Rapport sur la Tekakwitha Conference, Seattle Juillet 2006. Kateri Tekakwitha et l’inculturation du catholicisme chez les Autochtones d’Amérique du Nord (suite).
Enquête réalisée été 2006 grâce à une aide à la recherche du CEC (Centre Études Canadiennes) et du CLAN (Cultures et littératures d’Amérique du Nord) de l’Université de Bordeaux.
- Sommaire
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- Introduction
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- 1. Les vecteurs de la résistance au sein de la Conférence
- 2. La Conférence en chiffres
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- Les participants
- Niveau social des participants
- Le coût de l’organisation
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- 3. Déroulement de la Conférence
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- Ouverture de la journée : Sunrise service
- Grand Entry
- Les thématiques
- Les sessions plénières
- Le programme des ateliers
- La guérison en action
- La Journée chez les Lummi
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- 4. La puissance et la gloire de l’Église catholique
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- Conclusion
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- Bibliographie sommaire
Introduction
En 2005, j’avais effectué une étude de ce que j’appelle le « catholicisme katérien », c’est-à-dire le catholicisme des Indigènes nord-américains autour de la figure de Kateri Tekakwitha et j’avais articulé mon rapport autour de notre problématique de recherche sur « le cadre et les limites ». Mon enquête m’avait permis de rencontrer des membres du clergé indigène, des jésuites et des laïcs chippewa au Montana et au Canada : Manitoba, Ontario-Grands Lacs, et Québec. En juillet 2006 j’ai participé au grand rassemblement de ce clergé et des catholiques indigènes, la fameuse Tekakwitha Conference, en tant qu’observatrice et conférencière. [1]
À l’origine, j’avais prévu de débuter par un court résumé de ces trois journées et demie, afin d’articuler mon étude autour de la notion de résistance, notre problématique actuelle. Toutefois, à la rédaction, je m’aperçus que cela me conduirait à reproduire quasiment mon plan de l’an dernier (l’encadrement, les cadres, les limites) et surtout que je serais obligée d’organiser artificiellement ma présentation du congrès pour jouer le jeu des trois parties, alors que son sens profond découlait de son déroulement spécifique, de sa chronologie, de sa mise en scène orchestrée de main de maître vers une finalité séculière et spirituelle, temporalité qu’il me fallait respecter. J’ai donc pris le parti d’énoncer rapidement les trois parties « résistance » puis de retracer l’évolution du congrès.
Le titre Tekakwitha Conference vient de la bienheureuse Kateri Tekakwitha qui fut prise comme patronne d’un rassemblement organisé en 1939 à Fargo par le clergé catholique, et pour lui exclusivement, afin de repenser sa stratégie missionnaire en terres indiennes. Le succès fut tel (et les besoins aussi) que le congrès se pérennisa et s’institutionnalisa. Dans les années 70, les religieuses indigènes en forcèrent la porte et obligèrent le clergé romain à donner de plus en plus de place aux principaux intéressés, les catholiques tribaux eux-mêmes. Aujourd’hui, ceux-ci dirigent la Conférence institutionnelle au niveau national et gèrent la tenue du congrès annuel, objet de ma présente étude. S’il est évident que cette prise de pouvoir peut être qualifiée d’acte de résistance initial, d’autres axes de résistance régissent toujours l’ensemble et ne sont pas aussi évidents à définir qu’il y paraît. Ils constitueront ma première partie. Diverses informations techniques sur le congrès seront ensuite données, puis le déroulement du congrès fidèlement retracé. La dernière partie portera sur l’impact de la liturgie lors de ces journées. Auparavant quelques mots sur ma position de chercheuse à ce moment-là.
Mon statut de Française passionnée par Kateri m’ouvrit bien des portes, les gens étant très flattés d’avoir une « lady from France » qui s’intéressait à leur communauté. Mon appartenance ou non à leur Église ne semblait pas poser de questions. Plusieurs vinrent spontanément me parler, une dame, Jean Raymond (une Walla Walla), dont le père venait de décéder, m’offrit le collier de ce dernier afin de transmettre son esprit d’amour. Elle le portait sur le bras depuis plusieurs heures afin de trouver la bonne personne, et j’en fus très honorée car nous ne nous étions pas rencontrées auparavant. Membre de la Tekakwitha Conférence depuis plusieurs années, je venais en participante et pas seulement en observatrice. Sister Kateri avait en outre décidé que mon travail, qu’elle connaissait, intéresserait les gens et m’avait confié deux ateliers, tâche séduisante certes, inconfortable toutefois puisque je me retrouvais à expliquer quelque peu universitairement les arcanes du procès en canonisation de leur Bienheureuse patronne, Kateri Tekakwitha, pendant une longue session de plus d’une heure et demie, et le lendemain, les problèmes soulevés en terre indienne non chrétienne par les activités de la Conférence. Bref, situation cocasse qui faisait que j’expliquais aux auditeurs de deux salles bondées d’où venait leur rassemblement, pourquoi ils étaient là, et les tensions que cela était censé provoquer à l’extérieur. Je pense ainsi avoir rempli au mieux mon contrat d’observation participante.
1. Les vecteurs de la résistance
au sein de la Conférence
En premier, il est clair que la Conférence rassemble les catholiques indigènes qui veulent affirmer leur existence et résister aux injonctions euro-centriques de la hiérarchie romaine. Elle leur permet, dans les faits, d’affirmer leur identité tribale dans une entreprise de résistance au colonialisme spirituel, entreprise qui impose une nouvelle pastorale découlant de ce que l’on nomme « l’inculturation du christianisme » (voir mon travail précédent). Toutefois, ce n’est plus trop cet aspect qui est frappant, peut-être parce qu’il fait partie des conflits très bien repérés dans la littérature sur la question et qu’il a dépassé les affres de son accouchement en devenant de nos jours banalisé.
Le deuxième vecteur de leur résistance serait celui qui les dresse contre les Indigènes qui refusent le christianisme avec plus d’ardeur que dans le passé récent. En réalité, il s’agit là d’un combat qui remonte aux origines de l’évangélisation, et il serait superfétatoire d’en reparler ici, d’autant que cela n’était pas du tout visible lors du congrès. On pourrait également noter, en troisième lieu, l’opposition non négligeable à laquelle les catholiques doivent résister, celle des Églises protestantes très nombreuses et actives dans les réserves, notamment sous leur forme pentecôtiste, et nous y reviendrons. Cependant, même si certains participants m’ont parlé de ces divers problèmes liés à la variété des croyances dans les réserves, ils ont souligné l’assez grande tolérance qui y régnait [2].
Le retour au traditionalisme les menace, mais bien plus encore les menacent le manque d’intérêt pour les choses spirituelles, le désengagement des parents vis-à-vis de la tradition religieuse, situation qui n’est pas spécifique au monde indigène mais ressemble à celle de nos vieilles terres post-chrétiennes. Quatrième type, la résistance prônée par la Tekakwitha Conference devient alors celle de l’Église en tant qu’entité, somme des croyantsclergé et fidèles, se donnant par la rencontre annuelle les moyens de se revitaliser et de faire porter son message par les jeunes qui y sont formés l’été, palliant ainsi la défaillance des familles.
Finalement, ce qui m’a le plus frappée à Seattle, c’est le cinquième vecteur : manifestement lors de ces rassemblements, maintenant que les fidèles ont introduit leurs propres pratiques depuis assez longtemps, le groupe qui paraît le plus engagé dans la résistance, c’est le clergé ! Et lorsque le clergé fait de la résistance, il le fait à partir de deux positions, à la fois antagonistes et complémentaires, tout comme les célèbres paires de jumeaux chers aux mythologies tribales.
En premier, on lit des lignes de fractures à l’intérieur de la hiérarchie, ainsi que je le soulignais l’an dernier. Le clergé se divise entre d’un côté ceux qui sont au contact quotidien des fidèles et de l’autre la hiérarchie épiscopale. Les premiers se divisent entre les femmes et les hommes. Les religieuses, à part Sœur Kateri qui, faisant l’interface entre les fidèles et les autorités, est tenue par le droit de réserve en public (voir mon rapport précédent sur le sujet), sont résolument acquises aux fidèles (à ce que j’ai pu en juger) et l’une d’elles, Sœur Marie Faubert, laissant exploser son enthousiasme, me confiera de manière caractéristique, dans une reformulation de l’élan démocratique américain : « I am so happy to see all this, it is we the people actually doing things together, now at last the Church belongs to its members. » Cette émotion sera relayée par Connie Lee, vice-présidente du conseil d’administration qui concluera après la Conférence : « We members of the Tekakwitha Conference are experiencing more and more ownership of the Conference as we become more involved with our local Kateri Circles and use our time and God-given talents to make the Conference truly our own. » (couverture de Cross and Feathers, November 2006)
Les frères ou pères, quant à eux, se subdivisent entre ceux qui s’inculturent totalement (l’inculturation est à double sens), ressemblent physiquement aux Indiens et restent dans les gradins pendant au moins une des messes, et ceux qui sont prompts à endosser la chasuble blanche, les habits cérémoniels pour participer à la célébration avec les évêques. L’un de ces prêtres indianisés me confia : « Some of us don’t like putting up those fancy garments to tower over our people ; we’d rather keep a low profile to be more in tune ».
Puis, il faut savoir que le sommet de la hiérarchie, archevêques et évêques, se subdivise lui aussi, puisqu’il y a maintenant deux évêques d’origine indigène, dont un était présent à Seattle, Mgr. Chaput. Ses racines les détachent-elles des autres évêques ? J’essaierai de répondre à cela en fin de présentation lorsque j’aborderai cette troisième forme de résistance que constitue la cérémonie liturgique, car c’est elle qui m’a paru être la marque la plus forte de la résistance opérée par l’Église en tant qu’institution dans une « mer de transformations ».
Les divisions que l’on pourrait lire au sein du clergé entre ceux qui désirent s’approcher au plus près du sommet de la hiérarchie et ceux qui souhaitent s’en tenir éloignés, m’ont semblé lors de ces journées en réalité moins primer pour l’ensemble du clergé que la collaboration entre tous pour affirmer la suprématie de l’Église par la beauté de son cérémoniel. C’est sur cela que je terminerai ma présentation de ces journées si importantes pour le catholicisme indigène qui se déroulèrent du mercredi 19 juillet au samedi 22 juillet 2006, près de Seattle, dans la John F. Kennedy Memorial High School, à Burien, dans l’État de Washington.
2. La Conférence en chiffres
Les participants
Les chiffres
Chaque année, le nombre de participants tourne autour d’une moyenne de 900-1000 :
- Burien, WA, 2006 : 920 participants
- Tucson, AZ, 2005 : 1095
- El Paso, TX, 2004 : 831
- Sioux Falls, SD, 2003 : 960
- Lansing, MI, 2002 : 870
- San Diego, CA, 2001 : 1162
- Lincoln, NE, 2000 : 978
- Spokane, WA, 1999 : 1023.
Niveau social des participants.
La participation, de l’ordre de celle à un congrès universitaire américain traditionnel, revient assez cher. Il faut faire partie de l’organisation : 20 dollars annuels (ou 15 pour les seniors) ; y ajouter 25 dollars d’inscription ; 100 dollars de frais congrès ; 85 dollars pour les repas et l’excursion. Soit un peu plus de 200 dollars, et davantage si on s’inscrit plus tard. À cela s’ajoutent les frais de voyage, et si la Conférence est organisée chaque année dans une région différente pour faciliter la venue des fidèles des États voisins, qui arrivent alors en voiture ou en Greyhound, la plupart des participants viennent de très loin par avion. L’hébergement ne se faisait que dans les hôtels de la périphérie de l’aéroport Seatac. Si les chambres à quatre ne reviennent pas très cher, les participants venaient tous pour trois ou quatre jours, et la facture globale n’était pas négligeable.
Plusieurs participants ont loué des voitures pour passer au moins une demi-journée à visiter Seattle ou la région, notamment les abords de Mount Rainier. Les couloirs de l’école regorgeaient en outre d’étals de bijoux, d’artisanat, de livres, de disques. Il était évident qu’une bonne partie des participants appartenaient aux classes moyennes. Toutefois, plusieurs paraissaient de condition très modeste. Les Kateri Circles encouragent leurs membres à faire le déplacement et organisent diverses activités de collecte de fonds pour les y aider. Les paroisses en tant que telles n’aident en général pas.
Les gens m’ont dit que venir à la Conférence était leur petit cadeau personnel de l’année, une sorte de pèlerinage où l’on venait avec sa famille, ses amis, ou simplement pour retrouver ses connaissances des années passées afin de se ressourcer. Si la quasi-totalité des fidèles étaient indigènes, plusieurs ne l’étaient pas et étaient venus soit pour accompagner des amis indiens, soit par simple plaisir de se retrouver dans cette ambiance.
Âge des participants : le même qu’il serait dans ce type de rencontre chez nous : la moyenne d’âge des adultes était assez élevée ; de nombreuses personnes devaient se déplacer en fauteuils roulants, soit par commodité sur place (le fauteuil est facilement utilisé aux USA dans ces cas) soit parce qu’ils étaient vraiment handicapés, je n’ai pas osé vérifier… Cela donnait un petit air pèlerinage des malades à Lourdes.
En revanche, comme il y a toujours une conférence parallèle pour les jeunes, la moyenne d’âge globale en était nettement rajeunie. Ces jeunes en 2006 étaient 141 ; 2005 : 183 ; 2004 : 115 ; 2003 : 165, 2002 : 134 ; 2001 : 233 ; 2000 : 33 ; 1999 : 128. Les jeunes avaient leurs propres activités, organisées selon les âges, en trois groupes, et ne se retrouvaient avec les adultes qu’au moment des repas dans la cafétéria, où ils devaient aider les aînés, et lors des messes. Beaucoup de ces jeunes étaient venus davantage avec leurs grands parents qu’avec leurs parents, ce qui ne paraît pas très étrange : les parents n’ont souvent pas beaucoup de vacances aux États-Unis, et comme dans beaucoup d’endroits ce sont les grands-parents qui gardent les jeunes l’été et qui en outre, comme ici, ont davantage tendance à fréquenter ce type de rassemblement.
Bien entendu comme toujours dans ces manifestations, il y avait davantage de femmes que d’hommes. Je fus cependant surprise de voir autant d’hommes, lesquels ne semblaient pas seulement avoir accompagné leurs épouses car ils participaient pleinement. Il y avait même des groupes entiers d’hommes, notamment des Lakota. C’est en parlant avec l’un d’eux de mon travail sur Black Elk que j’appris que le petit-fils de ce prophète était présent. Black Elk (1863-1950) s’était converti au catholicisme (vers 1903, à la mort de sa femme catholique) et en était devenu un remarquable catéchiste, tout en conservant sa pratique spirituelle et cérémonielle lakota ; son fils Ben Black Elk poursuivit dans cette voie, se faisant connaître par sa recherche d’une théologie syncrétique. Sa fille, ou sa nièce, Lucy Look Twice avait témoigné dans une nouvelle biographie de Black Elk, celle du jésuite anthropologue Michael F. Steltenkamp (Black Elk, Holy Man of the Oglala, U of Oklahoma Press, 1993) mais je ne savais rien d’autre sur la famille. On me présenta donc George Look Twice, moment très émouvant. Petit monsieur assez âgé, au visage buriné d’un paysan de nos campagnes, très modeste, habitant toujours à Pine Ridge, et pour lequel le grand Black Elk « was just my grand father ». [3]
Quant au clergé, les hommes étaient un peu plus nombreux que les femmes : ainsi il y avait 38 religieuses (elles étaient 42, 45 ou 48 les années précédentes), 31 prêtres, 9 diacres, un frère. À ces chiffres, il faut ajouter quatre évêques, dont deux archevêques, et quatre Monseigneurs (un Monseigneur non évêque est un prêtre recevant cette appellation honorifique en raison de son engagement particulier au sein de l’Église), soit en tout 49 membres du clergé masculin. Ainsi que je l’avais noté l’an dernier, les ordres féminins sont plus indigénisés que le clergé masculin, mais cela n’était pas très visible à Seattle. Les plus célèbres à Seattle étaient Sœur Kateri Mitchell, SSA, Mohawk, Sœur Marie-Thérèse Archambault, Lakota, très impliquée, comme Sister Kateri, dans la réflexion théologique sur l’inculturation et dans la pastorale tribale, et Sœur Rosa, une Pueblo, très appréciée pour ses dons de guérisseuse. À part cette dernière, les religieuses, de même que les prêtres, sont en Amérique du Nord généralement habillées en civil. J’ai abordé l’an dernier le problème du peu d’indigénisation du clergé, et Joëlle Rostkowski y revient plusieurs fois dans son livre, remarquant chaque fois que l’Église épiscopalienne a en revanche su davantage opérer cette évolution (mais n’a pas opéré celle de l’inculturation ni du syncrétisme, contrairement aux catholiques).
À part lors de la Grand Entry, les gens étaient habillés comme tous les jours, paroissiens aussi bien que prêtres, portant souvent la chemise indienne, colliers, « Texan ties », exactement comme dans toutes les communautés indigènes, voire les communautés banalement américaines. Tous étaient très affables, prêts à bavarder comme dans n’importe quel rassemblement outre-Atlantique. Mon premier contact avait été à l’aéroport de San Diego. Je venais de participer au congrès international du CESNUR sur les nouvelles religions où j’avais présenté le catholicisme katérien, phénomène totalement inconnu de mes collègues non indianistes, comme si ce qui se passe dans le monde indigène demeurait invisible à l’extérieur. Tous les vols Alaska Airlines ayant un gros retard, j’avais pu longuement bavarder avec une dame (Toddy) que je n’avais pu m’empêcher d’aborder car elle arborait le T-shirt de la Tekakwitha Conférence de Tucson 2005. Sa famille descend des Barona Mission Indians du nord de San Diego, catholiques depuis des siècles, « we built the mission », me dira-t-elle. Elle travaille trois jours par semaine en tant que responsable du contrôle des opérations de jeux dans le casino de la réserve, gigantesque complexe de style alpin suisse dont l’affiche publicitaire orne la zone d’embarquement. Participer régulièrement au rassemblement lui fait énormément de bien, et elle y assiste depuis environ vingt ans. Cet été, elle s’était octroyé un petit plaisir supplémentaire en saisissant une promotion à 50 dollars de supplément pour un siège en première. Sa sœur et sa tante ont fait le voyage de San Diego en voiture. Nous nous retrouverons tout au long du séjour, et notamment à l’atelier des survivants du cancer.
Le coût de l’organisation
« The Annual Conférence is self-supporting. Much is covered by the fees charged the participants, and the Planning Committee always has a fund-raising component to it to raise other monies. Again, there are many variables (on campus or a convention center, rental of the facility, location, etc), so around $100,000 would be a good estimate. There are no subsidies. The Church per se does not give any funding to the Conference nor to the Annual Conference. » (Sister Elaine)
Cette année, l’archidiocèse de Seattle régla tous les frais afférant à la location de l’établissement scolaire, aux navettes et aux chauffeurs, et aux autocars (1700 dollars), sans doute cela revient à la hauteur de 12.000 dollars. On nous annonça au début que l’archidiocèse devait trouver 65000 dollars pour tout couvrir, sans inclure les frais d’inscription qui vont à l’organisation nationale. Les frais de réception du comité directeur étaient pris en charge par la communauté, ce qui pour environ 25 personnes revint à quelque 2000 dollars, sans l’hébergement. Quelques organisateurs d’ateliers étaient hébergés gratuitement, les conférenciers des sessions plénières furent payés, modestement, environ 100 dollars. Ce furent les fidèles de Seattle qui payèrent pour tout l’équipement nécessaire aux activités des jeunes, des ateliers d’artisanat, des films, des glaces et divers rafraîchissements qui nécessitèrent en outre la location d’un générateur électrique, équipement indispensable puisque même le Nord-Ouest subit une forte vague de chaleur, totalement inhabituelle dans cette contrée, pendant le congrès. Les missions de la région et les casinos furent sollicités pour la levée de fonds. La quête pendant la première messe rapporta environ 2000 dollars. (Informations données par le bureau national et au niveau local par Joan Staples-Baum, co-présidente du comité organisateur de l’archidiocèse.)
3. Déroulement de la Conférence
Débutant et se clôturant par des danses, l’emploi du temps alternait des séances plénières dans le gymnase de l’école, lesquelles incluent des prières, des témoignages de l’action de Dieu, des plaisanteries, et chaque fin d’après-midi, une grand-messe concélébrée. Dans des salles de cours se déroulaient le reste du temps un grand nombre d’ateliers aux thématiques les plus variées ainsi que nous le verrons. Il n’y eut jamais le moindre flottement dénotant une concession au fameux « Indian Time ». Au contraire, tout était réglé comme du papier à musique, à l’américaine. Rien ne fut laissé au hasard ou improvisé. Un service de navettes en début de matinée et fin d’après midi entre le lycée et les hôtels permettait aux participants d’aller et venir à leur gré, mais ils ne se reposaient guère et demeuraient très présents malgré leur fatigue souvent évidente.
La Conférence débutait le mercredi 19 juillet en fin d’après-midi par l’habituelle inscription des participants. Après le dîner, les discours inauguraux traditionnels se succédèrent, présentés, comme les jours suivants, par deux membres de la famille Thomas jouant les MC, Maîtres de cérémonie, des Lummi, des Coast Salish, puissance invitante et organisatrice. Les MC Thomas reviendront régulièrement jouer Monsieur Loyal, pour faire rire le public. Le défilé de la Honor Guard des vétérans de différentes tribus Coast Salish (Lummi, Tulalip, Puyallup) laissa ensuite la place à une danse de purification par un groupe local « Prayer Cleansing ». Vinrent enfin les discours de bienvenue : en premier celui de Sister Kateri Mitchell (une Mohawk), Executive Director de la Tekakwitha Conférence qu’elle dirige depuis Great Falls (Montana), grande maîtresse d’œuvre de l’organisation annuelle du rassemblement. Elle annonça avec fierté que plusieurs personnalités étrangères avaient fait le déplacement, en l’occurrence, un frère oblat africain, Brother Sydney Musonda, familier du Vatican et basé à San Antonio, et moi-même. Mike Valdo (un Acoma), Président du Conseil des Directeurs de la Conférence, succéda à Sister Kateri, puis l’archevêque du diocèse invitant, Monseigneur Alexander Brunett, qui serait présent à chacune des messes. La bienvenue nous fut encore souhaitée par Cecilia Hanson, présidente du conseil tribal des Duwamish, et enfin par le principal du lycée, Mike Prato, homme d’une énergie peu commune et qui ne compta pas sa peine pour le bon déroulement de la rencontre. Père de cinq enfants, il incarne le type même du directeur d’établissement de grande taille et prospère, dans un pays où les écoles catholiques demeurent, en dépit des nombreux procès, des affectations de choix pour les familles aisées. Un petit pow-wow conclut la soirée.
Ouverture de la journée : Sunrise service
Les trois journées commençaient très tôt, au lever du soleil, à 6h, pour le service du Lever de soleil qui fut dirigé par trois célébrants appartenant à trois tribus différentes, de manière légèrement divergente par conséquent chaque jour au niveau des plantes et des objets rituels utilisés. La Conférence ne veut pas que toutes les pratiques se standardisent et oblige les responsables à maintenir l’intégrité de leurs traditions cultuelles spécifiques. Celui auquel j’ai participé, le vendredi matin, était conduit par Joan Staples-Baum, une Chippewa de White Earth installé dans la région depuis longtemps, directrice des « Catholic Community Services » du « Tahoma Indian Center » à Tacoma et co-responsable de l’organisation du congrès. Elle avait posé les objets rituels sur une couverture à même le sol, la croix était placée en avant. Elle adressa la prière au Créateur aux quatre points cardinaux et fit brûler des plantes selon les préceptes chippewa : du cèdre pour les femmes, de la sauge pour les hommes, du tabac pour les anciens, de l’armoise/citronnelle (sweetgrass) pour les jeunes. Chacun se transmit ensuite la barquette brûle-parfum et s’encensa le corps à l’aide de l’éventail en plume d’aigle. Nous étions une vingtaine de participants.
Le premier jour, ce fut après un tel service que débuta à proprement parler la Conférence par la parade d’ouverture.
Grand Entry
Ce fut un grand moment de symbiose entre les cultures indigènes et l’art du décorum national : pendant une heure défilèrent les cercles Kateri par l’ordre alphabétique des États qu’ils représentaient appelés par le Maître de cérémonie. Le tambour rythmait la procession. Chacun avait mis ses plus beaux atours. Indigènes et non-indigènes de tous âges, les enfants en avant, membres du clergé, simples participants, défilaient en portant le panneau arborant le nom de leur État puis la bannière de leur cercle. Cela tenait du pow-wow autant que du défilé d’ouverture des jeux olympiques, des parades du 4 juillet, des pèlerinages au Vatican, où chaque groupe brandit son drapeau national. [La France fut appelée, mais on ne put que constater que personne ne se présentait pour porter le panneau, puisque je prenais des photos, ignorant le rôle qui m’incombait.]
Si besoin était, la « Grand Entry » aurait suffi à démontrer la fonction intégrante de la religion : pour universel qu’il soit, le catholicisme outre-Atlantique est d’abord américain, et cette identité nationale se décline ensuite selon les communautés qui la composent. La territorialisation en archidiocèses, diocèses, paroisses correspond, comme dans l’empire romain, aux bornes de l’empire américain, et dans le cadre qui nous occupe, aux bornes tribales intégrées aux États, les « nations dépendantes de l’intérieur » chrétiennes, catholiques en l’occurrence, reconnaissant la légitimité de ces États peut-être d’autant plus facilement qu’ils se confondent avec le cadastre de leur Église. De toute évidence, les fidèles de Kateri, comme une grande majorité des Indigènes, sans doute davantage ceux qui sont chrétiens que les autres, ont fait la paix avec les États-Unis. La tenue d’un des conférenciers pléniers en apportait une preuve supplémentaire, preuve désormais classique en terres indiennes : son habit de cérémonie haut en couleurs était pour moitié le « stars and stripes », pour moitié le daim et coton, le perlage et les plumes, le patchwork bricolé artistiquement démontrant la profonde inculturation de l’individu en représentation et de sa spiritualité : il n’était pas fortuit qu’il fût un des principaux organisateurs locaux de la Conférence.
Les thématiques
Le contenu strictement spirituel de la Conférence est fourni essentiellement par les conférences plénières, et par quelques ateliers seulement, car la plupart d’entre eux relèvent de la tradition américaine du « self-help », de la thérapie de groupe, du partage des problèmes et des conseils pour la guérison des familles et des communautés à partir du pardon et de l’amour. La Conférence joue le rôle d’acteur majeur de la grande politique de réconciliation, mais en interne, c’est-à-dire au sein même de l’Église catholique, sans intervention gouvernementale ou juridique comme cela se passe au Canada (plus qu’aux États-Unis). La grande majorité des ateliers tentent d’apporter des conseils et des techniques pour vaincre les agressions de la vie moderne par la pastorale de la guérison, « healing » étant le maître mot du congrès. La guérison sera le sujet d’une des conférences plénières et l’objet de la fascinante session du jeudi soir, que je décrirai plus loin.
Différente de la théologie de la libération, stricto sensu, la théologie de la Conférence n’en demeure pas moins foncièrement politique par son implication dans la vie de la cité, en l’occurrence la vie des communautés indigènes. L’Église doit aider les fidèles dans leur quotidien, et par l’amélioration de leurs conditions de vie, les faire accéder au niveau spirituel, les deux étant indissociables et réciproques. Cet évangile social se décline dans le cadre de la Conférence en une longue série de recommandations d’hygiène de vie face aux épreuves provoquées essentiellement par l’alcoolisme, les drogues et les grossesses non désirées, le manque d’argent n’ayant pas cette année au moins, et à ma connaissance, été évoqué, peut-être justement en vertu du niveau social que j’ai brossé plus haut, ou peut-être parce que justement on friserait trop la théologie de la libération très mal vue par le Vatican.
Les sessions plénières
Chaque matinée débuta par une prière dans le gymnase, chaque fois conduite par une personnalité différente : le jeudi se fut Darrell Hillaire, un Lummi ; puis un groupe de jeunes sous la direction d’Eugene Douglas, et enfin plusieurs membres du clergé sous la direction de Sœur Margaret Ball, une Modoc. Celle du vendredi matin fut suivie de diverses annonces par Sœur Kateri, la directrice de la Conférence. Elle signala que l’archidiocèse de Santa Fé cherchait un prêtre, puis elle parla de l’influence de Kateri : comme c’était son 350e anniversaire, on chanta « Happy Birthday » en son honneur et en celui de tous ceux dont l’anniversaire serait avant la fin de l’année. Elle félicita les membres ensuite pour leur générosité, leur « collectedness » à la suite de Katrina : tout le monde a téléphoné, envoyé des courriels pour prendre des nouvelles des victimes de l’ouragan dans le Sud. Et de conclure : « Kateri walk with us. You empover us. We are the body and blood of Christ. Let us be bread to one another. »
Monsignor Paul Lenz, « Executive Director of the Bureau of Catholic Indian Missions », qui siège au conseil d’administration de la Conférence en tant qu’ex-officio, fit un bref rappel de l’historique de l’organisation qui en était à sa trentième édition. Au début, il n’y avait que 48 personnes, et un capucin travailla à mettre les choses en place. Sœur Kateri ne ménagea pas ses efforts ensuite et elle fut récompensée par deux diplômes honorifiques. La canonisation de Kateri étant un des buts premiers de la Conférence, il apporta les dernières nouvelles de Rome : en juillet 2005 le père Molinari, SJ, le postulateur principal (voir mon travail sur la canonisation), lui téléphona pour lui annoncer qu’il venait d’être nommé vice-postulateur afin de remplacer le père Paret qui, très âgé, était tombé gravement malade et se reposait à l’infirmerie de l’Université Fordham pendant l’été 2006 (il devait décéder à l’automne). Sur les avancées de la canonisation, il ne pouvait rien révéler, étant lié par le secret, mais il put cependant préciser que deux miracles étaient soumis à l’expertise des médecins de la Congrégation pour la cause des saints. Il faut en effet un miracle de première classe pour dépasser le stade de bienheureux. L’année précédente, le centre des missions avait demandé à chaque paroisse de prier pour la canonisation, et avait pour ce faire envoyé des brochures, des cartes. Dans le diocèse de Grand Rapids se créèrent cinq Kateri Circles, ainsi qu’un peu partout dans le pays.
Vinrent ensuite les résultats des élections des nouveaux membres du « Board of directors « : 1600 bulletins furent envoyés mais seulement 372 renvoyés (ce qui est finalement un retour important). Furent élus le père Henry Sands (Ojibway/Ottawa/Potawatomi) du Michigan, Rosa Hernandez (Pueblo Ysleta del Sur) d’El Paso, et Peter Little (Mescalero Apache) de Rio Rancho au Nouveau-Mexique.
Le samedi, après la prière commune, un couple parlera pendant une heure de foi et guérison : Gwen et Judge Steven Pointe, de la première nation skowkale des Coast Salish (de Colombie-Britannique). Témoignage sur leur vie de chrétiens. L’après-midi, Johnny Arlee, un Salish Bitterroot, dont je reparlerai, fit une longue présentation « Cultural leadership-Cultural awareness », sur son itinéraire de soldat, de « hobbo », puis sa reconversion et finalement sa fonction de guérisseur. Les cercles Kateri de même que le comité directeur de la Conférence se réunirent comme dans tout congrès. Après les conférences plénières, les gens choisissaient leurs ateliers.
Le programme des ateliers
Dès le « Sunrise service » terminé, les trois matinées se poursuivaient à 7h30 par les réunions des trois groupes luttant contre les effets directs ou indirects de l’alcoolisme : AA, Alcooliques anonymes ; Alanon, aussi écrit Al-anon, lié à ALateen, qui aide les personnes affectées par l’alcoolisme de quelqu’un ; et ACOA, Adult Children of Alcoholics. J’ai participé à cette dernière. Il ne s’agit pas de donner des leçons mais de partager une expérience afin de la transcender par l’espoir de guérison à travers le pardon et l’amour. Une vingtaine de personnes se réunissent autour d’une table, l’organisatrice (facilitator) ouvre et conclut par une prière et donne un galet à la première personne à sa droite. Celle-ci parle alors de son expérience traumatisante ou positive et lorsqu’elle a terminé, elle transmet le galet à son voisin. La réunion dure au moins une heure, personne n’est obligé de parler. Les histoires sont brèves, émouvantes, parfois reprises par un proche. Il me semble qu’elles étaient plus concises et moins sentimentales qu’elles l’auraient été dans un contexte non-indien, les Américains adorant en général broder sur leurs « expériences intimes ». La solidarité et l’amour des couples ou des familles étaient palpables. Il est de notoriété publique que les communautés indigènes sont ravagées par l’alcool et la drogue et, d’après les témoignages, de telles réunions les aident à mieux aborder le problème. Le samedi après-midi, un atelier « MADD in Indian Country » (Mothers Against Drunk Driving) renforçait encore l’action de la Conférence dans le domaine du sanitaire conçu comme indissociable du spirituel : comment protéger les familles, en l’honneur et en mémoire des proches désormais dans le monde des esprits. Un atelier réunissait les vétérans indigènes pour leur permettre d’évacuer les traumatismes, les fautes commises au combat, mais aussi pour leur apprendre à réclamer leur pension (VA benefits) ! : « Native American Vets Workshop » (organisé par Stanley Hatten, un Sioux).
Ce travail de santé physique et mentale se poursuivait dans plusieurs ateliers tentant de répondre aux autres graves problèmes des Indigènes, problèmes qui sont hélas ceux des couches défavorisées en général : grossesses non désirées, mort d’un enfant. La perspective de la Conférence suit, en toute logique, la ligne doctrinale de l’Église et les participants arboraient la bannière et des auto-collants « Abortion is not the Indian Way », mais il s’agissait surtout de faire acte de contrition et de deuil, en accord avec toute la problématique actuelle de la repentance à tous les niveaux, de l’admission des fautes, et de la régénération par le pardon et l’amour. Il ne s’agissait donc pas tant d’interdire l’avortement que de permettre aux femmes et aux familles d’y faire face : « Grieving abortion/loss of a child » (organisé par Sissy Falcon et SIS Moses, Chippewa-Cree/Umatilla) et le frère Michael Fitzpatrick, SJ) ; « Divine Mercy linked with Pro Life Issues » (organisé par Clementine Little Hawk Fernandez, Sioux Lakota).
La problématique de la guérison également abordée par l’atelier « Trauma and healing » dans lequel Sœur Marie Faubert, CSJ, et Emiliano Gonzalez, PhD, expliquaient comment gérer les traumatismes subis par les enfants : « It will include ritual, Scripture, and the sharing of the footsteps that each of us brings to the circle, and those our youth bring to the circle of family/community. » Un atelier, repris deux fois, aidait les rescapés du cancer, « Catholic Cancer Survivors » (organisé par Jean Raymond une Wala Wala et Julian Argel, Tsimshian/Haida). Le déroulement était identique à celui de la réunion sur l’alcoolisme, chacun racontant sa maladie, les étapes du traitement, la survie encore aléatoire et mettant en évidence le fort taux de cancers dans les communautés en raison du stress, d’une mauvaise hygiène de vie et de la pollution.
La guérison doit s’appliquer de manière holistique à tous les domaines de la vie, et je me suis retrouvée dans un atelier où l’on expliquait comment effectuer le tri des ordures et le recyclage à l’imitation de Kateri : « Blessed Kateri and Our Care for Mother Earth ». L’organisatrice, Gail Rando, une Cherokee expliquait que la mission des Indigènes consiste à protéger les ressources dont le Créateur a comblé Mother Earth, et puisque Kateri nous a montré comment « mettre les choses en ordre », il nous faut ranger et prendre soin de notre environnement afin de laisser la terre belle pour les générations à venir.
« Healing Waters of Lake Ste. Anne » (organisé par Frank et Florence Large, des Crees, et le frère Jim Holland, OMI) conjuguait les grandes traditions catholiques et indiennes des eaux miraculeuses à la figure de Sainte Anne, patronne du Canada français adoptée avec enthousiasme par les Indigènes pour lesquels elle remplace Marie, son identité de femme pleinement réalisée les séduisant davantage que la virginité de sa fille. Un autre atelier traitait des « Healing Miracles » (organisé par Alma Chatain, une Lummi/Yakama). Un atelier yoga devait avoir lieu tous les jours (il fut annulé, l’organisatrice, Maria Carrico, une Chippewa-Cree, ne pouvant venir), complétant la panoplie des ressources de la société post-moderne pour accéder à l’harmonie physique et spirituelle : « Yoga philosophy related to Native American view of honoring the spiritual nature of all things. Bring towel or yoga mat », indiquait le résumé.
Les problèmes sur le lieu de travail étaient abordés dans deux ateliers : « Application of effective communication ». Diane et Rudy Ventiola, des Swinomish, enseignaient comment améliorer ses performances professionnelles par la maîtrise des stratégies de la communication ; et « Relationships and Faith Through Crisis » (tenus par Jill et John Lapointe, également des Swinomish). Dans « Guardianship », Sœur Michael Wilson, OP (dominicain) expliquait les implications émotionnelles de la mise sous tutelle des proches.
Il y avait très peu de rencontres sur la culture indigène en tant que telle : un sur la vie iroquoise, organisé par une Tuscarora en partie hispanique, Leona M. Gonzales, et un atelier pour apprendre à tisser le châle (sous la direction de Maxine Studer, une Cherokee de l’Est). L’atelier, repris deux fois, « Music for Liturgy and Healing », organisé par Marsha Reeves (une non-Indienne chef de chœur) et Keith Williams, un Tulalip, et auquel j’ai participé, expliquait l’utilisation de divers instruments du monde entier et faisait répéter des cantiques et des chants ethniques, indiens aussi bien qu’africains, démontrant que le chant transmet l’amour universel communiquant la guérison. On pouvait compléter cet apprentissage par celui de la pratique de la peinture au sein d’un groupe d’artistes partageant ses travaux : « Native People’s Spirits and Expressions of Art », dirigé par Glen Horn et Carl Cree Medicine, tous deux Blackfeet.
Plusieurs ateliers renforçaient la catéchèse, tous dirigés par des membres du clergé : « Being a Native, developing essentials » et « Dialogue for Native Cathechists » (repris deux fois) dirigés par le frère Paul Ojibway, SA (Society of the Atonement : Franciscan Sisters or brothers of the Atonement), un des membres du clergé indigène ; « The Sacraments : Seven Sacred Ceremonies » où Sœur Liz Tiernan, SND de N, expliquait comment l’utilisation de symboles indigènes permet de mieux saisir la fonction des sacrements catholiques dans notre vie ; « Teaching of the Apostles Creed », par Sœur Ellen Callanghan, OSF (francisaine). Le frère Raymond Bucko, SJ, enseigna au clergé non indigène comment aborder l’inculturation dans la pastorale. Il est un des grands acteurs de la Conférence au niveau national pour laquelle il gère notamment la messagerie. Celle-ci est souvent porteuse de demandes de prières et d’intercession de la part de membres gravement malades, mais il ne s’agit pas de chaînes Internet.
Plusieurs ateliers se consacraient à l’influence de Kateri : Sœur Marie-Thérèse Archambault, une Lakota, la grande architecte des évolutions catholiques actuelles que j’ai invoquée au début, organisa une séance sur la Conférence en tant que « Community of love » : méditation théologique, interculturelle et historique sur la première encyclique du pape Benoît XVI, « Dieu est amour ». Soeur Julie Codd, CSJP (Sister of St. Joseph of Peace), enseigna aux jeunes et aux adultes dans l’atelier « Kateri’s Spirit » comment chacun peut poursuivre la mission de la Bienheureuse. Quant à moi, dans mes deux ateliers « The Spirit of Blessed Kateri Tekakwitha alive today », je détaillais l’historique de la cause en canonisation et ses problèmes romains, puis les tenants et les aboutissants techniques et politiques de la Conférence en tant que moteur souvent contesté de l’inculturation, ainsi que je l’ai expliqué en introduction.
La thématique de l’inculturation, du syncrétisme entre les traditions chrétiennes et indigènes fut particulièrement développée par Marvin L. Kastning dans son atelier « Being Catholic in Indian Country », qui, loin de porter comme le titre pourrait le laisser entendre, sur les problèmes que pourraient rencontrer les catholiques en milieu non-catholique, se concentrait sur la guérison spirituelle dans le passé, celle explicitée par Vatican II et le travail liturgique, afin de promouvoir à l’avenir une union avec le Créateur, le Seigneur, le Grand Mystère, Wakan Tanka, et Jésus.
Les jeunes avaient, je l’ai dit, leur propre programme. Certains ateliers pour adultes étaient adaptés pour eux, la plupart étaient spécifiques, notamment sur les dangers de l’alcool et de la drogue, ou sur les problèmes identitaires : « It’s normal to be different » expliquait Sœur Liz Tiernan, SND de N (Sisters of Notre Dame de Namur), car le Créateur a fait preuve d’imagination illimitée et chaque personne, de même que chaque étoile, chaque roche, est unique, et il faut justement apprendre à voir cette différence comme preuve de la normalité. En complément « Peer pressure in Indian Society » expliquait comment résister à l’influence des camarades peu soucieux de spiritualité et d’hygiène de vie. Ailleurs on leur enseignait comme fabriquer un « power bracelet » (Burna Arnoux et Vera Schaaf, une Blackfeet, avec Yvonne Smith, une Yakima, et Lydia Johnson, une Umatilla). Autres rencontres : « Girl talk », « Rap sessions for boys », « Life issues », « Four directions in the right direction ». Souvent, il s’agissait d’activités sportives : course à pied, bombes à eau etc.
La guérison en action
Le jeudi soir, après le dîner, se déroula l’un des temps les plus forts de la Conférence. Ce qui était annoncé dans le programme comme « service de guérison pastoral » suivi de « la guérison non-sacramentelle » s’avéra être un rituel charismatique qui dura plus de deux heures. Après un sermon sur la guérison spirituelle, par le diacre blackfeet Melvin Rutherford, le guérisseur, le plus célèbre dans la région, Johnny Arlee prononça quelques mots, demanda l’aide d’hommes musclés, une dizaine s’avancèrent pour aider, puis il se planta devant la salle, flanqué sur sa gauche de deux autres guérisseurs. Sœur Rosa, une Pueblo, se tient assise à sa droite. Ces quatre guérisseurs allaient insuffler l’esprit divin aux fidèles qui faisaient la queue et se présentaient un par un devant le guérisseur libre. L’impétrant confiait une demande, le guérisseur prononçait quelques mots, imposait les mains et dans la majorité des cas, se produisaient le « fall out », et le repos dans l’esprit, « resting with the spirit ». Le taux de « fall out » fut particulièrement élevé car un des hommes qui devaient soutenir (à deux) les fidèles, les poser à terre pour qu’ils ne se blessent pas en tombant, puis lorsqu’ils revenaient à eux, les redresser, me confia plus tard en riant : « je pensais qu’il ne faudrait en aider que quelques uns, deux à trois sur dix, mais là c’était plus de neuf sur dix et au bout de deux heures j’étais éreinté, et je suis totalement courbatu aujourd’hui ! ».
De ma position sur le côté, le spectacle était surprenant, trois rangées de fidèles, dont les individus de tête tombaient presque tous en même temps, chaque individu ne passant que quelques secondes auprès du guérisseur. Les fidèles ainsi visités expliquent qu’ils ressentent sous l’effet des paroles et du pouvoir du guérisseur le souffle de l’esprit divin qui les enveloppe alors d’une merveilleuse léthargie, d’une paix profonde indescriptible. Sœur Rosa donnait des messages de guérison, insufflait aussi l’esprit, mais ne provoquait pas de « fall out ».
L’introduction du charismatisme au sein de l’Église date déjà de quelques décennies et s’il n’est souvent que toléré du bout des lèvres par la hiérarchie, il était clair qu’ici il était fortement bienvenu, totalement à sa place. Son origine pentecôtiste le rend difficile à classer, les fondateurs de ce mouvement au sein du protestantisme américain étant des Noirs du début du XXe siècle, qui ne firent selon certains que revivifier la tradition chrétienne de la guérison par la force de l’esprit divin. Ce que j’avais sous les yeux, et qui est très populaire dans le christianisme indigène de nos jours, était d’autant plus intéressant qu’un troisième courant le traversait, celui du shamanisme indigène. En effet, en dehors de l’Église, ces « tribal healers » seraient appelés shamans ou au moins « medicine men » ou « medicine women ». Les fidèles, par ce biais, retrouvent encore davantage leurs propres racines culturelles autant que spirituelles. Tout cela se fait dans le syncrétisme le plus achevé puisque le message que les guérisseurs tribaux profèrent est à la fois éminemment chrétien et éminemment indigène : ils se font le relais humain de l’esprit du Créateur, du Grand Esprit, de Dieu, de Jésus ; c’est son sang qui coule sur le fidèle pour le racheter et le bénir à jamais.
Il était clair que cette soirée appartenait totalement aux Indigènes et à leurs anciens, les « tribal healers » jouant le rôle d’un clergé authentiquement indien. Aucun membre du clergé non-indigène ne participait au rituel, sauf, comme moi, depuis les gradins, et c’est précisément à ce moment-là que Sœur marie Faubert me confia sa joie de voir l’Eglise enfin aux mains de son peuple, avec des paroles que j’ai rapportées au début. Sœur Rosa était le seul membre du clergé, et son appartenance à l’institution était soulignée par le fait qu’elle était, je l’ai dit aussi, la seule nonne en habit religieux (Je ne pense pas toutefois que cela manifestât une prise de position conservatrice, je pense qu’il s’agissait plutôt d’une question d’âge car elle était visiblement plus âgée que les autres religieuses.) Joëlle Rostkowski me dira plus tard que lorsque les fidèles voulurent introduire ce rituel charismatique, dans les années 90, les autorités cléricales s’y opposèrent fortement (notamment Mgr Lenz), mais on voit bien que les fidèles ont réussi à imposer leur préférence. L’autre grand moment totalement aux mains des Indigènes se déroula le lendemain dans la réserve des rois du crabe et du saumon.
La Journée chez les Lummi
Cette tribu réside sur les bords de l’océan, au nord de Bellingham, donc près de la frontière canadienne, à deux heures du lieu de conférence et nous y passerons la demi-journée du vendredi. Le choix du site du congrès dépendant des facilités de communications et d’hébergement, il ne pouvait se dérouler qu’à proximité de l’aéroport Seatac, cela rendant en revanche ardue la tâche de nos hôtes.
Peuple du Pacifique, ces Coast Salish furent particulièrement accueillants et généreux. Leur catholicisme profondément ancré offre un excellent exemple d’inculturation qui a totalement marqué la tenue de la Conférence de Seattle. Je pensais que cette harmonie avait cours chaque année, mais des habitués m’expliquèrent que parfois les tribus organisatrices restaient fermées aux innovations de l’Église, allant par conséquent à l’encontre du programme katerien. Ainsi en 2000, les Winnebago qui organisèrent le congrès dans le Nebraska, à Lincoln, ne furent pas amicaux envers les participants et s’avérèrent très conservateurs, à tel point qu’ils ne toléraient même pas l’utilisation du tambour.
Les Lummi en revanche remplirent à la perfection les attentes du catholicisme katerien. Le mobilier d’église qu’ils avaient installé dans le gymnase ne pouvait être que salish : bénitier, lutrin, chaises pour les officiants étaient en bois de cèdre sculpté à l’effigie des animaux totémiques de la nation, les tentures et la décoration végétale locales également. Quant au bâtiment dans lequel se déroula la messe, le centre tribal, il s’impose comme exemple parfait d’architecture régionale : vaste bâtiment rectangulaire, en grosses planches de cèdre, poutres protubérantes recevant les pignons du toit. À l’intérieur, d’énormes troncs piliers supportent la structure et sont sculptés en mâts totémiques. Des gradins encadrent la piste qui servait de nef. Un énorme chapelet en bois repose sur une table à l’arrière. Tous les autres bâtiments de la réserve, école, centre tribal, etc., respirent, comme le centre tribal, la richesse, les fonds du commerce des produits de la mer, et du casino étant dépensés à bon escient. La vieille église, blanche, en planches, de plan classique nord américain, Saint-Joachim, témoigne de l’ancienneté du catholicisme dans la réserve : elle se classe au cinquième rang des bâtiments les plus anciens de l’État de Washington ; elle fut d’abord construite sur les bords de la Nooksack en 1861, puis reconstruite en 1869. En raison des crues fréquentes, elle fut transférée sur son site actuel, sur la colline. Le terrain en fut offert à l’archidiocèse de Seattle par l’un des grands chefs lummi, Henry Kwina, fervent catholique. Elle symbolise l’évangile et « la force spirituelle du peuple lummi. » (texte figurant sur la carte la représentant). On peut voir une statue de Kateri, en bois, dans le jardin devant l’église.
Les deux repas qui furent servis à volonté, et gratuitement aux centaines de personnes que nous étions, furent somptueux : fruits, crabes géants et saumon. Nous reçûmes même des cadeaux : chapelets indigènes aux quatre couleurs, « pouches » ou sac-médecine contenant un mélange hétéroclite assez amusant : une cacahuète, deux bonbons, une petite branche de cèdre, un petit élastique chouchou, et une liste de mots, comme les petits billets dans les « Chinese cookies » mais dont je n’ai pas encore percé le sens, à moins qu’il ne faille y voir qu’une liste à la Prévert des objets importants pour les Lummi : « cedar, canoes, longhouse, baskets, rope, paddles, clothes, roses, hat, mats, blessings ». Diverses danses, des stands d’artisanat local, notamment de chapeaux et de paniers en copeaux de cèdre, et surtout la plage et une eau idéales agrémentèrent le restant de l’après-midi, avant la grand-messe.
4. La puissance et la gloire
de l’Église catholique
Tout ce que j’ai décrit jusqu’à présent témoigne de l’investissement total des catholiques indigènes et de leur clergé familier dans leur organisation nationale et dans la tenue du congrès en juillet. Or, si j’ai présenté chronologiquement la majeure partie des activités du congrès, je n’ai pas encore abordé les magistrales célébrations qui clôturaient les journées, les trois grands messes. Dans aucun des textes que j’avais pu lire auparavant sur la Conférence, laquelle est systématiquement donnée en exemple d’inculturation et de grande fête pan-indienne, ne figurait la référence à l’importance de la liturgie et je ne m’y attendais pas. Cette superbe cérémonie, préparée, comme il se doit, dans ses moindres détails, remplissait plusieurs buts, certains attendus dans un contexte catholique, certains plus politiques à mes yeux car ils affirmaient la résistance de l’institution, ainsi que je l’annonçais au début. La cérémonie était concélébrée par plusieurs prêtres et deux, évêques ou plus. La liturgie du premier jour fut présidée par l’archevêque de Denver, Mgr Chaput, OFM cap (Order of Friars Minor Capuchin, Capucins), secondé par 3 évêques, celle du second jour, chez les Lummi, par l’archevêque de Seattle, Mgr Brunett, la troisième par l’évêque Eusebio Elizondo de l’archidiocèse de Seattle.
Une vingtaine au moins de prêtres et de frères, en habits blancs de cérémonie, formaient le cortège d’ouverture de la messe, et c’est l’entrée du premier jour qui m’a le plus frappée car je ne pus m’empêcher de penser ceci : on avait laissé les Indigènes faire leurs conférences plénières, tenir leurs ateliers, maintenant le clergé, en blanc, et quasiment tout blanc de peau (j’ai déjà noté le petit nombre de pères et frères indigènes) reprenait le devant de la scène. Mon impression fut différente lors de la messe chez les Lummi car la procession d’ouverture impliquait très fortement les Lummi. (consulter ces photos pour bien voir les processions : http://www.tekconf.org/liturgy/processions_02.html)
Cependant on pouvait placer cela aussi à un niveau plus spirituel : après une journée de témoignages de laïcs, d’activités plus profanes que religieuses, la grand messe réintroduit le sacré vers lequel les fidèles doivent tendre. Dans une perspective d’étude de la résistance, il ressort que ce processus affirme que le garant de sa transmission en est bien le clergé, et en particulier les évêques et les archevêques, tous ceux qui sont dans la succession apostolique de par leur consécration sacramentelle.
En rester là toutefois impliquerait une profonde méconnaissance du catholicisme dans ce qu’il a de plus original par rapport aux autres formes de christianisme. Ainsi, ce cortège de clercs en habits sacerdotaux pour encadrer les évêques et archevêques, c’est-à-dire les dignitaires juste au-dessous de l’autorité suprême temporelle, affirme la différence d’avec le protestantisme qui refuse justement cette hiérarchie (sauf l’épiscopalisme) et place le clergé au même rang que les fidèles. Or c’est cette professionnalisation intense du clergé catholique qui doit être comptée parmi les facteurs qui lui ont donné la plus grande longévité au sein des confessions chrétiennes.
En outre, la beauté de la liturgie doit se lire comme un cadeau offert aux fidèles qui méritent bien cela. La présence des évêques et des archevêques les honore au plus haut point et c’est ainsi que les participants à la Conférence le ressentirent. Si je ne m’attendais pas à la grandeur du cérémoniel (que je connaissais certes), tous les participants eux, le plus souvent des habitués, attendaient ce moment avec enthousiasme. Pendant les messes, personne ne restait dans les couloirs à discuter.
S’ils demeurent catholiques et ne se laissent pas attirer par les sirènes du traditionaliste exclusif (c’est-à-dire celui qui leur refuserait de pratiquer deux religions), c’est précisément parce que l’Église catholique est maîtresse dans l’art du cérémoniel, de la beauté du rituel sacrificiel, et ce fut de toujours son atout lors des campagnes d’évangélisation, dans l’Europe ancienne comme dans les autres continents. Les Relations des jésuites abondent en témoignages de l’impact de belles messes sur les néophytes potentiels puis sur les chrétiens confirmés. Si c’est, en partie, à cause de son goût pour la magnificence qu’elle perdit une moitié de son empire à partir de la révolte de Luther, c’est aussi grâce à elle qu’elle parvint à se redresser pendant la Contre-Réforme et à triompher de ses pingres rivales au point d’être aujourd’hui la première confession au monde. Perspicace, elle rejoue le même scénario en terres indiennes, et la Conférence prouve son succès. Mon ami kiowa Vanessa Jennings me confirma ceci récemment quand elle m’expliqua comment elle s’était convertie au catholicisme : “my husband was always in love with the beauty of the Catholic Church. I converted in my old age to the Catholic Church. I was in love with my Indian ways and prayers. However, the Catholic Church has so much ceremony and it blends with our Indian ways. » (correspondance privée)
Ce succès est d’autant plus fort, que nous l’avons vu, l’Église a su intérioriser le message protestant et post-colonial de l’intégration du peuple des fidèles. Ainsi ces grands messes incorporaient-elles les avancées de l’inculturation des dernières décennies. L’autel, le lutrin, les habits sacerdotaux étaient décorés de motifs tribaux des Coast Salish. Les célébrants étaient servis par des Indigènes qui avaient répété leur rôle attentivement auparavant. Le jeudi, la thuriféraire fut Joan Staples Baum, celle qui avait conduit le Sunrise service que j’ai décrit et qui était co-responsable de l’organisation des journées. Elle m’avoua ensuite qu’elle avait été très flattée de se voir confier le service de l’autel, car n’étant pas membre du clergé, et étant de surcroît une femme, elle n’avait pas imaginé qu’on puisse la laisser servir les archevêques. L’autre grand moment fut de voir Monseigneur Chaput pratiquer lui-même avec dextérité le « smudging » de l’autel et des officiants avec la fumée des herbes préparées par la thuriféraire. ( Voir http://www.tekconf.org/liturgy/smudging_01.html)
Enfin, tout ce qui se déroula lors de ces messes obéissait aux règles édictées par la Conférence dans son programme et ne pouvait que surprendre l’observateur en quête de tensions internes ! En effet, le règlement stipule notamment que :
- « - Seuls ceux-là peuvent manipuler les symboles religieux et accomplir les rituels propres à leur tribu, et seulement ceux d’entre eux qui sont respectés par leur communauté.
-
- - La liturgie de la messe doit se dérouler selon les préceptes catholiques et les variantes indigènes sont réglementées ainsi :
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- - L’autel sera recouvert d’une nappe de la couleur sacrée de la communauté invitante.
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- - Les chants indigènes, le tambour (éventuellement avec la flûte, la guitare ou d’autres instruments traditionnels) et les danses accompagneront la procession d’ouverture et de clôture, la profession de foi, l’acclamation de l’Évangile, et la procession de l’offertoire.
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- - Pour le rituel de purification, et pour la bénédiction des offrandes, on brûlera du tabac ou de la sweetgrass au lieu de l’encens. Ceci s’appelle le smudging.
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- - Les plumes d’aigle peuvent être choisies pour la bénédiction.
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- - Pendant la prière, on pourra utiliser la pipe (calumet). On pourra adresser ses invocations aux quatre points cardinaux, de même lors de l’Élévation, le pain et le vin afin de refléter la spatialisation sacrée autochtone. » (site de la Conférence)
Je terminais mon introduction en me demandant si l’identité indienne du clergé, en l’occurrence de Monseigneur Chaput, le distinguait de ses pairs. À la lecture de ses interviews (voir Joëlle Rostkowski) et à le voir ainsi officier, on peut dire oui, puisqu’il est très attaché à sa culture potawatomi et à sa perpétuation au sein même de l’Église. L’autre évêque indigène, Monseigneur Pelotte est quant à lui le modérateur ex-officio de la Conférence et à ce titre aussi impliqué au premier chef dans l’indigénisation de l’Église. Ces deux hommes ne semblent pourtant pas être la proie d’affrontements internes, leur catholicité, au sens fort d’universalité, autorisant ces identités multiples.[4]
Conclusion
Le déroulement sans faille des cérémonies de la Tekakwitha Conference démontre que l’inclusion de marqueurs de l’identité indigène (dans le rituel, la symbolique, la guérison) au fil des dernières décennies par l’Église romaine en terres indiennes n’est plus du tout une contrainte qu’elle se sentirait obligée d’accepter, cette inclusion fait dorénavant partie intégrante de sa propre identité. Or, on pourrait se méprendre et plaquer une interprétation cynique sur ces journées si l’on se contentait de n’y voir qu’un faisceau de résistances, d’antagonismes d’abord entre les fidèles et le clergé, puis à l’intérieur du clergé, et enfin entre les fidèles catholiques et les non-catholiques. En réalité ces tensions ont toujours existé et le génie du catholicisme a été de les résorber, de les annuler et de les incorporer afin de se renforcer. La variété des ordres religieux représentés à la Conférence en est une autre preuve : jésuites, franciscains, capucins, oblats, religieuses de Saint-Joseph, de Sainte-Anne, de Notre-Dame-de-Namur…, et en plus les charismatiques pentecôtistes, groupes qui naguère sur le terrain ne cohabitaient pas facilement, étaient tous rassemblés ici pour une unique cause, le bien-être, physique et spirituel, des fidèles au nom du dieu chrétien qui n’est autre que le Grand-Esprit et le Créateur suprême.
Connie Lee, vice-présidente du conseil d’administration concluera plus tard : « Each year at our annual gathering we see the depth and breadth of talent of Native Peoples together with our supporters. We come away renewed, encouraged, and on fire to keep growing with the help of Christ and Blessed Kateri Tekakwitha. Yes, there are challenges. We will grow stronger and holier by staying rooted and grounded in love.” (Couverture Cross and Feathers, November 2006)
Ce sont en effet bien ces forces de résistance multidirectionnelles qui comme dans le système des checks and balances confèrent cet extraordinaire dynamisme à l’ensemble. L’Église universelle, dont le catholicisme est le meilleur exemple, voire le seul, se définit justement par son inclusion de toutes les oppositions, bien davantage que les Églises nationales et contrairement aux sectes et aux cultes. La structure de pouvoir par excellence que constitue l’Église romaine ne peut survivre, en général et en terres amérindiennes en particulier, que parce qu’elle suscite des tensions dont elle intègre l’énergie et qu’elle apaise les querelles dans le couronnement sublime de ses cérémonies liturgiques. Lors de la Tekakwitha Conference, la participation au sacrifice de son dieu, héros de la résistance au monde s’il en est, réconcilie alors les frères autrefois ennemis dans une grande déclaration de pardon et d’amour. Fille du roseau aussi bien que du chêne, cette institution là résiste encore admirablement…
Bibliographie sommaire
(voir travail précédent pour longue biblio
sur inculturation etc)
Cross and Feathers, November 2006. (Newsletter quaterly de la Tekakwitha Conference)
Rigal-Cellard Bernadette. « La Vierge est une Amérindienne : Kateri Tekakwitha, à l’extrême imitation de Jésus et de Marie. » in B. Rigal-Cellard, ed. Missions extrêmes: en Amérique du Nord : des Jésuites à Raël. Bordeaux : Pleine Page, 2005. 124-156.
-------« Kateri Tekakwitha, l’Église catholique et les Amérindiens: qui cadre qui?” CLAN, Cadres et limites. 2007.
ROSTKOWSKI Joëlle. La conversion inachevée : les Indiens et le christianisme. Paris : Albin Michel-Terres indiennes, 1998.
Adress of the national office of the Tekakwitha Conference :
P.O. Box 6768
Great Falls, MT 59406-6768 (Montana, USA)
http://www.tekconf.org/
[1] Je remercie tout particulièrement Sœur Kateri Mitchell, SSA, directrice de la Tekakwitha Conference et Sœur Elaine Caron, SSA, assistante administrative de la Conference pour leur aide et leur soutien constant au cours de ces années de recherche ; ainsi que Joan Staples-Baum, co-présidente du Comité organisateur et tous les nombreux participants qui m’ont prodigué des conseils et offert leurs témoignages.
[2] Cela ne veut pas pour autant dire que le problème n’existe plus. Une amie kiowa, Vanessa Jennings, non présente à la Conférence, qui habite dans l’Oklahoma, m’a raconté comment son fils célébrait avec elle la danse du soleil de nos jours. Pratiquer cela n’entre pas du tout en conflit avec son profond catholicisme, lequel est d’autant plus intense qu’elle ne s’est convertie qu’il y a quelques années. Sa maison au fin fond de la pampa à l’Ouest d’Anadarko, est pleine de vieilles gravures catholiques de la Vierge et du Cœur saignant de Jésus côtoyant ses œuvres d’art aux broderies de perles pour lesquelles elle est mondialement connue. De même que sa pratique de la Sun Dance lui a valu l’inimité de cousins, sa conversion au catholicisme a fortement déplu car lorsqu’ils sont chrétiens, ses cousins appartiennent aux groupes protestants.
[3] On peut à ce propos parler d’un autre type encore de résistance : celle des Blancs romantiques entichés de l’Indien gardien de la sagesse qui ne veulent pas admettre que leur ami l’Indien puisse quitter son tipi, son calumet et les mannes de ses ancêtres, et qui aimeraient bien voir ces catholiques réintégrer définitivement le giron spirituel tribal. Cette catégorie n’est pas nouvelle.
Je me suis souvenue alors que le catholicisme du grand-père de George Look Twice avait été complètement évacué de Black Elk Speaks par John Neihardt car ce noble homme médecine lakota ne pouvait être christianisé… Ce ne fut que lorsqu’on retrouva la transcription exacte de son récit qu’on s’aperçut qu’il était très fier de son baptême, de sa fonction de catéchiste catholique, et qu’il avait raconté la suite de sa vie avec beaucoup de plaisir, alors que Neihardt lui faisait perdre la parole à Wounded Knee. Que son petit-fils soit à la Conférence et en soit, je crois bien, un habitué, témoigne de la conviction catholique profonde de la famille du grand homme.
[4] Lors de la présentation orale de ce travail, on fit remarquer que deux évêques sur l’ensemble des évêques américaines, cela était fort peu. Il faut toutefois se souvenir que les catholiques indigènes ne représentent guère que quelque 500.000 personnes sur un total de plus de 65-68 millions, ce qui représente entre 0,5 et 0,7%. Il y a quelque 195 diocèses.
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