|
RECHERCHE SUR LE SITE
Références bibliographiques avec le catalogue En plein texte avec Google Recherche avancée
Tous les ouvrages
numérisés de cette bibliothèque sont disponibles en trois formats de fichiers : Word (.doc), PDF et RTF |
Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Michel Pichette, “Les enjeux de l'affaire Lumac et l'avenir de l'école publique québécoise”. Un article publié dans la revue Bip Bip, numéro 63, mars 1993, pp. 31-35. Québec: Ministère de l'Éducation du Québec. [Autorisation accordée par l'auteur le 2 mai 2006 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.] Introduction À Laval, cinq des six écoles secondaires de la Commission scolaire Laurenval ont accepté de relier chacune de leurs classes à un réseau privé de télécommunication qui diffuse une émission quotidienne d'actualités télévisées. D'une durée de douze minutes, ces émissions Incluent deux minutes de publicité commerciale. La Commission des écoles protestantes du Grand Montréal est tentée par le projet et elle effectue présentement une consultation auprès de ses commettants. Youth News Network (YNN) ou Réseau Actualités-Jeunesse (RAJ), tel est le projet que cherche à vendre à toutes les écoles secondaires canadiennes la firme de communication Lumac. Après avoir essuyé le refus du ministère de l'Éducation, celui de la Fédération des commissions scolaires du Québec et de la Centrale de l'enseignement du Québec, Il y a un an, la firme Lumac ne continue pas moins de chercher à percer le marché des écoles francophones du Québec. L'affaire Lumac prend par surprise le monde de l'éducation. Elle a séduit et elle continue de séduire encore bon nombre de gestionnaires, d'éducateurs et de parents. Peu importe aujourd'hui si on est en accord ou non avec le projet : il dérange au point où même si on le rejette, on reste avec le sentiment de laisser passer une bonne occasion. L'arrivée de ce projet sur le territoire scolaire québécois, tout comme « Channel One », une entreprise similaire implantée dans plus de douze mille écoles secondaires aux États-Unis par Whittle Communications, nous place devant nos propres difficultés à comprendre des mutations qui se préparent ou qui ont déjà commencé dans le monde de l'éducation. L'affaire Lumac pose la question des ajustements de l'école publique québécoise à la culture de la société des médias et, de manière plus générale, aux nouvelles technologies d'information et de communication. Cette question est posée dans une conjoncture de restrictions budgétaires qui rend difficile l'acquisition de technologies aussi coûteuses et également, faut-il le dire, dans le contexte d'une absence de lignes d'orientations consistantes à propos du futur de l'éducation scolaire. Tout cela concerne les programmes d'enseignement et leur contenu, les façons d'enseigner et la réorientation de l'école dans une société où elle n'est plus la seule à s'occuper de la formation des jeunes. L'école n'occupe plus, sur le terrain de l'éducation, la position centrale exclusive qui a longtemps été la sienne. Elle est aujourd'hui confrontée à la nécessité de vivre avec des concurrents. Devra-t-elle s'engager dans la voie du partenariat avec des centres extérieurs de diffusion et de production éducatives ? Comment alors pourra-t-elle s'assurer de conserver la maîtrise d'œuvre de la formation des jeunes ? Quelles conditions doit-elle remplir, dès aujourd'hui, pour intégrer ses missions sociale et éducative au nouveau design que les changements actuels ont déjà commencé à lui imposer ? Voilà quelques-unes des questions posées par l'affaire Lumac. Dans sa forme actuelle, le projet Youth News Network ou Réseau Actualités-Jeunesse est le prototype de ce qu'il advient quand le monde scolaire manque de moyens pour intégrer de nouveaux enjeux d'ordre qualitatif sur lesquels il n'a pas pris le temps de réfléchir. Il est aussi le prototype de la façon dont se comporte une entreprise étrangère au monde de l'éducation quand elle décide d'investir et d'envahir un marché qui jusqu'ici ne lui était pas accessible. L'affaire Lumac est l'histoire de la rencontre de deux interlocuteurs qui ne se connaissent pas et qui n'ont pas pris le temps de se connaître. Deux partenaires qui partagent des objectifs et des visions à tout le moins différents : l'école existe pour former des jeunes et Lumac pour rentabiliser des produits qu'elle veut y mettre en circulation à l'intention des élèves et des enseignants. D'ailleurs, la firme Lumac ne cache pas ses intentions, même si elle les revêt d'un discours quelque peu mystificateur en invoquant qu'elle pallie l'ignorance des jeunes en matière d'actualités, en faisant valoir qu'elle vient contribuer à leur éducation aux médias et, enfin, en affirmant qu'elle donne aux écoles la chance unique de se brancher sur l'ère moderne. Elle est une bonne vendeuse. Les contrats déjà conclus ou les discussions qu'animent présentement les protagonistes du projet dans plusieurs écoles secondaires du secteur anglophone de Montréal révèlent bien qu'on est encore loin d'un mariage heureux au service de la finalité première de l'école : la formation des jeunes. Il est loin d'être certain, en effet, que nous soyons ici devant un cas où les deux partenaires retirent des bénéfices à tout le moins égaux de leur entente. Le seul bénéfice qu'en retirent les écoles se trouve dans les équipements de télécommunication qui leur sont octroyés (un moniteur-télé dans chaque classe relié à deux magnétoscopes et à une coupole de réception par satellite). Mais comment pourront-elles en exploiter tout le potentiel si elles ne trouvent pas les moyens d'acquérir plusieurs autres magnétoscopes alors que bon nombre d'entre elles ne parviennent même pas à s'équiper convenablement en appareils téléphoniques ? De son côté, cependant, la firme Lumac accède à un marché jusque-là interdit sans parvenir à démontrer en quoi elle offre une marchandise télévisuelle qui se démarque des plus ordinaires entreprises de commercialisation et de vente publicitaire. Car, dans le projet YNN-RAJ, le premier client est l'annonceur et non pas l'élève. On a beau et on aura beau invoquer les plus grands discours sur les vertus de complémentarité de l'audiovisuel dans la formation et sur l'urgence de pallier l'indigence bien réelle de nos écoles à l'heure des technologies modernes de télécommunication, la preuve reste entièrement à faire qu'on propose une marchandise bien intégrée et vraiment harmonisée aux objectifs de la formation scolaire.
|