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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jacques Parizeau, “LES FINANCES PUBLIQUES DU QUÉBEC, UN DÉSASTRE ?” Un article publié dans LE DEVOIR, Montréal, édition du 16 et 17 mai 2013, page A9— idées. [Autorisation formelle accordée par l'auteur de diffuser toutes ses publications accordée aux Classiques des sciences sociales le 18 septembre 2006.]

Jacques PARIZEAU
Ancien premier ministre du Québec (1994 à 1996)
et ministre des Finances (1976 à 1984)

LES FINANCES PUBLIQUES
DU QUÉBEC,
UN DÉSASTRE ?


1. “Ne surdramatisons pas notre endettement. Par rapport à celle des pays industrialisés, la dette du Québec, en pourcentage du PIB, est plus élevée que celle du Canada, mais moins que celle de la moyenne des pays de l’OCDE. Pas la peine de couper l’aide sociale pour ça.” In Le Devoir, Montréal, édition du jeudi, 16 mai 2013, page A9—idées.

2. “Pas de déficit, mais un surplus d’un milliard. Il n’y a pas de crise financière ! Malgré cela, on a failli torpiller le Sommet sur l’éducation supérieure et on refuse de considérer la gratuité scolaire.” In Le Devoir, Montréal, édition du vendredi, 17 mai 2013, page A9—idées.


1. “Ne surdramatisons
pas notre endettement
.


Par rapport à celle des pays industrialisés, la dette du Québec, en pourcentage du PIB, est plus élevée que celle du Canada, mais moins que celle de la moyenne des pays de l’OCDE. Pas la peine de couper l’aide sociale pour ça.”

In Le Devoir, Montréal, édition du jeudi, 16 mai 2013, page A9—idées.

Premier de deux textes.

Jacques Parizeau. Photo : Jacques Nadeau, Le Devoir.


Les finances publiques du Québec, nous dit-on, sont si mal en point et la dette à un niveau tel que si on ne corrige pas la situation, le Québec est menacé du sort de la Grèce ou de l’Espagne. Ce genre d’observation est souvent exprimé dans les médias. Il nous vient depuis quelque temps de milieux gouvernementaux. On a beau promettre des milliards pour demain, une sorte de morosité se répand dans l’opinion publique : selon l’expression consacrée, les caisses sont vides.

L’article qui suit, en deux temps, est destiné à démontrer qu’on a tort de s’énerver, que la situation n’est pas du tout celle qu’on se plaît à nous présenter. La première partie a trait à la dette publique, la seconde aux revenus et dépenses du gouvernement.

Au 31 mars 2012, la dette du gouvernement du Québec était, nous dit-on, de 183 milliards de dollars, soit 53% du produit intérieur brut, et on prévoyait dix milliards de plus pour le 31 mars 2013. La dette du secteur public, incluant, en plus de celle du gouvernement, celles d’Hydro-Québec, des autres entreprises gouvernementales, des municipalités et des universités, se chiffre à 246 milliards, soit 71% du PIB. Si on ajoute à cela la part du Québec dans la dette fédérale, disons 19%, calculée sur la même base, on ajoute 46% du PIB et on arrive donc à un endettement total de 117% ! Un tel niveau d’endettement justifie des actions radicales et rapides pour réduire les déficits et sinon rembourser la dette, en tout cas la stabiliser. Quant à vouloir faire d’une province un pays, il ne faut même pas y songer. L’austérité devient le seul horizon.

La confusion

C’est ce cadre financier qui domine la politique budgétaire, suivie par plusieurs ministres des Finances, depuis que l’un d’eux a affirmé, il y a une dizaine d’années, que les «  huissiers sont à notre porte » . De là, une grande confusion. Tous les montants que j’ai mentionnés jusqu’à maintenant sont établis sur la base de la dette brute, c’est-à-dire qu’on ne tient pas compte des actifs. C’est à peu près comme si un individu, se présentant à sa banque pour établir son bilan financier, déclarait sa dette sur cartes de crédit et son hypothèque, mais pas le montant de ses dépôts bancaires ni l’évaluation de sa maison. Aucun gouvernement au Canada, fédéral ou provincial, à part celui du Québec, ne se sert du concept de dette brute. Deux concepts de dette publique sont couramment utilisés : la dette nette et la somme des déficits cumulés. Le premier peut être défini comme étant la dette brute moins la valeur des actifs financiers du gouvernement. Les déficits cumulés, c’est la dette nette moins les actifs non financiers. Le gouvernement fédéral se sert exclusivement des déficits cumulés, l’Ontario et l’Alberta de la dette nette et des déficits cumulés  ; d’autres provinces, de la dette nette seulement. Au Québec, on établit aussi la dette selon les déficits cumulés  ; néanmoins, dans les débats publics, c’est de la dette brute dont on fait état.

Si on se sert du concept de déficits cumulés, le portrait change alors complètement. Au 31 mars 2012, la dette du gouvernement du Québec était de 114 milliards, soit 33% du PIB, au lieu de 53%. La dette du reste du secteur public est faible parce que les actifs d’Hydro-Québec dépassent largement ses dettes. Si bien, que l’endettement de tout le secteur public québécois n’est plus de 71%, mais de 35% du PIB : la moitié moins !

Sans doute le niveau d’endettement du gouvernement du Québec proprement dit est-il le plus élevé des provinces canadiennes, mais il faut dire, d’abord, que l’Ontario est en train de nous rattraper  ; ensuite, que l’on traîne encore les effets de la réforme comptable de 1997 qui a complètement transformé la prise en compte du déficit actuariel des fonds de pension des employés du secteur public et augmenté d’un seul coup la dette de 20%, et enfin, que le niveau de la dette est stabilisé.

La valse des milliards « comptables »

Au vu des chiffres fournis par le ministère des Finances, cette stabilisation n’est pas évidente. En novembre 2012, on annonçait que du 31 mars 2012 au 31 mars 2014, la dette passerait de 114 à 120 milliards. Dans la Mise à jour économique et financière de mars dernier, on annonçait 117 milliards. Que se passe-t-il ? Le gouvernement aurait-il déjà commencé à «  rembourser »  la dette grâce à ses coupes budgétaires ? Pas du tout ! Ce sont plutôt des changements aux conventions comptables qui sont en cause. Le cas vaut la peine d’être expliqué.

En premier lieu, la Société de financement des infrastructures locales et la Société d’habitation du Québec ont modifié leurs conventions comptables. Cela a ajouté 1,2 milliard de dollars à la dette. En deuxième lieu, et surtout, Hydro-Québec a décidé d’adopter l’IFRS, soit les normes comptables de l’International Financial Reporting Standards. On a d’abord cru, à Québec, que cela ajouterait 3,3 milliards, puis six milliards à la dette du gouvernement. Mais l’Institut canadien des comptables agréés, qui se veut l’autorité en ces matières, est venu au secours du gouvernement en reportant à trois reprises la date d’inscription de l’IFRS à la dette. L’année 2013-2014 ne sera donc pas touchée. Ce sera pour l’année suivante. Ouf ! Et comme Ontario One a décidé d’adopter les normes comptables américaines, moins exigeantes que celles de l’IFRS, on se croit justifié à Québec de couper la poire en deux et d’inscrire éventuellement à la dette non pas 6 milliards, mais 3,3 milliards. Re-ouf !

Et dire que pendant ce temps, on veut couper une vingtaine de millions à l’aide sociale et une cinquantaine dans les services de garde, pour éviter, nous dit-on, de sombrer dans le chaos grec ou espagnol !

Quand on se compare…

Enfin, on terminera l’examen de la dette par l’ajout à celle du Québec de sa part de la dette fédérale, évaluée cette fois à partir des déficits cumulés. Elle représente non plus 46% du PIB, mais 32%. Si bien que dans l’hypothèse où le Québec serait un pays, aujourd’hui, sa dette serait de 65% du PIB. Ce serait tout à fait gérable. Et si on compare la dette totale du Québec à celle des pays industrialisés, en se servant de la méthode de l’OCDE, on constate qu’elle est (en % du PIB) plus élevée que celle du Canada, mais moins élevée que celle de la moyenne des pays de l’OCDE. Et la dette de la Grèce est… trois fois plus élevée que celle du Québec !

En fait, les gouvernements du Québec ont réussi, depuis plusieurs années, à maintenir des équilibres budgétaires satisfaisants. Cela apparaîtrait beaucoup plus clairement, si on cessait de changer les conventions comptables à tout bout de champ.

Demain : les revenus et dépenses du gouvernement.

Commentaires : URL.


2. “Pas de déficit,
mais un surplus d’un milliard.


Il n’y a pas de crise financière ! Malgré cela, on a failli torpiller le Sommet sur l’éducation supérieure et on refuse de considérer la gratuité scolaire.”

In Le Devoir, Montréal, édition du vendredi, 17 mai 2013, page A9—idées.


Deuxième et dernier texte de deux.

URL.

RAID Classiques:Users:jmt:Desktop:parizeau_jacques:finances_pub_Qc_1:1- fichier original:2e partie:fig_2.jpg

Photo : Annik MH De Carufel - Le Devoir

Manifestation, en mars dernier, contre l’indexation des droits de scolarité imposée par le gouvernement Marois. Pour Jacques Parizeau, « refuser de discuter de la gratuité à l’université, au nom des équilibres budgétaires, sous prétexte que ça coûterait 1 milliard, ne tient pas la route ».


Les modifications des règles comptables empêchent qu’on ait des séries chronologiques continues des revenus et des dépenses. Et cela ne simplifie pas les choses que l’on se serve de deux évaluations des dépenses et des revenus, différentes l’une de l’autre d’une vingtaine de milliards. La plus basse ne reflète que les dépenses de programmes et le service de la dette ; la plus élevée consolide toutes les opérations gouvernementales. Dans ces conditions, j’ai choisi simplement d’examiner la situation, chaque année, en me servant des dépenses et des revenus consolidés établis à partir des conventions comptables de cette année-là, sans me soucier de l’imputation des déficits ou des surplus soit à la Réserve de stabilisation ou au Fonds des générations.

D’un gouvernement à l’autre

Commençons à mettre les choses en perspective. Les libéraux, en quittant le pouvoir à la fin de 1994, laissent, pour cette année-là, un déficit de presque six milliards. Cela représente 3,5% du PIB et 16% des revenus budgétaires. Le nouveau gouvernement du Parti québécois va, au cours de l’année 1995-1996, bloquer le niveau des dépenses et, grâce à cela, réduire le déficit de six à quatre milliards. Le gouvernement qui lui succède décide de se donner deux ans seulement pour atteindre le déficit zéro. Cela est d’autant plus ambitieux que le gouvernement fédéral réduit les transferts aux provinces, ce qui ampute d’un seul coup les revenus du Québec de 1,5 milliard. Pour atteindre l’objectif dans les délais prévus, il faut donc réduire radicalement les dépenses - en fait, de 5%. L’effort culminera, on s’en souviendra, par la mise à la retraite anticipée d’un grand nombre de médecins et d’infirmières. Après de tels efforts, les gouvernements successifs ont bien contrôlé les équilibres budgétaires. Qu’on en juge : de 1998-1999 à 2008-2009, le déficit zéro fut réalisé à deux reprises, il y eut quatre déficits inférieurs à un milliard (sauf en 2008-2009, où il fut de 1,3 milliard) et quatre surplus, dont le plus élevé a atteint 2 milliards. Si on fait l’addition des déficits et des surplus de ces dix années, il se dégage un surplus net de 2,7 milliards. Pas si mal !

À la fin de 2008, commence une crise financière qui va faire le tour du monde et se transformer rapidement en récession. Le Canada et le Québec sont touchés eux aussi. Les revenus budgétaires stagnent, les dépenses, alimentées par les programmes de relance, augmentent, ce qui entraîne évidemment des déficits. Mais tout est relatif. Le déficit maximum atteint au Québec sera de 3,2 milliards, c’est-à-dire moins de 1% du PIB, alors que celui du gouvernement fédéral canadien atteint 1,8% ; celui de l’Ontario, 2,5% ; et celui du gouvernement fédéral des États-Unis, 8,7% !

Le retour du déficit zéro

Mais les clameurs montent de partout. Il faut éviter les dérives européenne et américaine, éviter la décote des agences de notation. En 2010, on recommence le coup de se fixer une échéance précise pour revenir coûte que coûte au déficit zéro en 2013-2014. Le gouvernement qui arrive au pouvoir en septembre 2012 doit imputer aux dépenses de l’année en cours le coût de la fermeture de Gentilly-II et constate que l’augmentation des honoraires des médecins et celle du service de la dette mettent en péril l’atteinte du déficit zéro en 2013-2014.

De nouvelles compressions budgétaires sont donc annoncées : subventions aux universités, fonds de recherche gouvernementaux, aide sociale, Emploi-Québec, services de garde, etc. À l’occasion du discours du budget de novembre 2012, une brochure est publiée sous le titre Le budget en un coup d’oeil. On y confirme l’atteinte du déficit zéro pour 2013-2014, en équilibrant les dépenses et les revenus au niveau de 72,8 milliards. C’est vrai, si l’on présente la plus basse des deux évaluations des revenus et dépenses. Si, cependant, on se sert de celle qui correspond aux opérations consolidées, c’est à 94 milliards que s’établissent les dépenses, y compris la prévision pour éventualités. Comme les revenus prévus sont de 95 milliards, ce n’est pas l’équilibre budgétaire, mais plutôt un surplus de 1 milliard que l’on prévoit. Très exactement 1 milliard 53 millions !

La confusion s’amplifie

En somme, en raison du brouillard méthodologique et des distorsions qu’on fait subir à l’information financière, on a provoqué inutilement des crises dans l’opinion publique et failli torpiller le Sommet sur l’éducation supérieure de mars dernier. Mais surtout, on se rend compte à quel point la confusion comptable brouille maintenant le bon fonctionnement du gouvernement et le débat public.

Il y a quelques années, le vérificateur général du Québec m’avait demandé de présenter une conférence à la réunion des vérificateurs généraux du Canada qui tenait son congrès annuel à Québec. J’avais plaidé pour que l’on finisse par s’entendre sur les normes et conventions comptables et qu’on cesse de les changer constamment, car cela finirait par avoir des effets nuisibles sur les politiques gouvernementales. Je n’ai manifestement pas été écouté.

En dépit de trucs compliqués tels que la Réserve de stabilisation ou le Fonds des générations, on n’échappe pas à la vieille règle (une autre vérité de La Palice) que les déficits font monter la dette et les surplus la font baisser. L’important, c’est que les comptes soient sur une longue période de temps à peu près équilibrés, ce qui est le cas du Québec depuis une quinzaine d’années.

Loin de moi, cependant, l’idée qu’il n’y a pas d’économies à faire dans les opérations du gouvernement. L’examen des programmes devrait être fait périodiquement pour savoir s’ils sont efficaces et si on en a pour son argent. Il est, par exemple, scandaleux que pendant plusieurs années, des rapports aient signalé que dans le secteur public québécois, il en coûtait de 20 à 25% plus cher qu’ailleurs pour réaliser des travaux publics et que rien n’ait été fait jusqu’à ce que finalement et en désespoir de cause, on fasse appel à la police.

La politique de maintien des équilibres budgétaires est-elle synonyme d’immobilisme ? La période qui suit 1998 nous fournit la réponse : profitant de la croissance de l’économie et donc de la hausse des revenus budgétaires, le gouvernement a introduit deux innovations dont le coût allait se chiffrer en milliards de dollars : l’assurance médicaments et les garderies à 5 $. On voit donc que refuser de discuter de la gratuité à l’université, au nom des équilibres budgétaires, sous prétexte que ça coûterait 1 milliard, ne tient pas la route. On peut être contre, mais qu’on trouve d’autres arguments. En somme, qu’on en finisse avec les crises de nerfs épisodiques. Il n’y a pas de crise financière.

Il faut cesser de se faire peur et se débarrasser de cette hantise comptable qui paralyse. Il faut aborder de front les vrais problèmes économiques du Québec : sa croissance économique trop lente, la sérieuse détérioration de sa balance des échanges extérieurs, la faible productivité d’un trop grand nombre de ses entreprises, les insuffisances de la formation professionnelle et technique. C’est à cela qu’il faut s’attaquer !

Jacques Parizeau - Ancien premier ministre du Québec (1994 à 1996) et ministre des Finances (1976 à 1984).

URL.


Retour au texte de l'auteure: Colette Parent, criminologue, Université d'Ottawa Dernière mise à jour de cette page le jeudi 20 juin 2013 18:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue,
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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