historiens, linguistes, anthropologues qui présentent une trentaine de communications. Celles-ci, selon les organisateurs doivent permettre aux aymaras péruviens, boliviens et chiliens réunis pour la première fois ensemble à Lima de réfléchir sur la problématique historique, sociale et économique de leur peuple. Ils terminent d'ailleurs ce séminaire en déclarant : "Nous, Aymaras de Bolivie, Chili et Pérou, sommes une nationalité car il n'y a pas de frontières qui nous empêchent de chercher ensemble notre libération économique, culturelle et sociale... Nous croyons en effet que c'est dans l'étude de la culture aymara que nous trouverons les principes qui permettront notre libération de tout ce qui freine actuellement notre développement social et économique".
Nous avons ici deux idées-clefs que nous allons retrouver dans le discours de l'0BAQ : d'une part que les frontières des États-Nations ne veulent rien dire pour les Aymaras qui se pensent en tant que nationalité, d'autre part que seule la connaissance de la culture aymara permettra de trouver une alternative à la situation de sous-développement dans laquelle se trouvent les aymaras actuellement. Le culturel comme solution du politique.
Quelques mois après ces deux manifestations, l'Organizacion de Bases aymaras (OBA) choisit de naître le 4 novembre 1978 pour commémorer la révolution [201] quechua-aymara dirigée par Tupac Amaru. Un comité de 14 membres est élu qui déclare ce 4 novembre, jour annuel de célébration de la Nation Aymara. Les statuts de l'OBA font apparaître 9 objectifs parmi lesquels :
- - "revaloriser la culture aymara et la revendiquer comme principe du peuple aymara,
- - promouvoir le décollement du peuple aymara par la pratique des principes ancestraux de coopération (ayni, mink'a, apj'ata) et autres valeurs de la culture aymara,
- - contribuer au développement des ayllus, et communautés aymaras,
- - aider les aymaras qui arrivent à Lima et leurs organisations dans le développement de leurs activités,
- - développer et favoriser l'unification des peuples aymaras des divers pays d'Amérique Andine."
Un Conseil d'Anciens est chargé d'orienter et de conseil les activités de l'OBA comme de résoudre les conflits éventuels et de veiller au respect des traditions et valeurs culturelles aymaras. L'Assemblée Générale des Délégués de toutes les organisations aymaras associées à l'OBA représente l'autorité suprême et se réunit pour délibérer de tous les problèmes importants comme pour approuver les activités du Comité Exécutif, véritable organe de direction de l'OBA élu par cette Assemblée.
Le dimanche 17 décembre 1978 une cérémonie au "Club Départemental Puno" officialisa ce Comité Exécutif dans ses fonctions lequel s'engage à "défendre et faire connaître les valeurs culturelles et linguistiques de la nation aymara". Il s'active à remplir cette tâche puisqu'en quatre mois il organise un festival de danse et musique aymara auquel participeront 14 associations, une présentation d'un livre d'un auteur aymara, José Portugal Catacora, consacré aux "Niños del Altiplano", un concours de "sikuris" et la participation de 50 délégués aymaras à la "Feria de la Mujer Campesina". Sa mission de conscientisation des valeurs culturelles du monde aymara l'amène à se préoccuper de la nouvelle constitution de l'État Péruvien, alors en cours de discussion, et en particulier de l'article 83 [202] qui ne reconnaît pas l'aymara ni d'ailleurs le quechua comme langues officielles. Après avoir envoyé un Mémorial au Président de l'Assemblée Constituante demandant une révision de cet article, l'OBA convoque le 12 juin 1979 ses délégués des "comunidades campesinas" et des résidents de Lima à une réunion à la Biblioteca Nacional organisée conjointement avec des quechuas. Selon des participants extérieurs travaillant à la Reforma Agraria cette réunion n'eut pas le succès attendu puisque une trentaine de délégués (80 disent les responsables de l'0BA) participèrent aux débats alors qu'on compte plus de 2.500 "comunidades campesinas" au Pérou. Un Mémorial commun fut cependant envoyé à l'Assemblée Constituante signé par des quechuas et des aymaras qui, pour la première fois, revendiquaient ensemble l'officialisation de leurs langues et refusaient l'article 83 de la nouvelle constitution pour les quatre raisons suivantes :
- "Parce qu'il est anti-historique il ignore ou feint d'ignorer le cycle historique des cultures et langues des peuples quechuas et aymaras ; parce qu'il est anti-humain : car il nie le droit à l'autodétermination des cultures et langues maternelles à travers la castellanisation et/ou l'alphabétisation forcée et imposée ; parce qu'il est anti-patriotique : car en voulant unir les groupes. ethniques par une langue il viole les valeurs de nos nations quechua et aymara ; parce qu'il est anti-scientifique : car la langue maternelle est un système de signes qui fonctionne spontanément lorsque ses locuteurs veulent s'exprimer et se comprendre, c'est la façon de s'identifier à la culture à laquelle on appartient" (Arunakasa, 1, 1980).
Cette mobilisation réussit toutefois à faire modifier l'article 83 de la nouvelle constitution qui reconnaît le quechua et l'aymara comme langues officielles de certaines régions déterminées ("en las zonas y en la forma que la ley establece").
Cette décision rentre en fait dans la politique de régionalisation innovée par la nouvelle constitution dans laquelle la région n'est pas seulement définie en termes géographiques et économiques mais aussi dans une [203] perspective historique et culturelle (art. 259). Mais cette officialisation "régionale" reste pour le moment lettre morte comme le fut en 1975 celle du quechua par Velasco au niveau national. Si cette nouvelle Politique linguistique de l’État semble théoriquement plus bénéfique pour les populations concernées dont 90% parlent ces langues (alors que celle de Velasco concernait un péruvien sur quatre) il reste qu'une très grande mobilisation serait nécessaire pour la rendre applicable.
Pour l'OBA cet enjeu linguistique a toutefois servi de catalyseur. Leur rencontre avec des délégués quechuas semble avoir joué un rôle important dans leur prise de conscience de "Runacuna" puisque le jour même de cette réunion à la Biblioteca Nacional ils décident de former une Commission de Coordination permanente des Bases Aymaras et Quechuas, et quinze jours plus tard d'organiser "El Primer Encuentro de Bases Aymaras, Quechuas y Amazonenses" les 14-16 septembre 1979 qui aura pour but :
- "- d'analyser la problématique socio-économique et culturelle des populations amazoniennes, aymaras et quechuas ;
- - d'évaluer la situation des institutions de résidents à Lima ;
- - d'élaborer un plan de travail pour appuyer le développement des ayllus et communautés Amazoniennes, Aymaras et Quechuas."
Cette évolution de l'OBA dont la revendication ethnique va peu à peu devenir une revendication nationaliste se manifeste également dans les buts poursuivis. Au delà de la langue et de la culture, l'environnement et bien sûr la terre vont devenir des facteurs de mobilisation. Ainsi une réunion est-elle organisée par l'OBA en août 79 pour informer les communautés de la zone du Lac Titicaca d'un projet de loi portant sur la création d'une Réserve Nationale qui vise à protéger la faune et la flore des environs du
Lac. Assisté d'un ingénieur de la Reforma Agraria et d'un fonctionnaire de la Direccion General de Forestal y de Fauna, l'OBA cherche à montrer à une trentaine de "comuneros" présents les dangers que représente ce [204] projet pour l'économie paysanne locale dont les activités profitent largement du micro-climat lacustre. Ces "comuneros" seront reçus par le Directeur de la Reforma Agraria à qui ils présenteront les raisons de leur opposition à cette réserve qui, jusqu'à présent, est restée à l'état de projet.
L'OBA a donc comme volonté de resserrer ses liens avec les communautés d'origine. Cela est manifeste dans la rencontre de septembre 79 où pour la première fois se réunissent 42 délégués amazoniens, quechuas et aymaras, représentants des communautés et des résidents. Prenant conscience qu'ils partagent les mêmes problèmes économiques, culturels et politiques ils décident de former un "Consejo Nacional de Coordinacion de Bases Amazonenses, Aymaras y Quechuas" qui aura pour tâche de :
- - "défendre l'identité culturelle de leur peuple,
- - promouvoir le développement économique et social des communautés d'origine,
- - réaliser des rencontres afin de conscientiser hommes et femmes de leurs groupes d'origine,
- - exiger du gouvernement que dans toutes les universités du Pérou soit obligatoire l'enseignement des langues quechua et aymara,
- - créer un organe de presse commun,
- - préparer un congrès national des "bases amazonenses, aymaras et quechuas".
L'OBA vient de se transformer en OBAAQ. Leur volonté de s'affirmer comme "tronco nacional quechuaaymara-amazonense" traduit selon l'un des fondateurs aymara "leur volonté d'union, leur désir de se constituer en un "NOUS" national dont l'histoire a 20,000 ans face à une société péruvienne dont les partis politiques se multiplient et se divisent".
Leur revendication d'identité comme "nation majoritaire andine" passe par une réécriture de l'histoire. L'OBAAQ s'y applique en organisant des hommages en l'honneur de héros indigènes oubliés par l'histoire et le calendrier péruviens. Ainsi trois journées culturelles, sportives et artistiques (24-26 avril 80) [205] seront dédiées à Vilcapasa pour le 198ème anniversaire de sa mort. Une fresque murale (voir illustration cicontre) qui le représente en "indio alzado" brandissant son "pututo" pour appeler les indiens à la révolte, fut inaugurée le 15 novembre suivant, jour du 199ème anniversaire de la mort de Tupak Katari et déclaré par l'OBAAQ, jour international des nations autochtones indigènes. Il est d'ailleurs important de noter que plusieurs représentants d'autres organisations indiennes participèrent à cette rencontre. Des aymaras boliviens, membres du MITKA et à l'époque réfugiés politiques à Lima, sont notamment intervenus dans les débats d'une table ronde sur Tupac Katari en montrant le rôle de ce libérateur dans leur histoire, la nécessité de reconquérir le Tawantinsuyo et de s'unir entre frères aymaras au delà des frontières péruviennes et boliviennes. Fut également représenté le Consejo Indio de America (CISA) dont le coordinateur proposa une analyse de "l'indianisme" comme alternative politique pour les masses indiennes opprimées.
En rendant hommage à ces symboles historiques l'OBAAQ cherche à conscientiser en priorité les résidents de Lima pour former à long terme des animateurs qui, ayant réappris à valoriser leur histoire et leur culture appréhendée d'une façon globalisante, devraient ensuite rassembler et mobiliser les communautés rurales pour qu'elles reprennent en main "leur développement normal" à partir de ce capital culturel réapproprié. Cette démarche privilégiant le culturel sur la politique, cette volonté de gérer son propre développement, de se réapproprier une culture et une histoire pourrait correspondre à ce que Guillermo Bonfil Batalla appelle de "l'ethno-développement" qu'il définit comme "l'exercice de la capacité sociale d'un peuple pour construire son avenir, en bénéficiant pour cela des enseignements de son expérience historique et des ressources réelles et potentielles de sa culture, en accord avec un projet défini selon ses propres valeurs et aspirations" [6]. Si elle n'utilise pas explicitement ce concept, l'OBAAQ prend toutefois conscience du rôle qu'elle doit jouer vis à vis des communautés rurales : non seulement former, éduquer ces "comuneros" mais aussi se préoccuper de leur développement éco-
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Fresque murale en l'honneur de Vilcapasa
inaugurée à Lima le 15 novembre 1980
lors d'une réunion organisée par l'OBAAQ
pour le 199e anniversaire de Tupak Katari.
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nomique comme par exemple organiser la commercialisation de leur production. 'Un projet est ainsi en cours pour promouvoir eux-mêmes l'exportation de l'artisanat de ces communautés.
Rassembler, conscientiser, organiser résidents et comuneros sont des objectifs prioritaires. Il n'est donc pas surprenant qu'après trois années d'activités l'OBAAQ n'ait pas réellement Joué de rôle politique dans le cadre de la société peruvienne. Leur attitude vis à vis des élections de 1980 fut d'ailleurs fort ambigüe. Après avoir décidé d'y participer au sein de "fronts communautaires et populaires" (Pututo, No 1, Nov. 79), l'OBAAQ demande quelques mois plus tard de "lutter contre la vie politique des mistis qui convoquent aux élections générales" (Pututo, No 2, 80). Leurs relations avec les syndicats sont également problématiques. La Federacion Nacional de Obreros Municipales, dont 85% sont aymaras et plusieurs responsables font parti de l'OBAAQ comme délégués d'organisations de résidents, a des revendications salariales et politiques qui ne sont jamais reprises par l'OBAAQ. Quand à leurs relations avec les intellectuels, ils rejettent ceux qu'ils appellent "les trafiquants d'indien" comme certains indigénistes mais font par contre confiance à ceux qui ne se prêtent pas à ce mercantilisme et font des travaux "sérieux". Ils savent d'ailleurs les utiliser pour se réapproprier l'histoire et la culture andines en les invitant à toutes les manifestations culturelles comme nous l'avons souligné plus haut.
Fondée par des aymaras, l'OBAAQ cherche aujourd'hui à réunir en un seul "tronc" toutes les nationalités RUNACUNA [7]. Cette volonté de rassemblement ne se traduit pas encore par une véritable mobilisation collective car seuls, en 1981, des aymaras prenaient l'ensemble des initiatives. La mobilisation de cette "nation majoritaire andine" reste donc à faire. L'idéologie que développe l'OBAAQ le permet-elle ?
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- Runacuna contre mistis
En se définissant comme "nation majoritaire andine" représentant le véritable Pérou puisqu'ayant plus de 20.000 ans d'histoire, les représentants de l'OBAAQ s'opposent aux "mistis venus d'Europe pour envahir sauvagement il y a 450 ans leur territoire" (Pututo, No 13, 80). Ces mistis envahisseurs qui, "tout en trahissant leurs pères espagnols fondèrent leurs républiques sur nos territoires... ces faux "libérateurs" démocrates, libéraux et républicains, furent et continuent d'être des mistis exploiteurs inhumains qui prennent la forme de gringos étrangers, de créoles et de mistis déracinés... tous ces mistis ont pour unique désir : détruire définitivement notre nation Runacuna en tuant notre coeur, notre être culturel" (Pututo, No 13, 80).
Le misti c'est aussi le gamonal, le bourgeois, "les hacendados qui se réunissent à Lima dans des "clubes departementales" et contre lesquels les Runacunas ont organisé des associations interdistritales et provinciales" (Pututo, No 1, 79).
Les mistis, ce sont aussi ceux qui ont méprisé leur culture et leur économie communautaires, qui leur ont imposé la langue espagnole et le vêtement occidental. Si parmi ces misti-créoles une minorité se dit aujourd'hui "de gauche" et veut libérer l'indien, elle cherche en réalité à "diviser les Runacunas pour se légitimer comme nationalité espagnole et appliquer son projet national". Les mistis ici critiqués par l'OBAAQ sont les organisateurs du Congrès du Cuzco en novembre 1979 sur "Les Nationalités" qui, en choisissant précisémment de parler de nationalités au pluriel plutôt que d'une nation au singulier, montrent qu'ils refusent à "la nation majoritaire andine" le droit d'exister. Ces mistis de gauche ont donc dévoilé là leur véritable dessein : utiliser les bases autochtones pour mener leur politique créole.
Face à ces mistis les représentants de l'OBAAQ s'affirment comme RUNACUNA qui s'organisent pour développer "la résistance nationale Runacuna". Par [209] opposition au misti individualiste, le Runacuna a un idéal communautaire, celui de l'ayllu, que sa migration en milieu urbain a pu lui faire perdre mais qu'il doit retrouver. Les habitants des "Pueblos jovenes" deviennent d'ailleurs dans le journal Pututo des "comuneros residentes". Faire revivre chez ces migrants les formes communautaires d'organisation sociale et économique de l'ayllu "en retrouvant les valeurs collectives du monde andin" c'est l'un des objectifs prioritaires de 11 OBAAQ.
- La philosophie de l'ayllu
contre la logique de l'État
L'OBAAQ ne se reconnaît pas en effet dans cet État "d'espagnols-américains", dans cette République fondée par des "créoles séparatistes" comme San Martin, Bolivar, O'Higgins dont les fils sous couvert de libéralisme et d'indépendance pratiquent "un néo-colonialisme encore plus destructeur" (Pututo, No 1, 79).
Que leur ont apporté les constitutions successives et les différentes lois de l'État Péruvien ? Rien car "elles sont faites au bénéfice des mistis et de leur culture étrangère". Elles ne veulent pas reconnaître l'existence des langues et cultures andines. Elles leur imposent le culte des "Pères de la Patrie" mais ignorent les héros des mouvements de Libération Nationale Runacuna comme Tupac Amaru, Santos Atahualpa, Tupak Katari... (Pututo, No 2, 80).
La nouvelle constitution "qui est anti-nationale et anti-historique car elle favorise les intérêts usurpateurs et colonialistes des oppresseurs étrangers et de leurs alliés créoles" est plus dangereuse pour les Runacunas que toutes les précédentes car "elle menace de la peine de mort tous ceux qui trahirait la patrie des mistis". Autrement dit condamne à mort tous les Runacuna qui oseraient à nouveau s'insurger, résister et défendre leurs droits "que les lois mistis ne protègent pas comme les vols de terre qui continuent comme par le passé" (Pututo, No 2, 80).
[210]
Cette critique des institutions politiques s'accompagne d'une critique des partis politiques qu'ils soient de gauche comme de droite. La gauche péruvienne "qui se dit révolutionnaire devrait faire l'apprentissage de nos langues, de nos cultures et de nos formes d'organisation collective" (Pututo, No 2, 80). Or elle les méprise ou les ignore car ce sont en réalité de "petits bourgeois acculturés" qui parlent de révolution mais "ne font que des révolutions de café". Cette critique de la gauche n'est pas sans rapport avec l'échec du Vélasquisme. Les indiens ont cru que ce gouvernement militaire leur était favorable mais ils savent aujourd'hui qu'ils ont été utilisés et manipulés.
Ce rejet des partis politiques et de leurs pratiques c'est aussi un refus d'une certaine conception du politique à l'occidental. Les responsables de l'OBAAQ n'ont pas en effet l'intention de créer un nouveau parti mais disent "poursuivre quelque chose de meilleur, quelque chose de plus grand" que les objectifs de la politique politicienne et du centralisme étatique.
Ce qui est fondamental pour l'OBAAQ c'est d'abord retrouver leur culture enfouie par 450 ans de domination créole, c’est "faire surgir ce qui est enterré, leurs coutumes, leurs façons de penser", car à la base de tout, il y a le culturel. Ce culturel que la conquête a voulu détruire sans y parvenir et qu'ils doivent se réapproprier. "Nous avons à nous l'enseigner nous mêmes" dit l'un des responsables de l'OBAAQ. Ces valeurs andines sont faites d'aide mutuelle, de solidarité, de formes de coopération tel l'ayni, le minka, l'apjkata qui sont à la base de l'idéal communautaire de l'ayllu. Se forger "nos propres institutions" en organisant "des assemblées communales" qui permettent de réaliser une "véritable administration communale" afin de construire "un pouvoir communal" (Pututo, No 2, 80). Pour cela il faut savoir consulter "nos autorités ancestrales Runacuna, les Varayoc, ou présidents de communautés qui sauront nous montrer le chemin puisqu'ils ont su jusqu'ici conduire la résistance héroïque de notre peuple et de notre [211] Nation" (Pututo, No 13, 80). Telle est l'orientation de la "politique communautaire nationale" qu'entend développer l'OBAAQ. Notons que le thème du Tawantinsuyo n'est pas absent de ce discours : "Nous faisons partie de la Nation du Tawantinsuyo, nous sommes héritiers de cette patrie des Incas et savons que cette terre et nation sont nôtres" écrit l'Association des Comuneros de Antilla, résidents de Lima (Pututo, No 2, 80). Mais, à la différence du MIP, le Tawantinsuyo n'est pas au centre de l'idéologie explicite de l'OBAAQ qui semble plus préoccupée de construire ce qu'elle appelle un "collectivisme organique" (Pututo, No 3, 80).
Pour cela l'OBAAQ se veut une structure d'accueil, un lieu de rencontre et de formation. L'un des responsables la définit comme "une famille étendue" qui a une unité et qui, à la différence des partis politiques, ne meurt pas et ne connaît ni exclusion ni interdiction de double appartenance. "Nous ne forçons personne, certains s'en vont ; nous respectons toutes les idées politiques". L'OBAAQ constate toutefois que la classe moyenne participe peu à ses activités. "C'est une classe trop conformiste qui méprise ce que nous faisons".
À la notion de citoyenneté péruvienne qui n'a pour l'OBAAQ aucune signification ("être péruvien ne veut rien dire pour nous, cela ne nous apporte aucun bénéfice économique et social"), les aymaras membres de l'OBAAQ revendiquent leur appartenance à une nationalité rassemblant les aymaras boliviens, chiliens et péruviens. Cette affirmation d'identité ethnique qui fait référence à une langue, une culture et un passé historique commun, le Tawantinsuyo, traduit une volonté de gommer le notion de frontière propre à l'État-Nation. Mais être membre de l'OBAAQ qui comprend plusieurs nationalités, c'est aussi vouloir les rassembler en une seule "nation majoritaire andine". Cette redéfinition des appartenances en termes ethniques et nationaux va de pair avec une revalorisation de l'espace andin auquel est lié un mode de vie communautaire. Lutter contre l'État péruvien, contre [212] les mistis, contre l'occidentalisme, c'est aussi, comme Yvon Lebot l'a montré, lutter contre la société côtière et contre Lima.
LE VELASQUISME
COMME CREUSET DE L'INDIANITÉ
Le recueil, au cours de notre terrain, de récits de vie de plusieurs responsables de l'OBAAQ nous a amené à nous interroger sur les liens qui pourraient exister entre l'émergence de cette indianité et cette vaste entreprise de mobilisation et de conscientisation populaires qui faisait partie du programme de Velasco. En effet, les hommes qui fondent l'OBA en 1977 ont participé soit comme traducteurs, soit comme animateurs de radio, soit encore comme promoteurs, à cette grande aventure qui vient de se terminer et que fut "la révolution militaire". Pour tenter d'établir un lien entre le Vélasquisme et l'indianité nous avons rencontré différentes personnes ayant eu des responsabilités politiques à cette époque, en particulier dans le cadre du SINAMOS. À travers ces entretiens et à partir des publications récentes qui cherchent à faire le bilan de cette expérience politique, nous avons cherché à comprendre comment cette oeuvre de conscientisation populaire avait été conçue, à partir de quelle représentation de la société péruvienne et comment elle pouvait engendrer un "réveil indien".
Pour Carlos Franco le processus socio-politique qui s'est déroulé au Pérou dans les années 68-75 c'est en quelque sorte "l'histoire d'un paradoxe", celui de "l'institutionalisation de la participation et de l'autogestion orchestrée par un pouvoir centralisé d'État et à travers l'organisation hiérarchique des forces armées" [8]. Nous ajouterons qu'il se double d'un autre paradoxe : la volonté de conscientiser et mobiliser les "masses populaires" péruviennes en utilisant des marqueurs de leur identité ethnique et des symboles de l'histoire de ces "vaincus" sans jamais les reconnaître comme "peuples minoritaires" ni admettre la pluralité ethnique de la société péruvienne.
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Si la lutte contre l'oligarchie et l'impérialisme économique nord-américain qui s'est traduite dans la première étape de "légitimation" du processus révolutionnaire au Pérou par l'expropriation des grandes haciendas, la Réforme Agraire et la nationalisation d'importantes compagnies étrangères, obéit aux règles de toute "révolution populaire", en revanche la volonté de créer une "Democracia Participatoria" à partir des années 70, phase d’« expansion » de ce processus, présente une très grande originalité en particulier lorsqu'elle émane d'un gouvernement dont la nature est militaire, bureaucratique et autoritaire.
Il ne suffisait pas en effet aux nouveaux gouvernants d'instituer une plus grande justice sociale et de libérer le pays d'une dépendance socio-économique américaine, il leur fallait forger une identité nationale par une prise de conscience et une mobilisation des différents secteurs de la population. Cette politique de "participation populaire", bien qu'entièrement nouvelle au Pérou, s'adressait cependant à une population dont les traditions communautaires selon Francisco Guerra Garcia constituaient en quelque sorte une "prédisposition favorable" :
- "Dans le pays, d'importants secteurs de la population considéraient - et considèrent encore - le passe incaïque comme une source d'orgueil et un symbole d'identité nationale. Le cours du temps n'a pas flétri l'image idéalisée du Tawantinsuyo, de ses institutions collectives et du travail communautaire. Grâce aux communautés indigènes se sont maintenues certaines formes de propriété communale, de gouvernement local comme également la tradition des corvées collectives auxquelles participaient des centaines de paysans contribuant ainsi à la tâche communale... Pour toutes ces raisons, il existait dans le Pérou de 1968 une prédisposition favorable au développement d'une politique de participation" [9].
Il y a donc reconnaissance et utilisation d'une spécificité culturelle. Mais cet idéal communautaire et cette solidarité interne de groupe sont avant tout considérés par ces nouveaux politiques comme les caractéristiques [214] d'une classe sociale discriminée et non celle d'un peuple. C'est donc la mobilisation d'une paysannerie et non d'un groupe ethnique que le gouvernement cherchera à organiser. D'où la redéfinition des "communautés indigènes" en "communautés paysannes", la célébration du "jour du paysan" qui remplace celle du "jour de l'indien".
Tout en redéfinissant les indiens comme paysans et en introduisant dans les programmes d'école la valorisation du travail manuel et les activités agricoles comme actes patriotiques [10], le gouvernement officialise en même temps la langue quechua, l'un des principaux marqueurs de ce groupe ethnique, lance en 74 ses programmes de transformation de la société qu'il choisit d'appeler "Plan Inca" lequel deviendra sous Bermudez le Plan "Tupac Amaru".
Marginalisés depuis des siècles, habitués à vivre leur culture comme une culture de "refoulement", conditionnés de par leur relation avec les créoles à se percevoir négativement [11], les indiens ne sont pas indifférents à cette reconnaissance officielle de leur culture et de leur histoire. Or, l'une des ambiguïtés de cette idéologie de la "participation populaire" et de cette volonté de créer un nouveau type de société réside dans cette contradiction : tout en reconnaissant officiellement l'héritage culturel indien, les militaires privent du même coup cet indien de son histoire qui doit devenir celle de tous. Les héritiers légitimes des Incas ne sont plus les populations indiennes mais la société péruvienne dans son ensemble et leur culture doit devenir l'un des fils de trame de la culture péruvienne. Tout en voulant les libérer économiquement et les intégrer socialement au sein de la nation péruvienne, ils les dépouillent du même coup de leur identité communautaire, de leur organisation sociale et de leurs racines historiques. Au nom de la Révolution, l'indigénisme continue..
L'un des lieux où ces contradictions ont été les plus évidentes est sans doute le SINAMOS, véritable colonne vertébrale de cette politique de la "participacion popular". Conçue comme "un processus par lequel [215] les travailleurs et les organisations de base interviennent directement ou avec le minimum d'intermédiaires dans les décisions de tout ordre de l'activité sociale et dans l'orientation du développement de la société péruvienne" [12], la "participacion popular" se présentait comme une idéologie certes révolutionnaire mais très abstraite. Pour promouvoir et appliquer sur le terrain cette politique le Systema Nacional de Apoyo a la Movilizacion Social (SINAMOS) fut créé. Il était conçu comme "une organisation politico-étatique" chargée non seulement de "transférer progressivement le pouvoir de décision politique aux organisations sociales issues du développement des réformes structurelles" mais aussi "d'intervenir dans les processus d'information, de communication et d'habilitation des nouvelles organisations socio-politiques des travailleurs et d'être l'organe de coordination entre la direction politique du gouvernement et les organisations populaires" [13].
Conscientisation et organisation, deux objectifs conçus politiquement au niveau national par l'ONAMS, adaptés régionalement par. L'ORAMS et finalement appliqués selon différentes zones par l'OZAMS. Créé par décret en juin 71, le SINAMOS comptait en 73 onze bureaux régionaux qui supervisaient 70 zones d'activité. Parmi les différentes directions de travail du SINAMOS la Réforme Agraire et l'organisation des "comunidades campesinas" furent leurs principaux objectifs. Plusieurs responsables dont beaucoup d'universitaires, spécialistes en sciences sociales, qui avaient pour la première fois la possibilité d'appliquer sur le terrain leurs connaissances des réalités andines, reconnaissent qu'il y avait alors "une sorte de mystique de l'État et du processus révolutionnaire qu'il fallait faire avancer". Cette logique de l'État leur faisait oublier "les diversités ethniques des différentes régions du Pérou". C'est ainsi que "le même modèle de "comunidades campesinas" devait être appliquer quelque soit cette diversité culturelle". Il fallait "renforcer l'État, construire la société péruvienne comme s'il n'y avait pas d'hétérogénéité culturelle". Aujourd'hui après l'échec de la Réforme Agraire, ces ex-responsables reconnaissent "qu'on ne [216] peut traiter le problème de la terre sans poser le problème des valeurs culturelles qui s'y rattachent". On retrouve la même autocritique chez Carlos Franco : "Les valeurs de coopération, d'échange et de réciprocité comme en général les pratiques collectivistes de la culture andine qu'exprime l'organisation communale ne furent pas suffisamment prises en compte par les responsables de la politique de participation" [14].
Ce constat les amène aujourd'hui à remettre en question les schémas du national-populisme qui ont inspiré cette "révolution militaire". Les textes d'Haya de la Torre et de Mariategui, fondateurs de la pensée politique de la gauche péruvienne, sont ré-analysés à la lumière de cette expérience. Mais de profondes contradictions continuent de diviser les différentes tendances de cette gauche. L'une des causes fondamentales de cette division c'est, selon Francisco Guerra Garcia, "la non-reconnaissance de l'extrême hétérogénéité de la structure sociale" Souvenons-nous pourtant, écrit-il, que les péruviens sont constitués des membres des "comunidades nativas" de la selva, des paysans quechuas et aymaras des régions les plus pauvres de la sierra... Or les partis, groupes et mouvements politiques de gauche se sont, jusqu'à aujourd'hui, montré incapables de créer des organisations qui articulent et expriment les intérêts et aspirations de cette partie des classes populaires... Ils ont toujours privilégié un secteur social déterminé ou un style de lutte : les invasions de terre des années 60 et les guerillas de 65..." [15].
Notons que cette incapacité de la gauche péruvienne à reconnaître le caractère pluri-ethnique de sa société, à faire participer l'indien à leurs luttes sans pour autant le faire disparaître au nom de l'Unité Nationale, se retrouve dans la plupart des partis de gauche latino-américains comme l'a montré Christian Gros [16] qui voit notamment dans le "nationalisme créole" de ces militants l'une des causes de cette incapacité.
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Mais revenons à SINAMOS pour analyser certaines de ses activités en matière culturelle, autre exemple des ambiguïtés idéologiques inhérentes à cette politique de participation populaire. Dans le cadre de la politique d'intégration des différents secteurs sociaux de la population, de leur "péruanisation", SINAMOS organisa à différentes reprises des festivals d'art à Lima. Le premier en 1972, appelé CONTACTO, avait pour but de faire découvrir l'art populaire de la sierra, sous ses formes plastiques, aux classes moyennes de la capitale. Le personnel des antennes régionales de SINAMOS fut donc chargé de sélectionner les artistes les plus représentatifs de cet art populaire andin. Habitués à penser qu'Art et Culture sont des valeurs occidentales, à mépriser tout ce que représente l'homme de la campagne, en particulier lorsqu'il est paysan quechua ou aymara, les liméniens ont découvert à l'occasion de ce festival que des formes culturelles très variées existaient dans la sierra où la plupart d'entre eux n'avaient jamais été et, qu'à travers ces sculptures, ces peintures, tissages etc... se dégageait "une conception très forte de l'art indien qu'ils n'avaient jamais imaginé", comme le relate un témoin. Certains secteurs de là classe moyenne critiqueront toutefois ces manifestations qui, en ayant lieu en plein centre de la capitale, au Campo de Marte, généralement réservé aux concerts, envahissaient en quelque sorte "leur territoire"..
De cette première rencontre surgit l'idée d'organiser des fêtes populaires où musique et folklore andins complèteraient cette première manifestation. Hector Béjar, alors à la tête de la Direction Juvenil de SINAMOS, en eut la responsabilité. Ancien dirigeant de l'Armée de Libération Nationale, H. Béjar connaît par son expérience de guérilla en 1965 dans la sierra la distance qui sépare l'homme de la ville du paysan quechua, le mépris du premier pour le second et la méfiance de l'indien pour le misti. Cet apprentissage de l'altérité à travers la guérilla lui avait donc révélé l'incompréhension des gens de la ville pour les populations indiennes. Conscient de la nécessité d'un dialogue entre ces deux cultures, Hector Béjar va s'y employer en organisant ces fêtes qui, curieusement ne [218] sont plus le lieu d'un dialogue inter-ethnique mais d'une rencontre entre "différents secteurs sociaux du peuple péruvien" selon les propres mots de Béjar. Autre exemple d'une gauche péruvienne pour qui la problématique de classe annule celle de la pluralité ethnique. Ces fêtes vont porter le nom d'INKARI. Interrogé sur les raisons du choix de ce nom [17], Hector Béjar, tout en reconnaissant la connotation ethnique de ce mot, ne pense pas qu'il a été choisi pour cette raison. "À l'époque on raisonnait beaucoup plus en termes de cultures populaires qu'en termes de cultures indiennes". Il est intéressant de noter cependant que cette même année 1973 paraît le livre de l'anthropologue, Alejandro Ortiz Rescaniere, disciple d'Arguedas, "De Adavena a Inkarri, la vision indigena del Peru" [18], édité d'ailleurs par l'INIDE, l'une des filiales du Ministère de l'Education Nationale, chargée de créer un nouveau matériel pédagogique. Dans une présentation des différentes versions du mythe Alejandro Ortiz souligne le succès que connaissent alors ces différents Inkarri "parmi les intellectuels et artistes péruviens" sans doute parce que c'est "l'expression d'un peuple qui décrit un Pérou non officiel auquel est lié l'image d'Arguedas".
INKARRI est donc préparé par les différentes instances régionales selon le même principe que CONTACTO mais en ouvrant l'éventail de ces expressions culturelles "populaires" à la danse et la musique. Cette fête populaire sera inaugurée le jour du 5ème anniversaire de la Révolution par le Général de brigade Leonidas Rodriguez Figueroa, chef du SINAMOS, dont le discours d'ouverture (voir texte intégral en annexe) illustre parfaitement l'ambiguïté idéologique dont nous avons parlé plus haut. Ce général s'adresse en effet à ses "frères" indiens en évoquant l'un des évènements les plus importants de l'histoire de la résistance indienne contre les espagnols, celui de la répression qui suivit l'échec de la révolte de Tupac Amaru en 1781. Mais cet évènement ne fait plus partie de l'histoire des "vaincus", il appartient désormais à l'histoire du peuple péruvien. En effet les espagnols qui interdirent alors aux indiens tout ce qui pouvait perpétuer cette mémoire incaïque et ces manières de [219] faire indiennes tout en leur imposant la langue espagnole et l'habit occidental ne sont plus, d'après ce discours, les ancêtres des créoles mais deviennent les "dominateurs" de tous les péruviens, créoles et indiens confondus. Dans cette entreprise de domination, la volonté des conquérants n'était pas de gommer la culture indienne mais de "mettre fin à notre mémoire collective, d'interdire notre langue, d'empêcher nos expressions populaires, de liquider notre personnalité nationale". Nous avons là un très bel exemple de dilution du fait indien, de son passé historique que l'on récupère pour en faire un fait national. Ainsi amalgamés ce ne sont plus des indiens qui ont honte de leurs cultures mais un "nous" englobant représentant le "peuple" d'où sont sortis les libérateurs. Parmi eux, Tupac Amaru, dont le portrait sert d'ailleurs d'emblème à SINAMOS pour légitimer en quelque sorte la filiation de ces militaires aux grandes figures des mouvements de libération des Andes. En organisant Inkarri, ces nouveaux libérateurs "en uniforme" redonnent, selon le Général Rodriguez, au peuple péruvien l'occasion de retrouver son identité nationale. Inkarri n'est plus donc le mythe qui retrace l'épopée tragique du peuple indien dans sa rencontre avec le monde occidental mais le lieu festif du peuple péruvien libéré et fier de ses traditions culturelles.
Devant le succès remporté par ce premier Inkarri on réitéra l'année suivante. Plus de 15.000 artistes, selon Hector Béjar, se déplacèrent pour apporter leur concours à cet Inkarri 2 qui dura toute une semaine. Des milliers de résidents de "pueblos jovenes" vinrent pour la première fois au Campo de Marte danser et jouer de leurs instruments.
Malgré cette popularité, Hector Béjar quittant en 1975 le SINAMOS qui rencontre de très nombreuses difficultés politiques, ces fêtes populaires ne seront pas renouvelées. Mais cette mobilisation culturelle ne va pas pour autant disparaître. Ces Inkarri ont servi de catalyseur pour une prise de conscience de la richesse des cultures indiennes et une meilleure diffusion de celles-ci. Simultanément en 1975 :
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- - sont reconnus par l'Instituto Nacional de Cultura des dizaines de "conjuntos folkloricos",
- - s'organisent l'Association Nacional de los Trabajadores de Arte (ANTA) et "la Feria de La Mujer Campesina" à la Molina qui a lieu, depuis lors, chaque année ;
- - se développent un cinéma sur les cultures andines à la Catolica ainsi que la diffusion discographique des musiques andines.
Cette effervescence sur le plan culturel se double d'une forte mobilisation sur le plan de l'organisation du travail qui se traduit par la reconnaissance de 2.015 syndicats, de la Confederacion Nacional Agraria, de 3 centrales ouvrières (la CNT, la CTRP et la CGTP), etc... Les populations indiennes apprennent à s'organiser, à défendre leurs droits, à discuter avec des mistis qu'ils n'auraient pas auparavant osé approcher, àprésenter des requêtes auprès des différents ministères et administrations, à se servir des media, à valoriser leurs cultures et leurs traditions.
Il semble donc que l'idéologie de la participation, l'un des fondements de la Révolution Péruvienne, ait servi à créer un vivier de conduites collectives, en particulier dans les villes et à Lima, chez les populations indiennes. Mais pour atteindre cette participation, l'entreprise de conscientisation, principalement l'oeuvre de SINAMOS, s'est servi de symboles et de valeurs essentiellement indiennes. En les valorisant ainsi, les indiens ont appris à ne plus les percevoir négativement, à ne plus avoir honte de leur langue, de leur culture et de leur groupe. L'identité indienne n'était plus stigmate puisque la langue quechua était officialisée par le gouvernement, les valeurs communautaires andines étaient reprises dans les discours des militaires, les productions culturelles indiennes étaient largement diffusées et leur promotion auprès des créoles les plaçaient à égalité avec tout autre forme artistique. Mais cette valorisation des cultures indiennes ne signifiait pas pour autant que les indiens se sentent pour cela péruviens et qu'ils s'identifient à ce "Nous" national comme le pense le Général Rodriguez. L'ambiguïté du [221] discours Vélasquiste qui valorisait le fait indien tout en le récupérant pour le diluer dans le fait national, l'absence de politique et de moyens pour que la reconnaissance officielle des cultures indiennes ne reste pas lettre morte (comme le quechua dont l'enseignement n'a jamais été organisé) ont engendré un malaise et une déception chez les indiens qui se sont, encore une fois, sentis manipulés et utilisés par les mistis. Ayant réappris à valoriser leur indianité, ils veulent aujourd'hui la revendiquer et l'affirmer. Si le Vélasquisme a donc échoué comme processus politique, il semble qu'il ait réussi par contre à conscientiser une population indienne en servant paradoxalement de creuset à l'indianité.
LIMA, LIEU DE CONSTRUCTION
DE L'INDIANITÉ
Il peut paraître curieux que cette prise de conscience se développe à Lima et que cette capitale créole devienne le lieu de construction de l'indianité. Pour comprendre ce paradoxe il faut préciser que l'indianité n'est pas un concept catégoriel (le fait d'être indien et de vivre dans une communauté des Andes selon les rites et coutumes de réciprocité) mais un concept dynamique et idéologique qui répond à une situation de changement. Ce changement a été provoqué par le processus migratoire des populations de la Sierra vers la capitale qui a débuté dans les années 40 mais qui s'est intensifié depuis les années 60 et qui a servi de catalyseur à une prise de conscience laquelle est à l'origine de cette revendication ethnique. Migration, urbanisation et ethnicité font donc partie d'un même processus que l'on retrouve dans d'autres villes de sociétés en voie de développement (Afrique, Amérique Latine) mais aussi des sociétés industrielles (États-Unis, Grande-Bretagne…), processus que des recherches ont mis en évidence depuis la fin des années 60.
En effet jusque là, qu'elle soit interne ou externe la migration était souvent envisagée comme un processus de destructuration de la famille étendue, des relations de parenté, des réseaux communautaires etc... ce qui se traduisait par des phénomènes d'anomie et de désorganisation sociale. De même la ville était conçue comme [222] le lieu de la modernité, du développement des valeurs intégratives, de la diffusion d'une culture nationale. Ces deux problématiques sous-entendaient que l'ethnicité était une caractéristique des sociétés traditionnelles qui devait donc disparaître avec l'urbanisation, la modernité et la construction nationale [19]. Or le développement depuis les années 70 de revendications ethniques dans les sociétés industrielles comme les États-Unis, la Grande Bretagne, la France, le Canada etc... montre que l'on assiste au phénomène inverse. Contrairement au modèle assimilationiste, des chercheurs comme par exemple Walker Connor et Cynthia Enloe [20] montrent que la modernité, loin de conduire à l'homogénéité, à l'assimilation et à la construction nationale engendre de la pluralité et des dynamiques sociales pouvant conduire à des processus d'ethnicité. Le développement urbain, symbole de cette modernité, provoque la confrontation de différents groupes ethniques et la ville, loin de les amalgamer, renforce souvent les processus de différenciation, hiérarchisation, discrimination ce qui se traduit notamment par des phénomènes de ségrégation au niveau de l'habitat [21] et de division culturelle du travail [22]. La ville, agent par excellence de l'acculturation de ces groupes migrants, est donc aussi le lieu d'apprentissage ou de renforcement de leur identité minoritaire. À la faveur d'une conjoncture de la société globale qui permet l'émergence d'une prise de conscience politique, comme ici celle du Vélasquisme, cette identité minoritaire peut, toujours dans le contexte urbain, se transformer en une revendication d'identité ethnique. Lima, lieu de construction d'une identité indienne, n'est pas une exception. Des recherches menées dans différentes villes africaines [23] comme dans des villes industrielles de l'Europe de l'Ouest et des États-Unis [24] ont montré cette corrélation étroite entre urbanisation et ethnicité.
Depuis le début des années 60 des travaux d'anthropologie urbaine ont par ailleurs critique l'approche des phénomènes migratoires en termes d'anomie, de dépersonnalisation et de destructuration sociale en montrant que, si la migration se soldait par une certaine acculturation, elle ne signifiait pas pour [223] autant une complète désorganisation familiale et sociale et n'était pas nécessairement à l'origine d'une pathologie sociale. Ces recherches [25] soulignaient au contraire la persistance de structures familiales et sociales d'origine comme la création de nouvelles formes d'organisation adaptées au contexte urbain sur la base d'affiliation aux communautés d'origine comme sont les associations.
Bien connues aux États Unis où elles se sont développées avec les différentes vagues migratoires qui se sont succédées depuis deux siècles, ces associations se retrouvent dans différents autres lieux de migration où elles ont fait l'objet de recherches comme par exemple à Bamako par Claude Meillasoux, au Caire par Janet Abu-Lughod, dans différentes villes de l'Afrique de l'Ouest par Kenneth Little ou encore du Nigéria par Peter Lloyd [26]. À Lima, ces associations sont très nombreuses et regroupent les résidents des "pueblos jovenes" sur la base de leur appartenance à une même communauté d'origine mais peuvent également les rassembler sur une base régionale. Étudiées depuis plus de vingt ans par de nombreux chercheurs parmi lesquels William Mangin, Paul Doughty, Brian Roberts et plus récemment Teofilo Altamirano [27], ces associations ont, selon ces auteurs, pour principale fonction l'adaptation de ces migrants à la société d'accueil. Elles leur apprennent en effet les manières de faire de la culture urbaine, facilitent leur insertion dans le monde du travail et leur offrent un soutien moral à travers les membres de son réseau associatif. Elles contribuent donc à amortir les chocs culturels des migrants avec la société d'accueil. Mais ce rôle intégrateur des associations ne signifie pas pour autant rupture avec la communauté ou la région d'origine et perte d'identité collective. Ces associations servent au contraire à maintenir ce lien communautaire à travers différentes pratiques sociales comme àdévelopper un sentiment d'appartenance régionale. Dans ces dernières années, en servant également de relais entre la communauté et la capitale, lieu du pouvoir politique et administratif, leur fonction s'est aussi politisée.
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Si la vie dans les "pueblos jovenes" de Lima n'est donc pas complètement anarchique comme le pensent les autre liméniens mais si au contraire, grâce à ces niches culturelles que sont les réseaux familiaux et associatifs, elle est une forme d’« adaptation positive » comme l'écrit dans un récent livre Susan Lobo [28], il semble néanmoins que celle-ci soit insatisfaisante car elle reste une adaptation aux marges de la société créole. Tout en offrant à ses résidents un niveau de vie souvent supérieur à celui de leur communauté d'origine et la possibilité de donner à leurs enfants un niveau d'éducation plus élevé que celui qui leur serait accessible dans les Andes, les "pueblos jovenes" restent des bidonvilles excentrés et marginalisés par une société dominante qui, se sentant de plus en plus envahie par ces vagues incessantes de migrants andins, a tendance à les "ghettoïser" tant au niveau de l'espace urbain que de la vie sociale plutôt qu'à les intégrer. La mobilité sociale qui reste la principale aspiration de nombreux migrants, en particulier pour leurs enfants et dans l'espoir de laquelle ils acceptent des conditions souvent très dures de travail, s'avère difficile sinon impossible. Des barrières d'exclusion semblent de plus en plus se refermer sur eux. Cette mobilité sociale se révélant impossible et cette marginalisation par la société dominante contribuent à la formation d'une identité minoritaire dont les migrants prennent peu à peu conscience. Ce processus ne contribuerait-il pas à l'émergence d'une revendication indienne, facilitée par la conjoncture historique du Vélasquisme dont nous avons parlé.
La description que nous propose William Mangin [29] de ces bidonvilles à treize ans d'écart peut nous apporter quelques éléments de réponse. Il décrivait en effet en 1958 la population de ces "barriadas" (nom que l'on donnait alors à ces bidonvilles) comme cherchant à abandonner tout ce qui pouvait l'identifier comme indienne : on ne parlait plus quechua, on quittait le poncho pour s'habiller à l'occidental, on adoptait les habitudes et manières de faire créoles tant au niveau de l'alimentation (cuisine et boissons) que des loisirs (fêtes et musique) et l'on cherchait à s'identifier au [225] monde métis. Les aspirations, souvent irréalistes, des parents pour leurs enfants étaient tant d'ordre économique que social en souhaitant qu'ils deviennent médecins, avocats, professeurs, ils aspiraient à travers eux, accéder à la classe moyenne et aux valeurs créoles. En 1971, William Mangin reconnaît que cette description est encore valable mais qu'il "se développe un fort nationalisme quechua, que beaucoup de ces cholos (nom que l'on donne à l'indien qui émigre en ville) changent d'attitude vis à vis de la culture indienne, qu'ils ont moins honte de parler quechua et de montrer publiquement qu'ils préfèrent les coutumes et les manières de faire indiennes. La culture andine est partout présente à Lima et les associations régionales contribuent très fortement à sa maintenance". Comment expliquer ce changement d'attitude des migrants vis à vis de leur culture d'origine ?
En émigrant à Lima, l'indien est confronté dans sa vie quotidienne à l'Autre qui détient langue et culture de référence, pouvoir politique et économique comme il lui impose son système de valeurs et une identité définie de l'extérieur. Cette confrontation avec l'Autre se solde par une intériorisation négative du Soi et de son Groupe et engendre une "culture de refoulement". À une identité communautaire qui valorisait la langue et la culture du Nous se substitue, en sortant des "frontières" du groupe et en se confrontant à l'Autre, une identité négative. Pour échapper à cette identité minoritaire le migrant tend à gommer tous ces marqueurs indiens qu'il ressent comme "stigmates" pour paraître créole et s'identifier à l'Autre. Mais cette identification s'avère inutile. Les espoirs de mobilité sociale, d'accès à une classe moyenne se révèlent impossibles. Parallèlement à cette confrontation avec le dominant et à ce sentiment minoritaire se développe une identité régionale voire inter-régionale. Quechuas et aymaras de différentes communautés andines se rencontrent à la faveur de ce processus migratoire alors qu'ils restaient souvent isolés dans les Andes. En marginalisant ces migrants, Lima favorise un brassage culturel que le vécu quotidien dans une communauté ou un village ne permet pas. Dans cette rencontre à Lima, quechuas et aymaras se rendent compte qu'au delà de leurs différences linguistiques et culturelles ils partagent [226] une même identité minoritaire et font partie d'un même peuple dominé par la société créole. De cette mise en commun d'identités minoritaires peut surgir une identité ethnique nouvelle, certes fabriquée, mais peut-être plus efficace politiquement à long terme. En réunissant ces migrants de langues et cultures andines différentes tout en les marginalisant, Lima semble donc un lieu privilégié pour la construction de cette indianité.
L'INDIANITÉ
COMME BRICOLAGE IDÉOLOGIQUE
La revendication d'identité dont nous avons retracé la genèse et que nous venons de resituer dans le contexte politique et social de la société globale péruvienne fait partie d'un large mouvement de mobilisation des minorités dans des sociétés étatiques anciennes comme nouvelles qui s'est développé dans ces vingt dernières années.
Ce processus d'ethnicité qui est donc une des caractéristiques de nos sociétés en cette fin de siècle fait l'objet de très nombreuses recherches. Celles-ci font intervenir deux conceptions opposées de l'ethnicité.
Une première approche objectiviste [30] part du principe que le groupe ethnique est une unité culturelle définie par un certain nombre de traits objectifs comme la langue, le territoire, le phénotype, la religion, l'organisation sociale, économique etc... Cette représentation attributive et catégorielle du groupe ethnique engendre une approche statique et figée de l'ethnicité qui devient un sentiment d'appartenance au groupe que l'on acquiert en quelque sorte à la naissance et qui sert de fondement à une identité collective "primordiale", innée pour tout individu, membre de ce groupe.
Une deuxième approche subjectiviste [31] est beaucoup plus sensible aux dynamiques interactionnelles qu'aux marqueurs objectifs de l'ethnicité. Au lieu de partir du groupe ethnique comme seule unité d'analyse, elle se préoccupe de comprendre les situations dans lesquelles les groupes se trouvent en interaction. Celles-ci engendrent des frontières ethniques qui président [227] aux identités qu'un groupe se donne et qui lui sont assignées par l'Autre. Il est donc essentiel d'étudier les mécanismes d'interaction qui élaborent, maintiennent ou remettent en question ces frontières plutôt que d'inventorier les traits culturels "objectifs" d'un groupe ethnique et qui feraient sa spécificité. Cette approche en termes dynamiques de l'ethnicité signifie qu'elle peut émerger, croître, décroître selon les fluctuations des situations historiques, économiques et politiques auxquelles les groupes se trouvent confrontés. Il y a donc, pour les chercheurs adoptant cette démarche, adaptabilité ethnique : un groupe non mobilisé est un groupe en "état d'hibernation" [32] qui peut, dans une conjoncture socio-politique donnée de la société dominante, se mobiliser, revendiquer une identité ethnique qu'il se réapproprie ou qu'il peut même entièrement fabriquer [33]. Ceci implique de saisir l'ethnicité dans une dimension diachronique et d'étudier les processus de changement qui président à son émergence. Les situations migratoires en sont un exemple : l'interaction avec la société d'accueil place souvent le groupe migrant en situation minoritaire et la migration sert alors de catalyseur à une prise de conscience qui peut s'exprimer par une revendication ethnique [34]. L'ethnicité sert alors de mécanisme de défense, de réponse à la situation engendrée par la migration.
Quelle interprétation de l'indianité avons-nous à la lumière de ces deux problématiques ? Si l'on cherche à inventorier les marqueurs objectifs d'un groupe quechua ou aymara résidant dans les "pueblos jovenes" en 1980 pour comprendre l'indianité qu'il revendique, la démarche s'avère peu pertinente. En effet les langues quechua ou aymara sont souvent peu utilisées dans ce contexte liménien, voire même ignorées par la deuxième génération [35], le mode de vie est très influencé par le contexte urbain et la société de consommation et, bien que les associations maintiennent des liens avec la communauté andine et donc assurent la permanence de certaines pratiques rituelles, une forte acculturation a estompé la force des marqueurs de ces identités quechua et aymara telles qu'elles sont encore vécues dans les Andes. Se définir quechua ou aymara à Lima n'a donc, à la lumière de cette démarche objectiviste et de cette définition de l'ethnicité comme [228] "mode de vie", aucune pertinence. Se revendiquer comme indien est aussi incongru puisque cette identité est traditionnellement associée à la classe paysanne andine et imposée par la société dominante. La revendication d'une indianité devient donc, dans cette optique, une création idéologique d'intellectuels métis ou l'oeuvre d'un État qui se veut gestionnaire de l'ethnicité.
Si, par contre, l'on cherche à analyser l'indianité en la resituant dans une dynamique interactionnelle avec une société créole qui a imposé une langue et une culture, qui a confisqué une histoire, qui, depuis cinq siècles, décide de la gestion économique et politique de l'espace andin, revendiquer une identité indienne c'est prendre conscience de cette dépendance et de cette domination pour les refuser, c'est vouloir se réapproprier cette histoire, retrouver une culture et un système de valeurs gommés par cette domination dé l'Autre. L'indianité devient alors une idéologie politique en formation comme le fut hier la négritude revendiquée par les peuples colonisés d'Afrique. Cette approche interactioniste qui valorise davantage le diachronique que le statique, le subjectif que l'objectif, montre que le pertinent ce n'est pas le fait de parler ou non le quechua et l'aymara, de vivre dans un ayllu, d'avoir un phénotype amérindien... mais bien cette volonté de construire à partir de résidus culturels différents une identité ethnique indienne, processus qui renvoie à une conception de l'ethnicité en termes de "bricolage idéologique". On comprend alors que des métis participent à la construction de cette indianité car l'important ce n'est pas d'être "objectivement" indien mais de partager cette prise de conscience politique et de s'identifier à cette nouvelle identité collective.
Plus qu'une "idéologie de retour" comme l'interprète Yvon Lebot dans ce livre, l'indianité qui se développe dans le cadre de l'OBAAQ nous semble une "idéologie du Multiple", du "Contr'Un" que l'on retrouve d'ailleurs dans d'autres mouvements de revendication actuels [36]. Il ne s'agit pas en effet d'un mouvement messianique annonçant le retour de héros culturels qui apporteront le salut des populations indiennes comme l'ont été dans le passé différentes rebellions andines. Il ne s'agit pas non plus de revenir à la façon de [229] vivre et de s'organiser du temps du Tawantinsuyo mais plutôt de se réapproprier une vision du monde qui valorise le pluriel, le "communal" et le fédéral pour combattre le singulier, le centralisme et l'étatique. D'ailleurs le fait même qu'ils revendiquent cette identité indienne, hier encore stigmate parce qu'imposée de l'extérieur avec tout son cortège d'ethnotypes négatifs, montre bien qu'il n'est pas question de gommer cinq siècles d'histoire pour revenir au temps du Tawantinsuyo mais d'assumer ce stigmate, hérité de cette relation coloniale, pour en faire un emblème de leur revendication ethnique. Pour construire ce nouveau visage de l'indien il faut retrouver des racines historiques et culturelles qui permettront non seulement de se différencier de la culture et de l'histoire imposées par l'Autre mais aussi de légitimer cette différence puisqu'historiquement antérieure à la venue du créole. Il est d'ailleurs frappant de constater que tous les mouvements de revendication ethnique dans cette fin du 20ème siècle présentent cette même quête d'ancrage historique et de réhabilitation d'un passé comme d'une histoire.
Nous avons vu au début de ce chapitre que les objectifs de l'OBAAQ n'étaient pas prioritairement politiques mais culturels. Ce primat du culturel sur le politique peut s'expliquer par le fait qu'il est difficile de substituer une représentation positive de l'identité indienne à un vécu négatif sans se redonner des points de repères, sans retrouver et valoriser les pratiques communautaires pour les adapter au nouveau contexte urbain. "Venir à Lima c'est pour nous une déshumanisation totale" disait un responsable de l'OBAAQ, "on perd le sens de la solidarité, cette relation de l'homme avec la terre et le cosmos qui existent dans la communauté". Retrouver leur culture c'est donc se retrouver eux-mêmes, se refabriquer une identité et par là même trouver les solutions politiques et économiques de leur revendication. Il y a donc bricolage pour se remodeler une culture qui non seulement valorise le sens communautaire mais englobe également une vision du monde au sens politique, économique et philosophique. La culture n'est plus seulement définie par des manières de faire, elle devient ici idéologie. Cette priorité soulignée plus haut du culturel sur le politique n'est donc qu'apparente car l'indianité [230] propose en réalité une autre culture politique que celle de la société péruvienne. En dénonçant la conception occidentale du pouvoir, en refusant de créer un parti politique, en ne reprenant pas les revendications syndicales, en ne posant pas le problème de l'État, l'indianité n'est pas pour cela dépourvue de toute vision du politique. En réhabilitant une culture andine elle veut se réapproprier un "pouvoir communal" et penser le politique contre l'État. En réinvestissant leurs langues, leurs communautés et leur histoire de leur fonction de communication, gestion et mémoire collective, les indiens veulent se réapproprier le droit à la parole et le droit au "consensus communal" c'est à dire du NOUS contre les ILS de l'État et de son administration créole.
Dans la reconstruction de ce mode d'appartenance et de gestion le consensus du groupe comme base du pouvoir politique - qui rappelle d'ailleurs l'une des caractéristiques amérindiennes analysées par P. Clastres [37] - ne semble pas incompatible avec un deuxième niveau d'organisation politique qui, tout en gommant les frontières étatiques, rassemblerait en une même "nation andine" quechua, aymaras, amazoniens... L'autonomie locale dans le cadre d'un fédéralisme pluri-ethnique c'est aussi penser le politique en dehors de l'État et préfigurer peut-être une nouvelle géopolitique dans un XXIème siècle où la crise de l'État-Nation et les revendications minoritaires devraient, dit-on, se généraliser et s'intensifier.
[237]
ANNEXE
Discours prononcé par le Général de brigade,
Leonidas Rodriguez Figueroa,
lors de l'inauguration de l'INKARRI en 1973.
"Hermanos,
Una mañana del mes de noviembre de 1781, y luego de la transitoria derrote de Túpac Amaru, aparecio en bandos públicos diseminados a lo largo del Cuzco la siguiente sentencia contre el pueblo :
"Por causa del rebelde, mándase que los naturales se deshagan o entregen a sus corregidores cuantas vestiduras tuvieren, como igualmente las pinturas o retratos de sus Incas, los cuales se borrarán indefectiblemente como que no merecen la dignidad de estar pintados en tales sitios".
"Por causa del rebelde, celarán los mismos corregidores que no se representen en ningún pueblo de sus respectivas provincias comedias u otras funciones públicas de las que suelen usar los indios para memoria de sus hechos antiguos".
"Por causa del rebelde, prohíbense las trompetas o clarines que usan los indios en sus funciones, a las que llaman pututos, y que son unos caracoles marinos de un sonido extraño y lúgubre".
"Por causa del rebelde, mándase a los naturales que sigan los trajes que les señalan las leyes ; se vistan de nuestras costumbres españolas e hablan la lengua castellana, bajo las pensas mas rigurosas y justas contra los desobedientes".
Por este bando, los dominadores españoles prentendieron terminar con nuestra memoria colectiva, prohibir nuestra antigua lengua, inhibir nuestras expresionnes populares, liquidar nuestra personalidad nacional.
[238]
Siglos más tarde, otros dominadores provenientes ahora de otras latitudes se apoderaron de nuestras riquezas naturales, de nuestro petróleo, de nuestra azucar, de nuestro cobre, de nuestro mar. Y para mejor hacerlo, se apoderaron de nuestra imaginación, controlando nuestros diarios, nuestra televisión, nuestra radio, nuestros medios de comunicación masiva. De este modo, nos ensenaron a ser obedientes, a respetar a los que no trabajan y sin embargo poseen la riqueza, a avergonzarnos de nuestras canciones nativas, de nuestras danzas populares, de la memoria rebelde del pueblo de nuestros sentimientos colectivos. Nos ensenaron entonces a no ser como somos, a esperarlo todo de los que todo tienen, a admirar las maneras, el pensiamento y el modo de ser de los dominadores, a sentir verguenza de ser nosotros mismos.
Todo ello comenzo a terminarse el 3 de octubre de 1968, cuando los hombres del pueblo que visten uniforme los obligaron, por la fuerza, a dejar el poder. Y entonces, el pueblo con uniforme y sin uniforme recuperó el perdido control sobre, nuestro petróleo, sobre nuestras minas, sobre nuestro azúcar, sobre nuestro mar. Y entonces tambien bajo la claridad luminosa de una revolución en marcha, los artesanos continuaron burilando sus mates, los ceramitas modelando la arcilla, los campesinos bailando sus danzas y los juglares expresando el más hondo sufrimiento del pueblo.
Y hoy, como homenaje a la Revolución Peruana en su 5e Aniversario y a su conductor el General de división Juan Velasco Alvarado, todos nos reunimos en INKARI, fiesta popular, en la que nuestro pueblo recobra su perdida identidad nacional, reafirma sus tradiciones culturales y artistícas y expresa una nueva y sentida vision de su cultura.
Esta fiesta popular prueba que no hay cultura nacional sin revolución popular y que no hay revolución nacional sin cultura popular. Nosotros, soldados de la patria y militantes de una revolución independiente, reafirmamos nuestro compromiso con los productores. [239] sociales de la cultura, con los artesanos, intelectuales y artistas, por la generacion y recreación permanente de una cultura hondamente comprometida con el ideal de forjar en el Peru una nueva expresion cultural verdaderamente surgida del alma este pueblo, y auténticamente solidaria, cradora, participante, libertaria y critica. Escuchemos esta noche, por eso, la voz entrañable de nuestra compartida historia nacional. Ella nos convoca y nos reune a todos, en momentos en que los dominadores extranjeros vuelven a provocarnos. Frente a estos ultimos unámonos militantemente en torno a la causa de una patria que insurge victoriosa para reconstruir su realidad y rehacer su historia.
Causachum INCARI
Causachum REVOLUCION
Causachum PERU
[1] Pututo, Journal de l'OBAAQ, No 1, 1979.
[2] M.M. Marzal, Historia de la antropologia indigenista : Mexico y Peru, 1981, Lima, Pontifica Universidad Catolica del Peru, Fondo Editorial.
[3] P. Vayssière, "Le fait et le droit dans la politique indigéniste du Pérou indépendant" in GRAL (ed.) Indianité, Ethnocide, Indigénisme en Amérique Latine, 1982, Toulouse, Éditions CNRS, pp. 53-57.
Th.M. Davies, Indian Integration in Peru, 1974, University of Nebraska Press.
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[4] H. Favre, "Capitalisme et ethnicité" in GRAL (ed.) Indianité, Ethnocide, Indigénisme en Amérique Latine, 1982, op. cit., pp. 79-91.
[5] Pututo, No 1, Noviembre 1979.
[6] G. Bonfil Batalla, "El etnodesarrollo - sus premisas juridicas, politicas y de organizacion", Reunion de expertos sobre Etnodesarrollo y etnocidio en America Latina, FLACSO, San José (Costa Rica), 7-11 diciembre 1981 (Informe Final p. 8).
[7] Runacuna : mot quechua servant à l'auto-désignation. Misti : mot utilisé par les quechuas et aymaras pour désigner dans les Andes le seigneur, le grand propriétaire (Voir à ce sujet l'article de Rodrigo Montoya, "Identités ethniques et luttes agraires dans les Andes Péruviennes" in De l'empreinte à l'emprise (Coll.), 1982, Paris, PUF, pp. 269-300). Par extension "misti" désigne à Lima le bourgeois, le dominant.
[8] C. Franco, Peru : Participacion Popular, 1979, Lima, CEDEP.
[9] F. Guerra Garcia, "Politica e identidad nacional" in Peru : Identidad Nacional (Coll.), 1979, Lima, CEDEP, pp. 305-364.
[10] E.H. Epstein, "Revolutionary politics and indian peasant mobilization in the Peruvian Highlands" in J.A. Ross and A. Baker Cottrel (eds) The mobilization of collective identity, 1980, University Press of America, pp. 31-63.
[11] F. Morin, "Indien, Indigénisme, Indianité", 1982, Op. cit.
[12] C. Franco, Peru : Participacion Popular, 1979, op. cit., p. 32.
[13] C. Franco, op. cit., p. 43-44.
[14] C. Franco, op. cit., p. 27.
[15] F. Guerra Garcia, "Politica e identidad nacional", 1979 op. cit.
[16] Ch. Gros, "Partis de gauche, idéologie nationale et mouvements indiens d'Amérique Latine : quelques reflexions", Table Ronde "Minorités, Revendication d'Identité Ethnique, Mouvements Nationalistes, Congrès AFA, Novembre 1981, Paris, en cours de publication dans Pluriel, 1983.
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[24] De nombreux articles ont été publiés dans Ethnic and Racial Studies et Ethnicty.
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[29] W. Mangin, 1973, op. cit., pp. 321-22.
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[33] N. Schiller, "Ethnic groups are made, not born the Haitian immigrant and American politics", EthnicEncounters Identities and Contexts, (G. Hicks, P. Leis eds.) 1977, North Scituate, Duxbury Press, pp. 23-35.
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[35] B. Cavailles, Être Aymara aujourd'hui : migration et clubs régionaux, 1982, Thèse, Université Toulouse Le Mirail.
[36] Ch. Coulon, "Le Contr'Un Occitan", Autrement, 1980, No 25, pp. 87-99.
[37] P. Clastres, La société contre 1'État, 1974, Paris, Editions de Minuit.
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