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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Marcel Rioux, “Remarques sur la sociologie critique et la sociologie aseptique”. Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. 1, no 1, mai 1969, pp. 53-67. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. Introduction On pourrait penser que l'évolution des sciences n'obéit qu'à une logique interne, qu'une fois l'objet circonscrit, les recherches progressent au rythme de l'affinement des méthodes et des techniques. C'est ainsi, semble-t-il, qu'on pourrait écrire une histoire de la science, de n'importe quelle science. On postulerait ainsi que l'objet ne change pas et que seuls changent les outils intellectuels et techniques de l'observateur. Or, on sait qu'il n'en va pas ainsi dans la réalité. Même dans le cas des sciences de la nature, l'objet des recherches change au fur et à mesure que la recherche progresse. D'autre part, les sociétés, pour des raisons stratégiques, idéologiques ou culturelles freinent ou accélèrent tel ou tel type de recherches. Dans le cas des sciences de l'homme, les relations entre l'observateur et son objet d'étude sont encore plus complexes, puisque l'homme est en même temps l'objet et le sujet de l'histoire. L'observateur et l'observé sont toujours en état de constante transformation et réagissent l'un sur l'autre. De sorte qu'il est impossible de parler des relations du sociologue et de la société sans toujours situer le sociologue et la société dont il s'agit. Les questions que le sociologue pose à la société varient selon les époques et les pays parce que le sujet et l'objet varient aussi. Les questions que le sociologue pose à la société, ce sont, en partie, des questions que la société elle-même a déjà posées au sociologue. Pour comprendre donc la relation sociologue-société, il faut faire appel non seulement aux histoires de la sociologie - souvent elles sont écrites comme si elles étaient détachées du monde réel - mais aussi à l'histoire des sociétés dans lesquelles les sociologues s'insèrent eux-mêmes et qu'ils étudient. En nous bornant aux sociétés occidentales, nous essaierons de montrer - bien vite et bien imparfaitement - qu'il y a une relation entre la théorie et la pratique de la sociologie et les périodes historiques dont elles sont partie. Dans l'histoire des sociétés occidentales, nous distinguerons trois périodes qui correspondent en gros aux trois stades qu'on reconnaît habituellement à la société industrielle. Ces trois stades correspondent eux-mêmes aux changements techniques, économiques et sociaux qui ont marqué l'évolution de la société industrielle. La première période, la plus longue, s'étend de la fin du XVIIIe siècle à la fin du XIXe siècle ; la deuxième, de la fin du XIXe à l'époque contemporaine, qu'on peut faire commencer vers la deuxième Grande Guerre. La troisième période embrasserait les vingt-cinq dernières années. Nous condenserons l'histoire de la sociologie pendant ces trois périodes en dégageant deux grands courants : l'un que nous désignerons par sociologie critique et l'autre, sociologie aseptique (aseptique, qui vient d'asepsie et que Larousse définit ainsi : « ensemble des méthodes permettant de protéger l'organisme contre tout apport microbien, en particulier d'opérer à l'abri des microbes » ; dans ce contexte-ci les microbes ce sont les valeurs et les jugements de valeur). Ces deux grands courants ont connu des fortunes diverses durant les cent cinquante dernières années ; le courant critique a dominé pendant la première période tandis que le courant aseptique, qui a pris naissance pendant le deuxième stade, s'est épanoui en Amérique du Nord dans la période contemporaine. Après avoir décrit ces courants et les avoir mis en relation avec certains caractères des sociétés dans lesquelles les sociologues ont oeuvré, nous prévoyons, en conclusion, un retour au courant critique et nous plaidons en faveur de ce retour *. Parler de sociologie critique et de sociologie aseptique ne représente qu'une des façons de dichotomiser les différents types de démarches sociologiques ; Léon Brunschvicg distinguait les sociologies de l'ordre et les sociologies du progrès ; Sorokin traitait récemment de sociologie analytique et de sociologie synthétique ; on parle plus communément de bonnes et de mauvaises sociologies. Bien que nous ayons tendance dans les remarques qui vont suivre à caractériser les deux courants par leurs positions respectives au sujet des valeurs, ce n'est pas l'unique critère qui les distingue. Il faudrait plutôt voir dans cette dichotomie un essai de typologie dont chaque type serait construit autour de plusieurs critères qui seraient liés organiquement entre eux. Bien que nous ne puissions songer à en faire la démonstration ici, il semble que la position de ces deux courants à l'égard du problème des valeurs soit liée aux caractères plus généraux de ces sociologies. Pour mieux faire ressortir les différences entre ces deux démarches, nous opposerons le représentant le plus illustre de chacune : Marx, pour la sociologie critique, et Max Weber pour la sociologie aseptique. * Certaines parties de cet article ont été élaborées à l'occasion d'une conférence prononcée à un colloque organisé par la Faculté de philosophie de l'Université de Montréal en 1966.
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