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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Kateri Tekakwitha et l’inculturation du catholicisme chez les Autochtones d’Amérique du Nord.
Enquête réalisée été 2005 au Montana, en Ontario et au Québec
.” (2006)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernadette Rigal-Cellard, Professeure, Études Nord-Américaines, Directrice de l’UFR des Pays anglophones, Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3), “Kateri Tekakwitha et l’inculturation du catholicisme chez les Autochtones d’Amérique du Nord. Enquête réalisée été 2005 au Montana, en Ontario et au Québec.” Travail rédigé en janvier 2006. Travail présenté au colloque du CLAN, Cultures et littératures d’Amérique du Nord le 26 novembre 2005. Texte à être publié dans les Annales du CRAA. Pessac: MSHA, 2006. [Avec l’autorisation de Mme Bernadette Rigal-Cellard accordée le 17 février 2006].

Introduction

L’étude qui suit s’insère dans mes recherches sur la figure de Kateri Tekakwitha et sur sa fonction dans la littérature nord-américaine et au sein de l’Église catholique au Canada et aux États-Unis depuis plusieurs décennies. J’ai pu enquêter cet été au Canada et aux États-Unis auprès de divers acteurs du catholicisme en terres amérindiennes grâce à une bourse de recherche du gouvernement canadien. Avant de préciser mes hypothèses de départ, je vais brièvement présenter ce personnage.

Kateri Tekakwitha, mohawk par son père et algonquine par sa mère, vécut au 17e siècle dans la colonie de New York puis en Nouvelle-France. On a peu de données sur elle, si ce n’est quelques lettres de jésuites. Très jeune elle perdit ses parents lors d’une épidémie de variole, et fut adoptée par son oncle. Les jésuites qui la rencontrèrent furent surpris par son comportement et sa foi catholiques qu’elle avait hérités de sa mère et que leur enseignement renforça. Elle décida de se consacrer à Jésus, refusant de se marier et vivant selon le modèle religieux de l’époque. Elle rejoignit la mission du Sault Saint Louis, sur la rive sud du Saint Laurent à l’ouest de Montréal, aujourd’hui dans la réserve de Kaknawake. S’imposant une vie de pénitences et de prières, elle y mourut à l’âge de 24 ans, en odeur de sainteté. La tradition locale conserva son souvenir et rapporte divers miracles dûs à son intervention.

Elle resta toutefois inconnue de la grande histoire du catholicisme nord-américain jusqu’à la fin du 19e siècle. À cette période-là, le clergé étatsunien s’enquit de modèles nationaux qui conforteraient les fidèles dans leur patriotisme et leur serviraient d’exemples locaux. On songea bien aux jésuites martyres, les pères Isaac Jogues et René Goupil, mais ils étaient français avant tout ; et c’est alors qu’on exhuma l’histoire de Kateri, l’Indienne. [1] Lors de leur synode à Baltimore en 1884 les évêques introduisirent sa cause en canonisation, en même temps que celle des deux jésuites. L’année suivante, le clergé canadien fit de même. Les pères Jogues et Goupil furent rapidement canonisés avec six autres martyrs de la Nouvelle-France, le 29 juin 1930. Objet de mon étude précédente (voir mon article “ La Vierge est une Amérindienne ”), le processus pour Kateri n’a pour l’instant abouti qu’à sa béatification en 1980, malgré l’énergie déployée par les catholiques indigènes et leur clergé.

C’est dans ce contexte qu’en 1939 l’Église la choisit comme patronne d’un congrès organisé à Fargo (Nord-Dakota) pour revitaliser l'évangélisation des autochtones dans le sens de ce que l’on nommerait plus tard l'inculturation, terme que je définirai dans mon analyse. Cette Tekakwitha Conference eut tant de succès qu’elle s'institutionnalisa et qu’un congrès fut dorénavant organisé chaque année.

Toutefois, et c’est ici que commence mon étude, ses activités étaient réservées au clergé et non à la base autochtone, objet premier des rencontres. S’inspirant des divers mouvements de revendication politique nés dans les années soixante, plusieurs femmes indigènes, des religieuses catholiques, s’imposèrent, et depuis 1977 la Conférence est non seulement ouverte totalement aux Indigènes, mais ce sont ces femmes qui la dirigent.

Comme dans beaucoup de domaines, les deux pays voisins ne fonctionnent pas pareil au niveau religieux ; ainsi, ce n’est qu’aux États-Unis que l’organisation est structurée et active et son siège est installé à Great Falls dans le Montana. Je m’y suis rendue pour rencontrer Sœur Kateri Mitchell et sur le chemin de Winnipeg, j’ai également parcouru les deux Dakotas, terre indienne et catholique, où mon contact était le père George Winzenburg, S.J. responsable du Sioux Spiritual Center au nord de Rapid City.

Au Canada, Kateri patronne un grand nombre de paroisses et de centres spirituels animés, comme aux États-Unis, par des Autochtones et par les pères jésuites qui conservent le quasi monopole des missions indiennes dans l’Ontario et le centre nord des États-Unis. Les oblats se retrouvent surtout dans les terres qu’ils évangélisent depuis le XIXe siècle à l’Ouest et dans les Territoires du Nord-Ouest.

J’ai visité les paroisses ou les centres Kateri de Winnipeg, puis dans le nord de l’Ontario ceux de Thunder Bay, d’Espanola entre Sault-Sainte-Marie et Sudbury, et ai longuement parlé avec plusieurs jésuites, les deux sœurs Solomon et des laïcs indigènes. Je me suis rendue plusieurs fois au sanctuaire de la bienheureuse à Kanahwake, près de Montréal.

Mes hypothèses de départ s‘appuyaient sur ma connaissance de l’évolution du christianisme en terres indiennes et sur les grandes études de ce sujet : les trois livres de Christopher Vecsey sur le catholicisme indigène, et l’étude du christianisme chez les Sioux et les Pueblos de Joëlle Rostkowski, La conversion inachevée, laquelle concluait que plusieurs siècles après, les missionnaires n’avaient toujours pas terminé leur travail et n’avaient pas réussi à éradiquer les pratiques et les croyances traditionnelles. [2]

D’un côté, de nombreux Indigènes quittaient les églises pour revenir à leurs traditions, [3] ou, s’ils ne les avaient jamais quittées, pour s’y consacrer entièrement ; de l’autre, ils restaient bien dans les églises, et notamment le catholicisme, mais à la condition que celui-ci incorpore leurs pratiques ancestrales et par conséquent s’indigénise. Le clergé devait prendre en compte le symbolisme et certains rituels indigènes afin de les intégrer au rituel catholique, ainsi que les préoccupations spécifiques des Autochtones afin de mieux aborder la pastorale.

De même qu’ils avaient fait sauter les cadres cléricaux de la Tekakwitha Conference, il s’agissait pour ces catholiques autochtones de prendre en main leur Église, loin du paternalisme clérical euro-américain. J’imaginais aussi que l’indigénisation du catholicisme pouvait impliquer une certaine modification de la doctrine.

Le problème que je percevais était celui des limites de l’ouverture que la hiérarchie non-autochtone devait leur concéder : jusqu'où le catholicisme pouvait-il tolérer l'apport d'éléments exogènes sans perdre sa propre spécificité, sachant que s'il ne les acceptait pas, sa croissance resterait limitée voire qu’il risquerait de disparaître du monde autochtone ?

Mes hypothèses n’ont été qu’en partie confirmées et c’est bien tout l’intérêt de ce travail. Il ressort de mes observations (qui demeurent parcellaires car elles ne sont que le reflet d’un peu plus d’un mois de rencontres et nécessiteront un grand complément d’enquêtes pour être vraiment pertinentes) que si les évolutions pressenties semblent effectivement se dérouler depuis quelques décennies, leur cadrage n’apparaît plus si facilement identifiable.

Pour bien saisir les enjeux, j’aborderai en premier les théories de l’inculturation, puis sa mise en pratique au sein de la Tekakwitha Conference et au Canada. Nous verrons enfin les limites prévisibles de cette indigénisation de ce que j’appellerai “ le catholicisme katérien ”.


[1]     Comme on avait fait avec Pocahontas au début du siècle et comme on vient de faire avec la Sacajeawa de Lewis et Clark, qui, à peine mentionnée dans les journaux des deux explorateurs, est devenue une véritable héroïne nationale en ces temps de célébration du bicentenaire de l’expédition.

[2]     Le livre de Jacques-Émile Monast, On les croyait chrétiens, les Aymaras, analyse la même situation dans cette tribu d’Amérique latine.

[3]     À Garden River (est de Sault-Sainte-Marie) j’ai revu mon amie ojibway Janice Toulouse Shingwaak. Elle est artiste peintre, et je l’ai connue lorsqu’elle habitait près de Moissac (Tarn-et-Garonne). J’ai pu constater la grande évolution de son art et de sa vie sur les huit dernières années. Elle était transformée par une longue maladie qui lui a fait prendre conscience de sa qualité de medicine woman. Son parcours me paraît représentatif de celui de nombreux Indigènes qui retournent à la tradition et quittent de ce fait le christianisme. Sa famille est en grande partie anglicane. Il semblerait que les anglicans emboîtent le pas aux catholiques dans la voie de l’indigénisation, mais je n’ai pu en rencontrer cette fois-ci.


Retour au texte de l'auteure: Bernadette Rigal-Cellard, Bordeaux 3. Dernière mise à jour de cette page le samedi 5 janvier 2008 14:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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