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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Martin RHÉAUME “L’éthique, la personne et la communauté.” Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective. Chapitre 15, pp. 125-132. Chicoutimi, Québec: Les Éditions JCL, 1994, 156 pp. [Autorisation formelle accordée par Marcel J. Mélançon le 27 septembre 2008 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales. Cette autorisation a été reconfirmée le 30 mars 2012. L’éditeur, Monsieur Jean-Claude Larouche, nous a accordé le 19 avril 2012, son autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

[125]

BIOÉTHIQUE ET GÉNÉTIQUE.
Une réflexion collective.

Troisième partie. LES CITOYENS

L’éthique, la personne
et la communauté
.”

Martin Rhéaume



Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Marcel J. Mélançon, Bioéthique et génétique. Une réflexion collective. Chapitre 15, pp. 125-132. Chicoutimi, Québec: Les Éditions JCL, 1994, 156 pp. [
Autorisation formelle accordée par Marcel J. Mélançon le 27 septembre 2008 de diffuser toutes ses publications dans Les Classiques des sciences sociales. Cette autorisation a été reconfirmée le 30 mars 2012. L’éditeur, Monsieur Jean-Claude Larouche, nous a accordé le 19 avril 2012, son autorisation de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

La montée de l'éthique, notamment dans le domaine des maladies héréditaires, exprime la recherche de nouvelles normes pour faire face à des situations inédites ; elle exprime aussi la quête du sens de l'existence humaine, au cœur de réalités humaines toujours plus complexes. J'insisterai, dans cette communication, sur la signification du dégagement d'un angle éthique. Je poursuivrai en précisant l'importance de maintenir la valeur de la personne au cœur des discussions concernant les maladies héréditaires. Pour terminer, j'esquisserai la notion de responsabilité sociale en cherchant à l'appliquer à notre milieu de vie.


L'ANGLE ÉTHIQUE

Le problème éthique ne se pose qu'avec l'ouverture des choix et dans la responsabilité des décisions à prendre et des actions à faire. L'ouverture des choix signifie la possibilité d'agir autrement. L'approche éthique est possible parce qu'il y a une zone d'indétermination dans l'action à entreprendre par rapport à des personnes en chair et en os. Devant cette incertitude, nous pouvons introduire des considérations éthiques dans la recherche de l'action à poser. Le cas du diagnostic prénatal illustre bien la façon dont on accède à une situation non entièrement déterminée à l'avance.

Il convient de souligner qu'en conséquence de la liberté de choix, la préoccupation éthique se développe dans un contexte d'ouverture intérieure, de disposition à cheminer dans notre manière d'être et de nous conduire à l'égard d'autrui, en l'absence de toute forme de contrainte extérieure visant à imposer une manière de voir, de penser et d'agir dans une réalité donnée. La conscience éthique passe par la conscience [126] personnelle et s'ouvre, par la suite, à une dimension plus large, collective. Rappelons-le par cette formule lapidaire : pas d'éthique par la force et sous la menace de sanction.

Si nous nous rapportons au thème des maladies héréditaires, le développement d'un point de vue éthique suppose le sens du prochain. Sans la conscience de la vulnérabilité de l'autre dans la vie sociale, nous ne pouvons établir de repères significatifs et éclairants pour l'action éthique. La question du dépistage chez les enfants, par exemple, permet de concrétiser, de rendre plus explicite ce que suppose une action menée avec le sens du prochain, le sens de tout l'humain.

Personne ne possède la science infuse en éthique. Ce n'est pas non plus à coups d'impératifs catégoriques que nous établissons le point de vue éthique. L'éthique de discussion (Habermas, 1992), au contraire, permet de créer cet espace de communication oÙ le poids de la parole et la cohérence du discours comptent. En adoptant le point de vue éthique, nous ne disposons pas automatiquement d'un accès privilégié aux vérités morales. Au moyen de la discussion est rendue possible la formation d'un jugement plus éclairé et partagé, pour le plus grand bien de l'autre.

Au fil des questions que nous soulevons à propos des personnes directement concernées par les maladies héréditaires, nous élaborons peu à peu un ensemble de repères pour guider l'action. Le point de vue éthique ne s'impose donc pas a priori. Mais, en dévoilant la dimension rationnelle, nous tirons une exigence qui a une portée plus universelle. C'est ainsi, notamment, qu'à l'aide des discussions ouvertes, nous parvenons à faire ressortir un point de vue éthique sur un sujet controversé comme celui du dépistage de masse des hétérozygotes. Laissé à lui-même, aucun individu ne peut vérifier tout seul les conséquences les plus larges et les plus lointaines d'une action qui engage notre façon de nous conduire à l'égard de l'autre.

[127]

L'ACTUALISATION DE LA VALEUR
DE LA PERSONNE


Au centre de l'éthique de discussion appliquée aux maladies héréditaires se trouve la valeur de la personne à protéger et à promouvoir. Il faut se garder de faire de la personne une idée abstraite. C'est à une réalité vivante et concrète qui a à se constituer, à se conquérir, que nous avons affaire.

La valeur de la personne s'inscrit dans un ensemble de valeurs diverses, mais elle se distingue de toute autre valeur par son caractère absolu, eu égard à toute autre réalité matérielle, à toute tentation de réduction à l'état d'objet. Aucune autre personne, aucun organisme ni institution ne peut l'utiliser comme un moyen. Ceci revient à dire que, malgré la nécessité d'objectiver la réalité des maladies héréditaires afin de mieux en comprendre les multiples facettes (historique, sociologique, épidémiologique, etc.), la valeur de la personne demeure celle qui génère du sens à toutes ces approches. La personne, non la maladie, constitue le référentiel absolu pour guider les diverses recherches et interventions. Toute discussion entourant la personne doit prendre place en cette zone profonde de l'existence.

Comprendre la valeur de la personne comme la valeur prééminente, comme le repère ultime dans l'action ne doit pas être interprété comme quelque chose de restreignant, de limitatif. C'est plutôt le contraire, car, en acquérant une connaissance globale de l'expression des maladies héréditaires dans la région en particulier, il devient possible de mieux éclairer et d'orienter plus précisément les actions en vue de satisfaire les besoins concrets des personnes concernées.

Dans le prolongement de cette réflexion, la protection de la vie privée ne signifie pas un enfermement sur soi mais une manière de reconnaître une zone d'intimité, de fécondité qui s'ouvre sur des engagements futurs, qui prépare des solidarités. L'étude des maladies héréditaires conduit inévitablement [128] à toucher à la question de la vie privée. Aussi devient-il indispensable de toujours rattacher cette notion à la réalité même de la personne. La réalité même de la personne n'est pas une réalité achevée ; elle demeure en développement, dans des conditions déterminées historiquement, culturellement. Ces conditions d'existence particulières de la personne ne doivent pas nous faire oublier que ce qui nourrit essentiellement l'être humain réside dans l'ouverture à une réalité plus universelle.

Vouloir protéger la prochaine génération en s'efforçant de lui épargner une maladie héréditaire grave, cela peut aller dans le sens de vouloir éviter une souffrance à des êtres. Cependant, nous abordons par le fait même la question incontournable du sens de l'existence humaine. Il nous faut alors examiner attentivement cette intention par une évaluation rationnelle des conséquences d'une telle démarche en incluant les personnes directement concernées. L'éventail des moyens à mettre de l'avant pour protéger la génération future impose donc une clarification de la démarche proposée en vue de dégager un plan éthique. Toutefois, tel n'est pas mon propos ici.

Mon dessein consiste à mettre en évidence l'importance d'un questionnement large, ouvert, entourant la réalité des maladies héréditaires. Dans cette voie, j'ai la conviction que plus nous avançons dans le questionnement, meilleures sont les possibilités de respecter la valeur de la personne dans les milieux de recherche et d'intervention. Voilà la façon la plus sûre de contrer tout discours et toute action pouvant conduire à des pratiques qui marginalisent, désavantagent, voire excluent les personnes vivant le problème des maladies héréditaires.

Avec la poussée des innovations technologiques en cette matière notamment, il convient d'affirmer plus que jamais la valeur de la personne et de veiller à ce qu'elle soit reconnue, sauvegardée dans la société. Tous ceux qui interviennent dans la problématique des maladies héréditaires se doivent d'examiner, [129] d'une manière critique, l'ordre de normalité jugé acceptable par cette même société dans laquelle ils se situent. D'où la grande importance de soupeser le tout à une certaine distance des événements, pour y discerner certaines formes subtiles d'intolérance à l'égard de l'autre.

Citons ce passage de l'ouvrage d'Alain Etchégoyen : « Notre incapacité à supporter les handicapés peut nous conduire tout droit vers l'eugénisme le plus dangereux » (Etchégoyen, p. 60). Ce dernier évoque, d'une manière particulièrement touchante, un aspect épineux que je transpose ici dans le domaine des maladies héréditaires. Tout projet d'éradication des maladies héréditaires introduit une menace qui peut se retourner contre cette même société qui le promeut, car, dans l'empressement, il est fort probable que l'on escamote la valeur de la personne, de celle même qui vit avec un handicap. Quel est, en effet, le projet de perfection humaine désirée par ceux-là mêmes qui promeuvent ou soutiennent une telle démarche ?


RESPONSABILITÉ SOCIALE
ET RÉALITÉ RÉGIONALE


Maintenant que notre connaissance en matière génétique s'est accrue prodigieusement, nos espoirs grandissent aussi. Nous pouvons encore mieux nous représenter l'ampleur de l'expression de certaines maladies héréditaires présentes ici et maintenant et des besoins que ressentent les personnes et familles touchées. Notre responsabilité sociale devient inévitablement plus étendue à leur égard. Qui plus est, elle est incessible, car elle ne peut être transférée à la manière d'une simple connaissance technologique.

Alors qu'il y a diverses actions menées dans l'intérêt des personnes et familles directement concernées par ce problème sur le plan régional, il importe de souligner que la responsabilité de l'État demeure élevée en ce domaine. Il ne s'agit pas seulement d'encourager la recherche mais aussi de maintenir et d'offrir, au besoin, un ensemble de services requis pour le [130] bien-être de ces personnes. Et cela, même en période de restrictions budgétaires.

Collectivement, il convient de prendre conscience et de mesurer la portée des discours en matière d'intervention génétique, car il ne s'agit pas d'éliminer des allèles « mauvais » mais de favoriser la réalisation des personnes atteintes ou porteuses, avec leur vécu propre et les décisions qu'elles auront à prendre.

Par rapport aux personnes porteuses et atteintes, le message doit être clair. Plus largement, en ce qui concerne la population régionale, il faut lui permettre de s'interroger moralement sur le problème que posent les diverses maladies héréditaires connues dans la région. Elle le peut si l'on utilise les différentes modalités de communication mises à la disposition de la communauté régionale.

Par ailleurs, un organisme tel que CORAMH trouve sa pleine raison d'être dans le sens où il favorise le rassemblement de différentes personnes aux compétences les plus diverses qui participent à la réalisation du même objectif, soit celui de promouvoir les intérêts communs des personnes et familles touchées par les maladies héréditaires, au sein de la communauté régionale, sans négliger la réalité nationale.

En plus du rôle que joue un organisme indépendant comme CORAMH, il y a lieu d'ouvrir, selon les besoins, d'autres espaces publics de discussion pour soumettre au jugement des autres toute question nécessitant une appréciation éthique, pour mener une action à bien dans ce domaine. À ce titre, le Comité régional de bioéthique pourrait être interpelé pour débattre de questions génétiques et faire ressortir un point de vue éthique. Cet organisme peut remplir cette tâche dans la mesure où on lui soumet des problèmes.

En conclusion, je voudrais souligner l'approche de l'éthique [131] par le biais de la discussion qui, à mon avis, constitue une manière simple et exigeante à la fois de progresser dans l'exploration des moyens pour protéger la valeur de la personne, au cœur des dilemmes de notre existence. Le caractère rationnel des normes et des actions se dégage plus sûrement par la discussion, car il devient difficile, seul, de juger moralement de la manière d'agir dans l'intérêt commun. La libre discussion favorise bien l'exploration d'un plus grand nombre d'avenues menant à la promotion de la dignité de la personne, dans le contexte particulier posé par les maladies héréditaires.

Martin Rhéaume



BIBLIOGRAPHIE

ETCHÉGOYEN, A. (1991). La valse des éthiques. Paris : F. Bourin.

HABERMAS, J. (1992). De l'éthique de la discussion. Paris : Cerf.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le jeudi 1 novembre 2012 15:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



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