Bernadette Rigal-Cellard
Professeure, Études Nord-Américaines, Directrice de l’UFR des Pays anglophones
Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3.
“Grégoire XVII
et les Apôtres de l’Amour Infini”.
Un article publié originalement sous le titre: «Le futur pape est québécois: Grégoire XVII». In ouvrage sous la direction de Bernadette Rigal-Cellard, Missions extrêmes en Amérique du Nord: des Jésuites à Raël. Bordeaux: Éditions Pleine Page, 2005, pp. 269-300.
- Table des matières
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- Introduction
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- Comment devient-on pape ?
- Bref exposé de la doctrine et de la règle
- Millénarisme et apocalyptisme catholiques
- Messianisme : le Québec Nouvelle Rome
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- Conclusion
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- Bibliographie
Introduction
Le catholicisme québécois se signalait autrefois par une vigueur et un enthousiasme que lui enviait sa sœur l'Église de France. Avec les diverses mutations de la société québécoise au vingtième siècle, notamment avec la Révolution tranquille des années 1960 [1] et les retombées du concile de Vatican II, son influence est cependant allée diminuant. Dans les zones urbaines, il semblerait qu'il ne soit guère plus florissant aujourd'hui qu'en France, même si les statistiques restent prometteuses pour l'ensemble du Canada puisque le nombre des catholiques y demeure très important, grâce notamment à l’immigration. [2] Toutefois, de nombreuses communautés entretiennent le flambeau d'un catholicisme rigoureux, intégriste, et celui du messianisme québécois dont on n'osait plus trop parler.
Non seulement le Québec demeure, selon ce messianisme, la terre que la Providence a sauvée du protestantisme anglo-saxon et de l'anticléricalisme hexagonal, mais pour un certain nombre de fidèles, il est devenu la Nouvelle Rome, siège du Pontife Grégoire XVII. Les États-Unis, de plus en plus fortement catholiques (plus d'un quart de la population y appartient à l'Église de Rome) lui disputent ce titre et comptent aussi maintenant plusieurs papes auto-proclamés. [3] L’itinéraire du pape québécois Grégoire XVII, ou Père Jean de la Trinité, relève très clairement d’une problématique de l’extrême religieux. Spirituellement, il justifie son titre par son interprétation de multiples prophéties et de ses propres visions mystiques. Temporellement, son parcours a été marqué jusqu’à aujourd’hui par de sinistres affaires qui ont, à ses yeux, confirmé sa fonction de prophète non reconnu en son pays.
Sa communauté évangélique, les Apôtres de l'Amour Infini, ou l'Église catholique des Apôtres des Derniers Temps, qu’il a installée à Saint-Jovite dans les Laurentides, représente le meilleur exemple des schismatiques québécois actuels et appartient à la nébuleuse de la droite catholique au Québec avec d'autres groupes également très intéressants que sont les Bérets Blancs (non-schismatiques québécois), l’Armée de Marie (semi-schismatique) [4], la Contre-Réforme catholique de l'Abbé de Nantes (non-schismatiques d'origine étrangère) et les disciples de Monseigneur Lefebvre, la Fraternité Saint-Pie X (schismatiques d'origine étrangère). Il y aurait une centaine de groupes catholiques de droite dans la Belle Province (Geoffroy 1996:25). Cette étude est essentiellement basée sur une analyse des textes publiés par la communauté de Saint-Jovite : encyclique, biographies, catéchisme, manuels religieux, et le mensuel Magnificat. [5]
Nous nous attacherons en premier aux éléments insolites de l'itinéraire de ce vicaire du Christ, puis de sa doctrine, notamment son interprétation des prophéties, et nous terminerons par ce qui nous paraît le plus original, à savoir sa réactualisation du messianisme québécois, puisqu'il proclame que le salut de l'Église catholique universelle actuellement en perdition ne peut venir que de sa branche canadienne française qui de Saint-Jovite a su obéir aux injonctions de la Vierge.
Comment devient-on pape?
Le futur Grégoire XVII naquit le 8 septembre 1928 à Rimouski, sous le nom de Gaston Tremblay. [6] L'enfant "grandit dans un milieu profondément religieux à l'ombre des cloîtres" (Côté 17). Il entre à l'école des Frères du Sacré Cœur de Rimouski à huit ans. Le 15 août 1944 il en part pour entrer dans les ordres et il va passer huit ans dans un hôpital pour malades incurables, Notre Dame de la Merci. Le 21 octobre 1945 il devient novice et prend le nom de Frère Jean Grande. Il commence alors à recevoir des visions prophétiques. En 1947, notre Seigneur lui apparaît pour lui annoncer ses desseins : il se voit dans un pré entouré d'une foule de six à dix mille religieux, il en distingue plusieurs nettement, et il leur remet une tunique. Ils entraient alors tous dans une église où il y avait un grand ostensoir. Une voix dit alors : "Tous ceux-là, tu me les gagneras." (Côté 66) Plus tard, en 1949, pendant les Vêpres, il voit le film de sa vie. Une voix lui ordonne : "Va voir les évêques et dis-leur que je t'ai demandé un Ordre. Cet Ordre prêchera de nouveau l'Évangile au monde avec la force des Apôtres de la primitive Église. Ce sera d'abord un petit arbre de rien, mais cet arbre étendra ensuite ses rameaux sur toute la surface de la terre." (Côté 66) Il percevait aussi cette communauté comme pratiquant la pauvreté évangélique. D'autres phénomènes étranges se produisirent par la suite : il se voit notamment une fois parler avec un pape choisi de Dieu (celui-ci s'avèrera être Clément XV).
Il décide d'aller en parler à l'abbé Henry Saey de la paroisse de Saint Irénée, prêtre mal vu par la hiérarchie car il pousse trop loin la pénitence. Celui-ci lui déclarera : "Dieu veut cette communauté […]. Je vois des centaines de personnes qui disent avoir des visions pour fonder une communauté, vous êtes le premier à qui je le dis." (Côté 69) Comme il ne peut prononcer ses vœux dans son ordre, Jean le quitte à 24 ans pour fonder sa propre communauté. Il trouve de l'aide auprès de Mère Rita-Marie de Jésus, fondatrice des Sœurs Recluses près de Pointe-aux-Trembles. Il y reçoit son premier disciple, le Frère Gilles, âgé de 31 ans, qui est épileptique. Jean lui dit de ne plus prendre de médicaments et dès lors les crises s'arrêtent. Mère Rita intercède pour le père Jean auprès de Monseigneur Paul-Émile Léger qui émet le souhait de le rencontrer. Celui-ci confortera Jean dans ses projets car "l'Église a besoin de tels soldats." (Côté 74) C'est par son entremise que le pape Pie XII transmet sa bénédiction à la communauté de Jean. On se souvient que Monseigneur Léger avait remplacé Monseigneur Joseph Charbonneau, évêque de Montréal depuis la mort du Cardinal Villeneuve en 1947, lequel avait dû démissionner en 1950 pour avoir eu des idées trop libérales au gré de la hiérarchie. Le nouvel évêque, très conservateur, avait donc dû apprécier l'attachement du père Jean au catholicisme traditionnel.
Le 14 février 1953 les Frères s'installent à Rivière des Prairies. Les conditions de vie étaient telles que les disciples potentiels ne restaient guère longtemps. Un frère convers dominicain possédait le don de Saint Martin de Porres, c'est-à-dire qu'il savait parler aux rats et les chasser sans bouger. [7] Il fit disparaître ceux qui les infestaient, un des nombreux miracles que la communauté connaîtra. Le 13 mai arriva le décret officiel autorisant la communauté des Frères de Jésus-Marie. Pour le Père Jean, cette date est capitale car 117 ans plus tôt exactement (le 13 mai 1836) le siège épiscopal de Montréal était érigé par le pape Grégoire XVI et Monseigneur J. Jacques Lartiques, né à Montréal, en devenait le premier évêque. Devant cette amorce de succès, les fondateurs d'autres communautés commencent rapidement à se plaindre. Frère Jean se rend en Terre Sainte en 1954 et au retour s'arrête à Rome pour assister à la canonisation de Pie X, personnalité qu'il admire et à laquelle il se réfère très souvent, comme ses congénères traditionalistes fascinés par la lignée des papes Pie, de Pie V à Pie X notamment (Geoffroy 1996: 24). Il fait aussi le pèlerinage à Lourdes avant de regagner Québec. Après plusieurs expériences, il repart voir Monseigneur Léger pour lui demander s'il est dans le bon chemin: « Vous devez continuer, mon enfant, c'est la volonté de Dieu. » (Côté 94) Grâce à un donateur, Jean s'installe à Saint Hippolyte pendant une année où il acquiert là aussi une assez mauvaise réputation. Il « en fait trop », et ce « terrorisme spirituel » nuit à l'image de ses confrères moins zélés.
En 1957 au cours d'un pèlerinage, une voyante lui annonce qu'elle entend la Vierge Marie lui dire "Bientôt je mettrai sur son chemin mon prêtre qui lui dira ce qu'il faut faire." (Côté 102) La prophétie se réalise peu après lorsque Jean rencontre l'Abbé Arthur Viau. Celui-ci, pourtant très riche, vit dans la pauvreté et donne de l'argent à son visiteur. Le 29 juillet l'évêque Frenette, qui n'aimait guère Jean, lui intime de partir en moins de trois jours. Il se rend alors dans le diocèse de Gaspé, puis se fait inviter en Afrique par un évêque camerounais mais Monseigneur Léger lui demande de rester au Canada. En avril 1958, une autre prophétie le marque, celle du Frère Célestin qui lui révèle : « comme vous aurez à souffrir. À l'âge de 33 ans vous verrez se dérouler les faits les plus extraordinaires de votre vie. » (Côté 115) Quelque temps après, un fou s'introduit dans la communauté de Jean, colporte des ragots qui poussent les frères à quitter la Gaspésie. Jean finit par trouver une ferme à Saint-Jovite. La deuxième partie de la prophétie de Célestin se réalise. Il lui avait en effet annoncé : « Vous êtes parti du Nord, mais vous y retournerez, c'est là que vous devez être. » (Côté 119)
En 1960 le père Didier Plaisance, un oblat qui travaille à préparer les fidèles du monde entier à recevoir le troisième secret de Fatima (que le pape Jean XXIII est censé révéler au monde cette année-là) passe à Saint-Jovite et tombe en extase. Il reçoit la vision d'un grand lac auprès de la montagne, d'une île avec une petite chapelle et de centaines de prêtres qui se traînent à genoux, les larmes aux yeux. Tout en conservant la ferme de Saint-Jovite, qui ne peut encore les faire vivre, les frères vont se placer sous la protection de l'évêque de Sherbrooke. Au bout de quelque temps, les mêmes problèmes réapparaissent et l'évêque leur demande de quitter le diocèse. Ils s'installent alors définitivement à Saint-Jovite. Ils vont transformer le domaine en maison-mère de l'Ordre de la Mère de Dieu, cet Ordre réclamé par la Vierge aux petits bergers de la Salette en 1846.
La filiation entre les papes de Rome et Jean se fait alors plus évidente. En effet, pour obéir aux révélations de la Salette, le Père Michel Collin présidait la fondation de l'Ordre prophétique de la Mère de Dieu depuis 1935 et avait reçu l'appui de Pie XII en 1946. Ce Lorrain est une personnalité importante du catholicisme original français de l'après-guerre. Il portait des stigmates, une croix qui saignait sur la poitrine. Le 7 octobre 1950, il fut élu par sa communauté pape mystique sous le nom de Clément XV, et son règne coïncida avec celui de Pie XII. Il avait reçu une vision de Jésus qui lui disait : « Tu signeras désormais 'Clément XV, Jésus, Marie, Joseph…' » (voir Delestre) Il devait succéder à Jean XXIII en 1960 après l'ouverture du troisième secret, mais ce dernier manqua à ses obligations et ne le révéla pas. Désabusé, Clément XV sortit de sa réserve et s'afficha alors publiquement. Le pape de Clémery (entre Nancy et Metz) fonda son Église le 2 avril 1961. Elle sera connue sous plusieurs noms, notamment Église mystique ou Église de Gloire.
Jean déclarera dans une interview en 1980, que jusqu'alors il avait été un catholique soumis, mais qu'il s'était rendu compte de l'erreur dans laquelle le Vatican était tombé lorsqu'il rencontra Michel Collin brièvement en 1961 à l'aéroport Dorval. Cette rencontre fortuite ou prédestinée est qualifiée par le spécialiste des groupes catholiques minoritaires américains en ces termes : « a moment of mystical déjà vu » ! (Cuneo 122). Jean reconnut en Collin le pape choisi par Dieu et annoncé par le secret de Fatima, celui avec lequel il s'était vu converser lors d'une vision prophétique. Jean estima que le Vatican avait falsifié la vérité sur le catholicisme. Clément XV lui annonça qu'il serait son successeur en affirmant « Je sais cela par révélation divine. » (Questions… 27) Les suiveurs européens de Clément XV ne virent pas d'un bon œil cette succession canadienne, mais la Vierge Marie vient elle-même la confirmer à Jean le 8 décembre 1961. Jean dira ensuite que les autorités religieuses savaient que la révélation du Secret de Fatima prouverait l'authenticité des Apôtres de l'Amour Infini, et qu'elles ne voulaient donc pas le divulguer bien que Notre Dame l’ait réclamé. (Apôtres, Le Procès de la 'Justice' 316).
Après s'être mystiquement reconnus, Collin et Jean se rencontreront à nouveau. Clément XV se rend à Saint-Jovite sans trouver Jean qui est absent. Le pape lorrain lui fait demander de se rallier à sa communauté d'Europe. Le livre Tu es Pierre cite Maurice Barrès qui déclarait que la Lorraine est la terre "où souffle l'Esprit", celle qui sera par prédestination l'agent miraculeux sauveur de la France une deuxième fois, la première étant l'intervention de Jeanne d'Arc. (St-Pierre 89-90) La filiation entre la grande sainte française et Grégoire XVII, nouveau sauveur de la France et de l'humanité, est régulièrement soulignée dans cet ouvrage et dans divers textes de la congrégation. Plus tard, Jean rencontre une certaine Madame Thibault qui voit régulièrement la Vierge et elle lui fait part d'un nouveau message sur sa mission. Jean se rend à Clémery en 1962 et le message de Clément devient encore plus précis sur la mission canadienne et universelle de son ami. C’est là qu’à 33 ans, le 21 janvier 1962, conformément à la prophétie de Frère Célestin, Jean est ordonné prêtre. Il repart au Canada, et revient en Lorraine peu après pour être fait évêque le 25 mars 1962, le jour de l'Annonciation. Il est dit dans sa biographie que "ces ordinations successives recevront une sanction canonique" (Côté 144), mais ce ne peut être que de la part du pape lorrain. Il fut ensuite nommé officiellement Supérieur général des Apôtres de l'Amour Infini, Ordre de la Mère de Dieu. Il allait par là dresser encore davantage le clergé romain québécois contre lui.
Les vocations se multiplient : 7 en 1962, 30 en 1963, 80 en 1964. La construction du monastère débute en 1962. Les frères vivent en "quéteux", dans la pauvreté évangélique la plus authentique. L'évêque, Monseigneur Limoges, fait lire du haut des chaires du diocèse des mises en garde, et la communauté devra subir de plus en plus de calomnies. [8] Elle est ouverte à tous et fait son possible pour subsister en autarcie : culture et élevage de vaches et de poulets. Il s'y ajoute une imprimerie qui deviendra ensuite la maison d'édition Magnificat. La branche laïque s'appelle "les Disciples". Des couples peuvent venir s'installer dans la communauté.
Monseigneur Léger ne répondra jamais à l'invitation de venir en visite, le Père Jean étant devenu trop gênant. La société extérieure va dès lors intenter diverses actions en justice qui seront perçues en tant que persécutions par les Apôtres. C'est presque exclusivement à cause de ces « affaires » que le père Jean est connu de nos jours, et non point pour son message doctrinal. En 1966-67 vingt-deux couples furent jugés irresponsables pour avoir confié leurs enfants aux Apôtres : ce sera l'affaire des "enfants cachés de Saint-Jovite". En 1967 Jean figure sur la liste Interpol des dix criminels les plus recherchés du Québec. Cela va ébranler la confiance de Clément XV, qui, selon Jean, se laisse manipuler par ceux qui refusent que le futur pape soit canadien, et le pape français le désavoue publiquement. Le Québécois repart en Lorraine pour s'expliquer, sans succès. Clément refusera même l'invitation de se rendre au Québec en 1968. Jean va donc poursuivre seul sa mission terrestre. Le 10 septembre 1968, sous le nom de Grégoire XVII, nom imposé par Dieu le 29 août, il assume la succession apostolique de Saint Pierre, sur proclamation de la Mère du Salut. Toutefois, dans un geste de conciliation, en mai 1969, Clément XV reconnaîtra que les clés de Saint Pierre étaient passées aux mains de son successeur, Grégoire XVII. Le pape lorrain, plus ou moins dérangé, mourut le 23 juin 1974.
Grégoire, qui avait d'abord refusé la cérémonie du couronnement, finit par l'accepter (elle est décrite dans Tu es Pierre 823-831). Le 29 septembre 1971 ses fidèles lui imposent une tiare de leur confection, en papier mâché qui ne devait pas coûter plus de deux dollars (Questions… 38). Les Apôtres démontrent par là que Grégoire reste dans la pure tradition de la pauvreté chrétienne, contrairement aux papes de Rome qui vivent dans le luxe. Jean compare notamment dans ses écrits sa tiare à celle de Paul VI dont nous reparlerons plus loin. 375 personnes assistent à l'événement et prêtent allégeance au nouveau pape. Celui-ci va promulguer une encyclique, Pierre parle au monde, le 13 avril 1975, dans laquelle il exhorte les chrétiens à s'unir.
Un incendie, perçu comme criminel, détruit le monastère le 26 juin 1976. Sans aucune aide extérieure, il sera reconstruit peu après. Le 19 mars 1977, Michel San Pietro publie aux éditions Magnificat Saul, pourquoi Me persécutes-tu ? dans lequel il prouve l'apostasie de Paul VI et c'est alors la guerre ouverte. Puis, en 1978, Jean-Grégoire reçoit un mandat d'arrestation à la suite des accusations portées contre lui selon lesquelles il aurait séquestré les enfants du couple divorcé Currier. Un ouvrage entier, Le procès de la « justice », expose l'affaire et les persécutions policière auxquelles elle donna lieu. Père Jean est emprisonné pendant plusieurs mois avant son procès qui le condamne à deux ans de pénitencier. Son appel auprès de la Cour Suprême du Canada n'est pas entendu et il se livre le 9 octobre 1980 aux autorités pour purger sa peine. Il est libéré le 25 mars 1981 après avoir passé un an dans diverses prisons.
Ces épreuves ne font confirmer toutes les prédictions qui soulignaient les souffrances dont le véritable pontife choisi par Dieu serait victime puisque, à l'instar de Jésus, il ne serait pas reconnu par les siens. Selon la loi régissant la formation de nouveaux groupes religieux, le fondateur doit souffrir de sérieuses persécutions afin d'être reconnu comme chef martyr, condition sine qua non pour commander respect et obéissance. Le parcours de Père Jean n'échappe pas à la règle. La quatrième de couverture de son hagiographie annonce un « récit passionnant et vrai », celui de « la plus incroyable persécution religieuse jamais entreprise au Québec contre un homme auquel on ne pouvait rien reprocher, sauf sa trop grande humilité, sa compassion pour les pauvres gens et son ardeur à suivre le Bien et la Vérité. » Les vicissitudes qu'il dut endurer, notamment lors de ses pérégrinations en quête d'asile et lors de l'affaire des enfants Curier qui provoqua son emprisonnement, doivent être interprétées comme le signe irréfutable de l'authenticité de sa mission pontificale. Cela est confirmé par le mode de vie de ses apôtres : dépouillement, détachement, humilité, travail, zèle et charité, don total, vertus réclamées par Notre Dame à la Salette.
Père Jean poursuit de nos jours sa mission depuis Saint-Jovite, aidé par les Apôtres, des prêtres, des religieux et des laïcs répartis dans le monde. Il y a des communautés d'Apôtres aux États-Unis, en Guadeloupe, à Puerto Rico, dans la République dominicaine et au Guatemala, ainsi que dans de nombreuses villes du Canada : Vancouver, Victoria, Winnipeg, Edmonton, et bien sûr plusieurs au Québec. Toutefois, sans doute en raison des nombreuses campagnes de presse contre « la secte de St-Jovite », le nombre des fidèles avait considérablement baissé déjà vers 1995 : Cuneo rapporte qu'il n'y avait plus que quelque vingt disciples adultes, une dizaine de religieuses et quinze enfants, et environ trois cents membres dans le monde entier (Cuneo 127).
Une nouvelle affaire éclata au printemps de 1999. Jean-Gaston Tremblay et trois de ses disciples furent recherchés en avril pour agressions sexuelles, attentats à la pudeur, grossière indécence et voies de fait. Les délits d’ordre sexuels auraient été perpétrés de 1964 à 1975. Grégoire se livra à deux enquêteurs de l'escouade des crimes contre la personne de la Sécurité du Québec à son retour de Paris le 28 avril. [9] Un article du Soleil (17 avril 1999, A5) était particulièrement saignant. L'auteur, Ghislaine Rheault, y décrit le site internet des Apôtres, "salmigondis de sermons mal digérés, de contemplations morbides des plaies du Christ." Et elle s'insurge contre la communauté de l'illuminé de Saint-Jovite :
- elle a beau surgir tout droit du Moyen-Âge, vivre repliée sur elle-même ; elle a beau séquestrer les enfants, pratiquer sur eux le lavage de cerveau, leur imposer des corvées, des punitions[…], ça ne l'empêche pas d'être étonnamment moderne. Et branchée[…]. Elle diffuse ses bondieuseries en quatre langues[…]. Elle y quête, prêche, fait le commerce de ses images pieuses, recueille des fonds. C'est inouï, quand même. [10]
Le 18 août 2000, La Presse annonçait des « accrochages entre la Couronne et la défense » car l’avocat des trois accusés (Jean et deux religieuses) n’était pas satisfait du dossier de preuves accumulé par la Sûreté du Québec depuis le début de l’enquête. Cela mènera au dénouement du 13 juin 2001 : le Procureur Général a décrété un arrêt des procédures puisque l’avocat n’avait pu consulter certains dossiers qui avaient été détruits. (Blandre 2) Même si depuis on ne parle plus guère de l’affaire, de nombreux voisins demeurent inquiets des dégâts psychologiques et spirituels que la communauté ferait encore subir à ses adeptes.
Bref exposé de la doctrine et de la règle
La doctrine du Père Jean est celle de l'Église catholique pré-conciliaire. Elle est exposée dans de nombreux ouvrages, notamment dans le Catéchisme de la doctrine chrétienne catholique, recueil pédagogique qui vise à guider les chrétiens sur le chemin de la connaissance catholique telle qu'elle est enseignée par la tradition romaine. Je n'y ai rien trouvé de surprenant, si ce n'est une formulation catégorique qui n'est justement plus de mise aujourd'hui puisque, selon les intégristes en général et pas seulement Grégoire, les autorités actuelles de l'Église sont trop conciliantes envers le siècle et n'osent plus imposer un dogme quelque peu contraignant.
Les règles de vie édictées pour l'ensemble de la communauté des chrétiens sont définies dans son encyclique Pierre parle au monde. Elle enjoint les chrétiens de modifier leurs mœurs selon une morale que l'on pourrait qualifier aujourd'hui de "puritaine", mais qui ne surprendra que les jeunes générations qui n'ont aucune idée de ce que pouvait être le catholicisme rigoureux de naguère. Elles sont proches de celles que prêchent les autres catholiques traditionalistes tant en Europe qu'en Amérique du Nord, ainsi que les évangélistes conservateurs.[11] Voici quelques exemples des règles de Grégoire tirées de l'encyclique Pierre parle au monde : les piscines ne doivent plus être mixtes, les habits doivent toujours rester décents, et pour les femmes doivent couvrir les genoux quand elles s'assoient. On ne doit pas assister aux matchs de football, aux sports en général (Encyclique 183). La section 496 du Catéchisme (225-236) répond à la question "Quelle est la pensée de l'Église sur les spectacles et les jeux ?" en exposant la dissipation, le trouble, la commotion de l'esprit qu'ils provoquent, ce que dénonçait déjà Saint Jean Chrysotome, la paganisation et la laïcisation du dimanche, l'adulation des vedette au mépris de Dieu, le gaspillage d'argent, le risque de mutilation et de mort. Ceci est étayé par des chiffres et des témoignages (catastrophes dans les stades depuis celle de Lima jusqu'à celle de Furiani), que peu de chrétiens, même non intégristes, ne voudraient contester.
L'école est condamnée car c'est un lieu de perdition, qu'elle soit laïque ou pratiquée par le clergé libéral qui s'est perdu lors de son rapprochement avec le monde. La question scolaire divise de manière très aiguë le Québec puisque l'Église y avait le monopole de l'éducation jusqu'à ces dernières décennies et ne veut pas tout perdre. Père Jean ne tolère même pas les écoles confessionnelles qui sont selon lui nécessairement à la solde du clergé corrompu. Si l'on en croit « le récit d'une rescapée », Brenda Daeges, rapporté par Marie-Claude Malbœuf, la sévérité est de mise dans l'éducation des enfants à Saint-Jovite.[12]
Jean prône également une réforme de l'art religieux qui bannirait les crucifix modernes, abstraits, qui ne parlent pas à l'âme. L'art sacré doit être simple, proche de la réalité afin que les enfants soient touchés. L'iconographie saint-sulpicienne des publications de la communauté et surtout celle de la revue mensuelle Magnificat illustre parfaitement ce projet artistique pédagogique : tableaux polychromes de saints et de saintes sur papier glacé, grande prédilection pour Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, chroniques de la vie des saints et des nonnes ou d'autres personnalités religieuses importantes. Si l'on fait abstraction des figures représentées (les saints et la Vierge Marie), cette iconographie est similaire à celle diffusée par les évangélistes et les mormons qui affectionnent ces images « inspirées » et « inspirantes » (inspirational en anglais), de Jésus et de la création, images dont l'hyperréalisme nimbé de lumière céleste doit frapper les esprits.[13]
En dépit de ce conservatisme, Jean sut aussi être en avance sur son temps : depuis les années soixante-dix, à la suite d'une révélation, il pratique l'ordination des femmes (elles ne célèbrent cependant la messe que pour les femmes), et, depuis moins longtemps, celle des Apôtres mariés. Il est également ouvert à une certaine forme de progrès social, dans le christianisme, aux droits des ouvriers et à la justice, contrairement à la plupart des traditionalistes. Il rejoint en cela l'esprit égalitaire d'un groupe comme les Bérets blancs qui milite encore pour le Crédit social. [14] En outre, la dernière édition du catéchisme dénonce, à propos des injonctions du cinquième commandement, la politique de course aux armements et notamment les mines antipersonnel (Catéchisme 259-60).
La règle, édictée pour la communauté des Apôtres stricto sensu, suit les trente-trois points dictés par la Vierge à la Salette en 1846, règle qui fut approuvée par Léon XIII en 1879 : prière, travail, discipline. Les frères et les sœurs vivent strictement séparés. Les nouveaux venus doivent donner leurs possessions à la communauté et tous les biens sont ensuite partagés. La messe est célébrée en français et en anglais (alors que les traditionalistes en général conservent le latin).
Millénarisme et apocalyptisme catholiques
Grégoire base sur la Bible et de multiples prophéties, mais surtout sur les révélations de la Salette, influencé sans doute en cela par l'admiration de Clément XV pour cette apparition, tout son système d'interprétation de l'histoire du catholicisme. Il va donc dénoncer les pratiques du clergé et de la papauté installée à Rome et rechercher les textes qui annoncent son propre ministère comme satisfaisant aux exigences de l'Apocalypse et de la Vierge. Nous avons vu que toute sa vie avait été marquée par des visions personnelles ou des prophéties le concernant reçues par des mystiques et il était donc naturel que sa perception de la vie et de l'histoire intègre totalement le prophétisme sur les temps à venir et qu'il considère notre époque comme les derniers temps. À la Salette, la Vierge avait supplié son peuple d'obéir à son fils sous peine de voir s'abattre encore davantage de calamités sur la terre. Le constat de Jean-Grégoire est pessimiste. En dépit de ces mises en garde, le peuple de Dieu n'a pas fait d'effort notamment en raison de la corruption du clergé officiel, et la fin des temps est pour bientôt.
Dans Tu es Pierre, on peut lire que notre époque est celle de la Bête à sept têtes, qui n'est autre que « le Modernisme blessé à mort par les condamnations de saint Pie X, puis guéri par les soins de Vatican II. » (St-Pierre 95) Car "[l]a religion a été vidée de son essence surnaturelle, sous prétexte de mise à jour." (St-Pierre 64) Une preuve supplémentaire apparaît lorsqu'on sait que Paul VI décida en 1968 « la suppression du serment anti-moderniste établi et exigé par saint Pie X. » (St-Pierre 95-96) L'ouvrage cite Saint Antoine du Désert qui aurait prophétisé au Ve siècle l'aggiornamento de Vatican II : « Les hommes se livreront à l'esprit de leur siècle[…].Quand l'Église et le Monde seront un, alors ces jours seront proches. Car notre Divin Maître a placé une barrière entre Ses choses et les choses du monde. » (St-Pierre 339) À cette constatation s'ajoute un discours apocalyptique classique que l'on n'entend plus guère que chez les millénaristes protestants. La bibliographie de Tu es Pierre contient tous les grands titres du fonds apocalyptique et miraculeux catholique, protestant et ésotérique de l'Occident : prophéties des papes, de Fatima, de Nostradamus ; secret de la Grande Pyramide ; moult ouvrages sur l'imminence de la fin des temps et de la parousie.
Le schéma apocalyptique des Apôtres est « classique » : la fin des temps se produirait aux environs de l'an 2000 (même si les apocalyptiques catholiques ne sont en général pas millénaristes, c’est-à-dire ne croient pas au millenium, et même si tous les millénaristes ne placent pas la fin du monde à cette date). Nous sommes en train de vivre l'ère du premier châtiment qui purge la terre des infamies que les suppôts de Satan y commettent. Une période de paix et de vertu règnera ensuite, présidée par le Grand Pontife, Grégoire XVII. L'Église connaîtra alors son heure de gloire, sorte de millenium catholique, mais elle sera de courte durée car l'apostasie réapparaîtra. Un deuxième châtiment devra à nouveau la purger avant la fin définitive.
Il est intéressant de noter que le groupe « frère ennemi » québécois des Apôtres de l'Amour Infini, les Bérets Blancs de Gilberte Côté-Mercier, base également son message sur l'apocalyptisme le plus coloré et attaque avec autant de virulence que Père Jean la modernité et la technologie. Ce groupe s'attaque au système capitaliste et bancaire, incarnation de la bête de l'Apocalypse (les puces électroniques marquent les individus du chiffre de la bête 666.) [15]
L'ouvrage de Jean-Marie Barette, publié par les éditions Magnificat, La Prophétie des Apôtres des Derniers Temps se concentre sur les apparitions de Notre Dame à la Salette dans l'Isère en 1846. La Vierge y confirmait les vues prophétiques de Son serviteur Louis-Marie de Montfort.[16] Comme dans tout ce qui entoure la vie de Grégoire, Barette n'attribue aucune coïncidence au seul hasard et voit dans le fait que ce traité ait mystérieusement disparu pour réapparaître un siècle plus tard, quatre ans avant les apparitions de la Salette, la marque de la Providence. Le dogme de l'Immaculée Conception ne sera-t-il d'ailleurs pas confirmé par les autorités aussi quatre ans après avoir été proclamé à Lourdes en 1858 ? La communauté de Saint-Jovite se considère donc comme « l'Ordre demandé par la Très Sainte Vierge à la Salette »[17] (Barette 11). Louis-Marie de Montfort avait annoncé que le talon de la Vierge serait l'Ordre des Apôtres des Derniers Temps, qui lutterait contre la race du Serpent, « les enfants de Belial, esclaves de Satan, les amis du monde, car c'est la même chose. » (Barette 22)
Le secret de la Salette serait censé concerner notamment : « l'abomination dans les lieux saints ; dans les couvents les fleurs de l'Église seront putréfiées et le démon se rendra comme le roi des cœurs. Rome perdra la foi et deviendra le siège de l’Antéchrist. » (Barette 60) Le livre explique ensuite les réactions des diverses couches du clergé qui refuseront de croire aux châtiments annoncés dans le Secret. Ces fléaux sont dans un premier temps des avertissements, « une maternelle invitation à la conversion, sans quoi le bras de Son Fils s'appesantirait sur l'humanité. » (Barette 94) Dieu ensuite « dans un ultime effort pour réveiller les âmes enverrait des châtiments partiels AVANT de frapper par de grands fléaux. » (Barette 100) Ce sont ces épreuves, guerres, tremblements de terre, cataclysmes en tout genre que nous subissons actuellement. La Vierge revint à Fatima dans un ultime effort pour sauver ses enfants. Méprisant le remède, Rome n'a pas voulu révéler le Secret de Fatima et s'est disqualifiée, comme l'avait annoncé la prophétie (Barette 135). Une partie du secret de Fatima aurait annoncé de grands bouleversements si l'on ne consacrait pas la Russie à la Vierge. L'Occident n'ayant rien fait contre le régime communiste, les derniers temps sont inévitables.
Grégoire ne semble guère accepter de lire la consécration du monde à la Vierge par Jean-Paul II et son rôle dans la chute du soviétisme en 1989 comme un début de repentance de la part de la papauté officielle. [18] Il est donc clair dorénavant selon les Apôtres de Saint-Jovite, et selon leurs recherches exposées dans Saul, pourquoi me persécutes-tu ?, que le « clergé, dit catholique, ne représente plus Jésus-Christ dont il a trahi le véritable enseignement […]. Ces dignitaires […] n'ont plus de juridiction ; ils sont déchus de leurs fonctions. » (San Pietro 136)
Il est important ici de souligner les divergences entre les différentes interprétations des apparitions de la Salette. La reconstruction officielle n’accepte que le message révélé par Mélanie juste après l’apparition, alors que le catholicisme apocalyptique, ou « mélanisme », auquel appartient la communauté des Apôtres, s’appuie sur les révélations qu’elle a rédigées plus tard, son « secret » publié en 1879, et que l’historiographie officielle appelle « La Salette 2 ». Les prophéties réinterprétées par Grégoire XVII, la règle dictée par la Vierge à la Salette, la damnation de Paris, dont on reparlera plus loin, accompagnée de celle de Marseille qui pour des paysans du Dauphiné représentait aussi Babylone, font partie des révélations de la Salette 2 et ne sont bien entendu pas acceptées par l’Église, refus utilisé par les suiveurs de Grégoire pour confirmer justement leur véracité quant aux péchés de Rome. [19]
En outre, pour Jean « l'Église est une réalité surnaturelle, ce ne doit pas être de la bureaucratie ni toute l'organisation humaine que constitue l'Église. » (Questions…, 38). Il est logique que dans un tel schéma, le pape installé à Rome devienne l'antipape, et c'est ici que se profile la mission spéciale du Canada. Dans un premier temps, on fait ressortir l'apostasie de Rome, et dans un deuxième temps on montre la résurrection de la véritable Église sous d’autres cieux qui deviennent de plus en plus reconnaissables.
Messianisme : le Québec Nouvelle Rome
Cette thématique est développée par la suite du livre de Barette et par Tu es Pierre de Catherine St-Pierre [20] qui reprend le contenu des nombreux ouvrages des éditions Magnificat sur les prophéties, notamment celui de Barette, mais va beaucoup plus loin qu'eux au fil de ses 958 pages dans la justification de la mission pontificale de Grégoire XVII. Barette affirme que le règne de l'antipape était annoncé par la prophétie de Sainte Hildegarde (1098-1180), laquelle prévoyait ce combat pour la Ve époque, qui serait la nôtre : « Deux camps se forment, à forces tout à fait inégales : le plus fort, ayant de son côté le nombre et le pouvoir, est dirigé par l'antipape ; la minorité restée fidèle à la Foi authentique s'attache au vrai Pontife. » (Barette 156) Selon Père Jean et ses suiveurs, la succession de Pierre fut de toute évidence interrompue dans les années soixante, suite au refus de Jean XXIII de divulguer comme il l'avait promis, le Troisième Secret de Fatima. Cette désobéissance aux injonctions de la Vierge fit retomber Rome dans l'apostasie. Comme nous l'avons déjà évoqué, c'est surtout Paul VI le grand mécréant.
En soulignant la simplicité de la tiare que ses fidèles lui avait faite, Grégoire dénonçait la magnificence de celle du Pontife de Rome, que par un de ces hasards immédiatement chargés de sens par le père de Saint-Jovite, il avait arborée le jour même où Michel Collin était emprisonné à Paris, alors que ce dernier aurait justement dû devenir le vrai pape. Grégoire note que cette tiare avait coûté la bagatelle de 110 000 dollars. Qui plus est, selon le Père Jean, le futur pape l'avait commandée deux ans en avance à Milan. Preuve irréfutable supplémentaire de l'imposture de ce pontife, sa tiare portait l'inscription « Vicarius Filii Dei », ce qui paraît logique, mais qui selon un certain calcul donne le chiffre 666, celui de la bête de l'Apocalypse [21], Le calcul est expliqué dans Tu es Pierre (97-98) et il s’applique à toute la vie du pape :
- Paul VI = 6 lettres
- Le 6e pape du nom de Paul
- Paulus = 6 lettres, donc 666. […]
- Il a été élu
- le 6e jour de la semaine
- le 6e mois de l'année
- à 6 heures du soirdonc 666.
Son élection aurait été commanditée par le Cardinal Spellman qui aurait distribué abondamment des dollars aux cardinaux du conclave, selon les révélations faites ensuite par l'archevêque Pierre Martin Ngo Dinh Thuc. [22] Plus tard Père Jean tenta d'aller négocier avec Paul VI mais on le prévint qu'il courrait ainsi un grand danger et il n'insista pas. Le Père Jean révéla à Michael Cuneo que ce pape était un pion des francs-maçons placé dans le Vatican pour détruire l'Église (Cuneo 133). Selon Grégoire, Jean-Paul II n'est pas en soi un mauvais homme, mais il n'est pas canoniquement le successeur de Jean XXIII. Tout un chapitre de Tu es Pierre expose les « prophéties de Jean XXIII » que ce futur pape dicta en 1935, car elles annonceraient que Grégoire serait son successeur. (St-Pierre 523-564) Ainsi Barette fait-il remarquer : « N'est-il pas étrangement significatif que Jean-Paul I et Jean Paul II aient choisi des noms nouveaux, n'existant pas dans la succession des Papes ? Depuis 1000 ans, jamais un pape n'avait pris un nom autre que celui d'un de ses prédécesseurs. » (Barette 150-151) Ces deux papes sont illégitimes et « forment une nouvelle lignée. » (Barette 151) Cependant ils ne sont qu'en partie responsables de cet état de fait car c'est Dieu qui avait désiré « qu'à partir de 1960, il n'y ait plus de pape élu par Conclave. C'est là une partie du Secret de Fatima[…]. » (Barette 151) De surcroît ces deux papes, conscients de leur imposture, sous le prétexte fallacieux de revenir à la simplicité, n'ont pas été couronnés avec une tiare, mais simplement intronisés en tant qu'Évêques de Rome. L’auteur allonge d'autres preuves, notamment les prophéties de Saint Antoine du Désert qui dès le quatrième siècle annonçaient l'aggiornamento de Vatican II, la « réconciliation officielle entre l'Église et le Monde maudit par Jésus-Christ. » (Barette 153) La communauté de Saint-Jovite reçut l'instruction divine en 1971 de faire des recherches dans les prophéties anciennes. Plusieurs annonçaient « un pape Grégoire, choisi directement de Dieu, qui serait d'origine française, et qui aurait beaucoup à souffrir avant que sa mission soit reconnue par toute l'Église. » (Barette 165)
Tu es Pierre démontre dans de très nombreux passages, notamment dans le sous-chapitre « Français de naissance » (St-Pierre 167-173), que toutes les prophéties annonçaient l'identité française du Grand Pontife des derniers temps. Saint Malachie lui-même avait annoncé que le Pastor Evangelicus serait « français de naissance » (St-Pierre 82, 118). Le curriculum vitæ que publie Jean le déclare « français » né à Rimouski ainsi que ses parents et grands-parents. En outre, dans deux sous-chapitres (du chapitre « Dix-sept : nombre prédestiné »), très difficiles à résumer, sur les mesures de la Grande Pyramide (St-Pierre 641-707), l’auteur affirme que la naissance de Jean était annoncée par cette pyramide dont la seule finalité aurait été de nous prévenir des dangers d'apostasie de notre Église et prédire la venue du Grégoire de Saint-Jovite : « Basés sur les textes sacrés égyptiens, les pyramidologistes soutiennent que la Pyramide, baptisée par eux la Bible de pierre, est un monument auquel un message messianique et une prophétie se sont incorporés pour l'éternité […]. » (Barbarin cité par St-Pierre 680)
Quant au nom de ce pape, Jean explique qu'il fut dicté par Dieu, mais aussi par l'histoire du catholicisme au Canada. On se souvient que l'hagiographie de Père Jean notait le rapport providentiel entre la date d'arrivée du décret autorisant la communauté des Frères de Jésus-Marie et celle, 117 ans auparavant jour pour jour, de la création du siège épiscopal de Montréal par précisément le Grégoire précédent, Grégoire XVI. Celui-ci mettait ainsi un terme à la vieille querelle entre la Ville Marie et Québec (qui l'avait emporté sur sa rivale en obtenant de devenir siège du diocèse de la Nouvelle-France en 1674, et d'un vicariat apostolique en 1657, avec Monseigneur Laval) et garantissait la reconnaissance officielle et l'assise du catholicisme dans la province. Le Grégoire canadien, qui s'inscrivait canoniquement dans la lignée de Saint-Pierre puisqu'il reprenait un nom papal traditionnel, devenait aussi le nouveau chef de troupeau afin de remplir la promesse de son nom (de gregs : troupeau en latin). [23]
Le pasteur angélique, Grégoire, couronnera un roi de France (St-Pierre 145), en lui décernant le titre d'empereur, et ainsi seront unis le Grand Pontife et le Grand Monarque de la mythologie prophétique française, mais il est également écrit plus loin (681) que Grégoire pourrait incarner ces deux figures lui-même (peut-être parce que cela paraît plus facile à réaliser que le couronnement d'un roi de France dans un futur proche…).
Où va donc se trouver le véritable Vicaire du Christ ? Hors de Rome, même s'il demeure « éminemment catholique romain. » (Barette 168) À une mystique du dix-neuvième siècle Jésus était apparu comment étant à Rome et avait montré « au loin, sous un ciel admirable, Son Église belle et tranquille. » (cité dans Barette 158) D'autres témoignages mystiques appuyèrent ces révélations. Ainsi Clément XV dit à Jean en 1962 à Clémery : « Mon fils, il y a au-delà de trente ans, je voyais le mot Canada. Multiplié plus de vingt fois, ce mot partait dans toutes les directions, et j'entendais : 'Un jour, l'Église partira là-bas, au loin, et répandra sa lumière sur tous les continents.' » (Côté, 144)
Cette vision du Canada depuis la France reprend presque exactement celle de Marie Guyard ou Marie de l’Incarnation (1599-1672) [24], rêve présenté dans l’introduction de ce volume, mais (à notre connaissance) Grégoire ne mentionne jamais cette consœur dont la Jérusalem des Terres Froides, entreprise ô combien extrême déjà en son temps, porte en germe, même si les modalités de réalisation divergent, le messianisme de Grégoire. Quelque trois siècles plus tard, celui-ci affirmera que la Vierge Marie s'était manifestée au Canada en 1968 pour annoncer à une mystique que le successeur de Pierre viendrait de ce pays. (Questions… 43)
Corroborant tout cela, le sous-chapitre de Tu es Pierre, « La Nouvelle-France » (173-182), explicite la fonction du Québec dans le plan divin. Toutes les prophéties qui annoncent le salut venant de France font en réalité allusion à une France outre-Atlantique qui aurait su fuir les turpitudes de l'Europe, et l'on voit que même si Père Jean, en bon ultramontain, conserve les yeux rivés sur la Rome éternelle, il n'en partage pas moins la conviction de presque tous les Nord-Américains selon laquelle seule leur terre est véritablement pure et innocente des péchés du Vieux Monde. Lorsque le Grand Pontife règnera depuis le Canada français, ce sera d'abord pour redresser la France qui à son tour relèvera le monde, dans le droit fil de l'action de la Lorraine, pays du prédécesseur de Jean, Clément XV, et terre dévouée de toujours, ou au moins depuis Jeanne d'Arc, au salut de la France (voir St-Pierre 88-90). Le lien entre le Québec et la France est évident puisque tous deux sont symbolisés par la fleur de lys. Plusieurs pages exposent la logique de l'interprétation que mène Jean du « stratagème de Dieu » (St-Pierre 87). Ainsi le pape de Clémery est bien celui qu'annonçait Saint Malachie : « Voici la Fleur des fleurs. Voici le lis couronnant les vertus de sa patrie{…]Notre très saint Père Clément XV. » (St-Pierre 88) Grégoire est lié à lui par les armoiries de sa famille originaire du Perche qui présentaient « trois lys d'argent fleuronnés d'or ». (St-Pierre 174)
Nostradamus vient également accréditer la communauté de Saint-Jovite. Le mage français aurait dit « En autre lieu sera mis le Saint-Siège, où la substance de l'esprit corporel sera remis et reçu pour vrai siège. » (cité dans Barette 158) Tout un chapitre de Tu es Pierre, « Nostradamus fixe l'échéance », démontre comment la mission pontificale de Jean est corroborée par ses prédictions. S'appuyant sur les interprétations des Centuries par Jean-Charles de Fontbrune et Michel Morin, et les dépassant, Catherine St-Pierre affirme que Nostradamus avait prédit le « transfert de l'Église en un autre lieu », le schisme de Père Jean, les deux papes jumeaux que seraient Jean-Paul I et Jean-Paul II, et il a « indiqué Grégoire XVII » dans la « Ve Centurie, quatrain 92 » (St-Pierre 567). Les cinq cavaliers de l'époque du mage lyonnais incluant déjà le Pape (avec le Roi, l'Empereur Charles-Quint, le Grand Turc, le Peuple), les exégètes n'ont pas manqué d'affirmer que ses écrits regorgeaient d'indices sur les successeurs de Saint Pierre. Pour les disciples de Grégoire, il ne fait aucun doute que le quatrain 92 de la Ve Centurie s'applique au pape québécois et non à Pie XII comme cela a été dit :
- Après le siège tenu dix et sept ans,
- Cinq changeront en tel révolu terme :
- Puis sera l'un esleu de même temps,
- Qui des Romains ne sera trop conforme.
Après un pape régnant dix-sept ans, cinq autres se succéderont ; le suivant sera élu de « même temps », c'est à dire portant le nombre 17, et/ou pouvant coexister en même temps. Ce pape ne sera pas conforme aux Romains. Après calculs, il s'avère que depuis Nostradamus il n'y a que Pie XII qui a régné ce nombre d'années et il a été suivi par cinq autres, annonçant ainsi Grégoire XVII. (St-Pierre 568)
Le plus intéressant pour notre étude c'est de lire que Nostradamus avait déjà prédit le Parti Québécois et son lien avec notre pape. Le quatrain V-50 décrirait donc le grand pape d'origine française au Québec :
- L'an que les freres du lys seront en l'age,
- L'un d'eux tiendra la Grande Romanie,
- Trembler les monts, ouvert latin passage,
- Pache marcher contre fort d'Arménie.
Les frères du lys sont bien entendu les Québécois ; « trembler les monts », c'est le mont Tremblant qui se trouve dominer St-Jovite, et on comprend pourquoi récemment St-Jovite fut rebaptisé Mont-Tremblant. Quant à « ouvert latin passage », c'est ouvrir le chemin de l'Église catholique. Le livre poursuit ainsi son interprétation :
- En 1967 s'amorçait au Québec le projet de la Souveraineté-Association, en vue d'un Québec libre. En 1968, le jour même de l'élection de Grégoire XVII (24 juin), Montréal vivait sa première grande manifestation nationaliste. Par malheur, l'événement dégénéra en émeute. Cette journée de la Saint-Jean marqua un réel tournant historique. L'année suivante (1969), le Parti Québécois était fondé. Par ce parti, les frères du lys, les Français du Québec (les Québécois) réalisaient plus que jamais l'importance de sauvegarder leur origine et leur culture. Ils étaient en âge […].(St-Pierre 577-78).
De nombreux historiens ont parlé de cette nouvelle maturité des Québécois à partir de la Révolution tranquille, mais ils la voient comme justement la conséquence de leur affranchissement de la tutelle de l’Église, tout en reconnaissant que c’est elle qui leur a légué le nationalisme. Une fois la souveraineté transmise aux « enfants », ce fut la protection de la langue, garant de leur identité, et non plus la religion, qui devint leur cheval de bataille. Pour Grégoire, les objectifs nationalistes ne peuvent cependant être atteints que de l’intérieur du catholicisme, voire ils ne pourront se réaliser sans transiter par sa communauté. Ainsi, le quatrain X-73 mentionnerait très clairement Saint-Jovite :
- Le temps présent avecques le passé
- Sera jugé par le grand Jovialiste
- Le monde tard par uy sera lassé,
- Et desloyal par le clergé juriste.(cité 579)
On voit que dans le terme « Jovialiste » se cachent lys et Jovite, ainsi donc le « mot 'lis' indiquerait le grand pape français de St-Jovite. » (St-Pierre 580) Les prophéties des temps passés sont confirmées par celles reçues directement par Jean. Le 27 janvier 1969, Notre Seigneur adressa à la communauté de Saint-Jovite le message suivant :
- Ici (Québec) c'est la France. Les promesses faites à la France, elles sont pour vous, Mes enfants. Si, il y a déjà plus de trois siècles, sont venus ici de Mes serviteurs et servantes de la France, c'est par la Volonté divine qui les envoyait pour commencer ici la Nouvelle-France. Il y a dans le monde beaucoup de pays qu'on appelle de la francophonie, mais ci, Mes enfants, il y a plus qu'un pays francophone, il y a ici la France[…] par la volonté expresse du Ciel. Ici, la Nouvelle-France où sera l'Église nouvelle. (St-Pierre 177)
L'ouvrage reprend également les théories de Michel Morin, auteur de deux ouvrages confirmant le rôle messianique du Québec :
- De la Nouvelle-France de jadis, seul le Québec aura miraculeusement résisté au danger de l'assimilation. C'est que, au plan divin, il avait une mission à accomplir et qu'il était mis en réserve pour la fin de ce siècle. Cette mission consistera à préparer la résistance française, face à une Europe envahie, et à permettre le rassemblement des forces chrétiennes pour la reconquête. (cité dans St-Pierre 179)
Bien que tous les millénarismes et tous les messianismes n'obéissent pas aux mêmes lois de formation, certains répondent clairement à une situation politique inconfortable. Leur manifestation québécoise, bien qu'elle s'inscrive dans le mythe de la « France fille aînée de l'Église », s'explique aussi par l'histoire du Canada français. La prophétie de Grégoire reprend à son compte la mission politique et sociale que s'était arrogée l'Église canadienne auparavant et son interprétation du passé. Ainsi, l'analyse que faisait Serge Gagnon de l'utilisation du « Merveilleux » par le clergé de la province autrefois peut parfaitement s'appliquer au discours de la communauté de Saint-Jovite :
- Il s'agit d'établir une relation entre le statut de subordination, d'aliénation de la collectivité canadienne-française et la croissance du pouvoir religieux d'une part, puis les perceptions du passé qui correspondent à ces données de la situation d'autre part […] le religieux et la morale chrétienne seraient d'autant plus idéalisés et privilégiés dans notre mémoire collective que la conquête aurait amputé notre société des secteurs vitaux de l'agir collectif. Par voie de conséquence, le clergé aurait assumé un leadership appuyé sur la tradition ; il aurait « sublimé » le malheur de la conquête en se représentant l'événement comme voulu par Dieu pour préserver la collectivité des suites des révolutions bourgeoises des XVIIIe et XIXe siècles […].
La suite de son analyse peut de même expliquer le recours démesuré à l'hagiographie dans les productions du Magnificat dont nous avons parlé plus haut :
- (L)'hagiographie canadienne-française[…]témoigne de l'importance du surnaturel, du merveilleux chrétien dans le milieu canadien-français. Les faits et gestes des fondateurs s'effacent derrière le véritable agent de développement en Nouvelle-France, la Providence […]. Les hommes sont dépouillés de toute initiative, ils ne sont que les instruments de Dieu […].
- L'hagiographie canadienne-française a largement contribué à l'élaboration d'une mythologie nationale. De surcroît, notre première mythologie savante est d'autant plus merveilleuse qu'elle a constitué un mode de compensation à notre statut de collectivité dépossédée et dominée. Qu'elle soit largement inspirée des traits caractéristiques du merveilleux chrétien, nous y voyons la manifestation du rôle immense dévolu au clergé comme définiteur exclusif de la situation canadienne-française au lendemain de notre aventure avortée de libération nationale. (dans Dumont 51-54) [25]
Dans cette perspective, le messianisme de Grégoire cesse de paraître extraordinaire puisqu'il prolonge et condense la tradition religio-culturelle de son pays. [26] Sa communauté s'identifie à ce que l'on a appelé le "Québec du terroir", celui d'avant la Révolution tranquille, et qui perpétuait ce que Marcel Rioux appelait une « idéologie de conservation". (Geoffroy 1998:185) On doit cependant ajouter que les Apôtres ne font pas cavaliers seuls, car ils partagent avec les groupes québécois déjà cités, ainsi qu'avec certains catholiques traditionalistes français et étatsuniens et les Évangélistes fondamentalistes, le refus de la modernité, aussi bien sociale, morale, qu'esthétique.
Il est un dernier point qui corrobore les analyses précédentes sur le sens de l'histoire perçu depuis le Canada français : le plan apocalyptique de Grégoire prédit la destruction de Paris, cette capitale de la mère-patrie que l'on sait coupable de bien des maux aux yeux des Québécois, notamment d'être responsable de la défaite de 1760 et ensuite de l'agonie du clergé fidèle à Rome. Cette ville figure certes la Babylone maudite des prophéties de la Salette chères à Grégoire, mais ne devrait guère, a priori, inquiéter les millénaristes nord-américains, et l’on sent bien ici la griffe québécoise de la prophétie. Dans son synopsis de la fin des temps, le livre Tu es Pierre (52) énumère en numéros 8 et 9 les faits suivants : « Une intervention subite et miraculeuse, qui mettra fin au règne de Satan et entraînera la ruine des méchants ; la destruction de la ville de Paris ; trois jours de ténèbres. » Puis : « Le relèvement de la France, le triomphe de l'Église, l'unité des croyants 'sous un seul pasteur' ». Pour récompenser ce terroir fidèlement marial que fut si longtemps le Canada français, Dieu et la Vierge lui épargneront en ces derniers temps l'apostasie de la France et de Rome, dans un « rapt céleste » subit et miraculeux (très populaire aux États-Unis sous le nom de « rapture ») et de surcroît lui offriront un pontife. C'est ainsi que de nombreux Québécois mirent leurs espoirs dans le Cardinal Léger qu'ils estimaient mériter le pontificat. Néanmoins, vue de Rome, la foi québécoise était sans grande importance stratégique. Dieu veillant au grain, Il imposa alors Son choix plus équitable, Grégoire.
Conclusion
Les Apôtres de l'Amour Infini constituent un maillon passionnant de la grande lignée du messianisme québécois, poussant celui-ci jusqu'à son ultime triomphe, l'avènement du Grand Pontife et du Grand Monarque tout à la fois en la personne d'un père québécois sous les cieux des Laurentides, afin qu’il réalise enfin sur terre le seul gouvernement accrédité par Dieu, une théocratie qui pourrait s’appuyer sur le Parti Québécois et le ferait revenir dans le giron de l’Église. Pour n'être pas inédit dans l'histoire de l'Église, ce phénomène n'en représente pas moins une manifestation de l'extrême religieux. Étrangement, Grégoire XVII n'a pas été excommunié, contrairement à Monseigneur Lefebvre, bien qu'il ait été consacré prêtre, puis évêque et enfin pape en dehors de la voie canonique officielle, ce d'ailleurs dont il tire sa gloire et sa justification : les prophéties annonçaient un sauveur « non élu en conclave ». Il est donc étrangement « 'ignoré' par le magistère ». (Geoffroy 1998: 184)
Dans la province, les Apôtres passent pour une « secte ». Un paroissien des environs nous a confirmé qu'à Saint-Jovite « on se méfie d'eux ». Cette suspicion provient du fait que la communauté se démarque de la doctrine et de la pratique catholiques majoritaires actuelles, vit en autarcie, phénomène banal autrefois mais anormal de nos jours et ne se signale à l'extérieur qu'au cours d'affaires de mœurs et de procès. Ce séparatisme doctrinal et social, qui reste très bien toléré en Amérique du Nord dans un contexte protestant, ne l'est pas encore totalement dans une culture de tradition catholique, même si la pratique religieuse y est faible.
Qualifier ce groupe de secte (au sens négatif du terme) et donc de religion de l’extrême, démontre surtout le chemin parcouru par la société québécoise depuis les années soixante. Accusation étrange s'il en est, en effet, puisqu’on l'a vu, cette communauté cristallise dans sa doctrine des dogmes traditionnellement québécois et qu'elle apparaît finalement comme l'émanation contemporaine de l'ultramontanisme (bien qu’elle refuse le Vatican actuel). L’extrémisme de cet anti-pape s’émousse donc lorsqu’on analyse son discours. Tous les développements sur l'identité purement française du nouveau pape, sur le rôle de la Lorraine dans le salut de ce peuple, sur la supériorité du peuple québécois canadien, prolongent très précisément l'idéologie des jeunes prêtres, avocats et journalistes qui tentèrent au début du vingtième siècle de mettre un frein à l'évolution libérale de la province, en fondant notamment en 1917 l'Action française, revue québécoise nationaliste. Leur chef Lionel Groulx, un abbé justement, affirmait dans ses nombreux ouvrages théoriques ou romancés que la respiritualisation du monde moderne ne pourrait se réaliser qu’au Canada français et il incitait ses lecteurs à faire triompher la supériorité de la race française et catholique. On ne peut qu'être frappé par la similitude des écrits des Apôtres de l'Amour Infini avec cette idéologie nationaliste catholique, même si la stratégie de Groulx et celle de Grégoire diffèrent quelque peu. Groulx vénère la France en tant qu'idéal culturel (ce n'était pas encore la France post-conciliaire !) et honnit les Anglais et la culture protestante. Grégoire ne prête guère d'attention directement aux Canadiens anglais car il les a déjà éliminés de son projet (les Québécois sont le Peuple élu puisqu'ils ont su résister justement à « l'assimilation », ainsi que nous l'avons cité plus haut). Parler l'anglais ne le gêne pas puisque toutes les publications des éditions Magnificat sont dans les deux langues. Ce qu'il exècre c'est ce que le catholicisme français et romain est devenu. Il s'agit donc, dans son cas, d'une lutte intestine catholique, davantage qu'un combat intra-canadien. Dans les deux cas cependant la fonction du Québec est sublimée et sa « destinée manifeste » identique.
Avant Groulx, et toujours dans la mouvance ultramontaine canadienne, Grégoire avait aussi un prédécesseur dans le « prophète du Nouveau Monde » qu’était Louis Riel. Dans ses prophéties, le chef des rébellions des Métis [27]. se baptisait également pontife : « Louis David Riel, prophète, prêtre-roi et pontife infaillible », par ordination spirituelle, et il se considérait donc infaillible. Comme pour Grégoire, son peuple était le peuple élu qui avait hérité de la mission des Canadiens français, c’est-à-dire qu’il lui incombait de régénérer l’Amérique. Il s’appropriait donc le nationalisme messianique des ultramontains du Canada français que Grégoire, le nouveau pontife perpétuera un siècle plus tard. La seule différence (dans le discours, puisque dans les actes les deux pontifes n’ont rien en commun) réside dans la conviction qu’avait Riel de l’origine hébraïque des Métis, vieux fantasme des colonisateurs européens [28] sur les tribus perdues d’Israël qui auraient peuplé les Amériques et seraient devenues les Indiens. Riel voulait donc rétablir la loi mosaïque et exigeait, déjà, la rupture d’avec Rome. Comme Grégoire plus tard, il estimait que les papes de son temps étaient devenus trop libéraux et n’était plus guidés par l’Esprit. Il voulait que le célèbre Monseigneur Bourget reconnaisse ses prophéties et devienne le vrai pape du Nouveau Monde. Le nouveau Vatican serait construit au Canada, non pas dans les Laurentides, mais à Saint Vital, chez Riel au Manitoba. (Voir Flanagan et Martel)
En commençant notre lecture des textes des Apôtres, nous nous remémorions ces analyses qui voyaient dans le nationalisme souverainiste actuel l'héritier de cet ultramontanisme caractéristique de l'Église québécoise qui fut précisément le garant de l'identité culturelle et ethnique de la province jusqu'aux années soixante, jusqu'au moment où le relais fut passé au politique sans solution de continuité. Le nationalisme français exacerbé des Apôtres nous faisait espérer une allusion au Parti québécois au détour d'un paragraphe. Nous dûmes attendre la page 577 de Tu es Pierre pour qu'elle se réalisât, et nous étions dès lors comblée !
Dans le contexte plus général du millénarisme politico-religieux nord-américain, il est intéressant de remarquer que la thématique de la Nation élue, qui fonctionne à merveille aux États-Unis, n'a que très peu remué le Canada anglais pour au contraire se développer pleinement dans le Canada français. On peut dès lors se demander s'il n'est pas impératif sur ce continent de s'inventer un messianisme collectif cohérent pour se forger une définition nationale forte et éviter le déficit identitaire dont semblent précisément souffrir les Canadiens anglophones. Louis Rousseau, qui s’est beaucoup penché sur le récit mythique québécois, concluait son étude de l’Histoire de Faillon en affirmant : « Un ‘nous’ collectif n’est vraiment assuré que lorsqu’il parvient à se donner une origine absolue. » (Rousseau 1973:164) On peut ajouter que, par son messianisme, une communauté comme celle de Grégoire tend également à doter sa patrie d’une « finalité absolue ». On peut aussi se demander s'il n'était pas inévitable que dès lors que le catholicisme officiel québécois abandonnait son messianisme et perdait sa spécificité pour se fondre dans le moule universaliste romain, des voix religieuses s'élevassent, parallèlement à la montée en force du mouvement politique séparatiste, afin de préserver pour la nation en devenir le flambeau du spirituel. Ici encore, on peut peut-être voir le projet de Grégoire comme un « service de l’espérance nationale », ce que Louis Rousseau demandait il y a trente ans : « Peut-être [le] travail [du religiologue] aidera-t-il à mesurer l’urgence d’une intervention théologique dans la conjecture québécoise actuelle. En d’autres temps ce service de l’espérance nationale a déjà été assumé. » (Rousseau 1973:164)
Les disciples de Grégoire XVII qui voient dans le Vatican des Laurentides le garant des valeurs traditionnelles de leur province/nation, vont encore plus loin puisqu'ils y voient aussi le salut de l'Église universelle. Le « Québec libre » pourrait bien alors devenir la Nouvelle Rome, et elle serait d'autant plus à même de triompher de la Nouvelle Jérusalem célébrée et attendue par les voisins du sud protestants ou mormons, qu'elle peut trouver appui parmi les millions de catholiques canadiens et étatsuniens qui comptent dans leurs rangs de nombreux conservateurs de plus en plus décidés à faire prévaloir leurs vues d'une Rome régénérée sur celles de la vieille courtisane des bords du Tibre. On se souviendra enfin que lorsque le cri de ralliement des souverainistes, « Vive le Québec libre », fut proclamé urbi et orbi à Montréal, le 24 juillet 1967, ce fut par le Président Charles De Gaulle, l’homme qui avait providentiellement choisi la croix de… Lorraine pour porter haut les couleurs de la résistance française à l’ennemi.
BIBLIOGRAPHIE
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[1] La Révolution tranquille correspond à la fin de « la Grande Noirceur », le régime excessivement conservateur dans tous les domaines de Maurice Duplessis qui fut Premier Ministre du Québec de 1936 à 1939 et de 1944 à sa mort en 1959. Le Parti libéral accède alors au pouvoir entraînant un grand bouillonnement réformateur qui va moderniser la société québécoise.
[2] Depuis 1971 les catholiques sont majoritaires au Canada, et ils constituaient alors 47% de la population. En 1991 il y avait 12,2 millions de catholiques, soit 45% de la population. Au dernier recensement, celui de 2001, il y en avait 12,8 millions, soit 43% de la population. L’augmentation provient des immigrants dont 23% ces dix dernières années étaient catholiques. La moitié environ des catholiques vivent au Québec, où ils représentent 83% de la population. Ils sont majoritaires aussi au New Brunswick, avec 54% (Statistiques Canada).
Raymond Lemieux (146) donnait ces chiffres-ci pour la chute de la pratique dominicale des catholiques au Québec: 85% en 1965, 35% vers 1990, mais il explique que cela n’empêche pas les Québécois de s’affirmer catholiques à 85% ou 90%, ce qui implique un recours désormais très différent à l’institution religieuse en tant que telle. Les évêques du Québec donnaient en avril 1999 un chiffre encore plus catastrophique : la pratique dominicale ne serait plus que de 10%. (Jouanno, L’Église…, 10)
[3] Notamment Pie XIII, alias père Lucian Pulvermacher, chef de la "true Catholic Church ». (<truecatholic.org>)
[4] Sur les Bérets Blancs, voir notamment l’article de Geoffroy et Vaillancourt dans Ouellet, 1998. Sur l’Armée de Marie, voir l’article de Massimo Introvigne. Elle compte environ 6000 membres et est donc le plus important des groupes mentionnés ici. Les évêques du Québec ont récemment déclaré qu’elle était non-catholique et cela a poussé certains de ses membres à démissionner afin de rester dans le giron de l’Église.
[5] Nous voudrions remercier les deux amis qui nous ont fait découvrir Grégoire XVII : Jean-François Mayer et à Massimo Introvigne dont le Centre d'Etudes des Nouvelles Religions (CESNUR) de Turin contient un fonds très important sur les mouvements intégristes catholiques québécois. Les éditions Magnificat nous ont ensuite fourni leurs ouvrages. Nous remercions également Yann Pineau, journaliste à La Presse, de nous avoir procuré le dossier de presse sur les développements récents de la communauté des Apôtres, ainsi que plusieurs paroissiens de Saint-Jovite qui nous ont apporté diverses informations.
[6] La plupart des indications biographiques suivantes proviennent du livre hagiographique de Jean Côté, Père Jean de la Trinité, Prophète parmi les hommes.
[7] Martin de Porres (1579-1639), frère convers dominicain, a été canonisé en 1962 Très populaire au Pérou, il l’est également dans toute l’Amérique latine et en Espagne, ainsi qu’en Italie. Sa familiarité avec les animaux lui a valu le surnom de saint des souris, santo de los ratones. (note de Joachim Bouflet. Voir son article sur l’héritage de Catherine de Sienne in Sectes, Églises, Mystiques…)
[8] Ce serait par ailleurs le nom de cet évêque, dont le règne fut si long que les Québécois appelaient son diocèse de Mont-Laurier, "le diocèse de Mgr Limoges", qui apparaîtrait, selon le livre Tu es Pierre (166-170), dans une prophétie du XVe siècle annonçant la venue de Grégoire XVII.
[9] La Presse du 29 avril 1999(A3) note qu'il avait l'air vieilli et malade, étant atteint de la maladie de Parkinson. Lorsque "les journalistes lui ont demandé s'il avait agressé sexuellement des enfants, il a répondu : « Je ne me souviens pas. Ça fait très longtemps. » L'ambiguïté d'une telle réponse (peut-être claire pour Grégoire : « je ne sais pas de quoi on parle puisqu'on revient à plus de trente ans en arrière », ou peut-être un aveu de culpabilité) ne manqua pas de convaincre les opposants de la communauté qu'on avait typiquement affaire ici à un comportement sectaire habituel : débordements sexuels du mage dirigeant et de sa hiérarchie sur les disciples, de préférence les enfants.
[10] Le seul élément comique de la levée de bouclier concerne la découverte lors de la perquisition en 1995 du Domaine de Moreau, communauté liée aux Apôtres, de mille poupées et de vingt-et-un oiseaux exotiques : « 'Je n'ai rien pu voir qui laisserait penser que les oiseaux leur servaient pour leurs rites religieux', a dit Suzanne Marchand, directrice de la Société protectrice des animaux de Québec. » (Sophie Cousineau, Le Soleil, 10 août 1995)
[11] On sait que ces dernières années aux États-Unis, les catholiques conservateurs, de la trempe de Pat Buchanan, se sont fortement rapprochés des protestants fondamentalistes (qui à la différence des intégristes catholiques, basent leur doctrine sur une interprétation littérale de la Bible) et font route commune pour les questions de moralité publique. Toutefois les Apôtres de l'Amour Infini ne militent pas pour l'action politique que ces autres catholiques prônent pour assainir la société, et la droite catholique québécoise en général, même si elle cherche à avoir une influence politique radicale (comme les Bérets blancs) ne semble pas chercher à se lier avec les fondamentalistes.
[12] Cette jeune femme de 29 ans accusait la communauté de lui avoir fait subir des sévices au nom de la religion :
« On devait dormir les pieds collés et les mains bien serrées sur la poitrine. Si on se déplaçait d'un poil pendant la nuit, on nous jetait en bas et on nous faisait frotter le plancher parce qu'on ne savait pas dormir de façon 'pure'….La nourriture était correcte mais il fallait tout manger. Si un enfant vomissait, il était obligé de ravaler le tout. Et quand on ne finissait pas notre assiette, les sœurs la mettaient au fond d'un placard où elle restait jusqu'à ce qu'on la mange, que la nourriture soit pourrie ou moisie. » On enseignait la religion et quelques rudiments de français et de maths, insuffisants pour vivre dans la société. Une femme aimait coincer les doigts des enfants sous le couvercle des pupitres jusqu'à ce qu'ils saignent. Le soir il fallait se confesser de trois péchés, « prétexte aux punitions les plus diverses ». Et « Il fallait subir une inspection de nos parties intimes et quand 'elles' ne les trouvaient pas propres, 'elles' les lavaient elles-mêmes, parfois avec une brosse métallique. Ou bien elles nous plongeaient la tête dans le bol de toilette. » Quand la police venait chercher des enfants, les autres devaient se cacher dans un tunnel ou dans les bois. La jeune enfant avait un chat et les disciples l'étranglèrent devant elle, la forçant à le regarder mourir sous prétexte qu'elle n'avait « le droit de (s)'attacher à rien d'autre qu'à Dieu ».
[13] On retrouve aussi étrangement une forte parenté entre l'iconographie de la Vierge de la Salette, très populaire chez les Apôtres de l'Amour Infini et celle des grandes statues du Mandarom de Castellane, notamment celle du Christ cosmique et du Messie cosmoplanétaire, démoli récemment par les autorités: dans les couleurs, blanc, rose, doré ; la taille imposante : si celles du Mandarom sont véritablement gigantesques, 33 et 21 mètres, la représentation picturale de Notre Dame de la Salette produit la même impression du fait du rapprochement de la Vierge couronnée avec les deux petits enfants dans un décor de haute montagne enneigée à la symbolique très exploitée visuellement ; le côté étrange des faisceaux dorés, en dents de scie, de la couronne, très différente de la couronne mariale classique ; et de la symbolique des habits.
[14] Il s'agit d'une doctrine prônant la répartition égalitaire des ressources et des revenus qui a ses origines dans le mouvement politique du même nom, né de la crise économique au début des années trente en Alberta. Ce qui est intéressant pour notre propos c'est que ce mouvement fut dès le début lié au monde religieux canadien : en effet, il fut rendu célèbre par le prédicateur évangéliste William Aberhart qui, à l'instar de ses confrères des Prairies, n'hésitait pas à mêler religion, économie et politique. Quelque peu malgré lui, il fut élu Premier Ministre de la province afin de faire prévaloir les mesures élaborées par le Crédit social [Voir ici l’article de S. Guillaume]. Même si, à notre connaissance, les Apôtres de l'Amour Infini ne se réclament pas de ce mouvement, il est bien évident que leur doctrine qui insiste sur l'égalité des individus, la pauvreté évangélique et le refus des biens matériels, n'en est pas totalement éloignée.
[15] Néanmoins, au lieu de s'unir aux Apôtres, les suiveurs de Gilberte Côté-Mercier ont mené des campagnes de diffamation contre eux lors de leurs innombrables rallyes autour du Québec dans leurs vieilles guimbardes arborant des drapeaux blancs. Lorsque Jean voulut discuter avec eux il se fit copieusement rosser, nous disent ses biographes. (Côté 169, et St-Pierre 836-38). Voir les études de Vaillancourt et de Bideau sur ce groupe. Et voir dans le journal des Bérets blancs Vers Demain, mai 1996, 10-11, l'article de Pierre Marchildon « […]le gouvernement mondial ». Comme les Bérets Blancs, les autres traditionalistes jalousent et haïssent les Apôtres qui, malgré leur appartenance à la même mouvance, demeurent très isolés jusqu'à nos jours. Tu es Pierre mentionne également les attaques menées à la suite de l'accession au pontificat de Grégoire par l'abbé Georges de Nantes et le père Noël Barbara (St-Pierre 821-22). « To Catholic traditionalists in general, the Infinite Love community is like a maddeningly precocious and wayward sibling who somehow makes one's own achievements look meager in comparison. » (Cuneo 129).
[16] Il rédigea au début du dix-huitième siècle un traité prophétique, Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge. Il est intéressant de savoir qu'un ordre a été fondé au Canada sous la protection de ce prophète : l'Ordre du Cœur Immaculé de Marie et de Saint Louis Marie Grignon de Montfort, dirigé par un ex-monfortain, le père Yves-Marie Blais. Ce groupe tente d'essaimer en France et une de ses religieuses, sœur Marie-Danielle « affirme recevoir des apparitions d'une Sainte Vierge fédéraliste qui ne lui parle qu'en anglais. » (Geoffroy 1996:26)
[17] Un fait dramatique devait confirmer pour Père Jean et ses suiveurs leur fonction capitale dans l'économie du salut transatlantique : le 13 novembre 1950, année mariale qui avait vu la proclamation du dogme de l'Assomption, 58 pèlerins canadiens rentraient de Rome où Pie XII leur avait dit qu'il souhaitait que la Vierge Marie « attire de nouvelles et toujours plus larges faveurs pour faire durer, prospérer, rayonner la lumière du Canada catholique, eucharistique et marial. » Leur avion s'écrasa dans les Alpes, ce qui prit plus tard « une mystérieuse et admirable signification » car on croise leur cimetière en se rendant au pèlerinage de la Salette et cela constitue "un lien désormais immortel entre la Salette et le Canada, où la Vierge en pleurs a choisi d'implanter sa communauté des Apôtres des Derniers Temps." (Barette 200)
[18] Nous ne connaissons pas la réaction de Grégoire devant la publication par ce même Jean-Paul II du Troisième Secret au printemps 2000. On ne peut que conjecturer qu'il en a contesté l'authenticité. Il est assez piquant que même celui qui avait tenté d'assassiner le pape Jean-Paul II en 1981 vienne de prévenir son ancienne victime en déclarant depuis sa prison turque : « Le Vatican est l'ennemi de Dieu, l'ennemi de l'humanité. Le Saint-Siège a falsifié le troisième secret de Fatima, car il révélait que le Vatican s'apprêtait à suivre le diable. Votre Sainteté ne restez pas à la tête du Vatican, immondice de l'Histoire et foyer du démon. » (Corriere della Sera cité par Courrier International n° 507, 20-26 juillet 2000, 6) Ali Açca aurait-il lu les ouvrages apocalyptiques catholiques, et ceux de Grégoire XVII en particulier ? Celui-ci prétend en effet que ce Secret se rapporte à l'apostasie de l'Église et surtout à son propre pontificat comme salut du monde.
[19] Pour le catholicisme apocalyptique voir les articles de Massimo Introvigne sur l’Armée de Marie et Fatima.
[20] Il semblerait que la plupart des noms d’auteurs des ouvrages publiés par les éditions Magnificat ne soient que des pseudonymes de Père Jean. Ils sont presque tous des variantes de Saint Pierre.
[21] Voir l'article de René Saint-Germain qui a remarqué une résurgence de la symbolique du 666 chez les intégristes. Massimo Introvigne nous a signalé que la lecture de « Vicarius Filii Dei » comme signifiant 666 apparaît dès le XIXe siècle dans la littérature anti-catholique, et elle est ensuite passée chez les adventistes, les étudiants de la Bible et donc les témoins de Jéhovah. Grégoire reprend donc ici une vieille querelle inter-religieuse pour en faire une accusation intra-catholique.
[22] Nous n’avons nulle part trouvé de documents attestant la véracité de ces dires. Ce qui est certain c'est que Spellman était une figure influente, très conservatrice, du catholicisme international et un va-t-en-guerre qui avait notamment encouragé la politique de Kennedy et de Johnson au Vietnam, et peut-être que Ngo Dinh Thuc ne l'entendait pas ainsi, même si dans son ensemble le clergé catholique sud-vietnamien soutenait le président Diem, catholique lui-même et grand ami personnel de Spellman. Si ce cardinal avait acheté Paul VI et son soutien contre le communisme, il n'avait pas dû le payer assez cher car il ne put l'empêcher de prendre ouvertement position contre l'engagement américain au Vietnam dès 1965.
[23] Père Jean ne serait pas le seul pontife à porter ce nom. Selon un site internet, <w.w.w.multimania.com/papocryphes/3.html>, le titre serait revendiqué par au moins trois autres papes ou antipapes dont un certain Grégoire XVII de Gênes et un Grégoire XVII de Palmar. Il y aurait même déjà un Grégoire XVIII. Ceci est donné sous toute réserve.
[24] Voir ici les articles sur Marie de J. Hennebert et de F. Deroy-Pineau.
[25] Il est intéressant de voir que même lorsque la défaite était sublimée, elle pouvait aussi être, mais rarement, interprétée en termes non religieux. Ainsi, alors que François-Xavier Garneau « voulut faire voir que, dans les conditions de la lutte, notre défaite fut moralement l’équivalent d’une victoire » (Chauveau cité par Gilles Marcotte dans la préface de Garneau, 9), il refusait de lire l’œuvre de la Providence dans l’histoire du Canada français. L’historien va même nier la place prépondérante du clergé dans ce pays. Dans son discours préliminaire, il affirme que « Le Canada, quoique fondé, pour ainsi dire, sous les auspices de la religion, est une des colonies qui ont ressenti le plus faiblement cette influence […]. » (Garneau 60)
[26] Plusieurs auteurs dans l’ouvrage de Claude Sorbets et Jean-Pierre Augustin analysent cette culture, notamment Gilles Routhier, Jacques Palard et Louis Rousseau dont l’article, « La place du facteur religieux dans la naissance et le déplacement de l’image identitaire au Québec, 1840-1980 » brosse un excellent résumé du développement de l’idéologie messianique québécoise, celle que perpétue justement Grégoire XVII.
[27] Pour une présentation de ce peuple voir ici dans l’article de C. Taylor notre note 3.
[28] Ce fantasme perdure de nos jours aux États-Unis, notamment chez les mormons, voir ici notre article sur Déséret la note 15.
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