Texte de l'article
Les derniers mois ont été fertiles en événements dans notre paysage de consommateurs de médias et de télévision.
En juin 1990, la Fédération nationale des communications (FNC-CSN) consacrait un colloque à la démonstration et à la dénonciation de l’invasion tranquille de la publicité et du marketing dans le choix et le traitement de l’information. Un colloque qui s’est tenu bien loin des clameurs publiques et dont les yeux se sont vite éteints à la faveur de l’exploitation médiatique et journalistique qu’on a fait de la crise amérindienne, tout comme on vient de le faire de « notre guerre » contre l’Irak.
En septembre dernier, l’Association canadienne des radiodiffuseurs de langue française (ACFTF) tenait son congrès annuel. Pendant trois jours, on n’a pas cessé de spéculer sur les meilleures façons de mieux vendre aux clients-annonceurs les téléspectateurs réduits à des portions d’auditoires. Une interrogation légitime, il s’en faut, pour des gestionnaires d’un business « culturel » où les actionnaires paniquent devant la chute de la rentabilité de leurs investissements. Une interrogation tristement réductrice qui colore de plus en plus les objectifs et les choix de programmation « vendus » à leurs publics par annonceurs interposés. Une interrogation légitimée par nos ministres des Communications et de la Culture chez qui l’on ne parle plus, depuis des années, qu’en terme d’affaires et d’industrie.
De son côté, au mois d’octobre 90, le Conseil de presse du Québec tenait des états généraux en vue de trouver une solution à son avenir menacé par les conflits, les intransigeances et le désintérêt de ses partenaires-fondateurs : les journalistes et quelques propriétaires de média d’information. Faut-il, oui ou non, un organisme indépendant voué à la défense et à la protection de la qualité et de la liberté de l’information au Québec ? Tel est l’enjeu public dont on a vite réduit la portée en le réintroduisant dans le giron « corporatiste » des seuls (ou presque) artisans et propriétaires des médias. On nous propose plutôt une voie de solution dans laquelle le public demeure une fois de plus une caution sans pouvoirs prépondérants.
Il se passe là la même chose que nous avons par ailleurs commencé à faire changer depuis quelques années dans le domaine de la santé. Pendant longtemps, le corps professionnel (et industriel) de la médecine nous a imposé une conception de la santé centrée sur la maladie. Ce faisant, il nous a empêché de concevoir des politiques sociales de prévention et surtout, il nous a empêché de nous approprier nous-mêmes notre corps et notre propre santé.
De leur côté, quelques jours avant Noël, les câblodistributeurs ont décidé, pour des raisons de millions de dollars, de procédures complexes et de libre-échange, de nous faire le cadeau inattendu malgré les contrats que nous avions signés avec eux d’une deuxième chaîne PBS américaine, en retirant la chaîne TVO canadienne de leur programmation -. Bof ! Des millions à épargner valent bien mieux que de creuses considérations d’identité nationale et culturelle !
Enfin, est arrivée, sans tambour ni trompette, l’annonce de nouvelles compressions budgétaires à Radio Canada : fermeture de quatre stations de télévision francophone et réduction considérable des activités de celles qui restent. Une décision qui est le fruit d’un calcul simpliste de gestionnaires et de comptables, d’autant plus facile à réaliser et à faire admettre qu’il n’y a plus, depuis plusieurs années, une seule voix politique canadienne et québécoise pour valoriser et affirmer l’importance de la télévision publique.
Une décision reçue, malgré tout, avec indifférence par la population, à qui les artisans de Radio Canada ont depuis longtemps fait perdre le moindre sens d’une télévision publique en ne s’engageant pas dans la recherche et la discussion avec elle de ce que pourrait être l’identité d’une télé publique dans le contexte nouveau des années 2000. On a plutôt préféré diriger les débats du côté des annonceurs et des conseillers en marketing. Et on alerte le public quand on sent son « job » menacé !
Depuis quelques années, les discours et les actions en matière de communication et de télévision sont de toutes part traversés par les seuls impératifs économiques, corporatifs et technologiques. Ce sont eux maintenant qui servent de fondement à la définition de la qualité et aux conditions de fabrication des informations et des divertissements télévisuels. Il n’est pas étonnant, dès lors, que la discussion sociale sur les communications et la télévision soit confinée aux cercles clos des artisans qui y gagnent leur vie et de leurs employeurs-propriétaires.
En plus d’être laissé à plus d’un égard dans un état « d’analphabétisme » par rapport à la culture nouvelle de la société de l’information et des médias (l’école des jeunes n’en tient pas encore compte, pas plus que les médias eux-mêmes qui restent toujours avares d’informations sur eux-mêmes), les publics n’ont aucun moyen, dans le contexte des enjeux actuels, de s’approprier la connaissance de ce qui se passe dans le paysage des médias et de prendre part au débat.
Les rares paroles exprimées sur la qualité, la créativité, l’innovation nécessaire, la diversité et la responsabilité publique par ces publics consommateurs et citoyens résonnent dans le vide. Leur « point de vue » n’a nulle part de place, de légitimité et d’écoute dans les officines du pouvoir médiatique. Car tout s’y passe comme s’ils ne comptaient plus dès lors qu’on y obtient les sous pour bien faire fonctionner la variété des machines à produire les marchandises de l’information, des fictions et des divertissements.
Sans doute faut-il apprendre socialement à donner le jour ce « point de vue spécifique », à ces paroles des publics. Mais encore faut-il se donner les moyens de le faire ! Le temps est peut-être propice pour le début d’une recherche et d’un débat de société qui, tout comme on le fait pour la santé, l’éducation et l’environnement, ferait du monde des médias un enjeu de qualité de vie plutôt qu’une simple affaire économique. Un objectif de qualité de vie où les publics y seraient reconnus comme le premier et véritable « client », où serait remis à l’ordre du jour la mission d’intérêt public des médias.
Mais encore faudrait-il entreprendre de connaître autrement ces « clients » des médias et leur donner des lieux de paroles ? Qu’est-ce qui les distingue de ceux qui achètent une place pour assister à un match de hockey ? Ils restent encore insaisissables à force de consommer dans l’isolement des médias qui leur apparaissent « intouchables » comme des dieux, à force d’être perçus et d’entendre parler d’eux-mêmes dans les seuls langages des cotes d’écoute, des audimats ou du lectorat.