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Collection « Les auteur(e)s classiques »

LE TRAITEMENT DE LA CRIMINALITÉ AU CANADA. (1977)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Alice Poznanska-Parizeau et Denis SZABO, LE TRAITEMENT DE LA CRIMINALITÉ AU CANADA. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1977, 427 pp. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Ville Laval, Québec. [Autorisation formelle accordée par M. Jacques Parizeau, économiste, ancien premier ministre du Québec, le 18 septembre 2006 de diffuser la totalité des publications de sa première épouse décédée.]

[11]

Le traitement de la criminalité
au Canada

Avant-propos

La criminalité comme problème social préoccupe le public et les gouvernements : elle est, comme les prix et les salaires, à la hausse. Mais l'interprétation de cette hausse devient de plus en plus problématique : est-elle due à un accroissement effectif de la criminalité ? Ou bien peut-elle s'expliquer par l'accroissement de l'efficacité des organes de lutte contre le crime, ou bien au contraire par l'inefficacité des organes de prévention de la criminalité ?

Certains n'hésiteront pas à s'interroger sur la pertinence de la question elle‑même : la criminalité comme le crime ne dépendent-ils pas d'une définition qui peut varier au gré des lois, de leur interprétation largement discrétionnaire, voire des intérêts des détenteurs du pouvoir qui sont sujets, eux aussi, à des changements souvent arbitraires ?

Les définitions et surtout les interprétations sont, dans le domaine criminologique, matières périssables. Toutefois, nous ne sommes guère mieux, ni plus mal lotis que les autres sciences de la politique. Les lois, les organismes et les services que la société se donne pour faire face à la menace de la criminalité, pour traiter [12] les criminels, pour mettre en œuvre des mesures de prévention sociale, accusent par contre, eux, une stabilité relative mais certaine. Plongeant leurs racines dans l'histoire politique des nations, tributaires des influences contradictoires d'idées, d'hommes, d'intérêts et de traditions, les institutions forment ce que Durkheim a appelé la morphologie et la physiologie des organismes que sont les sociétés. C'est l'analyse des institutions constituant le système bureaucratique qui fait l'objet de ce livre. S'agissant du domaine pénal, nous l'appellerons le système d'administration de la justice.

EN QUOI CONSISTE LE SYSTÈME
D'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE ?

La constitution du pays, le partage des pouvoirs dans un régime fédéral, demeure la clé de voûte des institutions canadiennes. La philosophie de la législation pénale est empreinte de la tradition britannique ; nos institutions canadiennes en sont issues. Cependant on y retrouve les préoccupations propres à la philosophie de la défense sociale dont l'apport s'est identifié en Europe continentale au progrès de l'humanisation du système pénal.

Les statistiques de la criminalité ne reflètent que très partiellement les facteurs criminogènes à l'œuvre dans une société. Elles indiquent, avec les réserves d'usage, les mouvements de la criminalité tels qu'ils sont captés par les institutions, dont la police, les tribunaux et les établissements correctionnels.

Les structures judiciaires constituent le cadre de référence par excellence du système pénal. La police, les services pénitentiaires, ceux des libérations conditionnelles, représentent l'armature principale que l'État et la collectivité se sont donnés pour traiter le délinquant dont le comportement est stigmatisé par l'appareil judiciaire. La réinsertion sociale est le complément logique de ce processus d'exclusion, de stigmatisation et d'effort de resocialisation.

[13]

C'est l'examen de toutes les composantes du système qui constitue la trame de cet ouvrage.

L'IMPORTANCE D'UNE ANALYSE DES INSTITUTIONS :
LES PROBLÈMES D'UNE SOCIOLOGIE
DE LA BUREAUCRATIE


Sous l'influence de la psychosociologie et de la tradition positiviste, les études quasi expérimentales, recourant aux ressources accrues des méthodes quantitatives, ont dominé largement la recherche criminologique d'inspiration sociologique et psychologique. Des progrès non négligeables en ont résulté tant dans le domaine de l'épidémiologie de la criminalité que dans celui de l'étiologie des conduites délinquantes. L'absence d'études sur les institutions laisse cependant une lacune qu'il est urgent de combler. Comme l'a écrit Durkheim, le premier devoir de l'observateur scientifique de la vie sociale n'est pas d'interpréter ce qu'il voit, c'est de le constater. C'est ainsi. Voici le premier précepte de celui qui veut voir les phénomènes sociaux comme les choses. Rien ne se rapproche plus de l'ensemble des données constantes, régulières, prévisibles que les règles cristallisées dans les usages que reflète une partie des mécanismes complexes du contrôle social.

En effet, ce contrôle est une force contraignante pour l'individu et repose pour une large part sur l'autorité qu'elle inspire aux membres d'une même société. Autorité basée principalement sur le sentiment de légitimité que l'institution suscite et qui est le reflet de la confiance que les individus accordent aux règles, lois ou arrangements, qu'adoptent les institutions pour défendre au‑delà des intérêts particuliers l'intérêt supérieur de la collectivité. La notion de bien commun apparaît comme une composante capitale des éléments qui entrent dans la définition de l'institution. La croyance que les institutions garantissent le bien commun signifie le maintien du maximum de liberté pour tous, compatible avec l'égalité des chances pour le plus grand nombre.

[14]

Or une des raisons de la désuétude relative des recherches institutionnelles en sociologie est justement la difficulté d'établir cette notion de bien commun. Les changements accélérés qu'on observe dans les divers secteurs de la vie sociale ont remis directement en question la légitimité même des institutions, en contestant non seulement les règles, les lois et les moeurs, mais des postulats sur lesquels ceux‑ci sont établis.

Les institutions maintiennent-elles ou restreignent-elles l'exercice des libertés compatibles avec les aspirations à l'égalité ?

Les opinions deviennent extrêmement partagées.

L'insistance sur la nature conflictuelle des relations sociales, l'influence de la renaissance marxiste et néo‑marxiste dans les sciences sociales ont prêté un relent de conservatisme à des études consacrées aux institutions. Celles‑ci apparaissent pour certains comme des remparts en vue de la défense d'intérêt des groupes dominants. Le rôle de la recherche sociologique doit devenir, pour beaucoup, la démonstration du caractère désuet, antisocial et anti-progressiste des institutions. Ce qui suggère la stabilité est suspect dans un monde de changements où toute prime va à l'inédit.

Il ne nous revient pas dans cet avant‑propos de discuter à fond la question qu'on vient d'évoquer et qui a été traitée en détail par D. Bell dans son étude intitulée The Public Household (The Public Interest publié en 1974). Nous voulons simplement indiquer quelques‑unes des raisons qui nous ont amenés à renouer avec une tradition de plus en plus effacée de la recherche sociologique. En effet, sans la connaissance précise du contexte morphologique et physiologique de la société, les recherches poussées sur les conduites individuelles et collectives, sur les opinions, les attitudes, les valeurs, devenaient partielles, voire même partiales.

[15]

C'est pourquoi il importe pour le criminologue - intéressé à la prévention du crime, au traitement des délinquants, à l'étiologie de la conduite criminelle comme à l'évaluation du système d'administration de la justice - de connaître avant tout le contexte institutionnel dans lequel se manifestent tous ces phénomènes. L'allure holistique d'une telle monographie répond à l'évidente interdépendance des phénomènes juridiques, sociaux et psychosociaux de la délinquance et de la criminalité. Des recherches non institutionnelles prendront, espérons-le, appui sur des monographies comme celle‑ci, pour approfondir soit un secteur particulier, soit une relation spécifique entre des conduites, des lois et des contextes socio‑politiques donnés. Il n'y a pas de société sans institution dans laquelle se cristallise le savoir‑faire d'une civilisation concernant la délinquance et la justice. Il n'y a pas, pensons-nous, de meilleure introduction à la criminologie d'un pays que celle qui débute par la description et l'analyse des institutions consacrées à la prévention du crime et au traitement des délinquants. Nous avons bien dit introduction, car il est entendu qu'il ne s'agit là que d'un modeste premier chapitre dans l'étude du problème complexe que posent la criminalité et sa prévention.

DESCRIPTION ET INTERPRÉTATION

Nous avons sciemment insisté sur la tradition durkheimienne de description en l'opposant, avec des nuances bien entendu, à l’interprétation. En effet, l'objectif de ce livre est de décrire et d'analyser. Il est moins celui d'évaluer, d'interpréter à la lumière de position théorique ou doctrinale. Une telle entreprise aura sa place dans un autre ouvrage. Ce volume a d'ailleurs été préparé pour le Ve Congrès des Nations unies, afin de susciter des études descriptives du même type dans d'autres pays du monde. Il a été élaboré par les auteurs, avec l'aide de deux assistants, Pierre Robert et Jean de Montigny, dont les services ont pu être retenus grâce à [16] la subvention du ministère du Solliciteur général du Canada. Le Congrès n'ayant pas eu lieu au Canada, la publication du livre a été retardée, mais ses objectifs restent inchangés.

LES RÉFORMES PERMANENTES

En effet, même si les institutions comme les lois sont moins périssables que les interprétations criminologiques de la délinquance, nous sommes parfaitement conscients du fait qu'il y a des réformes en cours qui, depuis une dizaine d'années surtout, s'accélèrent sous la pression à la fois de l'opinion publique et des politiques gouvernementales. Il y a donc une nécessité de mise à jour, tous les deux ou trois ans, des matériaux exposés dans ce livre. Nous nous y appliquerons en temps opportun. Des efforts se multiplient, en effet, pour réviser la disposition du droit et de la procédure pénale, mais aussi pour soumettre à la critique certains des principes mêmes qui ont guidé la pratique judiciaire du passé. Il se dégage des débats actuels autour des recommandations des diverses commissions d'enquête, une préoccupation croissante quant à l'utilité, voire à l'équité, des mesures des peines et des régimes de leur exécution. On s'interroge de plus en plus sur les effets néfastes de l'institutionnalisation comme principal moyen de protection sociale contre l'activité criminelle. On est amené à rechercher des substituts possibles aux peines privatives de liberté ayant les mêmes effets dissuasifs de prévention générale. On cherche à faire un meilleur usage des possibilités qu'offre la communauté pour participer à la resocialisation et on tente d'abolir des cloisonnements bureaucratiques entre les divers services publics et privés de défense sociale afin que tout puisse être mis en œuvre pour que les institutions et les techniques servent à l'homme au lieu de l'écraser.

La sécurité judiciaire consiste dans l'accessibilité de tous au cautionnement ou à la libération sur parole sans égard à l'état [17] de leur fortune, la protection de la vie privée et des libertés fondamentales des droits de l'homme, sans enlever à la police son rôle de protecteur des biens, des personnes et de la sécurité des citoyens. Ce sont là quelques-unes des problématiques qui doivent être approfondies grâce à des expériences soigneusement contrôlées et évaluées. Le pragmatisme demeure évidemment de mise lorsqu'on parle de réforme ; trop d'idées généreuses, trop d'enthousiasmes se sont avérés porteurs de graves déceptions dans le passé pour qu'une prudence ne s'impose avant qu'on procède à des bouleversements profonds. Ce qu'il faut admettre, c'est le principe de la réforme permanente, de l'ajustement constant du système aux exigences des sentiments de justice exprimés par les voies démocratiques. Il nous semble que ce principe de mouvement est actuellement accepté tant par l'opinion publique que par les gouvernements ; le temps des vaches sacrées est révolu.

L'IMPORTANCE DES ÉTUDES COMPARATIVES

En ce qui concerne la coopération internationale - l'objectif majeur que poursuit l'Organisation des Nations unies - elle doit être servie par la criminologie comparée qui ne peut exister que dans la mesure où existent des éléments de comparaison. L'importance de L'anatomie comparée qui pourra résulter de la présentation des physiologies nationales que constituent les monographies semblables à celle‑ci, ne saurait être dès lors sous‑estimée. Qu'il nous soit permis d'exprimer le vœu que la plupart des pays soucieux d'une politique criminelle rationnelle fassent préparer, sous peu, des documents semblables.

Ce livre étant l'ouvrage collectif d'une équipe de chercheurs du Centre international de criminologie comparée, nous tenons à remercier les différents services et individus qui nous ont prodigué les renseignements parfois difficiles d'accès, ainsi que leurs conseils et leurs encouragements.

[18]


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 13 novembre 2019 16:53
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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