Serge MOSCOVICI (1925- )
Directeur du Laboratoire Européen de Psychologie Sociale (LEPS)
Maison des sciences de l'homme (MSH), Paris
auteur de nombreux ouvrages en histoire des sciences,
en psychologie sociale et politique.
“Modernité, sociétés vécues
et sociétés conçues”.
Un article publié dans Penser le sujet. Autour d'Alain Touraine. Colloque de Cerisy sous la direction de François Dubet et Michel Wierviorka, pp. 57-72. Paris : Librairie Arthème Fayard, 1995, 633 pp.
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- II
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I
Pourquoi le titre qui s'est présenté à moi spontanément pour cette conférence peut-il surprendre certains d'entre vous, qu'ils y aient ou non reconnu la référence à un travail publié naguère [1] ? Parce que vous pressentez que je vous parlerai, en fait, de la modernité en tant que chiasme de la connaissance à travers la croyance, si je puis avoir recours à un lexique aussi « rétro »dans le paysage de ces journées.
Avant de commencer vraiment mon exposé, il me faut dire l'impression forte que m'a laissée, dans le dernier livre de Touraine, sa vision d'un permanent retour de la déchirure entre rationalisation et subjectivation, vision au cœur de laquelle flamboie une protestation contre la raison moderne, et aussi affirmation passionnée du subjectif Elle nous rappelle qu'une société n'agence pas seulement des pouvoirs, des institutions ou des actes. C'est aussi un assemblage précaire d'êtres en chair et en os, cherchant à briser les barrières qui les isolent et les bornent. Ainsi, quand la vie en commun est pleine et calme, règnent la stabilité et la sécurité grâce à une raison qui prévoit et justifie tout, à condition que les individus consentent à suivre ses principes. La subjectivation n'est pas encore nécessaire à ce stade. Elle le devient lorsque éruptions et convulsions remuent cette vie en profondeur, lorsque la raison entre en crise. Il devient alors nécessaire de croire à quelque chose, puisque l'image unitaire et confiante du monde se fragmente et que l'on éprouve une inquiétude croissante à propos de la société où l'on vit et de ce qui s'étend au-delà.
Puisque l'existence de chacun se dérobe aux schèmes et aux règles qui la maîtrisaient, il faut faire retour vers l'abri du corps : c'est le moment privilégié de la subjectivation. Elle procure l'inspiration et la fermeté qui permettent d'évoluer face aux désirs et aux craintes que la société suscite sans parvenir ni à conjurer les secondes, ni à rassasier les premiers. Cependant, dans la culture moderne - si j'ai bien compris Touraine -, la subjectivité demeure un succédané passager de la rationalité. Le reflux vers la réalité, illustré par la fameuse cage d'acier, signifie toujours une décompression brutale ; la preuve que nous sommes devenus moins humains que nous n'avions commencé à l'être.
Or, en m'imprégnant de cette vision d'une déchirure de la rationalisation et de la subjectivation, qui traverse de nombreux champs de la pensée, j'ai eu tout à coup l'impression qu'elle laisse néanmoins de côté, et presque dans l'obscurité, les concepts qui y ont été engagés par la sociologie elle-même. Est-ce une impression juste ? En tout cas, je voudrais revenir sur ces concepts qui participent au travail de rationalisation et subjectivation, pour continuer une réflexion dans l'optique même de Touraine. Sans doute me faudra-t-il le faire avec l'idée négative que tout ce qui va suivre vous est familier, et que la seule chose que je puisse espérer est d'y introduire un soupçon de clarté.
Je veux dire, jeter un soupçon de clarté sur l'animal irrationale qui hante les deux figures de la modernité. Ou peut-être sur la modernité, sinon sur la sociologie elle-même en tant que thérapie de l'irrationalité humaine. Que faire de l'animal irrationale ? Telle est, à mon avis, la seule question sérieuse qui s'est posée à l'homme moderne en quête de justification, chaque fois qu'il s'est aventuré au-delà de l'individu pour réfléchir sur sa société. Question que Daniel Bell a formulée de manière spécifique, en disant que « le vrai problème de la modernité est le problème de la croyance ».
Abordons donc ce problème de façon aussi sobre que possible, afin de mieux en apercevoir les motifs et les conséquences. Eu égard à sa difficulté, j'ai proposé naguère de distinguer entre sociétés vécues et sociétés conçues. Comme toute distinction, celle-ci a quelque chose d'arbitraire. Ce qui ne l'est pas, c'est que les sociétés conçues veulent se fonder exclusivement sur la connaissance - rationnelle, empirique, dialectique, peu importe -, donc une connaissance autonome, partant de l'observation et de l'inférence, à l'abri de toute idée et de toute pratique fondées sur la croyance. Elles se profilent en même temps que la théorie de la connaissance acquiert son autonomie [2] au sein de la philosophie et que la science étend ses méthodes dans les domaines religieux et politique des États réorganisés sous forme de nations. Habermas peut, à juste titre, associer l'émergence de ces sociétés et l'autonomie de la connaissance en écrivant que « dans le concept kantien d'une raison formelle et différenciée en soi se trouve la trame de la modernité ». Mais ce n'est pas la seule. La théorie de la connaissance de Hume, de Comte ou de Hegel recèle d'autres trames.
Une chose est certaine : les sociétés conçues s'instituent de manière à satisfaire aux conditions qui rendent la connaissance possible, car leurs rapports et leur destin historiques en dépendent. Elles substituent les catégories du vrai et du faux à celles du bien et du mal, du sacré et du profane, pour justifier la solidarité humaine. Dans ces sociétés,, rien n'est légitime pour le seul motif qu'il s'agit d'une chose partagée, que nous y sommes accoutumés ou que nous la considérons comme sacrée. Seul a droit de cité ce qui est démontré à partir de principes fermes ou validés par le calcul. Souvenez-vous du mot de Condorcet : « Prouvez et nous croirons. » Bref, lorsque nous cherchons une solution aux difficultés de ces sociétés, il faut savoir selon quelle méthode on la cherche., discuter nos principes, critiquer notre critique au préalable de l'agir. Car agir de manière rationnelle, au sens général, c'est agir en se fondant sur une connaissance. En l'occurrence, la démarche consiste à proposer une société idéale, modèle de la société réelle, incorporant les procédés formels, portant sur des informations précises et garantis libres de toute supposition métaphysique. L'action politique ou historique repose dès lors sur des fondations sures, puisque les énoncés des problèmes sont formulés au sein de cette société idéale. Si elle est vraie, elle est, par nécessité, bonne et juste. Ce pour quoi on peut en corriger les erreurs - la notion d'erreur historique est fabuleuse ! -comme le soutiennent le marxisme et le libéralisme.
Si vous y réfléchissez, vous voyez que la conclusion radicale que l'on pourrait tirer de cette vision est que les problèmes épistémologiques sont des problèmes sociaux ou politiques. Et on n'a pas manqué de la tirer. On soutient que les civilisations qui n'ont pas accédé ou n'accèdent pas à cette autonomie de la connaissance perdent le droit à un mode de vie et de pensée propre et que les rapports avec elles doivent s'établir en conséquence. N'avons-nous pas vu, en ce siècle même, des hommes et des partis condamnés au cours de débats sur la vraie connaissance - la dialectique, la rationalité instrumentale -, avec ses icônes, ses saintes écritures, comme d'autres le furent jadis au cours de querelles sur ce qu'est la vraie religion ?
II
On comprend sans peine pourquoi, dans le livre de Touraine, Descartes apparaît emblématique de la modernité. Il a tracé la voie de cette autonomie de la connaissance et, comme le fit remarquer Popper, substitue à l'autorité d'Aristote ou de la Bible l'autorité de la raison. Dans les pages admirables du Discours et des Méditations, le plus lucide des penseurs commence par refuser tout ce qui faisait la matière de ses attachements vécus et de ses croyances, tout ce qui est produit et admis collectivement. Afin de nous dévoiler ensuite que cette connaissance, qui n'affirme rien qu'à bon escient, pourra tout se donner, à condition de se libérer des exemples et des coutumes, du sens commun que partage une société tout entière et qu'appuient ses institutions. Supérieur est donc le point de vue de l'individu qui seul pense et pense seul : « Nous sommes par cela seul que nous pensons », écrit Descartes. Donc que nous vivons à l'écart des pressions de la collectivité habitée, quant à elle, par le fonds irrationnel hérité du passé, son malin génie, qui « emploie toute son énergie » à tromper. Ainsi la fonction millénaire de la croyance s'avère n'engendrer dans l'humanité rien d'autre qu'erreurs et illusions, enracinées dans le sous-monde de la culture. Alors débute l'ère de l'incroyance -n'est-ce pas le véritable sens de la rationalisation ? - dont le mot d'ordre, depuis Voltaire, est : « N'en croyez rien ! » Que ce soit bien là l'intention cartésienne, la réplique douloureuse de Pascal l'atteste : « Le croire est important. »
Si vous jugez cette description trop obscure ou trop simple, j'aurai du mal à me défendre et j'avouerai volontiers que je me suis fourvoyé. je m'efforçais seulement d'esquisser, en raccourci, la matrice dans laquelle vont s'inscrire, depuis le Discours inaugural de notre époque moderne, les figures de l'animal irrationale. On peut supposer que, bien davantage que l'instinct, l'émotion, ou la confusion des désirs avec la réalité, c'est le croire qui le marque et le distingue dans notre histoire.
Ferrarotti dit à juste titre : « Le destin de la raison est donc au centre de la recherche sociologique, il constitue son intérêt fondamental [3]. » En ce sens, toute théorie sociologique se veut en même temps une généalogie de la raison et de l'élimination de ce qui lui fait obstacle., de ce qui en est l'inversion ou la perversion exprimée par des concepts. Et, en particulier, les plus significatifs, ceux de magie et d'idéologie qui irriguent cette irrationalité dont la modernité ambitionne de nous guérir.
je ne sais pas si beaucoup d'entre vous lisent encore Le Rameau d'or de Frazer, ce recueil de superstitions extravagantes, ce florilège de bizarreries de la pensée humaine. Il établit cependant la magie comme une donnée fondamentale de notre histoire, celle des primitifs mais aussi de la majorité des hommes civilisés. Il l'analyse en montrant que les esprits qui s'adonnent à la magie utilisent deux principes d'association d'idées. L'un dit, par exemple, que le semblable produit le semblable, ou que l'effet ressemble à sa cause. L'autre, qu'une fois qu'elles ont été en contact, les choses continuent à agir l'une sur l'autre, même lorsqu'on les sépare de nouveau. C'est faute de savoir les appliquer correctement que naissent les confusions d'idées et les pratiques incongrues, ruinant les prétentions à la toute-puissance de la magie qui règnent dans les sociétés primitives et les couches populaires des nôtres.
N'oublions pas toutefois que Frazer dessine une évolution. Elle a pour première phase la magie, relayée ensuite par la religion qui reste sous le charme de ses rituels et de ses cultes, et enfin, pour dernière phase, la science. Ce sont les moments de cette évolution présupposée par la fameuse généalogie de la rationalité que nous devons à Weber. Nous le savons : pour expliquer le caractère unique du capitalisme moderne, il choisit la religion protestante, significative, selon lui, parce qu'elle abjure et condamne la magie, l'art d'agir sur les choses et les âmes par des moyens extraordinaires. Pour elle, la foi réside bien plus dans l'observance des règles morales et le sacrifice de nos propensions naturelles que dans l'obéissance aux dogmes et la fidélité aux rituels. Elle prépare ainsi les conditions d'une rationalité spécifique de l'économie et du savoir, en se libérant des cérémonies magiques et des règles édictées par l'autorité externe d'une Église. Le sacré ne s'appuie plus sur telle ou telle idée, mais impose l'obligation de respecter certaines propriétés formelles de toutes les idées.
En d'autres termes, la rationalisation n'appelle pas le dégagement de toute religion, comme pour Marx et Freud, mais seulement des religions « magiques ». Weber montre ainsi que les fondations d'une société conçue ont beau ne pas être scientifiques, toutefois leur sens, à travers l'ordonnance, le calcul et la séparation des moyens et des fins, implique l'ascension de la rationalité, donc celle de la science moderne. Si, aujourd'hui encore, on répète la formule « démagification du monde », il faut l'entendre au sens littéral et non pas l'assimiler à un vague enchantement métaphorique. D'autant plus que, une fois la magie évacuée, la rationalisation capitaliste amène la religion à s'évaporer. Elle nous fait accéder à la troisième phase de l'évolution dessinée par Frazer, celle de la science et de la technique qui, au lieu de nous libérer, sont devenues notre cage d'acier.
Quoique mieux averti des phénomènes anthropologiques, Habermas adopte un schème analogue concernant les bizarres déclarations des cultures lointaines, les formes de la pensée mythique, et assimile les rituels à la magie. Il suppose que le critère de la rationalité est de pouvoir les éclairer et les déraciner pour accomplir les tâches de la société moderne. Je n'ai pas à en juger ici, mais vous comprenez que c'est essentiellement par l'élimination de l'animal irrationale, dont la magie renvoie l'image, qu'est justifiée l'alliance de l'économie capitaliste et d'une rationalité spécifique à l'Occident, qui ne se serait réalisée qu'une fois dans l'histoire.
Il me faut cependant avouer que ces terribles anathèmes lancés contre la magie et le mythe par les admirables expressions « démagification du monde » ou « guerre des dieux » paraissent bénins, et surtout bons à dire. Ce sont presque des formules incantatoires, colorées par la nostalgie d'un monde en train de se dissoudre. Elles n'ont jamais fait de mal à une mouche. Tout au plus, comme aurait dit Schopenhauer, aident-elles à « rendormir plus profondément le dormeur ». Alors que le deuxième concept que je vais évoquer est, lui et ses anathèmes, un vrai killer. Et toutes les entreprises de toilettage que l'on voit aujourd'hui, de gauche à droite, n'effacent pas ce fait d'expérience.
L'idéologie, de toute évidence, a en effet le pouvoir de stigmatiser, et nul ne peut en parler sans avoir présent à l'esprit son poids dans le discours public. D'emblée, on présume qu'elle est une affaire d'erreur et de fausseté, d'illusion et de représentation erronée d'une action et d'un groupe. Ricœur résume bien une opinion générale en disant que « l'idéologie est l'erreur qui nous fait prendre l'image pour la réalité, le reflet pour l'original ». je n'ignore pas plus que vous que le concept nous ramène sans cesse aux jeunes hégéliens, à leur attitude critique vis-à-vis de tout donné, de tout préjugé hérité. Marx épouse leur attitude et leur aspiration à une théorie universelle du processus historique.
Cela étant, je crois que l'origine véritable du concept se trouve dans l'idée que la science, donc la rationalité, ne peut s'épanouir qu'aux dépens de la religion. Aux yeux de Marx, celle-ci n'est pas seulement un contenu de l'idéologie, mais l'idéologie par excellence. Il me semble donc qu'il faut en comprendre le sens à partir de la distinction qu'opère Hegel entre une religion déterminée, celle d'un groupe, d'une ethnie, et une religion absolue ou, pour faire image, entre le judaïsme et le christianisme. On a ainsi quelques raisons de penser l'idéologie comme un savoir déterminé, lié à une classe, à un lieu et à un temps, et qui, propulsé par l'Ausbreitungssrucht, l'appétit d'expansion, se projette au-delà de ses limites pour apparaître comme un savoir absolu, voire universel. Ainsi s'opère un déplacement qui transforme une vérité déterminée en erreur indéterminée. Et fait apparaître comme une conclusion valable pour tous ce qui n'est en réalité que le présupposé d'un groupe particulier. De la pseudo-science, disait-on il y a peu.
Tout bien considéré, l'idéologie est moins une inversion du ciel et de la terre, une distorsion de la vérité, qu'une extension de la partie qui simule le tout, du singulier camouflé en universel. Pour mieux dire, c'est une pensée mimétique - imitation de la science, imitation de l'art, imitation de la religion. Bref un Doppelgänger de tout savoir : pouvons-nous dire une folie idéologique ? En tout cas, son empire ne s'expliquerait pas, me semble-t-il, si elle n'offrait pas un triple avantage : pensée non rationnelle, elle reproduit les formes d'une pensée rationnelle ; elle donne l'illusion d'une vision totale ; elle permet de communiquer sans entraves, et n'importe quoi - idées, valeurs, pratiques -, comme des textes qui peuvent se glisser dans n'importe quel contexte. En vérité, l'idéologie figure l'animal irrationale comme un grand automate mental, semblable à un automate hypnotique qui reproduit les actions et les idées d'un autre comme si c'étaient ses idées et ses actions propres.
J'abrège. Pour Marx, cet automate mental n'est pas, comme pour Weber, sous l'influence de la magie mais de la religion. C'est elle qu'il dénonce comme obstacle à toute modernité, à toute sortie de la préhistoire. Et la tâche de la science, comme celle du parti qui s'y appuie, est de faire que l'idéologie perde son soutien, en éliminant copies et contrefaçons pour ne garder que l'original de la raison. C'est la fonction de la critique marxiste des formes aliénées de la conscience, en particulier de la conscience religieuse qui imprègne toute la vie mentale et morale des hommes et des femmes, surtout dans les classes opprimées. Oui, tous les penseurs marxistes, y compris Lénine et Gramsci, jugent de manière défavorable les connaissances sociales acquises directement et transmises de génération en génération par la majorité des individus. Ce qui fait écrire à l'historien Parkin qu'ils impliquent #in the most oblique and scholarly manner that the proletariat [is] suffering from a kind of collective brain damage ». Je ne dis pas, notez-le bien, qu'ils expriment toujours une vision péjorative, mais que l'association entre idéologie et religion conduit à dévaloriser les croyances communes, la science devenant alors une thérapie de l'idéologie des classes.
Sans insister davantage sur ce que vous connaissez bien, disons simplement que cette famille de concepts - magie, idéologie - joue dans la théorie de la modernité un rôle analogue à celui des pulsions inconscientes dans la théorie des névroses et à celui des biais dans la théorie cognitive. Rien d'étonnant, donc, si, pour mériter son nom, la rationalité les dévalorise tandis que la subjectivité (ou l'intersubjectivité) les revalorise. Mais cela dans la figure de la modernité, où la seconde apparaît comme le revers, Kehrseite, de la première.
Quoi qu'il en soit, il est certain que notre vision post-moderne reprend, pour l'essentiel, nombre de traits que l'on reconnaissait autrefois à l'anti-modernité. En fait, la critique de la modernité s'est élargie jusqu'à mettre en question la rationalité elle-même. -Plutôt que la démocratie et le progrès, on suggère qu'elle engendre la bureaucratie et la répression. Elle ne génère ni connaissance, ni liberté. Elle n'a pas pour alliées la science ou la technologie afin de comprimer la magie ou l'idéologie, puisque science et technologie elles-mêmes viennent d'être reléguées dans le purgatoire des idéologies. À coup sûr, il s'est récemment produit un événement d'importance pour déplacer la raison du carré objectif au carré subjectif et, à cet effet, substituer à la notion « négative » d'idéologie une notion « positive », ayant une signification locale ou « franchement ethnocentrique », pour reprendre une expression de Rorty -celle dont la valeur de connaissance se fonde sur la négociation entre « gens civilisés ». Et la critique de l'idéologie se mue ainsi en une idéologie de la critique, ayant pour but d'assurer la communication réflexive et la démission du pouvoir.
À vrai dire, on ne sait pas qui fait ces choix, les mass media ou les universités. Mais on sait quelles sont les idées-forces de cette connaissance post-moderne, le sensus communis, la communauté des sujets avec eux-mêmes et les autres qui a le droit de juger, en matière de rationalité, selon ses propres lumières, et l'herméneutique du monde de la vie. Dans cet esprit, Alistair MacIntyre nous demande de regarder ce qu'il y a derrière les questions de connaissance rationnelle et de nous poser la question : en chaque situation, quelle conception de la rationalité est opérationnelle ? On sourira de ce tableau d'oppositions frustes. Cependant, au fur et à mesure que le scandale du post-moderne s'estompe, on saisit que son problème est celui de la connaissance - disons scientifico-technique, mais pas seulement - de même que celui de la modernité était le problème de la croyance. Cependant, à travers ces oppositions, je veux aussi indiquer que l'oscillation entre la rationalisation moderne et la subjectivation moderne autour de l'animal irrationale se produit dans le même cadre des sociétés conçues. Et l'on ne change pas de cadre parce qu'on change de sens. Sans doute est-ce là la raison pour laquelle, Lyotard l'évoquait récemment, on ne peut les identifier comme des unités historiques circonscrites.
III
Je voudrais suggérer, idée un peu rétive, qu'un concept clé ouvre sur une autre vision, même s'il est fortement marginal parmi nous, sauf en psychologie sociale et anthropologie. Pour autant qu'il perturbe l'apologie de la modernité en faveur des sociétés conçues, il a plus d'affinités avec les sociétés vécues -celles qui maintiennent une continuité entre leurs savoirs et leurs croyances, ritualisent leurs institutions en passions communes. Ce qui leur importe, à coup sûr, c'est de générer de tels savoirs pour élargir le champ des croyances religieuses et mythiques qui assurent l'unité et permettent à chacun de leurs membres d'y participer. Elles ressentent la volonté de créer des idées vivantes, au sens où l'entendait William James, afin d'éviter l'insatisfaction radicale qu'observe Wittgenstein lorsque la forme du jugement et de l'action se détache du contexte vécu pour s'exprimer seulement en pensées et en phrases. Sans doute la teneur des savoirs, des langages, les formes de raisonnement varient-elles d'une société à l'autre ; mais ce qui persiste, c'est leur valeur de conviction et d'action collectives. « En matière de croyance, disait Goethe, tout revient à croire, et ce que l'on croit n'a pas d'importance. » Comme de juste, c'est le sens même du concept, fondamental à mon avis, de représentations sociales ou collectives, dont la sociologie ne fait guère usage, tant il prend à contre-poil les discours convenus sur l'animal irrationale.
Quoique j'aie essayé de bâtir une théorie à partir de ce concept, je m'en tiens pour aujourd'hui aux thèses liminaires de Durkheim. De toute évidence, l'animal irrationale marqué par la magie et l'idéologie est l'homme collectif, la masse humaine. Or, selon Durkheim, si les croyances, religieuses ou autres, de tous les peuples sont des illusions ou des erreurs, en ne comprend pas pourquoi ils en seraient à la fois les artisans et les dupes. En outre, si les croyances sont uniformes et stables, elles doivent résulter d'une pensée collective. A travers sa critique de Hume et de Kant, il vise Descartes quand il affirme que la seule façon d'expliquer pourquoi nos associations d'idées sont régulières et pourquoi nous sommes obligés d'admettre les catégories de causalité, de force, c'est d'admettre la contrainte d'une représentation collective, oeuvre de la communauté et qui s'impose à chacun de ses membres de manière impersonnelle. On ne saurait donc commencer au degré zéro de la connaissance et faire table rase des exemples et des coutumes. Car c'est par eux, par leur rituel, que la société transmet les représentations collectives qui ont toutes les qualités de stabilité et de généralité d'un concept. La rationalité ne se manifeste donc pas seulement au terme de l'évolution, dans notre société moderne, elle est implicitement présente dès le départ, au cœur des croyances et des rituels des religions primitives. Les hommes vivent dans un clan, une société déterminée ; et leurs croyances, prenant appui sur un fonds conceptuel au sujet duquel ils s'accordent, animent leurs institutions et les consolident. Donc il n'y a rien de moderne dans la rationalité,, même s'il y a une rationalité moderne. Car, écrit Durkheim, « un homme qui ne penserait pas par concepts ne serait pas un homme ; car ce ne serait pas un être social ». Si animal irrationale il y a, ce ne peut être que l'individu détaché de son groupe, en état d'apathie, lorsque la représentation sociale relâche sa contrainte.
Or ce concept de représentation sociale devient à la fois sulfureux et fécond quand il ruine le postulat selon lequel il existe des sociétés et des cultures moins rationnelles que d'autres, à l'instar des fameux animaux d'Orwell moins égaux que d'autres. Il élimine la référence à un critère absolu de jugement, d'une part, et à une validation externe, de l'autre. Vous saisissez pourquoi ; les représentations sociales ne sont pas les reflets subjectifs ou les superstructures d'un ordre social qui aurait une existence physique ou économique indépendante. Bien plutôt elles sont parties constitutives de cet ordre en classant, en donnant un sens et une valeur aux actions sur le monde. En somme, la réalité d'une société ou d'une culture, pour paraphraser Hilary Putnam, n'est pas indépendante de la représentation que partagent ses membres. Et puisqu'elles diffèrent grandement d'une société ou d'une culture à l'autre - le plus grand écart apparaissant entre les sociétés traditionnelles et les sociétés modernes, on n'ose plus dire civilisées - la façon dont ailleurs les hommes se comprennent, communiquent, agissent est par nécessité différente, voire opposée à la manière dont nous le faisons. Non parce qu'ils sont incapables de penser d'une manière impersonnelle et sont non rationnels, mais parce que leurs représentations - que Lévy-Bruhl nommait mystiques -sont incompatibles avec nos représentations scientifiques. Les unes et les autres étant aussi incommensurables entre elles que les paradigmes de Kuhn, et pour des motifs analogues. Mais, du fait qu'ils sont incommensurables, vous n'en déduisez Pas qu'un paradigme est moins scientifique qu'un autre. Il en va de même de la rationalité des cultures et des représentations qu'elles partagent et sur lesquelles se fonde leur vie. Que, sous sa forme classique, cette notion et sa vision du rapport entre croire et connaître demeurent insatisfaisantes, je l'admets. Mais le récent verdict de Gellner me paraît juste : « On ne dispose pas d'une meilleure théorie. »
Nous hésiterons donc à dire : la société moderne a le monopole de la rationalité. Tout au plus peut-on affirmer qu'elle a le monopole d'une rationalité singulière. De même, on ne soutiendra pas que les notions d'idéologie ou de magie expriment quelque chose de fécond dans la mesure où elles supposent qu'il a fallu se débarrasser d'un fatras de savoirs empiriques, de croyances illusoires, pour acquérir cette rationalité singulière qui abat le couperet sur les temps passés tout en gémissant sur le temps présent. Nous avons simplement changé de rationalité, comme font les scientifiques quand ils substituent une vision statistique à une vision déterministe des phénomènes.
IV
En guise d'improbable conclusion, je voudrais vous présenter deux observations relatives à la modernité qu'une théorie des représentations sociales nous suggère.
D'une part, il est clair, même pour l'ignorant que je suis, que les questions de modernité touchent aujourd'hui un nerf sensible, du fait qu'elles se changent aussitôt en questions angoissées sur notre destin. Il nous est cependant devenu plus difficile qu'autrefois de découvrir, sous les strates d'images superposées, celle qui, comme la statue du Commandeur, provoque un tel frémissement. Sans doute est-ce toujours l'image de l'homme rationnel dont la maîtrise de lui-même au moyen de la nature et la prévision scientifique de l'avenir expriment le projet d'une société vraie. Malgré les humeurs mélancoliques de l'époque, ceux qui ont le pouvoir, en parlant de globalisation, de libre-échange, de démocratie de marché, évoquent les diverses manières de réaliser ce projet et de rectifier la modernité. L'étonnant est que, dans les sciences sociales, il est fort peu question des formes de pensée qui le concernent, même dans le discours public. Toutefois, si vous m'avez suivi jusqu'ici, vous percevez une opposition profonde entre une pensée stigmatique et une pensée symbolique visant à donner un sens à la modernité.
En peu de mots. la pensée stigmatique sépare la modernité de tout le reste, comme un événement unique en Europe, ainsi Weber, ou dans l'histoire, ainsi Marx. Cette séparation est constitutive du mouvement social qui veut dégager la société rationnelle sous-jacente aux autres sociétés, comme la vérité cachée derrière l'apparence des choses, des institutions. Ceux qui impulsent ce mouvement, en vertu d'un savoir précis, sauraient aussi le guider vers la conscience de soi, vers celle d'un but et du monde social tel qu'il est et non pas tel qu'il nous trompe. Oui, la pensée est stigmatique et, au sens strict, presque diabolique, pour autant qu'elle vise à briser les « symboles » qui nous lient les uns aux autres, et nos oeuvres par là même. Vous pouvez énumérer les étapes : connaissance séparée de la croyance, progrès coupé de la tradition, histoire sevrée de la préhistoire, science disjointe de la conscience commune, etc. Pour cette pensée, la rationalisation consiste en une série d'expulsions des seconds termes au profit des premiers, en une répudiation de la subjectivité individuelle et de l'intersubjectivité collective. Et les figures de l'irrationalité, magie ou idéologie, diabolisent en quelque sorte tout ce que l'on se prépare à exclure, à condamner comme restes inadéquats ou stades préliminaires de la modernité. Au même titre que les peuples, les sacralités n'ont plus de terre promise. je pense que l'on peut parler d'une rationalité obtenue par des négations successives de sociabilités vivantes et dont les stigmates sont dénoncés au cours de la glaciation progressive des valeurs et des sentiments collectifs - afin qu'on puisse en faire la théorie, bien entendu, mais aussi prononcer le verdict qui les condamne à la mort ou au désert. Je serais curieux de savoir s'il existe une autre époque dans l'histoire de la culture aussi marquée que la nôtre par la volonté d'une mort annoncée - mort de Dieu, mort du sujet, mort de l'homme, mort de l'histoire, et ainsi de suite.
Quant à la pensée symbolique, elle nous rappelle qu'une oeuvre humaine, une culture, même à bout de souffle, conserve sa valeur à titre de tessera, de geste de reconnaissance et de lien. Dans la mesure où elles visent à restituer une qualité de raison aux religions, aux croyances magiques, aux cultures dites primitives, aux savoirs populaires, la notion, puis la théorie des représentations sociales donnent un sens à ce geste de reconnaissance et de lien. Elles présupposent que l'idée selon laquelle, en procédant à toutes ces séparations, nous pouvons faire « place nette » et prendre un nouveau départ, un départ moderne, est une vue trop simple de la rationalisation, et de plus ruineuse pour notre société. Au contraire, c'est en renonçant à faire place nette que l'on parvient à traduire la science en une croyance et un sens commun partagés, à transformer les structures actuelles de la raison en une seconde nature, inconsciente, susceptible d'agir comme des passions collectives et des normes morales.
Oui, la modernité signifie à toute société tard venue de compléter le monde qui la précède et de déployer l'éventail des possibilités humaines. Elle peut se vouloir neuve, mais ne l'est pas vraiment et ne peut subsister que si elle rétablit une alliance suspendue avec les autres, si elle tire une énergie du rayonnement qui émane du big bang initial. De ce point de vue, la rationalisation apparaît comme une suite d'inclusions des savoirs et des croyances éclos au cours de l'histoire pour leur donner une autre valeur et une autre motivation. C'est donc en priorité un travail symbolique des hommes en société, ayant pour vocation d'expliquer les choses de façon rigoureuse et de les interpréter pour leur conférer un sens. À cette seule condition, elle prépare les hommes à vivre ou à oeuvrer sous l'impératif de la déchirante ascèse qu'exigent d'eux l'individuation et la complexité croissante de tout ce qui les environne. Comme l'a écrit il y a peu le sociologue Peacock : la modernité signifie « la conscience plutôt que la condition d'être moderne ».
Bien entendu, la pensée stigmatique et la pensée symbolique ne sont pas aussi sommaires que l'esquisse que j'en trace, faute de temps. Mais je soutiens qu'elles expriment l'alternative en matière d'attitudes, de langage, d'action, de mentalité, voire de sentiments intimes accompagnant la modernité. Ce sont les deux voies qu'elle aurait pu prendre, mais l'une seulement a prédominé de bout en bout. Et, pour ne pas rester dans le vague, quant aux sciences sociales, il me semble que l'on peut associer la première aux noms de Weber et de Marx, la seconde à ceux de Durkheim et Simmel [4]. En remontant plus haut, on en aperçoit l'épure chez Descartes pour l'une et chez Pascal pour l'autre. On peut néanmoins se demander pourquoi la France et même l'Europe ont choisi une de ces voies vers la modernité au détriment de l'autre. Et je n'hésiterai pas à définir la tendance post-moderne comme une des tentatives de remettre en question le caractère définitif de ce choix.
Il n'est pas dans mon intention de me laisser entraîner dans un monde de débats dont vous n'ignorez pas l'importance. Mais, au risque d'apparaître provocateur, je n'ai pu m'empêcher d'exprimer le peu de bien qu'on peut attendre de la ligne de pensée dont sont issus les concepts de magie, d'idéologie et de rationalité instrumentale. je vous en ai suggéré une autre, à mes yeux plus cohérente et féconde au regard de notre anthropologie. A suivre cette ligne, on pose un autre regard sur la tragédie de notre culture qu'a si bien comprise Simmel. Pour lui, elle serait due au fait que la science, la technique, les arts, engendrés par l'élan de l'action humaine en quête de maturité et de perfection, ont perdu peu à peu leur rapport à leurs propres créations et leurs fins intellectuelles - cela en raison même de leur réussite, peuplant ainsi la culture d'êtres étranges, impersonnels, autonomes, menaçants par leur extranéité et incompatibilité avec les formes de vie personnelles. Ainsi notre force créatrice, en particulier dans les sciences et les techniques, révèle en même temps une impuissance glacée.
Que doit-on en penser ? Nous sentons bien, par simple introspection, que ces réflexions sont en accord avec notre expérience. Et pourtant il nous faut admettre que la tragédie exprime en profondeur davantage notre impuissance à transformer le monde de nos connaissances, porteuses de vérités, en monde de nos croyances, porteuses de valeurs. Une scission atteste ce fait : notre existence repose d'un côté sur des savoirs, des pratiques, des langages qui ont une origine et, de l'autre, sur des symboles, des convictions et des idéaux qui en ont une autre. Concrètement : d'un côté nous nous appuyons sur les énergies de la science, de la technique ou de l'économie, de l'autre sur les valeurs de la nation ou de la religion, voire d'un mythe rémanent comme celui de la race. Et il nous est tout aussi impossible de les harmoniser entre elles que de les opposer par la médiation des structures de la société, comme en témoigne la violence généralisée aujourd'hui.
Certains estiment pouvoir y parvenir grâce à une pensée critique, une communication transparente ou une déconstruction radicale des présupposés de la science, de la technique ou de l'économie. La plupart cependant attendent une issue de la recherche d'une identité salvatrice, alors que la cause en est bien cette scission due à notre oubli de l'art immémorial qui permet de doter nos connaissances d'une force propre de croyance, l'art de transformer nos actions en valeurs, nos idées en convictions « fermes et consistantes », comme le disait Hume, de faire surgir de notre raison une foi collective manifestant le contenu de notre vie et de nos institutions. Une foi qui change notre société elle-même en un fonds de croyance destiné à servir, écrivait Simmel, « comme jadis l'idée de Dieu, de réceptacle canalisant les perceptions multiples des réalités fondamentales et des nonnes idéales ».
Faute de quoi, tout, y compris la morale, baigne dans la nostalgie des vertus et des sens perdus, dans ce que les Anglais appellent « émotivisme », et les discours éthico-politiques aussi bien que les mass media ne communiquent plus des informations ou des opinions, mais des émotions. je suis enclin à voir là une des raisons de l'implosion à l'Est, dans la mesure où les idées socialistes sont restées encloses dans la sphère d'une idéologie scientifique, sans force de conviction et d'emprise sur le sens ordinaire de la vie en commun. Ce que redoutait Lénine lorsqu'il pressentait qu'« il ne faut pas tenir pour réalité que ce qui entre dans la vie culturelle, dans les mœurs, dans les coutumes ». Or rien n'est plus évident, car si la croyance ne régit pas la connaissance de la réalité, elle seule donne une réalité à la connaissance.
Mais, encore une fois, souvenez-vous de la formule de Goethe, qui est aussi celle de Pascal : la croyance ne dépend pas d'un contenu particulier, scientifique ou religieux. Toute idée, toute image, tout langage peut en devenir le support lorsqu'un appel existe ou que l'action le requiert et dont chacun puisse se ire, comme le note Wittgenstein : « Voici ce à quoi je pense out le temps et sur quoi je guide ma vie. » Nous en sommes conscients, la démocratie et la rationalité elles-mêmes seraient moins vulnérables aujourd'hui si elles étaient investies du pouvoir indiscutable d'une foi collective. Sans elle, on ne verra pas se former cette « personnalité démocratique » que Touraine et moi-même appelons de nos vœux.
Je vous sais réticents et vous entends me répliquer que tout cela implique une régression, la croyance étant un préalable, en deçà et non pas au-delà du savoir rationalisé. Mais puisque tout le monde, de nos jours, invoque l'autorité de Freud à propos de la tragédie de notre civilisation ou des malaises de notre raison, permettez-moi d'évoquer, à titre d'argument, sa version du progrès de la spiritualité humaine. Selon lui, le moment initial de ce progrès vise à l'éveil de nos sensations et de nos pulsions ; le moment suivant a pour condition de renoncer aux unes et aux autres en faveur de l'intelligence et du savoir. Mais le dernier moment et le véritable progrès spirituel s'expriment sous la forme mystérieuse de la croyance. À la fois elle marque un des sacrifices de la raison et les hommes voient en elle « une splendide réalisation ». Si nous ne réussissons pas à accomplir ce progrès, à métamorphoser nos sociétés conçues en sociétés vécues, nous continuerons à nous débattre et à nous déchirer sous ce qu'un poète imagine être notre geteilte Himmel, le ciel divisé.
[1] S. Moscovici, La Machine à faire des dieux, Paris, Fayard, 1988.
[2] Id., « Le démon de Simmel », in Sociétés, 37, 1992, p. 215-236.
[3] F. Ferrarotti, Max Weber e il destino della ragione, Rome, Laterza, 1974.
[4] Il est intéressant de noter que la notion de représentation collective n'est même pas évoquée dans les exposés concernant la pensée de Durkheim. Cet effacement s'explique par son « intégration » dans la première vision de la modernité qui ne peut se dispenser des notions de rationalité instrumentale et d'idéologie.
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