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Une POLICE professionnelle
de type communautaire
TOME I
En guise d'introduction: LA PPC
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La police de l’an 2000 que nous développons actuellement est fondée sur une « philosophie d'action » et sur une « stratégie organisationnelle et opérationnelle », qui comportent deux grands volets, soit le volet professionnel et le volet communautaire. Une police professionnelle vise essentiellement à résoudre les problèmes liés à la sécurité publique, notamment en utilisant l’approche en résolution de problèmes. C'est une police d'expertise (Problem-Oriented Policing ou POP, selon le terme américain). Une police communautaire (Community-Oriented Policing ou COP), par ailleurs, résout certains de ces problèmes en partenariat avec les citoyens, au sens large. Ceci inclut les élus politiques, les diverses associations, les groupes de pression, les autres services publics (éducation, emploi, santé, services sociaux, logement, etc.), les autres services publics de justice (tribunal, centres d'accueil et prisons, solutions de rechange communautaires, etc.), et les services privés (les Églises, les organismes communautaires, les bénévoles, les agences de sécurité privée, les gens d'affaires, les journalistes, etc.). Ce partenariat est en quelque sorte le G-7 de la sécurité publique de l'an 2000 !
En fait, l'expression la plus juste est celle d'une police professionnelle de type communautaire (PPC). Ce modèle de police relativement récent, celui des années 90, nous mène à la police de l'an 2000. Déjà un large consensus existe autour de ce modèle et s'exprime publiquement. Par exemple :
- Le Livre vert du Gouvernement du Canada sur la police de l'an 2000 (Normandeau et Leighton, 1990, 1991 ; Solliciteur général du Canada, 1994,1995).
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- Les commissions d'enquête importantes et les politiques sur l'avenir de la police au Québec (Malouf, 1994), en Ontario (1990,1995), au Nouveau-Brunswick (1993), en Colombie Britannique (1990, 1993,1994).
- Les projets d'action (1990-1995) des services de police municipaux de Halifax (1995), Montréal (1995), Laval (1993), Toronto (1990), Calgary (1995), Edmonton (1990,1995) et Vancouver (1995) ; des services de police provinciaux du Québec (1993, 1994) et de l'Ontario (1993) ; ainsi que des projets nationaux de la Gendarmerie royale du Canada (1995).
- Les projets américains d'envergure à New York (McElroy et al, 1993), à Chicago (Skogan, 1993-1996) et ailleurs aux États-Unis (Rosenbaum, 1994 ; Lurigio et Rosenbaum, 1994 ; Peak et Glensor, 1996).
- Le Livre blanc ou l'Énoncé directionnel récent du Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (1995), intitulé : Vers la police de quartier, est un exemple fort révélateur de ce large consensus.
Notre livre vise précisément à tracer les contours du modèle d'une police professionnelle de type communautaire (PPC) les projets concrets, ses avantages et ses désavantages à partir des projets des services de police du Québec et du Canada. Jusqu'ici, nous avons surtout calqué les projets américains. Il était temps de mettre en valeur les projets québécois, tout en jetant un regard sur l'étranger. C'est ainsi que deux chapitres font un bilan du modèle PPC aux États-Unis et en France, même si la majorité des chapitres décrivent la scène québécoise et canadienne.
Le collectif que nous vous présentons est un recueil qui regroupe les textes autour de six thèmes :
- A. La toile de fond : le « G-7 » de la police (André Normandeau ; Gail Young).
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- B. La police professionnelle de type communautaire aux États-Unis et en France (Barbara Jankowski ; George Kelling ; Wesley Skogan ; James Wilson).
- C. Une police d'expertise et la méthode SARA : une stratégie de résolution de problèmes (Christopher Murphy ; Sûreté du Québec ; le bulletin Intersection).
- D. Les leaders dans le domaine de la police professionnelle de type communautaire au Québec et au Canada (Serge Barbeau ; Isabelle Bastien ; Pierre Brien ; Maurice Chalom ; Gilbert Cordeau ; Danielle Cornellier ; Jean De Montigny ; Jacques Duchesneau ; Cari Gauthier ; Mario Lafrance ; Claude La voie ; Donald Loree ; Jean Marc-Aurèle ; Tonita Murray).
- E. La police et la prévention du crime (Louise L. Biron ; Maurice Cusson ; Rachel Grandmaison ; Marc Oui-met ; Pierre Tremblay).
- F. En guise de conclusion : une réflexion critique (Jean-Paul Brodeur) ainsi qu'un bilan de la recherche évaluative et un guide de lecture sur la police professionnelle de type communautaire (André Normandeau).
Trois des textes sont signés personnellement par les directeurs (et leurs associés) des principaux services de police au Québec, soit les directeurs Serge Barbeau (Sûreté du Québec), Jacques Duchesneau (Montréal) et Jean Marc-Aurèle (Laval). C'est un signe évident et un symbole important d'un leadership qui embrasse pleinement le modèle PPC.
Le premier thème, présenté par André Normandeau, définit la toile de fond de la PPC, en retrace brièvement l'évolution historique et esquisse les facilitateurs (néoténie) et les résistances (misonéisme) au changement. Il présente le « G-7 » du modèle PPC, soit les principaux partenaires de la [6] sécurité publique, et soumet un certain nombre d'interrogations professionnelles ainsi que quelques enjeux critiques. Cette toile de fond est complétée par l'article de Gail Young, qui nous donne un aperçu statistique sur la police dans l'ensemble du Canada.
Le thème suivant sur la PPC aux États-Unis et en France est introduit par le texte maintenant célèbre de James Wilson et George Kelling sur la sécurité du voisinage et le phénomène des « vitres cassées ». La fenêtre brisée, c'est le signe du déclin d'un milieu de vie, d'une vie de quartier, et de la prolifération de multiples désordres sociaux que nous appelons à l'occasion des « incivilités ». Il en découle un sentiment d'insécurité profond qui laisse libre cours, encore plus qu'auparavant, au déploiement de la délinquance. C'est ce cercle vicieux que le modèle de police communautaire essaie de maîtriser pour redonner le quartier à ses habitants. Dans cette perspective, Wesley Skogan nous trace le portrait de la PPC aux États-Unis au niveau du concept et de la pratique dans une dizaine de villes ainsi que de son évaluation empirique. Pour sa part, Barbara Jankowski présente la situation en France où l'on parle de « police de proximité ». Elle nous brosse un bref panorama historique et elle fait le bilan de la recherche au sujet de l'îlotage dans les quartiers difficiles.
Le troisième thème traite de la police d'expertise : la méthode SARA. Il s'agit de la partie hautement professionnelle du travail des policiers. En effet, le policier dit communautaire ne peut se contenter de « prendre le café » avec le citoyen ou un bénévole. Il lui faut résoudre un certain nombre de problèmes liés à la sécurité publique. Une expertise en matière de résolution de problèmes doit être développée. L'article de Chris Murphy est un manuel pratique qui explique les différentes étapes d'une méthode de travail bien connue dans le domaine de l'administration et de la gestion : la méthode SARA : étude systématique de la situation ; analyse rigoureuse du problème ; plan d'action en terme de réponse et de solution ; mise au point d'une évaluation empirique des [7] résultats, d'une appréciation de la qualité du plan d'action. Le manuel de Chris Murphy fait partie d'une série de dix manuels pratiques sur différents aspects de la PPC que le ministère du Solliciteur général du Canada a développée à l'intention des policiers et des praticiens. Les deux textes suivants dans ce volet sur la police d'expertise complètent le portrait en présentant le guide pratique de la Sûreté du Québec à ce sujet ainsi qu'une série d'études de cas concrets (en bref) pour illustrer cette approche, série développée par le bulletin Intersection.
Le quatrième thème, probablement le plus important pour l'avenir de la PPC, fait un tour d'horizon de la vision des leaders qui dirigent les principaux projets de PPC en vigueur à la Sûreté du Québec (4 000 à 4 500 policiers), à la Communauté Urbaine de Montréal (4 000 à 4 500 policiers), au Service de police de Laval (400 à 450 policiers) et à la Gendarmerie royale du Canada (15 000 à 16 000 policiers). Ces projets sont présentés à la lumière de la « petite histoire » de la PPC dans chacun des services de police, de leurs principes d'action, de leurs pratiques, d'une certaine évaluation surtout qualitative des résultats, ainsi que d'une vision de l'avenir à court et à moyen terme.
Le cinquième thème élargit le sujet de la PPC au thème de la prévention du crime. Les projets de prévention constituent le cœur de la PPC puisque l'objectif ultime d'un service de police est de diminuer l'incidence de la délinquance pour ainsi raffermir le sentiment de sécurité des citoyens dans une perspective de « qualité de vie » sociale. Le texte de Maurice Cusson et de ses collaborateurs trace un panorama des types de prévention du crime tout en privilégiant subséquemment la « prévention situationnelle ». Les auteurs l'illustrent à partir d'une sélection fort pertinente de cas présentés succinctement sous forme de vignettes. Les thèmes principaux retenus sont celui de la conception et de la planification d'un projet, et celui de son évaluation.
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Enfin, en guise de conclusion, Jean-Paul Brodeur nous livre quelques réflexions critiques, à la lumière d'une analyse serrée de la pensée du pionnier-fondateur moderne de la PPC, l'américain Herman Goldstein, qui est en quelque sorte le « gourou » de l'approche.
Dans le mot de la fin, André Normandeau nous livre pour sa part un bilan provisoire de la recherche évaluative sur la PPC au Québec, au Canada et aux États-Unis. Finalement, un guide de lecture sur la PPC est proposé au lecteur intéressé.
Sir Robert Peel... « de Montréal » !
À tout seigneur, tout honneur ! Le point de départ de la police professionnelle de type communautaire, en particulier en ce qui concerne le volet communautaire, est lié à Sir Robert Peel (1788-1850), le créateur de la police civile et démocratique moderne. Il fut non seulement le ministre de l'Intérieur responsable de la police, mais également, et à plusieurs reprises, le Premier ministre du Royaume Uni et de l'Angleterre. La rue Peel, à Montréal, porte d'ailleurs ce nom en son honneur et l'expression britannique populaire et amicale de Bobbies pour identifier familièrement les policiers britanniques est liée à son prénom (Robert = Bob = Bobbies). Parmi les neuf principes classiques (1829) énoncés par Peel lors de la présentation officielle au Parlement britannique de la « première Loi de police » en Occident, trois d'entre eux nous semblent encore particulièrement pertinents. Il s'agit des principes suivants :
- Principe n° 2 : « Ne jamais perdre de vue que, si la police veut être en mesure de s'acquitter de ses fonctions et des ses obligations, il faut que le public approuve son existence, ses actes et son comportement, et qu'elle soit capable de gagner et de conserver le respect du public. »
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- Principe n° 3 : « Ne jamais perdre de vue que gagner et conserver le respect du public signifie aussi s'assurer de la coopération d'un public prêt à aider la police à faire respecter les lois. »
- Principe n° 7 : « Toujours maintenir avec le public des relations qui soient de nature à concrétiser la tradition historique selon laquelle la police est le public et le public, la police, les policiers n'étant que des membres du public payés pour s'occuper, à temps complet, en vue du bien-être de la communauté, de tâches qui incombent à chaque citoyen. »
Comme l'écrivait si bien le poète français bien connu, Paul Verlaine, (1844-1896) : « Et tout le reste n'est que littérature. »
Références bibliographiques
Le lecteur est invité à consulter le guide de lecture sur la police professionnelle de type communautaire (PPC) reproduit à la fin de notre livre (tome 2).
Remerciements
Qu'il me soit permis de remercier chaleureusement Madame Caroline Guay, secrétaire à l'École de criminologie de l'Université de Montréal, pour son travail minutieux lors du traitement de texte de ce livre.
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