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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marc Renaud, “Santé: le sociologue aux pays des merveilles”. Un article publié dans Cahiers de recherche sociologique, no 14, «Savoir sociologique et transformation sociale», printemps 1990, pages 171 à 180. Montréal: Département de sociologie, Université du Québec à Montréal. [Autorisation de l'auteur accordée le 7 mai 2006.] Introduction Les rapports sociaux en matière de santé ont connu des bouleversements sans parallèle au cours des trente dernières années. Le plus évident et le plus discuté de ces changements est la croissance des coûts associés aux soins de santé, qui sont devenus une des principales industries des économies contemporaines. Au Québec, ce secteur draine à lui seul près de 9% de la richesse de la nation (11% aux USA), soit 10 milliards de dollars, contre seulement 4% il y a à peine trente ans. De surcroît, il y a aujourd'hui des pressions diverses et nombreuses pour en augmenter encore davantage le financement, quitte, pour certains, à sacrifier le principe d'égalité d'accès aux services. Les développements technologiques sont aussi impressionnants. Non seulement est-on maintenant capable de lire le corps grâce aux diverses techniques d'imagerie médicale, mais nous allons bientôt être en mesure de comprendre en détail le code génétique, c'est-à-dire ce qui commande biologiquement le développement du corps et de sa survie. Nous avons aujourd'hui une pharmacopée pour combattre les infections, pour nous aider à dormir et à nous tenir éveillés, pour faire pousser les cheveux comme pour aider à arrêter de fumer. On nous annonce encore des percées: un vaccin contre la carie dentaire, un médicament contre le ralentissement des fonctions cérébrales, etc. Grâce aux diverses techniques de diagnostic prénatal, il est maintenant possible d'éviter de donner naissance à des enfants malformés. Éventuellement, il pourrait devenir possible de choisir les caractéristiques des enfants à naître. Dans la foulée de ces développements et des attentes qu'ils font naître dans la population, en raison aussi du vieillissement de la population et des contrôles budgétaires de plus en plus serrés imposés dans tous les pays du monde, les pratiques soignantes elles-mêmes se sont radicalement transformées depuis vingt ans. Le médecin de l'an 2000, peut-on lire de plus en plus souvent, n'aura plus rien à voir avec celui des années 1970. Enfin, ce que l'on pourrait appeler une "culture de la bonne santé" est apparue qui paradoxalement rend à la fois les individus plus dépendants de l'appareil médico-hospitalier et plus autonomes dans la prévention des maladies et la promotion de la bonne santé. Dans un mouvement apparemment contradictoire, les sociétés contemporaines s'enfoncent ainsi à la fois dans un processus de médicalisation et de démédicalisation. Pour le sociologue, ces changements, et ceux qu'ils préfigurent, soulèvent d'innombrables questions qu'il est impossible même de seulement énumérer en quelques pages. C'est sans doute cette variété d'enjeux et de problématiques qui expliquent pourquoi la sociologie de la santé est, dans le monde anglo-saxon du moins, le domaine où il y a le plus de sociologues et le plus de revues scientifiques. Il suffit de feuilleter ces revues pour se rendre compte de la richesse de ce champ. Par exemple, dans celle qui est sur ma table de lecture, on parle du sida comme phénomène social, des enjeux culturels autour de la santé maternelle et infantile, du stress comme déterminant de la santé, des convergences et divergences entre l'épidémiologie et la sociologie, de l'éducation des professionnels de la santé, des mythes entourant la participation, des abus politiques de la médecine, et de nombreux autres sujets encore. De plus, comme les préoccupations sociales en santé ne sont pas l'apanage des seuls sociologues, ce domaine de spécialisation fonctionne en symbiose avec une foule d'autres secteurs de développement des connaissances: l’épidémiologie, I’économie, la psychologie, l’administration, l’anthropologie, la géographie, le travail social, les relations industrielles, le droit, la science politique, la philosophie, pour ne mentionner que les champs qui sont le plus près de la sociologie. Cela complique encore davantage tout effort de description des problèmes et des problématiques les plus importants pour l'avenir. Du point de vue de la sociologie de la science, I'éclatement des perspectives disciplinaires est d'ailleurs en soi un enjeu important, en particulier quand les structures universitaires ne favorisent pas le décloisonnement des disciplines. Pour un département de sociologie, le domaine de la santé est quasiment par définition une force centrifuge, le sociologue de la santé étant appelé à oeuvrer plus souvent avec des collaborateurs d'autres disciplines qu'avec des collègues de son propre département. Pour un étudiant qui veut s'y spécialiser, la sociologie, centrale par ses problématiques de fond, n'est pas suffisante. Il faut aussi qu'il apprenne à s'annexer d'autres champs de connaissances. Pour toutes ces raisons, ce qui suit est forcément limité et superficiel. Deux séries reliées de problématiques retiendront mon attention en raison de leur importance pour les débats actuels sur le financement du système de soins. Il s'agit premièrement des recherches sur les déterminants de la santé qui voient comme démesurée l'importance accordée aux services médicaux et qui insistent sur les facteurs sociaux, économiques et culturels comme déterminants de la bonne santé de la population. Deuxièmement, nous examinerons les travaux portant sur les modes de régulation du système de soins dans le contexte où l'avenir est sans doute à un rationnement des ressources encore plus grand que celui que nous avons connu par le passé.
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