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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir du texte de Jean-Marc PIOTTE, “La polysémie de la participation.” In Revue Interventions économiques pour une alternative sociale, no 16, hiver 1986, pp. 33-42. Montréal: Les Éditions Albert Saint-Martin, 216 pp.. [Madame Diane-Gabrielle Tremblay, économiste, et professeure à l'École des sciences de l'administration de la TÉLUQ (UQÀM) nous a autorisé, le 25 septembre 2021, la diffusions en libre accès à tous des numéros 1 à 27 inclusivement le 25 septembre 2021 dans Les Classiques des sciences sociales.]

[33]

Interventions économiques
pour une alternative sociale
No 16
NOTES D’ACTUALITÉ

LA POLYSÉMIE
DE LA PARTICIPATION
.”

Jean-Marc PIOTTE

La participation est un enjeu de pouvoirs entre l'État, patronat et syndicats. Historiquement, elle a pris trois grandes formes : l’autogestion comme en Yougoslavie ; la co-gestion comme dans les États sociaux-démocrates ; la gestion participative. Celle-ci, pratiquée dans certaines entreprises de l’Amérique du Nord, provient de la reconnaissance que a hiérarchisation verticale de l’autorité gestionnaire ne peut plus imposer son contrôle, et est utilisée pour améliorer l’efficacité organisationnelle [1].

Je partirai de ces distinctions que je devrai nuancer et complexifier pour analyser la position des gouvernements, du patronat et des centrales syndicales sur la participation tant au sommet des hiérarchies qu’au niveau de l’entreprise.

[34]

La participation au sommet

Le gouvernement péquiste, suivi maintenant par le gouvernement Mulroney, propage dans l’opinion publique l’idée de participation à laquelle devront s’ajuster les autres composantes de la société. Les objectifs recherchés par le P.Q. sont clairement définis dans les documents Bâtir le Québec et Le virage technologique. La concertation vise « à assainir le climat social et à accélérer la croissance économique [2] ». Le Conseil économique et social, qui devait remplacé le Conseil de planification et de développement du Québec (C.P.D.Q.) supprimé par le gouvernement et qui aurait regroupé tous les partenaires sociaux économiques sur une base nationale, aurait poursuivit, dans la perspective du gouvernement, l’objectif de la croissance de la valeur ajoutée dont le plein emploi devrait mystérieusement découler. La nouvelle formule de gestion participative au sommet est ainsi subordonnée à la politique traditionnelle par laquelle le développement économique et l’emploi relèvent prioritairement de l’entreprise privée. Les textes sont clairs et ne comportent aucune ambiguïté :

« L’économie québécoise est décentralisée et très ouverte sur l’extérieur. Dans ces conditions, il est d’une importance capitale de préserver la compétitivité des entreprises et, d’autre part, l’économie du marché doit demeurer, de façon générale, le système guidant l’allocation des ressources. Les moyens de production sont au Québec, en quasi totalité, entre les mains des agents privés de l’économie et la responsabilité d’assurer un développement suffisant et de créer des emplois incombe d’abord au secteur privé. Le gouvernement du Québec entend donc susciter et appuyer les initiatives privées et créer des conditions plus favorables à leur développement. Il entend, par ailleurs, rendre mixtes certaines sociétés publiques, de façon à développer plus rapidement ces entreprises, notamment celles qui ont une vocation industrielle. Il entend de plus soumettre ces entreprises, qu’elles soient mixtes ou entièrement publiques, aux règles de la rentabilité et de la concurrence. Enfin, dans un contexte mondial où la présence économique de l’État est devenue une des principales caractéristiques des sociétés modernes, le gouvernement du Québec entend utiliser les leviers économiques dont il dispose tant sur le plan de la stabilisation de l’activité économique que de la conception et de la mise en œuvre de stratégies de développement [3] ».

Le Conseil du patronat, principal représentant du milieu des affaires, participe aux organismes consultatifs ou administratifs para- gouvernementaux et aux tables de concertation. Mais il s’oppose à toute loi, organigramme ou structure [35] qui viserait à imposer la participation. La pratique de la social-démocratie européenne, étrangère à l’expérience nord-américaine, ne lui semble comporter que des dangers : elle limiterait les marges de manœuvre de l’entreprise privée, seule garante pour lui de la croissance de la productivité, du profit, donc de l’économie. Le C.P.Q. désire plutôt que l’État limite ses réglementations qui entravent la liberté de l’entreprise et enlève du Code du travail les avantages que le gouvernement aurait accordés aux syndicats depuis 1976. Même si le Conseil est assez satisfait des objectifs du gouvernement tels que fixés dans les documents ci-haut cités, il s’objecte à l’institutionnalisation de la gestion participative, non seulement parce qu’il y voit poindre les affres de la social-démocratie, mais parce qu’il considère que la convention collective d’établissement entre le syndicat et les dirigeants de l’entreprise, dans un face à face où l’État s’absenterait le plus possible, est la meilleure formule de participation [4].

La C.S.D. s’embarque à fonds de train dans la vision participative véhiculée par le gouvernement Lévesque. Pour elle, les intérêts de l’État, du patronat et du syndicalisme sont convergents. Seules des divergences idéologiques et des méfiances réciproques empêchent ces trois composantes sociales de reconnaître l’harmonie qui devrait présider leurs rapports. Le syndicalisme « nouveau » qu’elle propose contre le syndicalisme traditionnel, qu’il soit, dit-elle, d’affaires comme à la F.T.Q. ou politisée comme à la C.S.N. et à la C.E.Q. [5], s’inspire de cette conception naïve selon laquelle les conflits sociaux ne relèveraient que de la méconnaissance ou de blocages institutionnels. Si chacun savait, disent les leaders de la C.S.D., tous s’entendraient. L’histoire de l’industrialisation est, affirme-t-elle, marquée par trois étapes : développement par l’entreprise privée ; développement par l’État ; enfin, l’étape présente, la concertation, dans laquelle le syndicalisme aurait enfin un rôle :

« Ce n’est pas dans l’affrontement, mais c’est plutôt dans la convergence des efforts que la société progressera. L’histoire du développement moderne du Québec nous révèle qu’elle a franchi deux étapes importantes : celle d’abord du développement industriel par l’entreprise privée, puis le développement socioéconomique axé sur l’État, maintenant nous entrons dans l’ère de la concertation [6] ».

La C.S.D. a évidemment insisté pour participer à tous les organismes consultatifs, tables de concertation ou sommets du gouvernement péquiste. Mais la méfiance que lui vouaient les trois grandes centrales syndicales l’a empêchée de prendre toute la place à laquelle elle aspirait. C’est au niveau local, celui des entreprises privées, que la C.S.D. a conduit le plus grand nombre d’expériences de participation à la gestion. J’y reviendrai.

La F.T.Q. s’implique, elle aussi, très fortement dans les processus de concertation, mais dans une perspective différente de celle de la C.S.D. Alors que celle-ci répercute [36] au niveau syndical le discours « bon-ententiste » du gouvernement Lévesque, la F.T.Q. propose que, comme dans les pays sociaux-démocrates, le plein emploi devienne un objectif national et prioritaire partagé par les partenaires sociaux. Cette politique serait gérée, tant au niveau national que régional, par des institutions où on retrouverait côte à côte des représentants patronaux, syndicaux et gouvernementaux. Ces thèses, exposées lors du 18e Congrès et inspirées des positions de Diane Bellemare et de Lise Poulin-Simon [7], n’ont fait que systématiser l’orientation idéologique qui anime cette centrale depuis les années 1960.

Mais le patronat n’est pas, comme l’affirme pudiquement la F.T.Q., « tiède ou indifférent à l’égard d’une politique de plein emploi [8] » : il y est opposé, poursuivant une politique de croissance de la valeur ajoutée dans laquelle même le rôle keynésien de l’État devrait être restreint. De plus, le patronat, non seulement s’objecte à toute accréditation multipatronale — condition nécessaire à une politique de plein emploi pour la F.T.Q. — mais aussi à toute participation institutionnalisée. Le gouvernement Lévesque, lui aussi, ne poursuit pas une politique de plein emploi : il vise la croissance économique dans laquelle l’entreprise privée exercerait un rôle déterminant et d’où devrait découler, selon les lois du marché, la création d’emplois. Il y a des individus au P.Q. qui partagent la politique de la F.T.Q., dont Robert Dean assisté maintenant de Lise Poulin-Simon, mais ces individus ne constituent pas une tendance et encore moins le gouvernement. En minimisant le caractère antogoniste de ses positions avec celles du C.P.Q., en réduisant l’ampleur des divergences entre son projet de participation social-démocrate et celui de « gestion participative institutionnalisée », la F.T.Q. peut, cachée derrière l’image attrayante de la social démocratie, continuer de collaborer avec les gouvernements Lévesque et Mulroney par un échange de bons services auquel nous a habitué la pratique traditionnelle du syndicalisme d’affaires.

Suite à l’emprisonnement des chefs syndicaux, la C.E.Q. décide à son Congrès de 1972 de se retirer de tous les mécanismes de consultation et de participation mis sur pied par le gouvernement : on ne collabore pas avec l’État employeur. La victoire électorale du P.Q. en 1976 et son orientation participationniste susciteront de multiples débats et entraîneront la C.E.Q. à commettre des entorses à son abstention de principe en participant à certains sommets économiques.

L’essoufflement et la démobilisation consécutifs à la défaite syndicale lors des dernières négociations amènent la C.E.Q. à réorienter ses stratégies d’intervention et le Congrès de 1982 tranchera clairement la question en décidant de réévaluer, dans le cadre de la défense de ses membres, la pertinence d’être représentée à certains organismes consultatifs ou administratifs para- gouvernementaux. Dans la foulée de cette résolution, le Bureau national puis le Conseil général choisiront de participer à la plupart de ces organismes, exceptions faites de certains cas particuliers, dont le Conseil du statut de la femme, même si cette [37] participation étendue pose des problèmes réels d’utilisation et d’allocation des ressources limitées disponibles.

Il est ironique d’observer que la position de la C.E.Q. est similaire à celle du C.P.Q. : refus de l’institutionnalisation de la concertation sociale ; priorité attribuée à la négociation collective ; participation là où le requiert la défense de ses membres. Dans son opposition au tripartisme et à la concertation sociale, la C.E.Q. semble rejeter tout projet social-démocrate, poursuivant un vague projet de société dont les modalités demeurent pour le moins obscures, tandis que l’hostilité du Conseil du patronat repose, elle, sur la valorisation du libre marché. La participation maintenant acceptée par la C.E.Q. se situe, comme celle du C.P.Q., au sein d’une conception pragmatique : la présence est préférable à l’absence dans la défense de ses intérêts.

Même si la C.S.N., ballottée entre ses membres provenant du secteur privé et ceux œuvrant dans les appareils d’État, n’a jamais décidé à l’instar de la C.E.Q. de boycotter tous les organismes de participation et de consultation, elle a manifesté de fortes réticences comme le révèlent les positions contradictoires des Congrès, notamment sur la présence de la centrale à la Commission de la santé et de la sécurité au travail (C.S.S.T.). Le Congrès de 1984 adoptera finalement une position similaire à celle du Congrès de la C.E.Q. de 1982. La C.S.N., préconisant un socialisme autogestionnaire aux contours mal définis, rejette le tripartisme et toute concertation institutionnalisée. Mais elle accepte de participer aux organismes de consultation là où elle peut y défendre les intérêts des travailleurs. La participation de la C.S.N. s’inscrit donc elle aussi un sein d’une vision pragmatique : s’informer, faire connaître ses positions aux pouvoirs et au public, influencer les décisions du gouvernement et du patronat. La C.S.N. suit donc une ligne directrice convergente avec celle de la C.E.Q. qui est, comme nous l’avons vu, l’envers de celle du Conseil du patronat.

La participation dans l’entreprise

La F.T.Q. est la centrale qui s’était la plus engagée dans diverses formules de gestion de l’entreprise par les travailleurs, notamment à Tricofil où le syndicat favorisait la co-gestion, mais qui, en l’absence de partenaire gouvernemental ou privé, a dû s’orienter vers l’autogestion [9]. Je ne sais comment la direction de la F.T.Q. a évalué cette expérience et celles de la cogestion vécues dans quelques entreprises. Négativement, j’imagine, si on les regarde à la lumière du fonctionnement du Fonds de Solidarité. Le Conseil d’administration du Fonds est formé en majorité de membres nommés par le Conseil général de la F.T.Q.

L’assemblée générale annuelle des actionnaires ne nomme que deux des treize administrateurs du Conseil. C’est le Fonds qui mandate ses [38] représentants au C.A. d’une entreprise dans laquelle il aurait investi : le groupe de travailleurs concernés et leur syndicat ne sont que consultés, informés et formés. En d’autres termes, le Fonds fonctionne à l’image d’un holding patronal et les travailleurs de la base ne sont appelés qu’à une gestion participative.

Le socialisme autogestionnaire de la C.S.N. aurait dû la conduire à mener des expériences d’autogestion, mais ce n’est pas le cas. Dans le rapport de son dernier congrès, elle affirme :

« En s’appuyant constamment sur les sacro-saints droits de gérance et de propriété, le patronat, jusqu’à un certain point, a réussi à faire en sorte que nous nous sentions étrangers à notre lieu de travail. Nous proposons aujourd’hui d’investir ces lieux de travail : qu’il s’agisse de gestion économique, de choix d’investissements ou même de la qualité de la production ou des services, il faut nous impliquer, ne serait-ce que pour les effets qu’a sur les emplois ce type de décisions [10] ».


Mais cette déclaration de principe, sibylline avouons-le, n’étant suivie d’aucune recommandation, on peut prévoir qu’elle n’aura aucun effet sur sa pratique syndicale.

L’initiative de promouvoir la participation dans l’entreprise revient encore au gouvernement, fédéral cette fois-ci, par le programme de la qualité de vie au travail (Q.V.T.), qui sera repris au Québec par l’intermédiaire de l’Institut national de productivité. La Q.V.T. vise à accroître la productivité en augmentant la satisfaction des employés par l’amélioration d’un ou plusieurs aspects de leur vie au travail.

Le Conseil du patronat est ni hostile ni favorable à la Q.V.T. Conservateur, il est plutôt partisan des méthodes traditionnelles de gestion, tout en reconnaissant à l’entrepreneur la liberté d’expérimenter cette formule de gestion participative et tout en demandant au gouvernement d’intervenir le moins possible. Tant au niveau de l’entreprise qu’au niveau national, le C.P.Q. est cohérent face à la participation : c’est à l’entrepreneur individuel, dans un marché le plus libre possible, de décider.

La F.T.Q. et la C.S.N., sur la même longueur d’onde cette fois-ci, tout en ne pouvant pas s’opposer à l’amélioration des conditions de travail, demeurent méfiantes face au programme de la Q.V.T qui est perçu comme une nouvelle tactique patronale pour diviser les syndiqués, affaiblir le syndicat et limiter ses pouvoirs de négociations, perception, d’ailleurs confirmée par plusieurs expériences de Q.V.T. Face à cette initiative gouvernementale suivie par certains dirigeants d’entreprise, la position de ces deux centrales a été d’exiger de négocier les modalités d’implantation du programme.

La C.S.D., au contraire de ses deux consoeurs, s’est faite l’ardente propagandiste de la Q.V.T. et a mis sur pied un bureau d’étude, le « Centre de réorganisation du travail », pour suivre et propager ces expériences. Au syndicalisme traditionnel qui repose sur un rapport de [39] forces entre employeurs et travailleurs, la C.S.D. oppose la gestion participative sur la base d’une communauté d’intérêts :

« Le défi de l’augmentation de la productivité, duquel dépend la survie de l’entreprise mais aussi l’augmentation du niveau de vie des travailleurs qui y œuvrent, doit dorénavant élargir son champ d’application traditionnel à un nouveau mode d’action : l’amélioration de la qualité de vie au travail. Pour cela, cette approche nouvelle et globale implique immédiatement deux conditions préalables : participation des travailleurs aux décisions portant sur la productivité ; proposition de moyens nouveaux pour accroître la productivité sur la base de l’amélioration de la qualité de vie [11] ».

Ce « nouveau » syndicalisme aurait impliqué sous une forme ou sous une autre 30% des syndicats de la C.S.D. entre 1981 et 1983 :

« Vingt et un syndicats représentant autant d’entreprises réparties dans dix-sept secteurs économiques ont amorcé l’étude concrète d’une méthode d’analyse en santé et sécurité, la méthode du LEST ; la C.S.D. a participé à plus de vingt cas de relance d’entreprises ayant fermé leurs portes ; l’analyse de l’information financière d’entreprises a eu lieu dans plus de soixante-quinze cas dont cinquante dans la dernière année seulement ; à noter que parmi ces soixante-quinze cas, « l’ouverture de livres » fut suivie d’actions approfondies de participation à la gestion et de participation financière dans plus de la moitié des cas, Forano étant le plus connu [12] ».

Malheureusement aucune étude ne révèle les résultats de cette politique de collaboration en termes de perte, maintien ou création d’emplois, de dégradation ou d’amélioration des conditions de travail, de baisse ou de progression des salaires, d’affaiblissement ou de renforcement du pouvoir des travailleurs et du syndicat dans l’entreprise, etc.

La Table nationale de l’emploi et de la concertation

Les sommets économiques nationaux, régionaux et sectoriels relèvent maintenant du domaine de l’histoire : ils sont terminés. Lors des derniers sommets économiques, notamment celui sur les technologies, le patronat a non seulement maintenu son opposition de principe à toute entente qui limiterait les marges de manœuvre de l’entreprise privée, mais, prévoyant la chute prochaine du gouvernement péquiste, a durci ses positions. Le gouvernement Lévesque qui, dans les années passées, tranchait, sur certaines questions spécifiques, en faveur de l’un ou l’autre des protagonistes, n’a fait que prendre acte de l’absence de consensus entre les partenaires socio-économiques, manifestant [40] ainsi l’impuissance dans laquelle il s’est enlisé.

La Table nationale de l’emploi et de la concertation, qui a remplacé le projet avorté de Conseil économique et social, sera-t-elle l’instrument pour réaliser les objectifs poursuivis et non atteints par les sommets ? Rien ne permet de le prévoir.

Comme le révèlent leurs désaccords sur la première mesure sur laquelle ils devaient se concerter, l’augmentation du salaire minimum, le patronat a manifesté son opposition au principe même de l’augmentation tandis que les syndicats et le gouvernement se disputaient sur la grandeur de celle-ci.

La concertation gouvernementale n’est sans doute pas morte, mais elle est moribonde. Rien ne l’illustre mieux que les positions soutenues au dernier congrès de la C.S.D. Jean- Paul Hétu, qui se faisait le chantre de la gestion participative, conclut, dans son rapport de président, que les sommets ressemblaient et étaient des « parlottes publiques » [13]. Jean-Paul Hétu est toujours partisan de la concertation et juge que la Table nationale de l’emploi et de la concertation demeure un projet acceptable si trois conditions préalables sont remplies. Premièrement, les centrales syndicales doivent trouver un terrain d’entente et réaliser une certaine unité. En deuxième lieu, le patronat et les syndicats doivent aplanir leurs différends sur cinq désaccords majeurs : implantation des changements technologiques, prévention en matière de santé et sécurité au travail, attaque patronale contre les acquis syndicaux, semaine de travail de trente-cinq heures et recours patronal aux procédures juridiques pour retarder ou empêcher la syndicalisation. Enfin, les partenaires, dont le gouvernement qui souhaite la concertation mais décrète les conventions de ses salariés, doivent résoudre leurs incohérences. Le président de la C.S.D. ne nous dit pas — et pour cause — comment ces conditions pourraient être réalisées.

Le discours de Jean-Paul Hétu, étonnamment critique, est sans doute inspiré de l’étude d’une certaine Cécile Vanasse portant sur la participation syndicale dans l’entreprise et rendue publique lors du Congrès de juin dernier de la C.S.D. [14]. Dans le magma de la participation à la vie de l’entreprise, l’auteure distingue cinq niveaux : santé et sécurité au travail, qualité de vie au travail, planification de la main-d’œuvre, analyse financière et gestion. Pour chacun de ces niveaux, elle définit les objectifs, décrit les moyens syndicaux et détermine les pièges et les limites de la participation. Cette analyse, qui reconnaît les conflits d’intérêts et les rapports de pouvoir dans l’entreprise, qui se substitue à la passion participationniste qui animait les leaders de la C.S.D., permet de comprendre le ton désenchanté et désillusionné du rapport du président.

La nécessité d’un bilan

Sous un même mot, la participation, les acteurs sociaux poursuivent donc des objectifs différents et cherchent [41] à modifier en leur faveur les rapports de force qui structurent l’entreprise et la société.

La gestion participative, qui vise à mieux intégrer les travailleurs à l’entreprise et les syndicats à l’État, est une initiative des gouvernements. Le principal représentant du milieu patronal, le C.P.Q., ne partage pas cette vision : partisan des méthodes traditionnelles de gestion autoritaire, il lutte pour assurer le maximum de libertés à l’entrepreneur individuel face à ses travailleurs, au syndicat et à l’État. Mais cette initiative gouvernementale progresse chez le patronat comme en font foi la croissance, surtout chez les dirigeants de P.M.E., du nombre d’adhérents à ce type de gestion et les récentes déclarations du nouveau président de la Bourse de Montréal.

Les travailleurs les plus attirés par ce type de gestion sont ceux qui œuvrent dans les secteurs les plus affectés par la crise. Dans une société où le taux de chômage officiel oscille autour de 12% et face aux menaces de mises à pied ou de fermeture d’usine, les travailleurs sont disponibles à bien des compromis et se déclarent souvent prêts à collaborer avec les entrepreneurs pour tenter d’assurer la survie de l’entreprise. La C.S.D., dont la majorité des membres provient de ces secteurs, s’est faite le chantre de la gestion participative, et plusieurs syndicats de la C.S.N. et de la F.T.Q. des mêmes secteurs l’ont pratiquée en catimini, ne transformant pas en vertu ce qui était perçu comme un compromis nécessaire. L’apolitisme déclaré de la C.S.D., issue de la scission de la C.S.N. en 1972, est sans doute un autre facteur d’explication de leur passion participationniste. C’est Sartre qui affirmait que les apolitiques sont ceux qui partagent naïvement la vision de ceux qui gouvernent. Le désenchantement manifesté lors de son dernier congrès n’entraînera pas, du moins à moyen terme, la C.S.D. sur des positions politiques, mais elle la ramènera sans doute à des positions syndicales plus traditionnelles de négociations et de revendications.

La F.T.Q. préconise la cogestion et véhicule une idéologie social-démocrate. Mais elle n’entreprend rien pour réaliser les deux conditions politiques nécessaires à la lutte pour le social-démocrate : l’unification des centrales syndicales et des forces progressistes autour d’un projet social-démocrate ; l’émergence et la consolidation d’un parti social-démocrate qui bataillerait pour gouverner et contraindre le patronat à la co-gestion. En fait, c’est dès 1973, après la libération des chefs syndicaux de la prison, que la F.T.Q. s’oriente pratiquement vers une alliance avec le P.Q. dans une perspective similaire à celle suivie, dans les années 1960, par la C.S.N. de Marchand avec le P.L.Q. L’idéologie sociale-démocrate voile donc pudiquement une pratique éhontée de syndicalisme d’affaires.

La C.S.N. prône l’autogestion, mais sa pratique syndicale et politique n’a jamais été conforme à ses déclarations d’intention. Même lorsque le syndicalisme constituait encore un mouvement social au Québec, même lorsque la C.S.N. et la C.E.Q., majoritairement présentes dans le secteur public et para-public au Québec, constituaient les [42] pointes avancées de ce mouvement, elles ont été incapables de dépasser une certaine forme d’anarchosyndicalisme, en se limitant à une critique radicale du pouvoir bourgeois et à des luttes musclées contre le gouvernement libéral lors des négociations du secteur public et para-public : la question de la politique, c’est-à-dire du parti, était évitée. Depuis quelques années, ces deux centrales sont revenues à une pratique et à un discours plus terre- à-terre. Mais pas plus aujourd’hui que dans la précédente décennie, on ne sait comment elles comptent œuvrer à la réalisation d’un projet de société d’ailleurs mal défini.

Le bilan du syndicalisme sous le gouvernement participationniste du P.Q. ne pourra se faire sans une analyse critique des années glorieuses du mouvement syndical québécois sous le gouvernement Bourassa. (Remarquons d’ailleurs que le peu d’autonomie du mouvement syndical nous contraint à le périodiser selon les règnes gouvernementaux). Et pour ce faire, il faut dépasser la vision simpliste de la dualité classe ouvrière/pouvoir bourgeois pour tenir compte de la complexité de la société, et notamment des différenciations objectives au sein des syndiqués : travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public et para-public, ouvriers des grandes entreprises et ceux des P.M.E., travailleurs et travailleuses, etc.. Une telle analyse nous permettrait de mieux comprendre les articulations et les ruptures entre discours, pratiques syndicales et pratiques politiques non seulement dans la présente période marquée par la collaboration mais aussi dans la précédente inscrite à l’enseigne de la contestation.



[1] Montvaldo, Abner, Bibliographie sur la participation des travailleurs et administrateurs, Laboratoire de recherche en sciences administratives, UQAM, pp. 9 et 10.

[2] Le virage technologique. Gouvernement du Québec, 1982, p. 208.

[3] Bâtir le Québec, Gouvernement du Québec, 1979, p. 54.

[4] Voir le Bulletin sur les relations de travail du C.P.Q. notamment le vol. n° 15, n° 157 (octobre 1984), et n° 158 (décembre 1984).

[5] Hétu, Jean-Paul, Productivité et qualité de vie au travail (dans le textile), C.S.D., 1979, p. 5.

[6] Hétu, Jean-Paul, Rapport du président, C.S.D., juin 1983, p. 23.

[7] Le plein emploi : pourquoi ?, P.U.Q. et I.R.A.T., 1983, 273 p.

[8] Faire le plein d’emplois, F.T.Q., 18e Congrès, décembre 1983, p. 21.

[9] Boucher, Paul-André, Tricofîl tel que vécu !, Éd. C.I.R.I.E.Q., 1982, 375 p.

[10] Congrès d’orientation de la C.S.N., mars 1985.

[11] Productivité et qualité de vie au travail (dans le textile), C.S.D. 1979, p. 38.

[12] La C.S.D. devant la crise, C.S.D., 1983, p. 19.

[13] Hétu, Jean-Paul, Rapport du président. Congrès de la C.S.D., juin 1985, p. 12.

[14] Vanasse, Cécile, Partenaires d’égal à égal : c’est un droit, C.S.D., juin 1985.


Retour au livre de l'auteur: Jean-Marc Piotte Dernière mise à jour de cette page le lundi 11 juillet 2022 7:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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