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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Samuel REGULUS, “Le vodou haïtien: patrimonialité et enjeux.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’André Charbonneau et Laurier Turgeon, Patrimoine et Identités en Amérique française, pp. 189-210. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 2010, 324 pp. collection: “Culture française d’Amérique.” [L’auteur nous a accordé, le 18 mars 2016, son autorisation de diffuser en accès libre à tous cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Samuel REGULUS

Université d’État d’Haïti.

Membre du laboratoire LAngages, DIscours et REPrésentations (LADIREP)
et du Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT)

Le vodou haïtien :
patrimonialité et enjeux
.”

Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction d’André Charbonneau et Laurier Turgeon, Patrimoine et Identités en Amérique française, pp. 189-210. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2010, 324 pp. collection : “Culture française d’Amérique.”

Introduction

La patrimonialité du vodou haïtien

Rapport mémoriel entre le vodou et le processus d’émergence de la nation haïtienne
Posture victimaire ou de religion persécutée du vodou
Reconnaissance du vodou comme religion et patrimoine
Rapport entre le cultuel et le culturel ou l’appropriation du vodou
Transmissibilité du vodou

Lieux de tension relatifs à la patrimonialisation du vodou

Enjeu d’ordre conceptuel
Enjeu d’ordre identitaire et religieux
Enjeu relatif au tourisme
Enjeu politique
Références


INTRODUCTION

Que ce soit de manière visible ou imperceptible, le paysage culturel haïtien est dominé par le vodou [1]. Celui-ci est considéré comme source vivante où l’haïtianité puise sa singularité, son originalité [2]. Le vodou, étant religion traditionnelle du peuple haïtien et élément constitutif essentiel de l’identité nationale, le concevoir à la fois comme « religion vivante » [3] et patrimoine suscite de nombreux enjeux en ce sens que la patrimonialisation d’un objet ou d’un bien religieux supposerait le déplacement de sa fonction et son appropriation cultuelle vers le culturel. Cela implique aussi une perte de pouvoir des acteurs locaux sur leur patrimoine au profit d’une gestion étatique, d’où la formulation de notre sujet qui est : « le vodou haïtien : patrimonialité et enjeux » (Régulus, 2008 : 1).

Ce regard patrimonial sur le vodou sera jeté sur l’angle du patrimoine culturel immatériel en tenant compte des trois principaux critères de ce type de patrimoine : reconnaissance, appropriation et transmission. Par cette approche, ce texte se propose de scruter la possibilité de faire du vodou haïtien un patrimoine national et voir aussi des enjeux qui découleraient de cet acte patrimonial. Il est reparti en deux grands points. Le premier essaie de décrire la patrimonialité du vodou haïtien à travers une série de traits spécifiques comme, par exemple, sa manière d’intégrer au niveau mémoriel l’histoire de la Révolution haïtienne. Le second traite de différents enjeux d’ordre politique, économique, identitaire relatifs à sa patrimonialisation institutionnelle ou étatique.

La patrimonialité du vodou haïtien

La question de patrimonialité du vodou fait référence à toute une série de caractères propres à cette tradition religieuse et qui lui confère la légitimité d’être considéré ou perçu comme source vive de nombreux éléments du patrimoine culturel haïtien en plus d’être en lui-même un patrimoine national en raison de son ancrage sociohistorique et territorial. Cette patrimonialité s’exprime, entre autres, à travers les points suivants :

• rapport mémoriel entre le vodou et le processus d’émergence de la nation haïtienne ;
• posture victimaire ou de religion persécutée du vodou ;
• reconnaissance du vodou comme religion et patrimoine ;
• apport entre le cultuel et le culturel ou l’appropriation du vodou ;
• transmissibilité du vodou.


Rapport mémoriel entre le vodou
et le processus d’émergence de la nation haïtienne


Considérer le patrimoine comme héritage c’est dire qu’il renvoie à un passé, il apparaît dans une naissance et signifie des origines. Ainsi, il est relatif à la mémoire individuelle et collective d’une communauté, d’une société. Selon Jacques Le Goff (1998 : 431), le fait d’attribuer une origine mythique à un patrimoine c’est lui donner une solidité, une propriété sacrée et c’est ce qui semble être la caractéristique principale d’un « vrai patrimoine ».

À l’origine de la nation haïtienne, on évoque souvent la fameuse cérémonie du Bois-Caïman. Elle suppose que c’est dans la nuit du 14 août 1791, sur l’habitation de Mézy, que la Révolution haïtienne a été lancée par Boukman, un ancien marron et prêtre vodou qui donna le signal du soulèvement général précédant la grande révolte des esclaves du Nord qui allait faire tache d'huile sur toute l'île. Selon la tradition orale, le vodou a joué un rôle prépondérant dans cet assaut en ce sens quand les meneurs de troupe n’étaient pas eux-mêmes prêtres vodou, ils consultaient au préalable un ougan ou une manbo. Dessalines, le fondateur de l’État haïtien avait, dit-on, une dévotion toute spéciale pour Ogou (dieu nago du fer et de la guerre) et il est devenu lui-même une divinité vodou.

Si avant, la stratégie du refus de l’atrocité du système esclavagiste était d’ordre individuel en pratiquant le marronnage, cette cérémonie, qu’on qualifie vodouesque [4], allait transformer la résistance individuelle en une résistance collective. Ceci implique que les meneurs de troupes devraient concilier leur fonction militaire à leur fonction religieuse. Francine Barthe et Jean-Marie Théodat (2007) déclarent en ce sens que c'est dans le sang d'un cochon noir que fut scellée l'alliance entre les révoltés et les divinités africaines sous l'égide desquelles ils combattaient. Ce pacte devait porter les futurs guerriers à croire qu’ils allaient, face aux balles des blancs, être invincibles.

Les colons qui arrivaient à s’échapper à la contre-violence des Nègres par la révolte des esclaves en 1791 ont vite vulgarisé en Europe à travers leurs récits l’image de « Nègres sauvages, cruels et barbares », avides de vengeance et de sang pour avoir attaqué le système esclavagiste dans ses racines profondes. La peur a changé de camp. Il semble que les dieux vodou l’emportaient sur le Dieu des Blancs coloniaux comme avait prophétisé Makandal, un leader marron (avant Boukman) connu pour ses pouvoirs dit « sorciers » en fabricant des poisons et procurant aux esclaves des gadkò (talismans) qui les libéraient de la peur des Blancs (Hurbon, 1993 : 40). Ainsi, Edward Brathwaite ([1937] 1975 : xvi), après avoir compris le sens symbolique, idéologique du vodou en rapport avec la Révolution haïtienne, a écrit ce qui suit :

Slave servant overseer master : power. Money labor machines : power. Gun book cannon : power. God the Father, God the Son, God the White Holy Ghost : power. Haiti said no to all this. The defeat of Napoleon. The defeat of the master. The failure of money. The worship of the loa [lwa ou divinités vodou].

Cette mobilisation des croyances et des pratiques vodouesques au profit de la révolte des esclaves vers l’indépendance d’Haïti fait rentrer cette religion ancestrale dans les mythes fondateurs de la nation haïtienne. Donc, du point de vue mémoriel, la patrimonialité du vodou est percevable comme une contre-idéologie qui était en face du système esclavagiste.

Rappelons avec Paul Ricœur (1998 : 28) que ce que nous célébrons aujourd’hui comme des événements fondateurs de nos sociétés ne sont autre que des actes violents légitimés après coup, légitimés, à la limite par leur ancienneté même où la sensibilité contemporaine honore surtout l’intentionnalité de l’acte du passé et non l’acte en soi. Il est un fait qu’il n’existe pas de communauté historique qui ne soit née d'un rapport qu'on puisse dire originel à la guerre. Nos sociétés contemporaines sont donc des héritages de ce que Ricœur appelle des « violences fondatrices ».

Posture victimaire
ou de religion persécutée du vodou


Parlant de persécutions et de préjugés vis-à-vis du vodou, il s’agit des attitudes des nouveaux dirigeants haïtiens (noirs, mulâtres après 1804) qui voulaient mettre à l’index toutes manifestations des divinités vodouesques au sein de la jeune nation. L’Indépendance une fois acquise, les objectifs qu’ils poursuivaient étaient d’une part, maîtriser les mouvements des masses populaires afin de gérer leurs frustrations, donc tout éventuel soulèvement et, d’autre part, créer – pour une minorité – une place de haut rang sur la scène internationale par le biais du commerce import-export et par l’option d’un niveau de culture à l’occidentale. En ce sens, le vodou était devenu un objet embarrassant en raison de son africanité et un danger potentiel, source des idées subversives au regard de son passé au sein du système colonial. Aussi, essayaient-ils, par toute une série de mesures restrictives, de s’en défaire et que tout le XIXe siècle allait jalonner d'une législation répressive contre les makandal (magiciens) et autres loups-garous. Mais derrière ces fantasmes, c'est plutôt le vodou qui était implicitement visé et de fait, il était réprimé en tant que tel (Barthe et Théodat, 2007). En 1860, pensant qu’il allait pouvoir traiter avec les nations européennes sur une base égalitaire, l’État haïtien a fait choix du catholicisme comme culte officiel en signant le Concordat avec le Vatican.

Dès 1864, a noté Laënnec Hurbon (2001 : 50), des rumeurs de sorcellerie et de cannibalisme courent autour des pratiques vodou et poussent les pouvoirs publics à se mobiliser pour éradiquer ce qui passe désormais pour une honte nationale et relègue le peuple haïtien au rang des « barbares ». En 1896 commence ce qu’on appelle une campagne « antisuperstitieuse » organisée par le clergé catholique. Cette campagne est relayée par les Américains qui allaient occuper le pays de 1915 à 1934 sous le prétexte d’introduire enfin « la civilisation » dans cette société de « Noirs » enclins au despotisme et incapables de se gouverner eux-mêmes. Puis en 1941, avec l’aide du gouvernement, l’Église catholique exige de ses fidèles dans toutes les paroisses le célèbre serment dit de « rejeté » par lequel le fidèle catholique déclare lui-même renoncer au vodou. Lors du premier contact de Métraux avec le vodou haïtien en 1941, pour justifier la destruction par les flammes de nombreux objets cultuels du vodou, un curé catholique lui a fait savoir que « l’honneur d’Haïti était en jeu et que tout devait être détruit » (Métraux, 1958 : 13). Lors de la chute de la dictature des Duvalier en 1986, plusieurs dizaines de prêtres vodou ont été assassinés à travers le pays pour avoir été taxés d’agents du diable ou reconnus comme faisant partie des éléments responsables des maux et malheurs de la société haïtienne.

Pour Barthe et Théodat ces genres de violences commises contre le vodou sont à considérer comme un « désastre culturel ». En utilisant une expression de Jacques Le Goff, il y a lieu aussi de voir dans ces actes des « assassinats de patrimoine » perpétrés sous l’égide des passions identitaires et religieuses. Ces assassinats sont condamnables au même titre que tous les autres. Ainsi, il faut les empêcher, d’après Le Goff (1998 : 435-436), par tous les moyens possibles ce qui implique la nécessité de « former nos sociétés au bon usage du patrimoine. Cela ne peut se faire que par le respect du patrimoine d’autrui ».

Ces blessures physiques et symboliques appelant la guérison sont emmagasinées dans les archives de la mémoire individuelle et collective. D’où l’apparition depuis après 1986 des associations, regroupements, plates-formes dans le secteur vodou. À l’ère de la valorisation de la victime où il y a une propension de nos contemporains à s'installer dans la posture victimaire [5], avoir été victime donne au secteur vodou le droit de se plaindre, de protester et de réclamer. Ces faits nous rappellent qu’à l’origine d'un patrimoine, comme a souligné Le Goff (1998 : 435), il y a presque toujours de la souffrance et du traumatisme.

Reconnaissance du vodou
comme religion et patrimoine


Si dans la production d’un héritage culturel l’idée de patrimoine n’est pas forcément présente, par contre, la mise en patrimoine d’un héritage culturel est un acte volontaire, c’est le résultat d’un choix individuel ou collectif. Cet héritage fait partie des biens qu’on a reçus des ancêtres et qu'on transmettra aux successeurs, aux héritiers par devoir au regard de son caractère indivisible et sacré. Le Goff, en faisait la différence entre la notion d’héritage et celle de patrimoine, déclare qu’on peut refuser un héritage ou parfois on est obligé de le partager tandis qu'à un patrimoine, sauf quelques cas plus ou moins marginaux ou pathologiques, est attribuée une valeur qui rend son aliénation ou son refus difficiles, impossibles même, et qui est d’une nature telle que les héritiers peuvent le posséder à la fois individuellement et collectivement. Ce qui parait intéressant dans le terme « patrimoine », selon Le Goff (1998 : 429), c'est son caractère quasiment sacré qui est un devoir de respect, de conservation patrimoniale, mais, en même temps, son caractère d’objet vénérable à partager entre plusieurs.

Donc, penser le patrimoine comme une construction implique que dans le processus de patrimonialisation il y a un croisement entre l'individuel et le collectif ou entre des agents patrimonialisateurs ; ce qui amène Luc Noppen (2008), en répondant à la question « Qui fait le patrimoine ? », à noter plusieurs niveaux de patrimoine ou de patrimonialisation : le patrimoine de la nation, le patrimoine des experts, le patrimoine social ou des associations et le patrimoine des individus ou de proximité. On doit souligner aussi que le patrimoine n’est pas toujours construit par celui qui le réclame. Souvent, la prise de conscience de l’importance d’un bien culturel par des acteurs locaux vient des interventions externes.

Si aujourd’hui les vodouisants investissent de plus en plus l’espace public et se regroupent dans des associations et des plates-formes pour faire valoir et défendre leur intérêt culturel et sociopolitique, dans le temps, ils se sont manifestés surtout dans la clandestinité. Car les croyances et les pratiques vodou étaient perçues comme le plus gros obstacle au développement économique et social de l’île. L’élite urbaine (composée surtout de mulâtres) ne voyait dans ces pratiques qu’un tissu de superstitions et de « sorcellerie ». Pour un changement de regard, il a fallu attendre l’arrivée de l’occupation de l’île par les Nord-Américains (1915-1934) qui a pu susciter le réveil du sentiment nationaliste de l’élite, et qui l’a conduit à la conscience de l’unité culturelle de tous les Haïtiens/Haïtiennes et qui a finalement amené, avec Jean Price-Mars, à reconnaître et revaloriser le vodou comme son héritage africain (Bastide, [1976] 1973 : 8).

Cette reconnaissance correspondait selon Yasmina Tppenhauer (2007 : 87) à un moment où les intellectuels se prononçaient pour une identité nationale plus complète qui intégrait les cultures autrefois soumises par le pouvoir colonial. Dimitri Béchacq (2007 : 67), dans un article intitulé La construction d’un vodou haïtien savant, soutient que cette expression religieuse est transformée en une tradition au sein d'une trame discursive inaugurée de façon conjointe entre le mouvement indigéniste et l’anthropologie culturaliste américaine. Depuis lors, ajoute-t-il, le vodou détient un fort potentiel de mise en production esthétique, académique et politique et même commerciale ou touristique.

Justement, dans la patrimonialisation du vodou, le tourisme est un secteur d’activité économique qui a joué un rôle fort décisif dans le processus de l’autoreconnaissance et de l’autovalorisation du secteur vodou. Vers les années 1940, en vue de combler la curiosité de leur clientèle touristique (Américains surtout), des temples vodou se sont ouverts aux grands publics et transformés en salles de spectacle pour théâtraliser certains rituels vodou. Mais, il est à noter que la présence de ces touristes dans ces lieux vodou était surtout motivée par leur désir de voir des cérémonies qu’ils imaginent cruelles et orgiaques (Métraux, 1958 : 47). Néanmoins, un ougan ou une manbo qui se voit de plus en plus être l’objet d’admiration et/ou de curiosité des étrangers, devrait pouvoir jeter un autre regard sur sa pratique religieuse et vivre sa religion avec le sentiment que le prestige autour de sa fonction de prêtre dépasse le simple cadre de sa lignée familiale et croyante pour s’étendre parmi des étrangers (touristes), des intellectuels et mêmes des hommes et des femmes politiques. Et, dans la constitution et la légitimation du patrimoine, la demande sociale est un paramètre très fondamental comme signe de sa reconnaissance sur lequel les patrimonialisateurs vont capitaliser.

Rapport entre le cultuel et le culturel
ou l’appropriation du vodou


Malgré tous les efforts et les actes de mise en quarantaine perpétués contre le vodou, cette tradition ancestrale persiste dans la société haïtienne comme une religion vivante. Ainsi, en raison de son importance dans la construction de l’identité des Haïtiens, Hurbon (1987 : 8) voit dans le vodou l’axe fondamental de la culture haïtienne. Pour Camille Kuyu (2007 : 144), ce système de croyances et de pratiques vu sous l’angle de sa complexité est un « phénomène social total » au sens de Marcel Mauss. À ses yeux, il est une des principales marques identitaires du peuple haïtien.

Jean Kerboull (1973 : 16), en parlant des paysans haïtiens, souligne que toute leur anthropologie culturelle est dominée par le vodou qui influence, à chaque instant, tous les aspects de la vie sociale. En observant le vécu de l’Haïtien, Claude Planson (1974 : 36) s’interroge de la manière suivante : « On est seulement en droit de se demander s’il existe un seul Haïtien qui, d’une manière ou d’une autre, ne soit pas relié au vaudou, même si ces liens sont souvent, pour nous, imperceptibles ». On en veut pour preuve le récit de Gérard Etienne, « Le Nègre crucifié » qui, selon un mot de Robert Rivard repris par Franck Fouché (1976 : 109), tout en crachant sur le vodou et ses adeptes, n'en demeure pas moins, le plus vodouisant des romans haïtiens. Ainsi, on peut bien comprendre les propos de Hurbon (1987 : 13) qui pense que toute transformation d’Haïti doit compter en effet tant avec le vodou qu’avec le christianisme. Et, Maryvonne De Saint Pulgent (1998 : 5) a eu raison de dire que « le patrimoine engage ce que nous sommes et ce que nous pouvons devenir ».

Si Price-Mars (1928) a eu la conviction que le vodou, en plus d’être une religion, est une source vive de musique, de danse, de littérature orale [6], Louis Maximilien (1945) le percevait quant à lui comme « une source jaillissante d’éléments d’art dramatique pour un artiste qui voudrait les comprendre et les changer. Il en sortirait un théâtre populaire […] » [7]. Quand Franck Fouché a pensé le projet d’un « théâtre populaire », c’est à cette notion du «vodou pré-théâtre » qu’il a pu recourir (Célius, 2007 : 368). Ainsi, il dresse un tableau du vodou avec les propos suivants :

On n’en finirait pas avec les manifestations et illustrations du vodou, si on devait s'arrêter à tous les éléments théâtraux de ce phénomène religieux, qui vont du gestuel par le tracé plastique des emblèmes (vè-vès), véritables chiffres-nombres ou hiéroglyphes au pouvoir incantatoire, dessinés avec un art consommé par l'officiant, à l’audiovisuel, en passant par la parole et au-delà de la parole, le « parler-langage »[glossolalie]. Nous n’évoquons pas les hochets, les clochettes et les tambours surtout, lesquels donnent le tempo du culte, où tout est cadence et rythme. Non plus les costumes qui sont parfois d'une grande richesse, et toujours variés au cours d'une même cérémonie. Le vodou est donc véritablement un pré-théâtre (Fouché, 1976 : 66-67).

Du côté de la peinture, Hurbon a signalé en 2001 que les Naïfs haïtiens, inspirés du vodou, qui avaient déjà été mis en valeur aux États-Unis dans les années 1950 par Dewitt Peters, rayonnent de nos jours dans la Caraïbe et en Europe. En 1976, André Malraux, en observant les œuvres des peintres de Saint Soleil, a déclaré que la peinture haïtienne, ancrée sur l’imaginaire des dieux du vodou, a une portée universelle [8].

Par contre, dans le contexte actuel de la mondialisation qui tend à faire entrer tous les pays dans un même moule culturel, le vodou apparaît comme une source de résistance à cette tendance à l’uniformisation du monde sur la seule base des réalités économiques.. Si plusieurs sociétés essayent de résister et tentent de renforcer leur identité culturelle et nationale au point de sombrer dans le fondamentalisme ou le racisme (Hurbon, 2001 : 49), le vodou est devenu pour de plus en plus d’Haïtiens et d’Haïtiennes le mode symbolique le plus opératoire pour afficher leur spécificité culturelle et du même coup attirer l'attention sur Haïti [9]. Ainsi, tout l'art s'en inspire. La musique rasin [10] (racine) de Boukman Eksperyans, de Foula (le premier album de Thurgot Théodat, un savant mélange de jazz et de rythmes vodou, a pour titre Badji [11]) ; les grands peintres André Pierre, Saint-Brice pour les aînés et Mario Benjamin, Edouard Duval-Carrier, Stevenson Magloire, Jean-Michel Basquiat et Pasko parmi les jeunes ; les sculpteurs Liautaud, Jolimeau, Bien-Aimé, Roklor, Nasson revendiquent ouvertement leur appartenance à cette culture populaire autrefois opprimée devenue source d'inspiration [12]. Certains de ces artistes comme Hector Hyppolite (pour la peinture) et Lenord Fortuné dit Azor (pour la musique rasin) sont connus comme « prêtres vodou » en plus d’être artistes.

En décembre 2006, le musicien Azor a été honoré comme un des trois « Trésors nationaux vivants » d’Haïti avec les deux autres : l’écrivain Franck Étienne dit Frankétienne, figure la plus emblématique dans la littérature haïtienne contemporaine, et l’économiste Michèle Pierre Louis, l’actuelle première ministre haïtienne, dans une soirée organisée en leur honneur et qui a réuni différents personnages du monde culturel au Parc historique de la canne à sucre. Cet événement a été réalisé sous l’initiative de la Fondation Françoise Canez Auguste et de la firme Image et marketing, deux institutions évoluant dans le milieu haïtien. Lenord Fortuné a été désigné et honoré pour avoir révolutionné la musique vodou en Haïti.

Transmissibilité du vodou

En prenant la religion vodou pour mémoire au sens de Danièle Hervieu-Léger (1993), nous pouvons dire sans aucun doute que si le vodou est exercé, c’est qu’il est enseigné par la médiation du récit (Ricœur, 1998). Après la reconnaissance et l'appropriation, la transmission est l’un des éléments fondamentaux qui distingue le patrimoine immatériel. L’être humain demeure seul à pouvoir reconnaître et s’approprier un patrimoine culturel immatériel. En ce sens, sans transmission sur un support humain, ce type de patrimoine est appelé à disparaître. Car la dimension humaine de l’appropriation, de la reconnaissance et de la transmission repose, entre autres, sur les organes sensoriels. La photographie, les enregistrements sonores et audiovisuels d’une pratique culturelle ne peuvent être que fragmentaires (Le Scouarnec, 2004 : 33).

Dans cette logique, Hervieu-Léger (1993 : 177) a rappelé que pour qu’un groupe humain (ou un individu) puisse se reconnaître comme faisant partie d’une lignée, il faut que, au moins pour une part, il soit conscient de partager avec d’autres des références au passé et des souvenirs et qu’il se sente responsable de les transmettre à son tour. Dans le vodou haïtien, celui qui a accédé au rang d’ougan ou de manbo à la fin du cycle initiatique (ce qu’on appelle prise d’ason [13]), n’a pas seulement à jouir de la protection ou des privilèges qui se rattachent à son patrimoine mystique, mais il a aussi une vocation ou un devoir de transmettre ce qu’il a reçu des générations précédentes tout en adaptant cet héritage aux évolutions du monde qui l’entoure. Ayant hérité de ceux qui l’ont précédé, il est invité à produire à son tour d’autres héritiers qui s’inscriront dans un projet continu de transmission.

Lieux de tension relatifs
à la patrimonialisation du vodou


Dans la patrimonialisation d’un héritage culturel, plusieurs étapes sont à franchir. Entre autres, il faut d’abord arriver à mobiliser la conscience même de la personne qui vit en fonction de son avoir et/ou de son savoir-faire et qui est parfois animateur et transmetteur de ce patrimoine (vivant) ; ensuite, la communauté doit se sentir concernée, c’est-à-dire, elle doit pouvoir reconnaître au moins de façon implicite ses pratiques et ses traditions afin de se les approprier et de les transmettre ; finalement, une étape non négligeable, celui des États et des organisations internationales (Le Scouarnec, 2004 : 30). Faire du vodou un objet de ces actes patrimonialisateurs ne constituerait pas une entreprise sans risque et exempte d’enjeux, car elle concerne des identités individuelles, collectives et nationales. Elle renvoie à l’haïtianité. Carlo A. Célius (2007 : 12) en s’inspirant de Foucault pour qui le discours est une arme de pouvoir, de contrôle, d’assujettissement, et qualification et de disqualification, souligne que « l’haïtianité mise en débat est donc affaire de jeux de position des uns par rapport aux autres […], on est dans une bataille de discours aux enjeux considérables ».

Enjeu d’ordre conceptuel

L'intangibilité du patrimoine culturel immatériel est l’une des difficultés inhérentes à ce type de patrimoine en ce qui a trait à sa patrimonialisation. Le support essentiel de cette forme de patrimoine comme on a vu ci-dessus demeure l’individu. C’est lui qui, dans le cadre d'interactions précises au sein d'une communauté, reconnaît le patrimoine immatériel, valorise son expression et son appropriation (Le Scouarnec, 2004 : 32). Puisqu’au sein d’une communauté les intérêts et les goûts sont souvent divergents, l'appropriation, un processus dynamique, est tributaire non seulement de la position des différents acteurs dans la hiérarchie sociale, mais il doit aussi tenir compte de l'apport des nouvelles générations qui peuvent réinterpréter leur patrimoine. Ceci nous amène à croire que l’un des enjeux fondamentaux de la définition du vodou haïtien comme « patrimoine religieux » [14], et donc de sa prise en charge en tant que tel se situe sur le plan définitionnel, c’est-à-dire conceptuel.

Depuis les études de Jean Price-Mars (1928), suivies par celles du mouvement indigéniste et des afro-américanistes, on tient toujours à distinguer le vodou comme culte sacré du peuple haïtien de la « sorcellerie » ou une simple pratique magique. Néanmoins, les vieilles idées de l’anthropologie biologique du début du XXe siècle et de la mentalité antisuperstitieuse qui percevaient le vodou comme pratique criminogène et de la barbarie ont du mal à disparaître. Elles sont même reprises ou actualisées par diverses dénominations protestantes. Donc, elles pèsent encore sur ce sacré traditionnel.

Alfred Métraux (1958 : 11), en situant le vodou haïtien dans ses véritables lieux d’origine (géographique et social) et en mettant aussi l’accent sur certains facteurs générateurs du religieux, le définit comme

un ensemble de croyances et de rites d'origine africaine qui, étroitement mêlés à des pratiques catholiques constituent, la religion de la plus grande partie de la paysannerie et du prolétariat urbain de la République noire d'Haïti. Ses sectateurs lui demandent ce que les hommes ont toujours attendu de la religion : des remèdes à leurs maux, la satisfaction de leurs besoins et l'espoir de survivre.

Alors que pour Jean Kerboull (1973 : 35), « ce qu’il est convenu d’appeler vaudou est un phénomène complexe, formé d’éléments bigarrés, désigné sous un seul terme, commode peut-être, mais équivoque, une sorte de fourre-tout où se côtoient, d’un point de vue sociologique, pratiques de sociabilité et de non-sociabilité ».

Cette tendance de la notion « vodou-valise », « vodou-fourre-tout » est bien répandue dans l’imaginaire haïtien au point que de nombreux cas de conversion aux mouvements reformés du christianisme en Haïti sont dus à une quête de refuge contre des « démons » attribués au vodou. Donc, tout effort de définir le vodou comme patrimoine national (niveau étatique de sa patrimonialisation) doit relever d’abord le défi conceptuel : qu’est-ce qui est vodou (patrimonialisable en terme de reflet d’identité) et qu’est-ce qui ne l’est pas.

Enjeu d’ordre identitaire et religieux

Si le vodou comme tradition ancestrale se transmet dans le milieu haïtien des anciennes aux nouvelles générations, il est à noter aussi qu’une grande partie des institutions scolaires, puissants agents de socialisation, sont dirigées par des religieux ou des religieuses (catholiques ou protestant-e-s) qui, en plus de suivre le programme du ministère de l’Éducation nationale, continuent à passer, explicitement ou non, leur leçon de diabolisation du vodou.

Dans le protestantisme de tendance baptiste et pentecôtiste, comme l’a remarqué Hurbon (2001 : 51-52), c’est le dispositif des croyances et des pratiques du vodou qui sert d’appui à la prédication des évangélistes pour obtenir des conversions. On dirait que plus le vodou est reconnu dans l’espace public, plus les pasteurs demandent de le rejeter. L’interprétation du vodou comme sorcellerie et comme empire de Satan fait rage particulièrement chez les pentecôtistes, pendant que, par ailleurs, ils reprennent certains des traits spécifiques au vodou comme leur mode d’interprétation des rêves, les rythmes des chants-vodou, les transes, la pratique de la glossolalie.

Albert Mangonès (1995 : 19), dans le cadre du Forum libre sur la problématique de la conservation du patrimoine en Haïti, a dénoncé une tendance au reniement de soi qui, dit-il, porte souvent les Haïtiens à dénigrer ce qui est l’expression de leur identité.  Il y voit une conséquence due au choc des apports envahissants du monde extérieur.

Si le conflit autour d’un héritage culturel est perçu comme créateur de sa valeur patrimoniale, il est clair que le vodou, en incarnant la mémoire collective des Haïtiens, fait l’objet d’un passé culturel que certains cherchent à détruire et d’autres à préserver, à restaurer et à prolonger de façon créative. Dans la logique de Paul Ricœur qui a souligné le niveau de la fragilité de l'identité, Le Goff a abondé dans le même sens pour parler du patrimoine. Selon lui, on doit prendre le patrimoine comme un malade. Conforter le patrimoine en le faisant vivre, car le sens et le contenu du patrimoine évoluent dans le temps. Le temps qui l’a fait peut aussi le défaire (Le Goff, 1998 : 435).

Enjeu relatif au tourisme

Il est évident que les activités touristiques bien intégrées dans le cadre d’un plan de développement durable seraient très profitables pour l’amélioration du niveau de vie de la population. À l’époque actuelle, conscientes qu’il serait extrêmement difficile de concurrencer au sens d’un avantage comparatif les grandes structures agro-industrielles de l’Amérique du Nord, les autorités haïtiennes parlent de la possibilité de développer à grande échelle l’industrie touristique. Mais, quand on pense tourisme en Haïti, en plus des monuments historiques, de l’histoire des Héros de l’Indépendance, des plages et autres, très souvent, on se réfère à cette tradition ancestrale qu’est le vodou. Ce patrimoine immatériel comme source de créativité, dans une perspective de développement durable, peut être utilisé comme facteur de la diversification de l’économie et en même temps comme source d’autonomie des territoires. Et, en tant que tel, il peut servir de levier de développement économique dans le contexte de la mondialisation, ce qui est déjà démontré sur le plan artistique.

Mais, il convient de rappeler avec Le Scouarnec que la reconnaissance du patrimoine culturel immatériel, dans des situations où le support social est extrêmement fragilisé, peut être vraiment néfaste pour la survie même de ce patrimoine. En ce sens, dans bien des cas, il serait bien de limiter la reconnaissance au-delà des communautés (Le Scouarnec, 2004 : 32). Ce qui a poussé Albert Mangonès (dans « Débats (Extraits) », 1995 : 59) à dire avec un peu d’exagération que « dès qu’on parle de touristes, c’est déjà une première manœuvre de destruction [patrimoniale] ». Néanmoins, il est difficile de nier que la notoriété des ougan ou des manbo visités par des touristiques devienne renforcée et légitimée, ce qui les rend beaucoup plus confortables dans leur fonction de prêtre. Il faut reconnaître aussi que pour ce qui est de la reconnaissance et de l’appropriation, le vodou est en passe de connaître une certaine sécularisation et donc un affaiblissement du religieux, comme a noté Hurbon (2001 : 54) en parlant de l’affirmation du vodou dans la littérature et les arts en général.

Enjeu politique

L’enjeu politique de la patrimonialisation du vodou renvoie aux tendances à l’instrumentalisation de la mémoire blessée. Ceci résulte de la manipulation de la mémoire et de l’oubli par les détenteurs de pouvoirs (Ricœur, 1998 : 26). Aujourd’hui, il est certes difficile de trouver un personnage qui fait notoriété dans le milieu haïtien qui va s’exprimer avec aisance dans un espace public contre les manifestations du vodou comme religion. Néanmoins, lors des campagnes électorales, des partis politiques à tendance protestante essaient d’atteindre leur électorat chrétien en leur faisant croire que l’ère est venue pour délivrer Haïti de l’emprise des démons, c’est-à-dire des divinités vodou depuis la cérémonie du Bois-Caïman, source, selon leur discours, de tous les maux du pays.

Si l'engouement pour le patrimoine conforte parfois les « bonnes orientations de l'État, des collectivités et des individus » en faveur du patrimoine, on a vu aussi comment les perversions identitaires ont pris le patrimoine de l'Autre comme enjeu politique. François Duvalier, avait cultivé une solide image de prêtre vodou, ce par quoi il se faisait redouter encore davantage et paralysait ses opposants. Parmi les Tontons Macoutes, les ougan ont joué un rôle notoire. Madame Max Adolphe, chef des Volontaire(s) de la sécurité nationale (VSN) [15] était manbo. La tenue officielle du Macoute évoque l'habit de Zaka [16]. Aristide a laissé courir le bruit qu'il était lui-même un kanzo [17]. Mais il ne s'agit toujours que de rumeurs : jamais on n'a vu un homme d'État haïtien assumer clairement et publiquement le fait d'être lui-même un adepte du vodou. La plupart font assaut de ferveur lorsqu'il s'agit de faire montre de foi chrétienne. C'est à son aura de curé des bidonvilles que le père Aristide dut son élection au fauteuil de président et la fidélité indéfectible à sa personne d'une partie de l'électorat populaire (Barthe et Théodat, 2007).

Aujourd’hui, dans la cérémonie de fêtes des grandes lakou [18] vodou, comme « lakou Souvenance » et « lakou Soukri » dans le département de l’Artibonite, on retrouve dans l’assistance ministres, députés, sénateurs et d'autres autorités politiques du pays qui font le déplacement pour assister à l'ensemble des célébrations. En septembre 2008, il est à noter que le ministère de la Culture et de la Communication a contribué financièrement à la réalisation de la célébration de la fête de lakou Soukri [19]. Justement, comme a souligné Le Goff, l’aboutissement du processus de la patrimonialisation d’un bien culturel ne peut être réalisé seulement en manipulant des concepts. Car, le traitement du patrimoine a besoin de financement et que ce financement doit trouver une multiplicité de sources et d’appuis institutionnels, dont celui de l’État. Toutefois, quand, cet objet patrimonial est sujet de confrontations, de passions identitaires, la position idéale de l’État dans le jeu serait d’être arbitre et modérateur des dérives passionnelles (Le Goff, 1998 : 437).

En somme, la patrimonialité du vodou comme sacré traditionnel du peuple haïtien, en plus d’être conforme aux critères de reconnaissance, d’appropriation et de transmission, s’exprime aussi sur le plan mémoriel et de manière pertinente à travers son imbrication dans la mémoire de l’esclavage et de la Révolution haïtienne. Le vodou est associé étroitement aux souffrances et aux traumatismes qu’ont connus les ex-esclaves qui allaient constituer la majorité de la population haïtienne. Toute l’ethnogenèse des Haïtien-ne-s comme groupe territorial et culturel renvoie forcement aux bagages culturels et religieux (donc au vodou) qui ont permis aux esclaves de faire face à l’oppression et à la peur des Blancs esclavagistes. Pour avoir été associé à l’origine mythique de la nation haïtienne (Bois-Caïman), le vodou haïtien répond sans ambiguïté au critère de ce que Le Goff appelle « un vrai patrimoine ». Considérant aussi le caractère unique de cette révolution dans l’histoire du monde atlantique, cette association du vodou haïtien à cette mémoire de la traite et de l’esclavage, c’est aussi une interprétation de cet héritage religieux comme « objet unique » ou l’« unique exemplaire » pour parler en langage muséologique.

Donc, cette interprétation du vodou haïtien devrait justifier son accession au rang de patrimoine national et même son inscription sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l’UNESCO. Pour y accéder, les enjeux qu’il suscite impliquent des choix, des négociations sur ce dont on souhaite hériter effectivement. Ces négociations pourraient porter sur des pratiques, des lieux, des objets représentatifs de cette religion ancestrale où fidèles comme non-pratiquants pourraient y voir un legs de leur passé qu’ils veulent conserver, transmettre, mettre en valeur et promouvoir comme moyen d’affirmation d’une fierté nationale.

RÉFÉRENCES

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[1] Dans l’orthographe des mots créoles en usage dans le vodou haïtien, on constate qu’il y a une sorte d’anarchie dans la transcription des phonèmes dans la littérature existante. Ainsi, on écrit vodun, vodoun, voodoo, voudoo, vaudou, vaudoux pour vodou ; houmfort, hounfo, houmfò, houmfour, ounfò pour onfò ; loi, loa pour lwa ; houngan, hougan, oungan pour ougan ; etc. Afin d’uniformiser le texte, les termes vernaculaires (sauf quand ils apparaissent dans des citations) sont transcrits selon les règles définies par le ministère de l’Éducation Nationale de la Jeunesse et des Sports (MENJS) voulant qu’une syllabe ou un son soit transcrit (dans le créole haïtien) par un seul et un même signe orthographique quel que soit le sens ou le contexte. En effet, comme le texte est écrit en français, ces termes y figurent en principe en italique, souvent leur correspondance française est indiquée entre parenthèses ou une note de bas de page est donnée quand la nécessité se fait sentir.

[2] Par contre, ce système culturel doit conjuguer avec le processus d’indifférenciation imposé par « l’Empire des techniques » de la mondialisation où l’interconnexion gomme les frontières nationales. Cette structuration technique du monde tend à bousculer la diversité culturelle et les appartenances au profit des politiques uniformisantes (Debray, 1997 : 88-91). Pour résister à cette tendance, beaucoup d’efforts sont effectués dans le but de promouvoir la diversité culturelle. De la Déclaration d’Istanbul (septembre 2002) à la naissance de la « Liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité » (novembre 2008) en passant par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (octobre 2003) et celle sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (octobre 2005), on insiste considérablement sur le caractère vital du patrimoine culturel immatériel dans la constitution de l’identité des peuples et sur la nécessité de le protéger et d’assurer sa transmission. En Haïti, sous l’instigation du ministère de la Culture et de la Communication, le pouvoir législatif a déjà ratifié la Convention de 2003. Par cet acte, l’État haïtien reconnaît formellement le patrimoine culturel immatériel comme vecteur de l’identité et de lieu d’expression de la diversité culturelle et voit aussi en ce type de patrimoine une source d’innovation, de créativité et de richesse économique.

[3] Selon Roger Bastide il y a une différence entre une religion vécue et une religion vivante. Toute religion est vécue, sinon elle disparaît. Mais la notion de « vécu » se réfère alors aux individus qui l’intègrent. Une religion sera dite « vivante », en plus d’être « vécue », si elle change pour s’adapter au monde changeant, en tant que totalité ou ensemble collectif de représentations mystiques et de pratiques culturelles, totalité extérieure et supérieure aux personnes qui la composent (Bastide, 1973 [1967] : 137-138).

[4] On retrouve dans cette cérémonie tous les éléments du vodou : chants, danses, sacrifices d'animaux, crise de possession. Fouché avance que ce pacte de sang de Bois-Caiman s'inscrit bien dans la tradition africaine, car, en général, on implore en Afrique les dieux par la célébration d'une grande cérémonie pour obtenir leur haute protection dans des circonstances identiques (Fouché, 1976 : 40).

[5] Tzvetan Todorov par Ricoeur, 1998 : 29.

[6] Jean Price-Mars par Aubrée et Dianteill, 2002 : 6.

[7] Louis Maximilien par Célius, 2007 : 368.

[8] André Malraux par Hurbon, 2001 : 51.

[9] Lors du passage du ministre de la Culture haïtien à Québec dans le cadre du 16e Assemblée générale et colloque scientifique international de l’ICOMOS en septembre et octobre 2008, il y a eu une rencontre entre le ministre, son équipe et les étudiants d’origine haïtienne de l’Université Laval. Au cours de cette rencontre, le directeur de l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) a projeté pour les participants et participantes un documentaire audio-visuel sur le Parc national historique (PNH) concernant les monuments historiques du site. Quel type de musique qui accompagne le documentaire ? Une musique des temples vodou.

[10] La musique rasin est une sorte de rythme musical très proche du vodou et qui revendique un retour aux racines, c’est-à-dire aux rythmes vodou de la paysannerie ou de l’Afrique. Lors des spectacles, bals ou carnavals, les « groupes racines » déplacent le religieux vers des scènes profanes, ce qui n’empêche pas néanmoins que des transes et même des crises de possession se produisent dans les rues et dans les salles de spectacles, sans susciter le moins étonnement de la part du public. Voir Hurbon, 2001 : 52-53.

[11] Badji est l’appellation d’une chambre sacrée attenante à un temple vodou.

[12] Voir Barthe et Théodat, 2007.

[13] « L’ason est un objet sacré considéré comme le symbole de la prêtrise vodou. Il est l’instrument rituel caractéristique du ougan et de la manbo, signe de leur pouvoir. Il sert dans leur interaction avec les lwa. Il est confectionné avec une courge de forme spéciale, la calebasse courante, avec un bout renflé et sphérique, et l’autre bout allongé comme un manche. Le bout renflé est entouré d’une manière un peu lâche d’une résille de perles de couleur et de vertèbres de serpent qui produit un son caractéristique lorsque l’ason est agité rythmiquement. Une clochette est attachée au manche de l’ason » (Guy Maximilien, Objets sacrés - Vodou, texte inédit).

[14] Le patrimoine religieux selon Luc Noppen (2008) fait référence aux objets, aux mémoires, aux usages et aux savoir-faire produits par les religions et légués en héritage comme des faits de culture à nos sociétés. Pour Janice Rosen (2006 : 151), il est un ensemble formé de lieux de culte, y compris l'art et l'esthétique des bâtiments, les objets de culte, les documents d'archives considérés comme significatifs par un groupe ou une communauté. Marc Pelchat (2006 : 271-273), voulant mettre l’accent sur le côté immatériel du patrimoine religieux qui est souvent oublié ou mis à l`écart dans les pays occidentaux, rappelle dans un texte titré De la marginalisation à la mise en valeur que « le patrimoine religieux ne se réduit pas aux structures architecturales, déjà impressionnantes par le nombre de bâtiments au Québec, mais il s'étend à un ensemble de pratiques et de savoir-faire, de représentations […] et de récits qui témoignent de la diversité culturelle et religieuse ». D’après lui, le fait de croire au patrimoine religieux implique la reconnaissance du rôle de la religion dans la construction de l'identité individuelle et collective. Comme on peut constater au Québec, il y a une inflation de la dimension tangible de ce genre de patrimoine et que, selon Laurier Turgeon (2005 : 21) la quasi-totalité des millions de dollars accordés par le gouvernement du Québec au profit de la sauvegarde du patrimoine religieux depuis 1995 a été consacrée à la restauration, à l’aménagement et à l’inventaire d’églises. Toutefois, au cours du colloque Le patrimoine religieux du Québec : de l’objet cultuel à l’objet culturel organisé en novembre 2004, on a mis l’accent sur l’extrême fragilité des savoirs, des savoir-faire et des traditions vivantes portés par des communautés religieuses en voie de disparition à Québec. Conséquemment, cette prise de conscience s’est concrétisée par le lancement en janvier 2009 de l’Inventaire national du patrimoine immatériel religieux du Québec par le Laboratoire d’enquête et de multimédia (LEEM) de l’Université Laval. Dans le cas du vodou haïtien qui nous concerne ici, il est important de souligner que l’utilisation de d’expression « patrimoine religieux » s’oriente surtout vers le domaine des traditions orales. Ainsi, cette réflexion sur le « vodou-patrimoine » se situe dans une approche religieuse, c’est-à-dire d’abord de croyances et de pratiques où les éléments tangibles peuvent être évoqués, avant tout, pour leur valeur symbolique et religieuse et non pour leur matérialité. Or, en Occident et principalement à Québec, la réalité de la surabondance des objets et des structures architecturales relatifs au religieux, de par leur valeur esthétique et matérielle, fait que les menaces sur le patrimoine religieux s’expriment d’abord comme éventualité de perte architecturale, artistique et urbanisme.

[15] Volontaire de la Sécurité Nationale était le nom officiel de la milice dite des Tontons Macoutes sous Duvalier.

[16] Le lwa Zaka a pour attribution de gérer les champs et les travaux agricoles. On l’appelle « Ministre de l’agriculture ». C’est le dieu paysan par excellence. Par rapport à sa familiarité avec les gens de la campagne, on le traite de « cousin ». C’est ainsi, qu’on l’appelle souvent Kouzin Zaka.

[17] C’est-à-dire un initié vodou.

[18] Il s’agit d’une unité résidentielle où habitent les membres d’une lignée familiale et/ou religieuse. Il est aussi un espace mystiquement délimité et protégé par les lwa titulaires du lignage. Le lakou est aussi défini comme une unité de base de l'organisation spatiale fondée sur le lignage et dans lequel chaque chef de clan est à la fois le détenteur des titres fonciers et du pouvoir religieux.

[19] Selon les propos recueillis par Dominique Domerçant le 4 Septembre 2008. Internet : Le Nouvelliste (25 novembre 2008).



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 18 mars 2016 13:50
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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