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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Le syndicalisme de combat (1977)
Préface


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Jean-Marc Piotte, Le syndicalisme de combat. Montréal: Les Éditions Albert Saint-Martin, 1977, 267 pages. Collection: Recherches et documents. [Autorisation accordée samedi le 26 novembre 2003]

Préface

Ce recueil est avant tout le fruit d'une pratique syndicale. Mais pas de n'importe quelle pratique : d'une pratique réfléchie à travers les enseignements de Marx, Lénine, Mao et Gramsci. Chaque article constitue donc un élément d'une réflexion où des luttes économiques sont analysées en terme de lutte de classes. Analyse concrète d'une pratique concrète, voilà ce qu'est le marxisme contrairement à la répétition d'une série de dogmes à laquelle certains le réduisent. Doivent donc s'abstenir de lire ce recueil ceux qui substituent le slogan à l'activité syndicale en se réfugiant derrière le fascicule du syndicaliste albanais Filip Kota et ceux qui, à l'opposé, tels les Gérin-Lajoie, se font les défenseurs intransigeants d'une conception bourgeoise du syndicalisme.


Cette pratique/théorie s'échelonne, non sans raisons et je m'en explique dans la postface, de la crise d'oçtobre à nos jours, et s'enracine dans le S.P.U.Q. (Syndicat des Professeurs de l'Université du Québec) pour s'étendre à la F.N.E.Q. (Fédération Nationale des Enseignants du Québec), au Conseil central de Montréal (C.S.N.) ainsi qu'à ce qu'on nomme métaphoriquement le mouvement. Elle est partie prenante d'actions et de discussions de centaines de militants qui, de '70 à aujourd'hui, à la C.S.N. comme à la C.E.Q., ont façonné et défendu ce qu'on nomme habituellement syndicalisme de combat.

Cette pratique/théorie a aussi ses limites. Elle s'est exercée surtout chez les enseignants de la F.N.E.Q. - c'est pourquoi en annexe j'ai ajouté deux textes dont le sujet est lié à l'activité syndicale en milieu enseignant : la lutte étudiante et la crise du système scolaire - a été expérimentée dans certains syndicats de la fonction publique, plus particulièrement dans certains syndicats de la F.A.S., mais ne s'est pas implantée dans les syndicats ouvriers de la F.T.Q., sauf exceptions comme chez Firestone où elle s'est développée, d'ailleurs et comme d'autres expériences, parallèlement à celle qui se faisait à la F.N.E.Q. Le syndicalisme de combat peut-il être pratiqué par la classe ouvrière ? Si oui, comment ? Sinon, pourquoi ? Tous les aspects de ce syndicalisme sont-ils valables ? Ce recueil de textes - dont je ne pouvais malheureusement faire disparaître les répétitions inévitables pour des textes habités par une même ligne syndicale et parus à des moments, à des endroits et pour des publics différents - exige donc du lecteur critique et autocritique.


Les syndicats sont-ils des appareils idéologiques de l'État bourgeois ? Althusser en nommant ainsi ce qu'on appelle usuellement les Centrales syndicales masquait beaucoup plus qu'il ne révélait la réalité des luttes économiques de classe. Car décrire les syndicats comme des appendices de l'État bourgeois contribue à minimiser le caractère conflictuel des luttes syndicales, en mettant l'accent à la mauvaise place : sur la fonction intégratrice de l'État bourgeois au détriment du caractère de rupture des luttes économiques menées par des travailleurs. Définir comme appareils idéologiques les syndicats conduit aussi à privilégier ce qui est de fait secondaire eu égard à la fonction économique des activités syndicales : la fonction idéologique. De plus, estampiller "État" sur des appareils, comme l'école, dont le lieu est véritablement la structure idéologique, consiste à réduire celle-ci à la structure politique (État et appareils proprement d'État comme la police) et de se rendre ainsi incapable de comprendre et d'expliquer cette région obscure de la théorie marxiste qu'est le culturel ou l'idéologie. Enfin, utiliser quelques extraits de Gramsci pour lui faire endosser cette position consiste à rayer machiavéliquement ce qui constitue l'apport original de Gramsci au courant marxiste : l'analyse de la super-structure idéologique dans sa spécificité.


L'État évidemment structure l'activité des syndicats par le Code du Travail, les lois spéciales, les tribunaux, la police, etc. Mais il structure aussi celle du Parti et peut même l'intégrer à l'ordre bourgeois comme en fait foi l'orientation récente du Parti communiste français (P.C.F.). Cela est vrai même si le Parti est clandestin, car c'est l'État bourgeois qui, par ses appareils de répression, refoule alors le Parti dans l'illégalité et cherche ainsi à le détruire. Je ne veux pas par là minimiser la différence radicale entre les luttes syndicales et les luttes politiques, entre les luttes économiques de classe et les luttes politiques de classe, entre le syndicat et le Parti. Mais la différence n'est pas celle que décrit Althusser : les syndicats comme appareils idéologiques de l'État bourgeois versus le Parti comme organisation de la classe ouvrière.


Les syndicats représentent en forme organisationnelle que prend la lutte économique de classe des ouvriers, des travailleurs. La lutte économique de classe organisée syndicalement peut conduire à des ruptures avec l'ordre bourgeois : certaines luttes syndicales, dont celle du Front commun de '72, en constituent des exemples marquants. Évidemment, les syndicats peuvent être investis par des représentants de l'ordre bourgeois qui oeuvrent à subordonner la lutte économique de classe aux intérêts de la bourgeoisie. Les syndicats, contrairement au Parti, sont d'autant plus facilement intégrables par l'État bourgeois qu'ils ne sont que des instruments de défense économique, le Parti, quant à lui, étant la forme organisationnelle de la lutte politique de classe dont l'enjeu est l'État. Cette tendance à l'intégration des syndicats à l'État bourgeois est d'autant renforcie aujourd'hui que le gouvernement en place, contrairement au précédent, vise - sous couvert d'un nationalisme populiste et travestissant ainsi la juste lutte de libération nationale du peuple québécois (1) - à jouer le grand conciliateur et le grand médiateur des classes sociales en convoquant leurs représentants à la concertation planifiée. Le syndicalisme de combat se fonde sur la reconnaissance de cette contradictoire réalité des syndicats (contestation de l'ordre bourgeois et intégration à cet ordre) pour développer la première en luttant contre la seconde.


La pratique et la théorie du syndicalisme de combat ont enfin une autre limite : la question du Parti n'y est pas posée, à peine esquissée et plutôt mal. Et si nous avons été incapables de défendre positivement et concrètement une politique d'enseignement dans nos syndicats, c'est que nous cherchions, par habitude syndicale, la majorité, tandis que nous aurions dû viser la minorité consciente, car la question était proprement politique et relevait, en fait, du Parti. Je ne veux pas dire qu'il ne s'est pas effectué un travail important dans nos syndicats, surtout à la C.E.Q., sur cette question. Le manifeste sur L'école au service de la classe dominante et surtout le Manuel du 1er Mai - dont l'éventuelle utilisation a tant fait frémir ces hauts-parleurs de la bourgeoisie qui hurlaient frénétiquement au nom de la liberté des enfants, donc des parents, donc de cette liberté limitée à et par l'idéologie bourgeoise - ont joué un rôle utile. Mais seule la minorité consciente aurait pu s'en emparer vraiment et les utiliser concrètement. Il faudrait donc des militants politiques qui défendraient le syndicalisme de combat auprès de la majorité tout en luttant pour une politique révolutionnaire d'enseignement auprès de la minorité consciente. Nous sommes donc revenus à la question du Parti. Mais quel Parti et comment ? Voilà la question qu'ouvre la postface.

(1) Je compte revenir sur cette question ailleurs.

Retour au livre de l'auteur: Jean-Marc Piotte, sociologue UQAM Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 28 décembre 2003 21:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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