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Ces jeunes qui nous font peur.
Avant-propos
par Joffre DUMAZODIER
Depuis les années 1955-1960, de nombreux signes nous invitent à penser que, par delà les modes passagères, les sociétés industrielles avancées sont entrées dans une crise de longue durée. Cette crise s'est particulièrement manifestée à travers les mouvements sociaux qui secouent les sociétés américaines, anglophones et francophones. Celles-ci sont. à des degrés divers et sous des formes différentes, déjà engagées dans un processus de développement postindustriel aux résultats sociaux et culturels incertains.
Parmi ces signes, il en est au moins deux qui posent, pour le présent et l'avenir de la jeunesse, des problèmes particulièrement graves. Primo, pour tous, la promotion des valeurs du loisir qui ébranle en profondeur les cadres traditionnels du contrôle familial, scolaire ou professionnel. Secondo, pour des minorités, la croissance du volume et la modification du contenu de la délinquance juvénile. Peut-on découvrir des relations cachées entre ces deux phénomènes qui se produisent dans la quasi‑totalité des cas dans le même temps social ? Dans l'ébranlement des fondements de l'ancienne société, les frontières entre les loisirs organisés, les loisirs inorganisés, les loisirs déviants et les actes délinquants, ne sont‑elles pas devenues mouvantes ? Si chaque époque peut créer une nouvelle éthique, laquelle serait en gestation dans le changement des comportements de la jeunesse ? Qu'est-ce qui est innovation, qu'est‑ce qui est délinquance ? De l'observation des effets de la mutation des valeurs, l'éducateur, le policier, le juge, le législateur, peuvent-ils tirer une conception renouvelée, à la fois de la responsabilité personnelle et des contrôles familiaux, scolaires, communautaires, municipaux ou étatiques ?
Telles sont les questions ambitieuses mais concrètes que nous avons le projet de soumettre à une recherche pluridisciplinaire, où la criminologie et la sociologie du loisir utiliseront leur double cadre de référence scientifique. Cette recherche tentera de saisir comment ces questions se posent pour le Canada d'aujourd'hui, et se poseront pour le Canada de demain. Pour mieux distinguer la spécificité de ces questions canadiennes et pour mieux réduire l'incertitude de leur devenir, nous les comparerons aux problèmes correspondants dans quelques autres sociétés industrielles avancées et postindustrielles. La méthode qui s'impose sera donc prévisionnelle et comparative.
En attendant, des travaux préliminaires ont pu être réalisés et il en est résulté des informations utiles, déjà accompagnées de quelques suggestions majeures pour le développement d'une politique du loisir, à la fois distractif, rééducatif et préventif dans la société québécoise.
Joffre Dumazedier
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