Éric PINEAULT
Sociologue, département de sociologie, UQÀM,
Directeur de recherche à la Chaire de recherche du Canada
en Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie.
“Quelle théorie critique des structures sociales
du capitalisme avancé ?” [1]
In revue Cahiers de recherche sociologique, no 45, janvier 2008, pp. 113-132. Numéro intitulé : “D'un regard désenchanté : la théorie de la régulation revisitée.” Montréal : département de sociologie, UQÀM.
- Résumé / Abstract / Resumen
- Introduction [113]
- Capitalisme avancé et sociologie [116]
- Une mutation des formes élémentaires du capital comme rapport social [117]
- Capital, corporation et intangibilité [119]
- Propriété capitaliste et capital financier [125]
- Liquidité et puissance du capital financier dans le capitalisme avancé [128]
Résumé
Nous proposons une délimitation de la structure sociale du « capitalisme avancé » par le biais d’une démarche « idéaltypique ». Nous commençons par une critique des limites et apports de quelques approches marxistes et néomarxistes du capitalisme contemporain, en particulier des variantes « expressionnistes » et régulationnistes. L’objectif de cette première section est de faire un tri parmi les catégories fondamentales de Marx afin de dégager les propriétés qui relèvent du noyau dur et invariant des rapports sociaux capitalistes. Ensuite nous abordons l’idéaltype du capitalisme avancé à travers l’examen de trois institutions qui le caractérisent et le différencient du capitalisme de la modernité classique. Ces structures institutionnelles sont la forme « corporative » de l’entreprise, le capital financier et le salariat. Chaque forme fait l’objet d’une analyse qui souligne l’apport des travaux institutionnalistes récent à la compréhension de cette structure. L’argument conclu sur la dynamique de « massification » qui caractérise le mouvement d’ensemble du capitalisme avancé depuis un siècle.
Mots-clés : Capitalisme, institutionnalisme, marxisme, modernité, corporation, capital financier, massification
Abstract
This article proposes an idealtype of the social structure of advanced capitalism. We begin with a critique that highlights the limits of certain marxist and neomarxist approaches to contemporary capitalism, in particular regulationnist and expressionist variants. The purpose of this first section is to identify the essential marxian categories necessary to the theory of capitalism's elementary or cellular social relations. From there on we move to the idealtypical analysis of advanced capitalism per se through the study of three institutional structures that define this social form and differentiate it from its modern bourgeois past. These institutions are the corporation, finance capital and the «salariat»/middle class. The analysis of each form draws on recent institutionnalist research. The argument ends with a study of the dynamics of this social structure as a historical whole that one can characterise as lead by a process of massification.
Resumen
En el texto que sigue, proponemos una delimitación de la estructura social del «capitalismo avanzado» utilizando un procedimiento «ideal tipico». La explicación comienza con una crítica de los límites y aportes de ciertos acercamientos marxistas y neo-marxistas del capitalismo contemporáneo, en particular de las variantes «expresionistas» y regulacionistas. El objetivo de esta primera sección es de realizar una selección entre las categorías fundamentales de Marx con el fin de identificar las propiedades de las características principales e invariantes que constituyen el núcleo de las relaciones sociales capitalistas. Enseguida, se analiza el ideal tipo del capitalismo avanzado como tal a través del examen de tres instituciones que lo caracterizan y lo diferencian del capitalismo de la modernidad clásica. Esta estructuras institucionales son la forma corporativa de la empresa, el capital financiero et el salariado. Cada forma es analizada subrayando el aporte reciente de los trabajos institucionalistas a su estudio. El análisis se concluye abordando la «masificación» que caracteriza al movimiento general del capitalismo avanzado desde hace un siglo.
[113]
- We don't know what Capilalism is yet.
- Murray Bookchin (1921-2006)
Introduction
Le discours sociologique doit théoriser le capitalisme contemporain en le distinguant du capitalisme de la modernité bourgeoise s'il entend encore avoir une pertinence politique et critique. Cela implique une révision de plusieurs catégories et concepts centraux de l'analyse critique du capitalisme, en particulier ceux qui relèvent des perspectives marxistes et néo-marxistes. Le marxisme est compris ici comme un ensemble de courants de pensée qui se sont construits au vingtième siècle à partir [114] de l'œuvre de Marx en donnant un sens très particulier à ses catégories et à ses analyses. Premièrement, l'ancrage philosophique de la pensée marxienne le matérialisme pratique que Marx annonce dans les Thèses sur Feuerbach fut dénaturé par la construction du matérialisme historique dans ses variantes positivistes (Engels, Staline) ou dialectique (Lukács). Deuxièmement, sa critique de l'économie politique fut elle-même réduite à une économie politique différente, mais aussi orthodoxe à sa manière que les courants dits « bourgeois » qu'elle prétendait critiquer. Finalement, sa pensée sociopolitique, d'une critique de la réduction de la subjectivité praxique au travail aliéné par la société capitaliste et moderne, devint une critique du capitalisme à partir de la perspective du travail et des travailleurs dans la modernité [2].
S'il est nécessaire de reconstruire une théorie critique du capitalisme, et qu'il est possible de le faire à partir de certaines intuitions et analyses de Marx [3], il faut dépasser une œuvre qui comporte d'importantes limites philosophiques et analytiques. De surcroît, l'analyse critique du capitalisme contemporain exige une importante rupture avec les catégories marxiennes et une distanciation à leur égard compte tenu de la différence entre les structures sociales du capitalisme « bourgeois » de la modernité, celui que Marx avait sous les yeux, et les structures sociales actuelles du capitalisme.
De plus, cette distinction sociologique entre capitalisme de la modernité bourgeoise et capitalisme avancé ou actuel ne doit pas être uniquement, ou principalement, expressionniste, elle doit avoir une forme et une portée analytiques. Par expressionniste, j'entends un discours sociologique qui, pour dénoncer les effets sociaux et écologiques délétères du capitalisme contemporain, se contente d'un réquisitoire sommaire, considéré comme allant de soi, contre les traits « monstrueux » de ce dernier. Dans ses variantes extrêmes, l'efficace rhétorique du discours expressionniste a pour revers une réification complète du capitalisme qui le soustrait à la compréhension des sciences sociales, nous laissant au bout du compte dans une situation d'impuissance analytique et éventuellement [115] pratique, c'est-à-dire sociale et politique. Dans ses versions plus courantes, le discours expressionniste se manifeste comme fascination devant ce qui se présente ou s'impose comme « nouveau » et inévitable tendances du capitalisme à la globalisation, à l'immatérialisation, à l'accélération ou à l'innovation. Manuel Castells ou Hardt et Negri donnent ainsi du capitalisme contemporain une image, informationnelle chez l'un, immatérielle chez les autres, faite de radicale nouveauté de ses propriétés et caractéristiques, expression immédiate d'une logique sous-jacente du « capital » [4]. Ces discours ont pour principal défaut de considérer comme innovations radicales certains aspects et caractéristiques du capitalisme qui ont souvent plus d'un siècle d'histoire et de réifier les processus sociohistoriques d'institutionnalisation concrets et contingents de ses différents régimes d'accumulation en une logique générale immanente.
Notre propos ici se limite à avancer une autre lecture possible de la trajectoire et de la nature du capitalisme contemporain en mobilisant une démarche méthodologique idéaltypique centrée sur les transformations de certaines médiations institutionnelles essentielles à cette formation sociale. Ce projet est celui qui a animé les analyses régulationnistes depuis près de trois décennies. En effet, celles-ci ont fait école en approfondissant la compréhension « institutionnaliste » du fordisme et du postfordisme par l'entremise des outils analytiques de régime d'accumulation et de mode de régulation [5]5. Par contre, ces analyses sont essentiellement orientées par un questionnement sur l'émergence souhaitée d'un nouveau « mode de régulation » du capitalisme postfordiste qui aurait des propriétés tout aussi « vertueuses » que celles qu'on prête au fordisme. Cette recherche prospective d'une modalité d'orientation ou d'organisation de l'économie selon un critère de viabilité demeure, selon nous, prisonnière d'une épistémé productiviste ; in fine le raisonnement se maintient à l'intérieur des présupposés de l'idéologie économique du capitalisme que la sociologie critique tente de comprendre.
Notre recherche a pour point de départ une distinction plus générale entre capitalisme classique de la modernité bourgeoise et capitalisme « avancé », une formation sociale à l'intérieur de laquelle s'opère la transition du fordisme aux formes postfordistes d'accumulation. L'idée étant de contribuer à la compréhension de l'unité de la trajectoire du capitalisme depuis sa « grande transformation » au tournant du vingtième siècle comme un processus institutionnalisé [6]. Une analyse idéaltypique devrait porter sur [116] l'émergence, le développement et l'interaction dynamique de trois structures sociales qui sont au cœur du capitalisme avancé et qui le caractérisent sociologiquement : la corporation [7], en tant que forme instituée de la grande entreprise et matérialisation « pratique » du capital ; le capital financier et, plus généralement, l'organisation de la finance capitaliste ; enfin, le travail salarié. Dans la mesure où cette dernière structure a été celle qui a retenu le plus l'attention de la sociologie, nous allons ici nous concentrer sur les deux premières. Mais dans un premier temps il faut éclaircir et justifier le choix du libellé « avancé » pour l'idéaltype.
Capitalisme avancé et sociologie
Quel sens peut-on attribuer au qualificatif « avancé » pour comprendre l'histoire longue du capitalisme depuis le début du vingtième siècle ? Notons que la division de l'histoire du capitalisme en deux périodes s'impose à l'analyse sociologique depuis au moins les travaux de Veblen sur la « corporation » comme forme de l'entreprise d'affaires dans sa Theory of Business Enterprise (1904). On pourrait même voir dans les analyses de Marx sur le rôle du crédit [8] une première reconnaissance que le capitalisme, comme mode de production institué, avait la possibilité et les ressources organisationnelles pour opérer de manière endogène une mutation radicale de sa forme institutionnelle. Cette analyse sera reprise, un peu moins habilement sur le plan épistémologique et théorique, par Hilferding avec son concept de capital financier.
Cela dit, on doit attendre les années 1960 pour que le concept de capitalisme avancé reçoive une attention adéquate. Pour Veblen, le capitalisme « tardif moderne » (late modern) se distingue de ses formes antérieures (early [117] modern) par la centralité de l'organisation corporative de l'économie et par le développement d'un nouveau système de crédit ; toutefois, les théoriciens des années 1960-1970 insisteront plutôt sur l'articulation entre pouvoir public et puissance privée dans une nouvelle formation sociale, soulignant comment les fonctions d'un État providence « keynésien » agissent comme mécanismes de stabilisation d'un mode de production en crise [9]. L'interventionnisme de l'État fut ainsi théorisé comme un moment essentiel et organique de la reproduction capitaliste. En fait, pour Habermas et d'autres théoriciens de cette période d'entrée en crise du fordisme, le terme « avancé » avait une double fonction théorique. D'une part, il renvoyait à l'aggravation perçue des contradictions de cette formation sociale, contradictions que seul l'État interventionniste semblait en mesure de dépasser, et ce uniquement en repoussant à plus tard le moment d'une crise finale. D'autre part, le capitalisme était « avancé » aussi et c'est surtout ce deuxième sens qui nous intéresse dans la mesure où son emprise sur la société, la culture et l'historicité s'était intensifiée et consolidée par l'interpénétration des sphères de l'économie, du politique et du monde vécu.
S'il est évident que le capitalisme avancé se développa en conjonction avec la transition d'une forme de l'État libéral vers une forme de l'État providence et keynésien, ce processus, comme l'a souligné récemment Jessop [10], doit être théorisé en reconnaissant l'autonomie normative du politique. On ne peut, comme ce fut trop souvent le cas, réduire la forme de l'État et ses transformations en une simple fonctionnalité d'une forme de capitalisme ou d'un régime d'accumulation.
Le caractère distinctif du capitalisme avancé se situe plutôt dans une suite de mutations et de ruptures fondamentales du processus d'institutionnalisation économique. Mutations et ruptures liées au développement de la forme corporative de l'entreprise [11] et donc à la centralité qu'acquiert la grande organisation dans le capitalisme du vingtième siècle. Plus qu'une simple « séparation de la gestion et de la propriété », cette transformation de la forme même de la propriété capitaliste (de bourgeoise à corporative) et du mode de mobilisation de la force de travail (du travail à l'emploi) engendra un ensemble de mutations structurelles qui transforma de fond en comble la configuration institutionnelle du capitalisme.
Une mutation des formes élémentaires
du capital comme rapport social
Le capitalisme avancé partage avec le capitalisme classique ou bourgeois, examiné par Marx et l'économie politique classique, les médiations sociales [118] élémentaires que sont les formes marchandise (M) et monnaie (A) de la valeur. C'est à partir de l'étude critique de ces formes que Marx a pu construire une représentation de la médiation « cellulaire » de l'accumulation capitaliste en tant que procès A-M-A', médiation qui est en fait le rapport social asymétrique entre travail abstrait et capital. Contrairement à Weber, qui voit dans la genèse du capitalisme l'aboutissement d'un processus de rationalisation, pour Marx la construction d'un tel procès à titre de médiation centrale de l'histoire d'une société doit être comprise théoriquement et philosophiquement comme le fruit d'une rupture profonde du cycle culturel-organique qui marquait la vie matérielle des sociétés humaines avant l'émergence du capitalisme [12]. Comme le souligne Marx, dans les Théories sur la plus-value, il ne faut pas penser le développement du capital principalement ou essentiellement comme l'extension de la « production » dans le sens étroitement matérialiste des économistes classiques [13], mais comme la capacité d'absorption de l'activité sociale qui devient ainsi productive de plus-value. En poussant plus loin le raisonnement, on peut soutenir que le « M » du procès A-M-A' renvoie à l'activité sociale en général devenue travail abstrait par un processus de réification. Celui-ci a pour effet de rendre le sujet producteur de travail abstrait, celui capté par le « M », dépendant du marché pour sa propre existence matérielle. Paradoxalement ce sujet aliéné est en même temps le producteur de la médiation effective, la valeur, par laquelle la reproduction et l'accumulation du capital sont possibles.
Dans ce procès A-M-A', le A peut alors être pensé comme un droit temporel sur l'activité d'autrui, que ce soit sous une forme vivante, en achetant la force de travail, ou sous une forme morte, en achetant le bien ou le service qui résulte de ce procès. La valeur économique apparaît alors comme une simple réification de la vie sociale, et l'argent comme droit monétaire sur cette réification [14]. Celui qui accumule de l'argent, ou celui qui oriente son activité afin d'en accumuler de manière capitaliste, accumule ainsi des droits monétaires sur une richesse sociale qui se révèle en fin de compte n'être que droit sur l'activité sociale d'autrui saisie dans le rapport salarial et transformée en travail abstrait. Telles sont, dans une perspective marxienne, les formes élémentaires du rapport capital-travail et plus globalement du procès de reproduction élargie du capital.
Or, les termes et la nature de ce rapport social se sont profondément transformés et une des limites des analyses marxistes est d'avoir transhistoricisé [119] les formes bourgeoises, que ce soit les formes de valeur M et A, ou bien les médiations plus complexes telles que le capital et le travail abstrait. Une première manifestation de cette limite est le recours à la conception moderne et bourgeoise de la propriété pour analyser et comprendre le rapport d'un « capitaliste » à l'accumulation et plus largement à la structure sociale d'accumulation en tant qu'entreprise, soit la propriété en tant que dominium, c'est-à-dire la maîtrise directe par un individu ou un groupe d'associés des moyens de production et du temps de travail salarié [15]. Une seconde est l'adhésion quasi dogmatique à une conception exogène de la monnaie et du crédit présentée par Marx dans les livres 1 et 3 du Capital [16]. En effet, le A initial du procès d'accumulation A-M-A' est conçu comme un stock d'argent que le proto-capitaliste doit obtenir par rapine, pillage ou épargne afin de se présenter comme « l'homme aux écus » sur le marché de la force de travail. Déjà dans le capitalisme moderne l'accès au crédit et le monnayage bancaire du capital commercial était une condition de possibilité de l'investissement et donc de la valorisation du capital selon le schéma A-M-A' [17]. Dans le capitalisme avancé non seulement l'investissement industriel, mais l'ensemble des procès économiques, production, circulation, consommation de masse, reposent sur la médiation financière qu'est le crédit bancaire, c'est-à-dire sur la production endogène du système bancaire d'une monnaie de crédit [18] et d'une liquidité qui permet la mise en circulation des dettes ainsi que des droits sur le capital en tant que titres financiers. Ces innovations, qui marquent la genèse même du capitalisme avancé dès le début du vingtième siècle, ne peuvent pas être pensées uniquement ni principalement dans le cadre des catégories que la sociologie critique a héritées de Marx.
Capital, corporation et intangibilité
Le capitalisme avancé est un capitalisme dominé par la forme corporative de l'entreprise [19]. La genèse, la croissance et la normalisation de la corporation comme forme de l'entreprise n'est pourtant pas un résultat naturel ou spontané du développement capitaliste ; comme plusieurs l'ont montré, l'incorporation de l'industrie à partir du début du vingtième siècle fut un processus économique et politique agonistique et contradictoire [20], qui [120] transforma de manière fondamentale les relations de propriété capitaliste et, selon Thorstein Veblen, le mode d'existence du capital lui-même. Le résultat fut une marginalisation décisive de la propriété capitaliste bourgeoise et de l'entrepreneur industriel qui en dépendait, au profit de nouvelles relations sociales vis-à-vis de l'accumulation, relations divisées entre une strate de gestionnaires salariés « contrôlant » l'entreprise industrielle et un groupe hétérogène d'actionnaires allant du capitaine d'industrie dirigeant d'un holding financier à la masse de petits rentiers dispersés [21]. Cette innovation institutionnelle n'a pas modifié la structure des rapports de propriété bourgeoise du capital, comme le soutiennent les auteurs marxistes [22], elle l'a fait complètement éclater tout en générant de nouveaux rapports de propriété capitaliste [23] et de nouveaux rapports de pouvoir. L'entreprise en tant que corporation acquiert dans le contexte du capitalisme avancé une existence sociale objective comme organisation productive (productive dans le sens où elle est encastrée dans une division sociale du travail) ayant ses finalités propres à titre d'entité organisationnelle [24] par-delà les intérêts étroits des actionnaires à titre de propriétaires « ultimes » du capital ainsi objectivé [25]. La reconnaissance juridique de la personnalité légale de l'entreprise incorporée fait de celle-ci le véritable sujet social de l'accumulation capitaliste, autorisant l'organisation en tant qu'agent légitime à déterminer et à poursuivre matériellement les finalités qu'elle se donne dans l'espace civil [26]. C'est autour de cette agence organisationnelle que se nouent les différents droits sur le capital industriel et que se constitue le contrôle légitime sur l'organisation conféré par ces droits.
Comme le souligne Veblen dans sa Theory of Business Enterprise en 1904, c'est à l'intérieur de la corporation que le « contrôle organisationnel » [121] devient la forme prédominante de puissance socioéconomique. Dans ce contexte, le capital se débarrasse de ces différents aspects spécifiques (capital marchand, bancaire et industriel) et se dédifférencie pour devenir pure reproduction élargie de la capacité organisationnelle en soi [27]. Cette capacité se présente comme la diffusion d'une logique organisationnelle occupant et recomposant les espaces propres du marché, du système bancaire et du travail industriel hérités du capitalisme moderne et bourgeois [28].
Sur le plan méthodologique, suivant ici Weber plutôt que Marx, nous pouvons comprendre l'importance de cette transformation dans la modalité même d'existence du capital comme fait social, à l'aide d'une analyse des mutations de la pratique comptable qui, justement aux yeux de Weber, manifeste et objective le capital en tant que tel. En effet, selon Weber, la comptabilité n'est pas un simple reflet de l'accumulation capitaliste, elle fait partie des catégories de la pratique qui la rendent possible, c'est-à-dire qu'elle est une orientation significative de l'activité économique qui s'impose au sujet comme médiation objective. Au tournant du vingtième siècle se développe dans la comptabilité d'entreprise un ensemble de nouvelles catégories pour rendre compte, c'est-à-dire objectiver économiquement, d'une nouvelle modalité d'être du capital, soit le goodwill et les autres formes de capital dit « intangible » et immatériel. En fait, le goodwill est la forme originaire de divers types d'« intangibles » conventionnellement reconnus par la comptabilité financière d'entreprise aujourd'hui. Quelle est l'origine de ce concept, et que nous dit-il sur la transition vers le capitalisme avancé ?
La notion comptable de goodwill, au sens littéral de « bonne volonté », renvoyait à la fin du dix-neuvième siècle, dans le cadre du capitalisme bourgeois, à la partie de la valeur d'une entreprise qui dépasse la somme des actifs dits tangibles (moyens de production, stocks et liquidités courantes). Cette valeur intangible serait attribuable, du moins en théorie et selon la culture de l'époque, à l'agir ou à la nature de son propriétaire [29]. Le goodwill se reflète dans un surcroît de profits qu'une entreprise ferait par rapport au profit moyen, surprofits dont l'origine ne serait pas accidentelle mais aurait pour cause l'effort, la sagesse, la perspicacité en affaires ou l'affabilité de son [122] propriétaire. La forme type de goodwill fut à l'époque la valeur que représentait le réseau de clients, de fournisseurs et de créanciers qu'entretenait un commerçant ou un industriel et qui se condensait dans la valeur attribuable au « nom » du propriétaire en question [30]. Par extension, on utilisa ce concept pour mesurer la valeur d'un avantage de localisation, d'un secret commercial ou industriel et éventuellement la valeur de la possession d'un brevet ou la valeur d'employés ayant des qualifications particulières, c'est-à-dire dociles ou innovateurs.
Or, avec le développement de l'entreprise corporative, cette catégorie comptable a pris une ampleur et une importance insoupçonnée. En effet, la « valeur d'achat » d'une corporation une société par actions équivaut, dans son expression la plus simple, à la valeur de la somme des titres, principalement actions, qui sont en circulation. La transition vers le capitalisme avancé au début du vingtième siècle a pris la forme d'un vaste mouvement de consolidation industrielle et financière, où des milliers d'entreprises bourgeoises, appartenant à un propriétaire qui y exerçait son dominium personnel ou à un cercle restreint d'associés, furent fusionnées en vastes organisations. Ce procès de fusion-acquisition prit la forme de l'achat par titres des entreprises en question et, comme le note Veblen, la valeur en titres des entreprises dépassait toujours par plusieurs multiples la valeur calculée comme la somme des actifs tangibles et liquides. Comment rendre compte de ce hiatus entre la valeur « au livre » et la valeur « en titre ou en bourse » d'une entreprise, et surtout comment le légitimer économiquement ? Problème qui hante encore Nortel aujourd'hui [31].
C'est ainsi que le concept, plutôt marginal d'ailleurs, de goodwill passa du domaine de la qualité particulière d'un entrepreneur en tant qu'individu singulier au surcroît de valeur attribuable à ce « je ne sais quoi » de la grande organisation capitaliste en tant qu'agent économique. D'attribut de l'individualisme entrepreneurial bourgeois, le goodwill est devenu la propriété, dans le sens plein du terme, à la fois juridique et épistémologique, de l'organisation corporative et reflète encore aujourd'hui sa valeur spécifique en tant qu'organisation plutôt que somme disparate d'actifs industriels tangibles (bâtiments, stocks, machines) ou liquides (monnaie, comptes à recevoir et créances). La centralisation boursière de la « valuation » et de la circulation des actions, « valuation » qui à l'époque tout comme aujourd'hui se démarque radicalement de la valeur des actifs tangibles, participera à la normalisation d'une représentation du capital comme actif intangible capacité organisationnelle plutôt qu'actif tangible sous la forme de moyens de production. Par l'intermédiaire de la diffusion de nouvelles pratiques comptables arrimées au procès de valuation boursière, il y aura matérialisation du capital comme [123] puissance immatérielle, intangibilité, c'est-à-dire pure capacité organisationnelle générale projetée dans le futur [32].
À ce sujet, deux observations doivent être faites. Premièrement, l'intangibilisation du capital comme pure capacité organisationnelle et sa traduction-matérialisation comptable comme goodwill-actif intangible n'est pas le fait très contemporain d'une nouvelle économie du savoir ou d'un régime d'accumulation « informationnel », c'est plutôt une caractéristique permanente, élémentaire et fondamentale du capitalisme avancé depuis sa genèse au début du vingtième siècle en Amérique du Nord. Le capitalisme avancé émerge de la dissolution du caractère tangible du capital industriel, commercial et financier en un système de procès organisationnels fluides qui a une capacité de reproduction élargie. De plus, cette « intangibilisation » n'est pas un accident, une contingence voire le fruit d'un processus de sélection par l'efficience, comme le soutiennent les néo-institutionnalistes, ce fut un procès propulsé par un ensemble de pratiques réflexives de construction et d'imposition de la capacité organisationnelle dans l'économie [33]. Ainsi, au moment même où la comptabilité d'entreprise se transforme en comptabilité « financière » de la corporation, instrument non seulement de gestion stratégique mais aussi de communication avec la bourse et les actionnaires, se développent à l'intérieur du procès de production des outils « organisationnels » de mesure et de contrôle tels que la comptabilité analytique de gestion [34]. En effet, le taylorisme, souvent considéré uniquement comme une transformation réflexive du procès de travail, impliquait aussi la construction d'un système de mesure des coûts et des gains de temps de production. Taylor lui-même considérait que ses innovations techniques ne valaient rien sans l'adoption d'une nouvelle comptabilité interne à l'organisation qui objective les coûts et gains de productivité en temps quasi réel, les rendant ainsi malléables et propices au contrôle. C'est le cas type de ce que nous conceptualisons comme une « capacité organisationnelle ».
Or, et cela nous mène à notre deuxième observation, si le taylorisme est un système de contrôle qui cassa la culture ouvrière classique centrée sur l'autonomie et la dignité du métier [35], la double évolution de la comptabilité que nous venons d'évoquer eut le même effet sur la forme synthétique qu'est l'institution de la comptabilité d'affaires bourgeoise et, si nous suivons Weber, l'effectivité matérielle de la propriété bourgeoise du [124] capital dans l'économie. Bref, c'est la figure même du capitaliste bourgeois et de la culture bourgeoise de l'entreprise qui sont directement en cause dans ce procès où l'organisation devient le véritable agent de l'accumulation. Et, pour conclure ce point, il se pourrait que le transfert légitime de la subjectivité entrepreneuriale et industrielle de la personne bourgeoise vers la nouvelle personne morale corporative ait été justement une des fonctions d'économie culturelle de la catégorie comptable de goodwill, comme le remarque d'ailleurs à sa manière Veblen en 1904 [36].
Nous avons jusqu'ici soutenu que le capitalisme avancé, en tant que formation sociale dominée par la corporation, est marqué par une mutation fondamentale du capital qui, en tant que rapport social d'exploitation de la force de travail, se mue en puissance organisationnelle privée (que nous pouvons définir comme capacité d'organisation de la pratique sociale en général). Cette mutation du capital se matérialise dans l'autonomie qu'acquiert l'entreprise capitaliste en tant que corporation vis-à-vis du bourgeois compris comme sujet capitaliste. Weber, et avant lui Sombart, a montré comment l'avènement de la comptabilité à double entrée dans le cadre du capitalisme marchand de la Renaissance a contribué à l'émergence du capitalisme comme sphère de pratique rationalisée et autonome. Cette activité réflexive a non seulement doté la sphère nationale d'une nouvelle sphère d'activité civile mais, par sa structure même, elle a présenté l'activité commerciale non plus comme somme de transactions avec autrui (comptabilité à entrée simple) mais comme un procès de reproduction élargie d'un capital initial objectivé devant le capitaliste lui-même. Son activité marchande, plutôt que d'être une succession « de bons et de mauvais coups », s'objectivait comme « entreprise », c'est-à-dire comme « une unité économique de profit, orientée en fonction des chances d'opération marchande, et ce dans le but de tirer bénéfice de l'échange. En ce sens, une entreprise peut être une entreprise occasionnelle, [...] ou être une exploitation continue. Toute entreprise se propose d'être rentable, c'est-à-dire d'obtenir un surplus par rapport à la valeur estimable en argent des moyens engagés pour l'entreprise [...] [37]. »
Il faut rappeler que la diffusion sociale de cette innovation, la comptabilité à double entrée, se fit à l'époque (quinzième et seizième siècle) dans le cadre de la circulation d'une littérature beaucoup plus générale visant à former les futurs commerçants, selon une nouvelle culture marchande rationalisée. Ces traités du marchand ou du « bon commerçant » étaient aussi bien des ouvrages d'information que d'éthicisation de la pratique. Autrement dit, l'adoption de cette nouvelle comptabilité fut un phénomène qui relevait autant de la culture que de la rationalisation économique. Or, nous assistons au début du vingtième siècle à un procès similaire, malgré le fait que le discours disciplinaire ne s'adresse plus au bourgeois autonome, [125] indépendant et entreprenant qui souhaite objectiver devant lui le fruit de son activité. En effet, ce discours s'adresse aux nouveaux gestionnaires de vastes organisations capitalistes, desquels on exige, d'une part, une activité de contrôle et de surveillance (comptabilité analytique de gestion) et, d'autre part, une publication de résultats (comptabilité financière). Car, finalement, ce sont eux qui ont une emprise effective sur ces processus créateurs de valeur. L'émergence de ces deux nouvelles formes de pratique comptable, relevant du paradigme du contrôle, plutôt que de celui de la discipline [38], sonna le glas de l'hégémonie de l'entrepreneur bourgeois et surtout du capital compris comme objet de son dominium. C'est maintenant l'entreprise comme organisation objective qui se manifestait à elle-même et à la société par cette mutation de la comptabilité et par la figure du goodwill.
Propriété capitaliste et capital financier
Le développement de l’intangibilité comme paradigme pour représenter ce nouveau mode d'être du capital matérialisé dans l'organisation corporative fut accompagné par l'émergence de nouvelles formes de capital financier. Au capital bancaire et au crédit public du capitalisme de la modernité bourgeoise succéda un capital financier organiquement lié au développement des corporations [39]. En fait, et encore une fois ici, Veblen nous a laissé une analyse précise du phénomène, la « capitalisation » de la puissance organisationnelle sous la forme de goodwill fut intimement liée au développement du crédit corporatif et de son absorption dans une nouvelle circulation financière centralisée et organisée dans des bourses de valeurs mobilières industrielles. Cela favorisa d'ailleurs l'émergence de nouvelles banques d'affaires, les banques d'investissement, directement mobilisées par ces nouvelles pratiques financières des corporations. Or, malgré cette interdépendance entre capital organisationnel et capital financier et contre la tradition inaugurée par Hilferding encore très en vogue chez les marxistes dans les années 1970 [40] , cette évolution ne transforma pas les banquiers en capitalistes, du moins dans le sens bourgeois du concept. En effet, comme l'ont souligné Veblen et plus près de nous les économistes postkeynésiens tels que Minsky [41], le nouveau mode d'existence interne du capital [126] que nous venons d'examiner précédemment, comme puissance organisationnelle endogène à la corporation, s'extériorisa sous la forme d'un ensemble d'actifs financiers liquides représentant un droit sur cette puissance. De plus, ce capital financier, toujours compris comme droit sur la puissance corporative, fut liquéfié et marchandise sous la forme d'un continuum d'actifs, allant des titres sur la dette à court terme (le papier commercial) jusqu'aux actions (et maintenant aux « unités » de fonds de revenus), titres dont la circulation fut rapidement centralisée en bourse et sur des marchés organisés, espaces sociaux qui sont devenus les véritables lieux de leur valorisation [42]. Ce serait une erreur de considérer le résultat de ce procès de liquéfaction du capital comme un redéploiement de la propriété bourgeoise de l'entreprise à un niveau plus abstrait, c'est plutôt une véritable et fondamentale redéfinition de la propriété capitaliste comme propriété en des titres. En outre, compte tenu du caractère liquide des titres, cette propriété financière ne pouvait pas pour autant être assimilée à celle qui sous-tend la figure du rentier moderne, c'est-à-dire celle de l'investisseur passif. Car cette nouvelle propriété capitaliste, propriété de titres liquides, contenait aussi potentiellement un pouvoir important mais limité sur la corporation sous la forme du droit de l'actionnaire en assemblée de nommer le conseil d'administration de la corporation et de dicter certaines de ses orientations stratégiques. Le conseil d'administration devint ainsi un lieu où se sont condensés les rapports de pouvoir sur et dans la corporation. S'il faut considérer, dans l'analyse sociologique du pouvoir dans le capitalisme avancé, le conseil d'administration et ses directeurs comme un lieu de puissance socioéconomique clé [43], on ne peut pas assimiler cette puissance relative sur la capacité organisationnelle à celle absolue impliquée par le dominium du capitaliste bourgeois sur les moyens de production et le temps de travail d'autrui.
Car cette forme de contrôle de la corporation comme puissance organisationnelle est modulée par le caractère liquide des titres financiers qui peuvent aussi bien faire l'objet d'une valorisation purement financière spéculative que servir de moyen d'extraction de valeur monétaire sous la forme de profits distribués comme dividendes aux actionnaires ou sous la forme de programme de rachat d'actions. Finalement, comme l'ont souligné Berle et Means, et plus tard Galbraith dans Le nouvel Etat industriel, dès les années 1930, le nouveau caractère liquide du droit de propriété capitaliste a eu pour contrepartie la production de mécanismes [44] qui [127] permettaient de limiter l'emprise du capital liquide sur l'orientation et la gestion de la corporation comme entité organisationnelle. Dans la mesure où les cadres supérieurs de l'entreprise, le « management », avaient la main haute sur le conseil d'administration, l'accumulation capitaliste pouvait prendre la forme de la croissance bureaucratique des corporations et de l'accumulation et la centralisation de sa puissance organisationnelle [45] sur une échelle qui devint rapidement transnationale voire globale, bref d'une reproduction élargie de la corporation pour elle-même.
Les nouveaux rapports de propriété capitaliste propres au capitalisme avancé contiennent ainsi formellement au moins trois configurations possibles du rapport entre capital, maintenant objectivé autant dans la puissance organisationnelle de la corporation que dans la valeur des titres financiers dont la circulation est centralisée en bourse, et propriétaire d'actions. Ou bien celui-ci a la possibilité d'exercer son pouvoir de contrôle externe sur la corporation afin d'en diriger la stratégie et d'en extraire de la valeur (c'est-à-dire qu'il exige que la puissance organisationnelle se traduise en flux monétaire ce qui ne va pas du tout de soi) ; ou bien il adopte une attitude purement spéculative et valorise son titre uniquement dans l'espace de la circulation boursière ; ou bien, finalement, il se comporte en quasi rentier, laissant à ceux qui contrôlent la puissance organisationnelle de la corporation (le management) leur autonomie et se contente du versement d'un niveau de dividendes que ceux-ci décideront, en fonction de leur besoin de liquidité et de leur besoin de capital pour le réinvestissement (position de Galbraith dans Le nouvel état industriel). Dans les trois cas, le titre financier s'est imposé non pas comme voile qui défigure la propriété bourgeoise, mais comme institution nouvelle de la propriété capitaliste qui s'interpose entre sujet et entreprise, analyse d'ailleurs présentée par Simmel dès 1896. Le dominium n'est pas voilé par le titre financier, il est complètement évacué, ce qui ne veut pas dire que la structure corporative ne comporte pas des asymétries structurelles. Au contraire, celles-ci sont encastrées au cœur même des structures sociales du capitalisme avancé, mais il faut se donner les outils conceptuels pour les penser en elles-mêmes [46], plutôt que de « forcer » les catégories marxistes pour qu'elles conservent coûte que coûte une capacité explicative.
[128]
Liquidité et puissance du capital financier
dans le capitalisme avancé
Comment le capital financier et son système organisationnel se rapportent-ils au capital corporatif et organisationnel typique du capitalisme avancé ? La plupart des observateurs ont posé le problème en distinguant deux sphères de l'économie, l'une considérée comme réelle (la sphère industrielle ou productive) et l'autre comme fictive (la sphère financière). Cette façon de poser le problème en termes d'opposition entre industrie et finance plonge ses racines dans la conception orthodoxe de la monnaie comme stock exogène et voile des échanges en économie politique classique, paradigme repris par Marx avec une certaine hésitation et exacerbé par Hilferding dans son ouvrage Le capital financier. À partir de cette conception de la finance, les options théoriques sont limitées : ou bien on postule la radicale autonomie des deux sphères la finance est ainsi comprise comme une sphère de reproduction d'une valeur purement virtuelle ou d'un capital fictif déconnecté de tout rapport avec la « vraie » valeur matérielle , ou bien on postule que la sphère financière domine la sphère réelle de l'extérieur et lui impose des contraintes par lesquelles le matériel doit se conformer au virtuel. La première position est typique des textes expressionnistes sur la déconnexion de la finance et a peu d'intérêt analytique, la seconde en a plus. Elle permet en effet de s'intéresser aux articulations entre « finance » et « industrie » telles que le financement bancaire de l'investissement ou les programmes de rachat d'actions. Elle demeure néanmoins prisonnière d'une dichotomie entre vraie et fausse valeur, entre réel et fictif. Comme nous l'avons soutenu plus haut, le capital corporatif est dans son essence même intangibilité et immatérialité. La valeur qui se dégage des processus organisationnels de la corporation a un caractère virtuel et les structures sociales du capital financier qui émergent en même temps que s'affirme la domination économique de la corporation s'arriment directement à ce processus de valorisation intangible [47]. Comme le souligne Veblen, l'objectivation de la valeur sous la forme d'une grandeur donnée du goodwill et autres intangibles dans le bilan comptable des corporations se traduit directement dans la valeur financière des actions de ces corporations. Ce lien entre intangibilité et liquidité financière n'est pas le propre du capitalisme postfordiste et financiarisé ou immatériel ou informationnel, c'est une caractéristique propre du capitalisme avancé en général.
La question qui se pose dès lors est celle des modalités par lesquelles se constituent des interdépendances structurelles et nécessaires entre corporation et capital financier. Plutôt que de théoriser l'autonomie ou la déconnexion, nous croyons plus juste de poser la question de l'encastrement hiérarchique du capital financier dans la reproduction des corporations. Pour [129] reprendre une terminologie keynésienne, il faut penser les articulations entre circulation industrielle et circulation financière sans présupposer que l'une aurait une priorité « ontologique » sur l'autre. Au cœur de ces rapports entre industrie et finance se trouve une institution clé, la banque. Schumpeter, dans sa Théorie du développement économique [48], est le premier à remarquer cette centralité de l'institution bancaire qu'il pense comme « éphore » de l'économie capitaliste avancée. En effet, dans le capitalisme en général, et plus particulièrement dans sa forme avancée où prédomine la monnaie bancaire [49] sur la monnaie frappée, les banques détiennent un monopole institutionnel qui leur confère un pouvoir immense dans l'économie, le pouvoir de monnayage, c'est-à-dire de création monétaire par octroi de crédit [50]. Ce monnayage a une double finalité : d'un côté, la banque produit une liquidité monétaire par le financement de ce que Keynes appelait l'« entreprise », c'est-à-dire le financement de l'investissement ou des opérations organisationnelles courantes des corporations et petites entreprises et éventuellement de la consommation salariale ; d'un autre côté, elle produit une liquidité financière par la création, l'émission sur les marchés et la circulation d'actions, d'obligations et autre formes d'actifs financiers dont elle entretient la liquidité. Dans ce deuxième cas, il y a également création monétaire par l'intermédiaire du crédit, car la liquidité financière des titres dépend de la liquidité monétaire [51].
Bref, le capital financier a une essence organisationnelle et intangible tout aussi déterminante que le capital industriel de la corporation. Tout comme ce dernier, le capital intangible fait l'objet d'une « production » dans des rapports sociaux déterminés, et dans des conditions d'asymétrie et de jeux de puissance manifeste qu'une analyse en termes strictement marxistes ne peut saisir adéquatement. Le concept de monnayage du capital financier par contre permet d'analyser les structures sociales par lesquelles s'exerce concrètement dans une économie donnée cette puissance qui découle d'un monopole institutionnel sur la création monétaire. Dans l'analyse du monnayage, il est possible de distinguer des régimes propres à des périodes historiques et à des économies nationales, voire à des centres financiers précis, bref la pratique de monnayage fait elle-même l'objet d'une codification [130] socioéconomique qui traduit des normes culturelles et politiques relatives au crédit et à l'investissement dans l'économie. Ces normes doivent aussi être comprises comme la manifestation, la construction et la distribution de pouvoir dans l'économie capitaliste avancée.
Mais la banque n'est qu'un des pôles institutionnels de la finance dans le capitalisme avancé. La consolidation de la centralité des corporations dans l'économie s'est accompagnée de l'émergence des bourses en valeurs mobilières (actions et obligations) ainsi que des marchés financiers analogues qui ont su s'imposer comme lieu de régulation de l'accumulation. Ce pôle proprement spéculatif du capitalisme avancé a permis l'émergence d'acteurs économiques qui dépendent de manière structurelle de la liquidité financière et dont l'essentiel de l'activité consiste en son maintien et en son expansion. Courtiers, analystes, traders, gestionnaires de portefeuille, ses acteurs omniprésents dans le capitalisme nord-américain dès les années 1920 ont eux-mêmes donné naissance à une forme organisationnelle type de la finance du capitalisme avancé, le « fonds ». Calquée sur le modèle des mutuelles en assurance, cette nouvelle forme sociale a eu une double fonction. D'un côté, elle a permis de démocratiser la participation aux marchés financiers et, de l'autre, de soutenir de manière novatrice la liquidité financière par la conversion d'un flux d'épargne en capital financier centralisé.
Grâce aux fonds, les nouvelles classes moyennes ont pu accéder aux pratiques d'accumulation financière qui n'étaient plus réservées à une aristocratie de l'argent. Toutefois, dans leur cas, cette accumulation s'est présentée, et se présente toujours, comme une accumulation de droits sur une organisation de placement sans pour autant faire d'eux des spéculateurs informés ou des propriétaires de titres ayant la capacité d'exercer des droits sur les entités sous-jacentes. Cette institutionnalisation d'une incapacité et d'une impuissance organisationnelle par les fonds a eu, et a toujours, pour revers une nouvelle puissance. Car la contrepartie de cette cession de droits de gestion en « fiducie » fut la création d'une capacité organisationnelle de métamorphose d'une épargne de masse en capital financier massifïé ayant une puissance spéculative décuplée. Les fonds [52], dépositaires d'un mandat fiduciaire de faire fructifier l'épargne de leurs bénéficiaires, purent ainsi, en tandem avec les banques, transformer les bourses et les autres marchés en espace d'exercice de puissance financière ayant pour finalité l'extraction de la valeur soit endogène à la sphère financière, soit exogène à travers son emprise par les « titres du capital financier » sur les corporations ou les Etats souverains. Ces caractéristiques, souvent considérées comme propres à un contexte néolibéral ou à une économie financiarisée, renvoient aux structures sociales générales du capitalisme avancé établies depuis un siècle. Le propre de la période actuelle serait plutôt l'extension prise par les fonds dans la société et l'économie, ainsi que le degré de [131] centralisation du contrôle sur les fonds par une poignée de grandes banques d'investissement.
Le capital financier, comme nous venons de le voir, regroupe un ensemble complexe de structures institutionnelles et d'acteurs sociaux. Ensemble qui se met en place au début du vingtième siècle en développant la capacité organisationnelle de médiatiser la production et la reproduction de relations financières, la mise en circulation de titres qui correspond à ces relations sont des vecteurs d'accumulation financière du capital et des instances/mécanismes de régulation de l'investissement, de la production de biens et de services, de la consommation de masse et de l'épargne. Les questions qui se posent à une sociologie du capitalisme avancé n'est pas : Qui sont les vrais capitalistes ? Les banquiers ? Les financiers ? Ou les industriels ? questions qui ont hanté le marxisme au vingtième siècle. Il s'agit plutôt de se demander comment interagissent les corporations, les salariés, les fonds et les banques. Quels rapports structurels et asymétries de puissance prédéfinissent ces relations et ces pratiques ? Comment ces rapports se modifient-ils dans le temps et selon les contextes nationaux [53] ? En ce sens, la problématique de la déconnexion ou de l'autonomisation de la finance est remplacée par une analyse des modalités par lesquelles le capital financier s'encastre dans la dynamique essentielle des corporations et plus globalement de l'économie générale du capitalisme avancé. Si nous nous représentons cette économie comme un circuit [54] composé de trois moments essentiels, chacun noué autour d'un rapport social central, rapport d'entreprise qui décide du niveau d'investissement et de production, rapport salarial et norme de consommation /épargne qui conforte ou pas le rapport d'entreprise, on peut alors examiner comment le capital financier s'encastre dans ce circuit afin d'exercer à sa manière une détermination sur chacun de ces moments. Soit une détermination sur l'insertion des corporations dans la division sociale du travail, de leur relation avec le financement bancaire direct ou indirect, de leur relation avec les salariés, des relations que les banques elles-mêmes développent afin de financer l'investissement ou la consommation et de se financer elles-mêmes. Finalement, dans le contexte actuel d'une plus grande emprise de la finance sur la dynamique économique générale, une telle approche mettrait l'accent sur l'analyse des nouveaux acteurs financiers hégémoniques, les fonds, mais aussi sur la manière dont les corporations et même une élite d'individus réussissent à mobiliser pour eux-mêmes le capital [132] financier comme puissance dans la sphère financière (vis-à-vis des banques ou dans les bourses et marchés) ou puissance sur d'autres corporations, banques, ou salariés à titre de travailleurs ou de consommateurs.
Le capitalisme a historiquement montré une plus grande plasticité structurelle et un plus grand dynamisme institutionnel que ne le laissent entendre les analyses expressionnistes. Une sociologie critique du capitalisme doit pouvoir objectiver cette plasticité sans pour autant se laisser séduire ou fasciner par une dynamique d'innovation sociale intense et déroutante devant laquelle elle se sentirait obligé de s'incliner. Parlant de la société bourgeoise et du capitalisme de la modernité, Marx a pu dire que ceux-ci instituaient un ordre social dans lequel « tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée ». Nous avons tenté de délimiter quelques formes institutionnelles au cœur des structures sociales du capitalisme contemporain en montrant comment elles plongent leurs racines dans une grande transformation au début du vingtième siècle, le tournant organisationnel du capitalisme. Genèse de la corporation, genèse du capital financier, formation d'un nouveau salariat stratifié, notre caractérisation du capitalisme au vingtième siècle par le développement de ces trois formes sociales n'a rien en soi de très original. Notre argument est qu'une analyse de la nature institutionnelle de ces formes sociales qui s'émancipe du système des catégories marxistes éclaire mieux la spécificité des transformations historiques du capitalisme depuis un siècle qu'une analyse qui transhistorise les catégories de la société bourgeoise.
La question de la différenciation historique ou nationale des régimes d'accumulation propres au capitalisme avancé, de la constitution de nouveaux rapports de classes, du rapport entre ces développements et le procès politique d'institutionnalisation de formes de l'État ou avec une modalité globale de reproduction sociétale, sont évidemment hors de la portée du présent article. Mais nous espérons que le cadre d'analyse présenté ici permettra de poser ces questions centrales à une théorie critique de manière à dépasser l'appréhension purement expressive des dérives de la société actuelle.
[1] Ce texte reprend en l'amplifiant un travail qui tentait de tracer les grandes lignes d'un projet de recherche sur la financiarisation de l'accumulation capitaliste, projet qui s'est concrétisé par la formation d'un groupe de chercheurs et d'étudiants, le collectif d'analyse de la financiarisation du capitalisme avancé (CAFCA). La présente réflexion est le fruit des discussions et débats dans le cadre des séminaires du CAFCA. Nous tenons à signaler en particulier la contribution de F. Hanin, F. L'Italien, B. Coutu, C. Sauriol, D. Poirier et les autres participants aux séminaires, ainsi que les assistants de recherche J.-F. Vinet, M. Lefrançois, M.-N. Martineau, J. Posca, F. Theurillat-Cloutier, M. Saint-Onge qui travaillent à l'analyse de la financiarisation. Bien entendu, le point de vue soutenu ici n'engage que l'auteur.
[2] Sur ce dernier point voir l'analyse magistrale de M. Postone, Time, Labor and Social Domination, A Reinterpretation of Marx's Critical Theory, New York et Cambridge, Cambridge University Press, 1993. Sur le premier point, voir les travaux d'une nouvelle génération de philosophes « postmarxistes » tels que F. Fischbach et Emmanuel Renault. Sur la question économique, voir l'ouvrage de T. Hai Hac, Relire le capital, Lausanne, Page deux, « Cahiers libres », 2003. En France, ce renouveau critique de l'étude et de l'application des travaux de Marx, qui se présente comme marxienne plutôt que comme marxiste, a été signalé lors du dernier numéro de la revue phare Actuel Marx (n° 29) dans l'éditorial « Une nouvelle époque ». Le présent travail se situe dans une perspective de relecture critique de Marx, mais nous ne sentons pas le besoin de fonder notre analyse sur une lecture du texte qui ferait de sa pensée le point de départ indépassable d'une théorie critique ; notre démarche est plutôt ancrée dans une lecture de la théorie générale de Michel Freitag.
[3] Sans négliger une lecture et un tri critiques de l'apport des différents marxismes du vingtième siècle.
[4] M. Castells, La société en réseaux, Paris, Fayard, 2001 ; A. Negri et M. Hardt, Empire, Paris, Exils, 2000.
[5] R. Boyer, La théorie de la régulation. Les fondements, Paris, Seuil, 2004, R. Jessop et N. Sum, Beyond the Regulation Approach : Putting Capitalist Economies in Their Place, Londres, Edward Elgar, 2005.
[6] Bien que plusieurs sociologies à portée générale travaillent avec une distinction entre capitalisme classique et avancé, le lecteur familier des thèses de Michel Freitag sur le devenir de nos sociétés remarquera que nous nous inspirons en grande partie de sa théorie sociologique générale sur le plan de la méthode et que l'argumentation mobilise la structure générale de son analyse de la « postmodernisation » de la société moderne, procès qui est animé par l'emprise croissante de l'organisation et des logiques organisationnelles sur le devenir sociopolitique des sociétés. Voir l'introduction générale de J.-F. Filion, Sociologie dialectique. Introduction à l'œuvre de Michel Freitag, Québec, Nota Bene, 2006. Ce qui suit se démarque toutefois de l'analyse de Freitag en abordant la question de la transformation du capitalisme en elle-même plutôt que comme moment d'un procès plus large, l'argumentation laisse en suspens la question générale des rapports entre modernité, postmodernité et capitalisme.
[7] Nous utilisons dans ce texte le terme « corporation » comme catégorie sociologique afin d'ancrer l'analyse de l'organisation capitaliste dans son développement typiquement anglo-américain et son institutionnalisation par la common law comme personne morale et puissance sociale légitime. Car c'est dans ce procès sociojuridique que la grande entreprise multinationale acquiert ses traits essentiels, plutôt que du droit civil et de l'institution de la « société ». Il ne s'agit pas donc pas d'un anglicisme, mais bien d'un concept ancré dans un procès socio-historique qui a été hégémonique au vingtième siècle.
[8] Que l'on retrouve au chapitre 27 dans ce qui est devenu par la plume d'Engels le livre 3 du Capital mais qui en réalité n'est qu'une somme de manuscrits.
[9] Voir, par exemple, J. Habermas, Raison et légitimité : problèmes de légitimation dans le capitalisme avancé, Paris, Payot, 1978.
[10] R. Jessop et N. Sum, op. cit.
[12] M. Henry, Marx, t. 2, Une philosophie de l'économie, Paris, Gallimard, 1976.
[13] Par cela nous entendons une conception de la production comme transformation concrète de la nature, la matérialité est ici restreinte à la « matière », or une partie importante du travail critique de la philosophie de Marx fut de proposer un déplacement du matérialisme d'une base physicaliste vers un fondement pratique, où l'acte et la vie ont une priorité ontologique sur la « substance » physique. Sur ce, voir les travaux de F. Fischbach, entre autres, La production des hommes. Marx avec Spinoza, Paris, PUF, 2005.
[14] G. Simmel, Philosophie de l'argent, Paris, PUF, 1987.
[15] M. Xifaras, La propriété, une étude de philosophie du droit, Paris, PUF, 2004.
[16] G. Ingham, The Nature of Money, Londres, Polity Press, 2004.
[19] J. Porter, The Vertical Mosaic : An Analysis qf Social Class and Power in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1965 ; J. K. Galbraith, Le nouvel État industriel : essai sur le système économique américain, Paris, Gallimard, 1989.
[20] W. G. Roy, Socializing Capital, Princeton, Princeton University Press, 1997 ; S. Bowman, The Modem Corporation and American Political Thought, University Park (Pa.), Penn State University Press, 1996.
[21] A. Berle et G. C. Means, The Modern Corporation and Private Property, New York, Macmillan, 1932.
[22] J. Scott, Capitalist Property and Financial Power : A Comparative Study of Britain, the United States and Japan, New York, New York University Press, 1986 ; et W. K. Carroll, Corporate Power in a Globalizing World : A Study in Elite Social Organization, Don Mills, Oxford University Press, 2004. Par ailleurs, il faut reconnaître que Marx lui-même entrevoyait, de manière limitée, cette possibilité dans son étude du rôle du crédit dans une économie capitaliste, livre 3 du Capital, où il entrevoit la possibilité d'une socialisation du capital sur les bases mêmes de ce mode de production.
[23] Sur la notion de propriété capitaliste, nous nous inspirons de la perspective développée dans F. Morin, Théorie économique du patrimoine, Paris, Ellipses, 1984. Le concept de corporation utilisé renvoie à celui de « groupe » que Morin distingue de la catégorie économique de « firme ».
[24] C. Perrow, Organizing America : Wealth, Power and the Origins of Corporate Capitalism, Princeton, Princeton University Press, 2002.
[25] Les institutionnalistes américains tels que Commons vont d'ailleurs utiliser la catégorie tout à fait appropriée de going concern pour qualifier ce mode d'organisation et d'objectivation du capital industriel.
[27] Un développement entrevu par le grand économiste anglais Alfred Marshall quand il fit de l'« organisation » un quatrième facteur de production à côté des trois facteurs classiques que sont la terre, le capital et le travail.
[28] Dans les sections qui suivent nous examinerons cette emprise de la logique organisationnelle dans les espaces du travail et de la finance.
[29] La valeur d'une entreprise correspondrait donc au résultat de l'addition suivante : valeur des actifs liquides (monnaie et titres financiers) + valeur des actifs tangibles + valeurs des actifs intangibles {goodwill) créances. S'il est normalement facile de calculer la valeur des actifs tangibles (au coût d'acquisition-dépréciation) et d'évaluer la valeur d'actifs liquides, le cas des actifs intangibles demeure problématique, leur valeur est en fait déterminée négativement comme la différence entre le coût d'acquisition d'une entreprise et la valeur de ses actifs liquides et tangibles les créances.
[30] H. P. Hughes, Goodwill in Accounting : A History of the Issues and Problems, Atlanta, Georgja State University, 1982.
[31] D. Hunter, The Bubble and the Bear : How Nortel Burst the Canadian Dream, Toronto, Doubleday Canada, 2003.
[32] E. Pineault, « Prolégomènes à une théorie critique du capital financier : liquidité du capital et développement de l'institution financière de la modernité », Société, no 17, 2003, pp. 213-279.
[34] G. Bellemare et L. Briand. « L'évolution des pratiques de surveillance par les usagers d'une grande entreprise de transport en commun : de 1860 aux années 2000 », Comptabilité, contrôle, audit, vol. 11, n° 2, « Contrôler l'entreprise. Contrôler dans l'entreprise », 2005, pp. 149-166.
[35] R. Pinard, La révolution du travail : de l'artisan au manager, Montréal, Liber, 2000.
[36] T. Veblen, The Theory of Business Enterprise, New York, A. M. Kelley, 1965, pp. 140-141.
[37] M. Weber, Histoire économique, Paris, Gallimard, 1991, p. 14.
[38] L. Briand et G Bellemare, « A Structurationist Analysis of Post-Bureaucracy in Modernity and Late Modernity », Journal of Organizational Change Management, vol. 19, no 1, 2006, pp. 65-79.
[39] Crédit essentiel au développement du capitalisme avancé soit sous forme de prêt à long terme pour investissement en biens capitaux, soit sous forme d'avances commerciales ou d'émission, intermédiée par les banques commerciales, de titres à court terme sur les marchés.
[40] Voir par exemple les travaux de J. Niosi tels que Le contrôle financier du capitalisme canadien, Sillery, Presses de l'université du Québec, 1982.
[41] H. P. Minsky, Stabilizing an Unstable Economy, New Haven, Yale University Press, 1986.
[43] Cette perspective anime les recherches en sociologie des élites économiques qui s'inspirent du programme de C. Wright Mills, telles que W. Carroll, Corporate Power in a Globalizing World, Oxford, Oxford University Press, 2003.
[44] Retenir les profits afin de les réinvestir plutôt que les distribuer aux actionnaires est un mécanisme de base qui garantit l'autonomie des gestionnaires par rapport au marché financier. Une autre stratégie est la captation par le management du conseil d'administration. Enfin, le management peut aussi contrôler l'assemblée des actionnaires par diverses techniques communicationnelles, comme l'utilisation de circulaires pour demander la délégation de vote. Dans le cas des corporations du continent européen, l'accès au crédit bancaire à long terme fut aussi une technique qui préserva l'autonomie du management. Sur cette problématique, voir M. J. Roe, Strong Managers, Weak Owners, Princeton, Princeton University Press, 1994.
[45] Le cas type fut la vague de fusions en conglomérat à la fin des années 1960 en Amérique du Nord.
[46] Voir F. Morin, op. cit.
[48] J. A. Schumpeter, Théorie du développement économique, Paris, Dalloz, 1997.
[50] M. Aglietta et J. Cartelier, « Ordre monétaire des économies de marché », dans M. Aglietta et A. Orléan (dir.), La monnaie souveraine, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 129-157.
[51] À titre d'exemple, l'ensemble des transactions effectuées par un hedgefund important se font en utilisant une marge de crédit qu'on négocie avec une grande banque d'investissement, sur la base de la réputation de ses principaux traders, avant de s'engager sur les marchés financiers. C'est la banque qui lui fournit, à crédit, la liquidité nécessaire à ses transactions en titres. Autre exemple, lors des émissions importantes de titres sur les marchés, les banques offrent à l'avance du crédit aux acheteurs prospectifs de ces actifs financiers afin de garantir le « placement » des titres en question.
[52] J'inclus ici les fonds de pension dont la structure fut calquée sur celle des fonds mutuels.
[53] Les travaux sur ces questions s'inscrivent actuellement dans la reconnaissance du développement d'un régime d'accumulation financiarisé, notre propre réflexion sur la question s'inspire des ouvrages récents de M. Aglietta et A. Rébérioux, Dérive du capitalisme financier, Paris, Odile Jacob, 2005, de K. Williams et al., Finanrialization and Strategy, Londres, Roudedge, 2006 ; de F. Morin, Le nouveau mur de l'argent, Paris, Seuil, 2006 ; de F. Lordon, La politique du capital, Paris, Odile Jacob, 2002 ; et de G. Krippner, « The Financialization of the American Economy », Socio-Economic Review, vol. 3, 2005, pp. 173-208.
[54] M. Lavoie, L'économie post-keynésienne, Paris, Seuil, 2004.
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