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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Marcel Rioux, “Socialisme, cléricalisme et nouveau parti, Cité libre, 33 (janvier 1961) : 4-8. Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Yvan Lamonde, avec la collaboration de Gérard Pelletier, CITÉ LIBRE. Une anthologie, pp. 309-317. Montréal: Les Éditions internationales Alain Stanké, 1991, 415 pp. [Avec l'autorisation de Monsieur Yvan Lamonde et de son éditeur accordée le 2 septembre 2008 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

CITÉ LIBRE. Une anthologie.

Socialisme, cléricalisme
et nouveau parti
.”

par Marcel Rioux

Cité libre, 33 (janvier 1961) : 4-8.


C'est aujourd'hui et aujourd'hui seulement que le Nouveau Parti peut devenir un élément significatif de la vie politique du Québec. Hier encore, Duplessis vivait et l'Union nationale encore en selle, il semblait impossible de penser à une solution de rechange autre que celle qu'offrait le Parti libéral. Seul, il possédait une équipe et une assiette populaire assez fortes pour espérer renverser le vieux gang dont il fallait nous débarrasser à tout prix pour bâtir quelque chose qui ressemblât à une politique. Encore, le Parti libéral ne le battit-il que de justesse, après la mort de deux « chefs » et toute tierce formation s'abstenant de présenter quelque candidat. Un certain nombre de syndicalistes, d'intellectuels et de socialistes n'en continuèrent pas moins à refuser l'adoption du moindre mal que représentait pour eux le parti de M. Lesage. Il serait puéril de continuer à nous demander qui, des vrais socialistes ou des soi-disant réalistes, avaient raison. Pas plus que de nous demander si la libération a commencé à la mort de Duplessis ou le 22 juin. Il faut plutôt songer à l'avenir en partant de la situation présente.

Certains esprits progressistes soutiennent la thèse parfaitement défendable que la gauche ne doit rien faire qui puisse affaiblir le gouvernement Lesage et favoriser ainsi le retour de bâtisseurs de ponts. Ainsi, Duplessis mort, n'en continuerait pas moins à orienter la politique du Québec. C'est raisonner, me semble-t-il, d'une façon statique que de penser que les forces en présence sont encore les mêmes que celles qui s'affrontaient le 22 juin, on ne tient pas compte des répercussions de l'événement lui-même ni des incidents qui ont provoqué la désintégration de l'Union nationale. Dans plusieurs parties de la population, classes petites-bourgeoises et rurales, ce n'est qu'après le 22 juin, après la démission de M. Barrette qu'on s'est rendu compte combien l'édifice politique et administratif du duplessisme était désuet et pourri. Une bonne partie de ces effectifs va maintenant appuyer le gouvernement et lui donner l'appui populaire nécessaire pour le maintenir au pouvoir ; on l'a bien vu dans Joliette et Rouville. Qu'on songe aussi à la proportion non négligeable d'électeurs qui votent pour gagner. Nombreux ceux qui appuient les monstres sacres mais qui les piétinent volontiers dès que le pouvoir et l'argent changent de mains. Que dire de ceux qui croyaient que le salut de la race était lié au sort électoral du ministre des Élections. La fidélité traditionnelle aux partis ayant tendance à diminuer et le contenu idéologique de la politique talbotienne voisinant le zéro absolu, on voit mal pourquoi les électeurs s'accrocheraient à ce moribond de gang.

Dans toute recension des forces politiques au Québec, il faut prendre en considération l'événement du 22 juin et surtout les réactions en chaîne qu'il a provoquées. Cette fois-ci, on a vraiment l'impression que le couvercle de la marmite est en train de sauter. Des questions et des idées qui avaient été profondément enfouies depuis des décennies resurgissent avec d'autant plus de violence et de passion qu'elles avaient été tenues en veilleuse depuis plus longtemps. Depuis quelques mois, des mots, des attitudes sont en train de se désacraliser ; sur la place publique on discute de plus en plus de socialisme, de planification, de laïcisation, d'école neutre, d'agnosticisme, de droit à l'erreur. (À ce sujet, il n'est pas sûr que les Jésuites ne fassent pas un peu les frais de ce déblocage ; certains s'opposent plus à tout ce qu'ils représentent qu'à leurs universités. Il n'est pas mauvais que de temps à autre persécuteurs et persécutés changent de rôle.) Ce déblocage n'est-il qu'un feu de paille ? Peut-on espérer que l'heure de vérité est arrivée ? Comment expliquer qu'un public qui paraissait naguère encore si désintéressé, si apathique, si défaitiste puisse changer si vite ? Pourquoi ce mécontentement et ce radicalisme ne se sont-ils pas manifestés aux heures noires du duplessisme ? Cela tient, me semble-t-il à l'un des traits les plus fondamentaux de notre caractère national, à un certain fatalisme, à une espèce de résignation devant des forces et des états de choses que nous croyons ne pas pouvoir maîtriser, ni changer. On considérait le régime Duplessis comme une équipe gagnante qu'il fallait se résigner à subir. Le pouvoir despotique et l'argent font naître chez les petites gens des réactions ambivalentes : d'une part, on les réprouve mais d'autre part, on est fasciné, finalement, on se range de leur côté. Ce fatalisme tient au caractère paysan de notre culture et à notre histoire. Tout au long des années, il nous a fallu nous résigner à notre sort et composer avec des forces et des événements sur lesquels nous ne croyions pas avoir prise. Le processus démocratique n'étant pas, chez nous, bien assimilé ni bien enraciné, nous nous sommes souvent résignés à suivre le plus fort plutôt que de le combattre. Déjà, à la fin du régime français, le gouvernement de la métropole commençait à nous peser ; puis sont venus les Anglais, les politiciens, les capitalistes, les Américains, et par-dessus tout cela le clergé qui nous a accablés de son omniprésence et de sa puissance. Le Canadien a réussi à vivre avec tout ce monde-là en se résignant à son sort et en s'en tirant par beaucoup de bonne humeur et d'humour. Si ceux qui ont toujours parlé en son nom, petite élite clérico-bourgeoise, ont toujours été d'un extrême conservatisme, il ne faudrait pas en conclure à une apathie et à un conformisme généralisé. Quant à moi, je me range à l'avis d'une psychanalyste, Claire Mathieu-Fortin, qui, après avoir étudié une communauté traditionnelle du Québec, écrit : « Extérieurement, on les jugerait très pacifiques mais c'est qu'ils ne se donnent pas la peine de s'engager émotivement... À l'occasion, ils réagissent de façon explosive mais le plus souvent ils gardent longtemps rancune plutôt que de laisser libre cours à leurs sentiments agressifs. » Il semble bien que le jour où les Canadiens auront la preuve qu'ils peuvent changer quelque chose, ce jour-là ils s'engageront émotivement et prendront leurs affaires en mains. Malgré les interdictions et les tabous, malgré l'atmosphère plombée, il existe chez nous un mince courant de radicalisme avec lequel nous devons renouer et qu'il faut alimenter et fortifier.


Au niveau de M. Johnson

Pour que le Parti libéral réalise son programme il faut que l'opposition au gouvernement cesse de se situer exclusivement au niveau de M. Daniel Johnson ; il ne faut pas que les mises en garde viennent exclusivement du clergé. Ah ! je sais bien que la bêtise au front de taureau veille et se prépare à renaître des cendres de l'Union nationale. Ne parle-t-on pas couramment d'une puissante formation de droite qui grouperait des Libéraux, des Unionistes et des drapistes dont le « chef » Drapeau lui-même prendrait la direction. Raison de plus, semble-t-il, pour que d'ores et déjà, une autre formation politique montre la voie au-delà de M. Lesage et pour que la solution de rechange n'apparaisse plus comme venant exclusivement de la droite. Certains, comme M. Filion du Devoir avertissent charitablement les membres du Nouveau Parti de se résigner à passer les trente prochaines années dans l'opposition. N'y a-t-il vraiment pas moyen d'envisager la situation présente du Québec dans une autre optique ? On parle de plus en plus, dans le Québec même, de l'état de sous-développement de la province à tous les niveaux : économique, social et culturel. C'est un signe de santé qu'on puisse enfin regarder la réalité en face. Il y a quelques années encore, on lapidait celui qui osait mettre en doute le fait que les Canadiens français étaient à l'avant-garde dans tous les domaines et qu'ils n'avaient de leçons à recevoir de personne. Qu'on se souvienne de la grande mission civilisatrice et évangélisatrice du Québec ! Le jour où les Africains et les Asiatiques se sont rendu compte de leur retard, ils ont commencé à mettre les bouchées doubles. Pourquoi ne pas les imiter ? Pourquoi laisser s'endormir le gouvernement Lesage pour ne le chasser qu'au bout de vingt-cinq ans comme celui de M. Duplessis ? Est-ce utopique de penser que le Québec pourrait devenir socialiste avant la prochaine génération ? Théoriquement non. Ce sont souvent les formes sociologiques et sociales qui ont pris du retard qui évoluent ensuite le plus vite quand le milieu ambiant est favorable. C'est ce que Trotsky appelait « le privilège du retard historique », Veblen « la loi du développement accéléré » et les anthropologues « la loi du potentiel d'évolution ». En gros, cette loi, qui s'applique autant àla biosphère qu'à la noosphère, veut que plus une forme biologique ou sociale est spécialisée et adaptée à un stade donné d'évolution, moins elle a de chance de passer au stade suivant. Pourquoi le Québec qui sort du moyen âge de M. Duplessis s'installerait-il dans la démocratie libérale et capitaliste et ne se dirigerait-il pas tout de go vers le socialisme démocratique ? S'il existe un assez grand nombre de militants socialistes pour y croire et pour disséminer l'idéologie socialiste, la possibilité théorique devient de plus en plus réalisable. Il faudra cesser de chercher les raisons que nous avons de ne pas nous engager : les limites du possible, c'est nous qui les établirons.

Même si l'on admet en gros ce qui précède, on pourra rétorquer que point n'est besoin de former un nouveau parti pour surveiller le gouvernement Lesage ; il ne manque pas de journaux libres, de syndicalistes et d'intellectuels pour critiquer le gouvernement. On connaît leur grande efficacité sous le règne de Duplessis : ils n'ont pas empêché grand-chose. C'est au Plan strictement politique que la gauche doit s'organiser si elle veut se faire entendre. En démocratie, rien n'est plus efficace que la frousse électorale. Si, dans Rouville et Joliette, l'opposition eût été de gauche, M. Lesage aurait-il fait sa déclaration réactionnaire sur le ministère de l'Éducation et les écoles confessionnelles ?

À supposer que la gauche s'entende pour former un parti politique, il reste à savoir si le Nouveau Parti représente l'occasion sur laquelle ils devraient sauter pour constituer ce parti. Tout dépendra de l'orientation que les Québécois donneront à son aile provinciale. Il me semble que si le Nouveau Parti veut réussir dans le Québec, il devra tenir compte d'un certain nombre de faits et de tendances proprement canadiens-français. Je voudrais résumer ici mes impressions du colloque que le Nouveau Parti organisait le 26 novembre dernier ; je les grouperai autour d'un certain nombre de notions : nationalisme, laïcisme, radicalisme, socialisme et humanisme.

Pour un homme de gauche, existe toujours un certain malaise à parler de nationalisme, plus particulièrement du nationalisme québécois. Depuis plusieurs décennies, le nationalisme a toujours été associé chez nous à des hommes, des idées et des attitudes de droite. De sorte que ceux qui, depuis la fin de la guerre, combattent l'idéologie dominante du Québec - idéologie essentiellement de droite et nationaliste - se sont présentés et ont été considérés comme des adversaires du nationalisme. Cette schématisation globale devient de plus en plus équivoque. Pour discuter de nationalisme, j'utiliserai la thèse que Gérard Bergeron de Laval exposait à un récent colloque à l'Université Carleton. « Je surprendrais sans doute beaucoup d'auditeurs en disant qu'à beaucoup d'indices récents, mais significatifs, l'éclatement de ce « provincialisme » mène à un « internationalisme » vague et noble, brumeux et hypnotique, passif et généreux. Si cela est, la prochaine décennie devant infirmer ou confirmer cette hypothèse, nous serions au début d'un curieux et peut-être paradoxal phénomène : le passage du provincialisme d'hier à l'internationalisme d'aujourd'hui sans la médiation d'un nationalisme politique canadien-français ni, encore moins, d'un nationalisme pancanadien ». Si je suis en gros d'accord avec Bergeron pour penser que, dans le passé et au niveau de la masse, on doit parler de provincialisme (attitude de repli, de cohésion, d'homogénéité du groupe) plutôt que de nationalisme (attitude d'émancipation et de domination) et aussi pour penser que de plus en plus une certaine élite s'ouvre sur le reste du monde, je ne le suis plus quand il s'agit du stade intermédiaire. Il me semble que le Canada français s'oriente vers une forme de pensée et d'attitude de moins en moins provincialiste mais de plus en plus centrée sur l'ensemble du Canada français. J'y vois là un phénomène de différentiation progressive. À mesure que les structures se démocratiseront, à mesure que les réformes dans le domaine de l'éducation se poursuivront, à mesure que l'autoritarisme reculera, les Canadiens français deviendront de plus en plus conscients de leur appartenance ethnique ; à mesure qu'ils participeront davantage à la vie de la nation et non plus seulement à la vie de leur famille, de leur village ou de leur voisinage, ils en viendront à penser le Canada français comme un tout, comme une façon de vivre, comme une façon d'être hommes. Et c'est dans cette même mesure qu'ils continueront à s'ouvrir au reste du monde. Du moins il me semble que c'est ainsi qu'évolue présentement la communauté canadienne-française : recul du provincialisme et du nationalisme pancanadien mais gain du nationalisme canadien- français et de l'internationalisme. Plusieurs des participants au colloque du Nouveau Parti m'ont confirmé dans cette opinion en déclarant que les Canadiens français doivent se sentir chez eux dans ce parti et pouvoir y élaborer un programme qui soit en harmonie avec leur culture, leur mentalité et leurs aspirations. Pour être de gauche ils ne cessent pas d'être des nationaux. Canaliser cette fierté nationale vers un humanisme large et généreux, éviter les écueils du provincialisme mesquin de naguère, tel m'apparaît l'objectif de cette gauche.

Notre culture a été si longtemps close, homogène, indifférenciée que la plupart des traits qu'on assignait à la culture globale s'appliquaient mécaniquement à tous les individus qui en faisaient partie. C'est ainsi, par exemple, que Thomas Chapais pouvait écrire en 1905 : « Oui ! un Canadien français qui n'est pas catholique est une anomalie, un Canadien français qui ne l'est plus après l'avoir été est un phénomène monstrueux ». Dans certains milieux on raisonne encore comme Thomas Chapais : parce qu'un Canadien français est socialiste, radical ou agnostique, il n'appartient plus à la communauté. D'autre part, certains Anglo-Canadiens qui s'entendent avec des Canadiens français sur un programme socialiste ne sont pas loin de penser qu'il n'existe plus aucune différence entre eux et nous et que le programme socialiste devra être appliqué uniformément partout au Canada. Ce malentendu s'explique en partie. On a cru, de part et d'autre, que parce qu'un certain nombre d'écrivains et d'intellectuels prenaient violemment à partie les politiciens du Québec et qu'ils combattaient l'idéologie moyenâgeuse d'une certaine élite, ils reniaient la culture canadienne-française. Non, c'est simplement l'ère du nationalisme rose et messianique qui prenait fin, certains sont passés au nationalisme noir, la plupart veulent acheminer leur culture vers un humanisme universel. Assumer pleinement sa condition d'homme du vingtième siècle ne veut pas dire se couper de ses racines nationales. On ne gagnera rien, de part et d'autre, à prolonger le malentendu.


Un parti radical

Une autre constatation qui me semble se dégager de ce colloque c'est que le Nouveau Parti devra être radical s'il veut réussir à se tailler une place au soleil et jouer un rôle dans la communauté canadienne. Il n'y a pas de place pour un autre parti du centre. On l'a souvent fait remarquer : au Canada, vaste pays aux intérêts économiques, sociaux et ethniques multiples, la politique a toujours eu tendance à afficher un caractère gris, neutre, sans relief. Il y a tant d'intérêts, de points de vue, de thèses différents à concilier que les partis se gardent du moindre radicalisme de peur de s'aliéner une partie quelconque de leur clientèle. Ironie. C'est André Laurendeau que Pierre Vadeboncoeur avait qualifié de « rare accoucheur de modérés » qui mit de l'avant l'idée que le Nouveau Parti devait être radical. Au Canada français, la plupart des hommes politiques croient si bien que la mentalité générale correspond au conservatisme d'une certaine classe cléricale et petite bourgeoise qu'ils croiraient aller droit à la défaite s'ils osaient être radicaux. Ce n'est que lorsque les Libéraux ont osé se présenter avec un programme relativement radical qu'ils ont réussi à être élus. Pourquoi en serait-il autrement pour le Nouveau Parti ?

Mais il y a radicalisme et radicalisme. L'idée de M. Knowles que le Canada est maintenant assez avancé pour former un parti travailliste comme celui qui existe en Angleterre ne me semble pas particulièrement heureuse ni convaincante. Il doit bien y avoir d'autres raisons de fonder un parti radical au Canada. Et dans le Québec donc ! Un Nouveau Parti qui, dans le Québec, ne s'attaquerait pas au problème du laïcisme et du cléricalisme passerait à côté de la question la plus urgente et la plus délicate qu'il y ait à résoudre. Problème urgent parce que tout ce qui touche à la culture, à l'éducation, à l'hospitalisation, à l'assistance sociale, à la planification économique même en dépend. Présentement, aucun parti politique n'ose attaquer ce problème de front ; le Parti libéral se montre d'une prudence tâtillonne là-dessus. Difficile et délicat problème aussi, parce que vouloir corriger les méfaits du cléricalisme - décoloniser l'université, par exemple, comme le demandait récemment Vianney Décarie - peut sembler antireligieux. Les catholiques anticléricaux ont un rôle de premier plan à jouer dans cette opération et dans le Nouveau Parti qui devrait l'entreprendre. Difficile aussi parce qu'il n'est pas sûr que les promoteurs anglo-canadiens du Nouveau Parti accepteraient de voir son aile québécoise s'attaquer à un tel problème. Au Canada, on a toujours été d'une discrétion exemplaire envers tout ce qui touche à la religion et au clergé. Dans ce domaine, le radicalisme du Nouveau Parti québécois devra être quelque peu différent de celui du parti fédéral.


Opposés au socialisme

Il est un cliché qui court les rues du Québec et des autres provinces : les Canadiens français seraient résolument et traditionnellement opposés au socialisme, c'est-à-dire à une plus grande intervention de l'État en matières sociales et économiques. S'il est vrai que certains haut-parleurs de l'idéologie dominante ont tout fait pour accréditer cette idée, il n'en reste pas moins qu'on n'a pas apporté l'ombre d'une preuve à ce sujet. L'idéologie traditionnelle s'y oppose mais pour les Canadiens français, c'est un autre problème. Trop souvent, on a fabriqué de toutes pièces des « philosophies canadiennes-françaises » qui ne reflétaient que les opinions d'un petit groupe qui s'était érigé en définisseur de situation. Le Nouveau Parti devra tout mettre en oeuvre pour expliquer aux Canadiens français qu'ils font les frais du système de l'entreprise privée que leur vantent les chambres de commerce et les manufacturiers.

Enfin, à ce colloque du Nouveau Parti, Jean-Paul Geoffroy de la CSN a prononcé le mot d'humanisme. Mot vague sans doute, mot dévalorisé parce que les Conservateurs sont sans doute humanistes, eux aussi, mais mot qu'il faut employer quand même ne serait-ce que pour ne pas en laisser le monopole aux réactionnaires de tout acabit ; il n'est en effet pas sûr que Jos.-D. Bégin lui-même ne soit pas lui aussi humaniste. Il ne faut pas que le Nouveau Parti n'ait en vue que l'embourgeoisement rapide des ouvriers ; il ne faut pas que le Nouveau Parti rate la chance de formuler une politique, un idéal démocratique qui soit à la mesure du Canadien de la décennie soixante. À quoi servirait de fonder un Nouveau Parti s'il fallait que ce ne soit qu'une question de pourcentage de nationalisation des industries et des services publics qui le différenciât des autres partis. Il y aura toujours un économiste libéral pour prouver, chiffres en mains, qu'il ne faut pas nationaliser à quarante pour cent mais à trente pour cent. La belle affaire ! S'agit-il bien de cela ? Ne s'agit-il pas plutôt de penser la société de l'avenir ! Le Nouveau Parti ne peut pas se payer le luxe de n'être qu'une pâle transcription du parti travailliste anglais. Peter Shore, qui a vécu cette expérience travailliste, écrit dans Les temps modernes de mai-juin 1960 : « Je ne croyais pas que nous nous dirigions vers une société socialiste. Je voulais dire par là que je ne voyais guère de signe d'une égalisation dans la répartition des revenus, de la richesse et aucun signe en ce qui concerne la répartition du pouvoir. Je voulais aussi dire que je ne voyais aucune transformation sensible dans les valeurs de la société, aucun déclin de l'esprit de lucre, aucune prise de conscience de notre engagement et de la nécessité où nous sommes de nous engager... notre société reste une société de classe. Les institutions qui la maintiennent prospère et les relations entre les hommes continuent d'être dominées par l'argent, la puissance et l'origine sociale... la propriété et le contrôle de l'industrie forment toujours la chose matérielle qui soutient la structure de classes de notre société. Pourtant, malgré le « socialisme de guerre » et le gouvernement Atlee, malgré les nationalisations, l'impôt sur les successions et l'accroissement de la fiscalité, la structure de classe reste aussi solide qu'elle ne l'a jamais été ... » On aurait tort de croire que les nationalisations, que la propriété nationale apporte avec elle le « changement de vie » que le socialisme croyait instaurer. Peter Shore ajoute : « ... ceux qui gèrent les biens de la communauté - quelle que soit la forme légale de la propriété - s'en serviront pour s'octroyer des positions privilégiées et des rémunérations élevées et pour transmettre à leurs héritiers tout ce qu'ils pourront leur transmettre. Lorsqu'il n'y a point de contrepoids démocratique une « nouvelle classe » semble inévitable... Je ne veux pas d'une société où une élite qui regarde le monde par les fenêtres d'une salle de conseil d'administration, prend les grandes décisions et empoche les gros salaires, tandis que la masse des gens exclus du pouvoir et des responsabilités cultivent leur jardin ou regardent la télévision. À la place, je veux une société qui fasse ses institutions pour que les hommes puissent décider eux-mêmes et être leurs propres maîtres. Car, en définitive, nous ne sommes que ce que la société nous permet d'être : des adultes ou des enfants, apathiques ou engagés. L'humanité ne peut se développer que si nous avons foi dans ses capacités innées et si nous refusons de croire que les hommes sont ce qu'ils sont parce qu'ils ne peuvent être autrement. Voilà pour moi le point de départ du socialisme démocratique et la raison essentielle d'un changement social. »

Il peut paraître utopique de proposer un tel changement de vie au peuple canadien-français dont on nous dit qu'il faut d'abord lui apprendre à parler sa langue. Qu'on se rappelle le privilège du retard historique dont parlait Trotsky !



Retour au texte de l'auteur: Guy Rocher, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le lundi 28 novembre 2011 19:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cegep de Chicoutimi.
 



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