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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Le bénévolat. Entre le cur et la raison. (2003) Introduction
Une édition électronique réalisée à partir du livre de Mme Suzie Robichaud, Le bénévolat. Entre le cur et la raison. Préface de Vincent Lemieux. Chicoutimi, Québec, Les Éditions JCL inc., septembre 2003, 272 pp. Édition revue et corrigée, septembre 2003. [Autorisation accordée par lauteure et par léditeur, M. Jean-Claude Larouche, pdg des Éditions JCL inc le 21 avril 2004]
Introduction Langoisse du roi Salomon
Salomon Rubinstein ancien roi du prêt-à-porter âgé de 84 ans, luttait contre langoisse de la mort en occupant ses loisirs à des uvres de bienfaisance. «Car, disait-il, plus on devient vieux et plus on a besoin des autres.» Ce personnage créé par Romain Gary (1979:11) nous entraîne dans lunivers du bienfait qui, selon Sénèque, constitue le lien le plus puissant de la société humaine (1972:10). En tout temps, lorganisation sociale révèle des formes où la charité revêt une grande importance. Depuis lAncien Testament, où lengagement de secourir son prochain est un devoir, le bénévolat apparaît comme une manière dêtre ensemble, une façon de marquer son rapport à lautre, et constitue le support indispensable de tout lien social. Manifestement, lego et lalter ont toujours été au cur des communautés humaines. Dans la Grèce antique, où lorganisation politique était la cité, on recherchait davantage des sentiments réciproques daffection et de sympathie que lappréciation légitime et respectueuse des droits de chacun. «[...] amis, on na que faire de la justice; justes on a encore besoin de lamitié», exprimait Aristote dans lÉthique à Nicomaque (1961:355). Au Moyen-Âge, on retrace dans la Somme théologique de Thomas dAquin ce même souci du resserrement des liens humains: «Lintention principale du législateur doit être de susciter lamitié entre les citoyens » (II-II, q. 29, art. 3, rép. 4). En France se développent, à cette période, des établissements créés à linstigation de lÉglise. Les institu-tions religieuses et la famille forment alors des réseaux dentraide. De plus, au terme de cette période, la communauté offre aussi des services dassistance à ses membres. Elle prend en charge les indigents, les malades et les orphelins, et nomme parfois des tuteurs pour les mineurs (Blum, 1971:546). Au XVIIIe siècle, à la vision ancienne et désespérante du poète latin Plaute: «Homo homini lupus» (lhomme est un loup pour lhomme) (1), soppose celle, consolante, de Voltaire qui met en valeur la «bienveillance naturelle» de lêtre humain pour ses semblables (Blais, 1984:141). La poursuite de notre incursion, mais cette fois-ci dans le romantisme et lunivers de ses grands écrivains tels Zola, Hugo et Sand, nous laisse découvrir à travers la pratique ouvrière la naissance du bénévolat moderne (Ferrand-Bechman, 1983). Alors que de lautre côté de la Manche, à lère victorienne, se développe la croyance en la philanthropie pour sauver la nation dun bouleversement social majeur (Hayward et Alker, 1974:199).
Mais revenons à la France. Sous linfluence de la philosophie des Lumières, les lois de 1793 transforment les notions de charité et de bienfaisance en éléments modernes de droit et dassistance. La pauvreté jusqualors considérée comme un vice sexplique par labsence de structures sociales adéquates. À la fin du XIXe siècle, le bénévolat demeure, mais le volontariat prend place. Cette pratique ne dépend plus de la charité religieuse et de valeurs communes, mais dune nécessité, dun tribut que la société industrielle demande comme complément indispensable de la production de biens et de services. Sil est vrai, comme le disait Nietzsche, que les mots ne sont que des symboles pour les idées, les changements survenus dans le vocabulaire dénotent une réorientation idéologique dune certaine envergure. Dans le cas présent, cest labandon dune bienfaisance au profit dune exigence commandée par une insuffisance de ressources. À la suite de la disparition progressive de la «convivialité» (2) de quartier, les mouvements bénévoles tentent de recréer diverses relations (Caye et Triomphe, 1982a:55-71). En loccurrence, depuis des siècles, lorganisation sociale révèle des formes daide entre les individus, et le bénévolat au Québec néchappe pas à cette riche tradition de fraternité, de solidarité et dentraide. Sans en déduire quelque philosophie de lhistoire ni escamoter des contextes dont la compréhension autoriserait plusieurs nuances et précisions, il est toutefois loisible de remarquer que laction bénévole québécoise emprunte les mêmes caractéristiques de lhistoire du bénévolat, transcendant elle-même les frontières dans les structures économiques, politiques et sociales.
Ainsi, les mouvements ouvriers catholiques et laïcs ont joué un rôle prépondérant dans la réponse à apporter aux besoins sociaux et ont été les initiateurs de diverses activités bénévoles. LÉglise et la famille ont aussi exercé un rôle primordial en venant en aide de façon spontanée à chacun de ses membres et en prêtant secours aux gens du voisinage. Héritage du passé, élan de passion, bref, ces associations et ces deux institutions assumaient la responsabilité des problèmes de lheure, et le bénévolat de don a connu son apogée dans la première partie du XXe siècle. Les mouvements bénévoles sont, en quelque sorte, reliés aux événements particuliers de la société. Crises, désastres, débalancements sociaux génèrent la mobilisation de réseaux dentraide (3). Mais au Québec comme en France, la notion de justice sociale a remplacé le bénévolat de « charité » pour une forme de satisfaction personnelle bien légitime, et laction bénévole sera considérée comme un instrument de changement dans la société.
Après la prise en charge progressive de lassistance par lÉtat, le bénévolat devient supplétif. Il prend alors le nom de volontariat. Ainsi, laction bénévole se détache de laction charitable et se rapproche du courant anglo-saxon, généralement plus développé, qui utilise déjà cette dénomination. Dans son étude sur laction volontaire et la société québécoise du XXe siècle, Beaudoin fait remarquer que la population prend conscience quune quantité de plus en plus grande de décisions affectant la vie de tous les jours lui échappe. Les individus font face à des appareils bureaucratisés et ordonnancés dans lesquels les services sont souvent définis plus en fonction de la rationalité administrative que des personnes dans le besoin (1977:254). Laspiration, qui traverse tous les mouvements du quotidien, traduit le rêve utopique dune société réconciliée, de même quelle manifeste le désir dimaginer dautres modes de vie en société. De plus, le déclin de la croyance au progrès et la fin des illusions rationalistes semblent présentement réintroduire le rapport à lautre et la charge symbolique quil induit au cur de la dynamique de notre société (Renaud, 1990:43). La sensibilité écologique amène un rapport social qui ne se comprend pas dans la finalité de laction, mais dans un désir de partage où la relation importe pour les liens quelle crée. En dautres termes, les relations entre acteurs sociaux trouvent leur fin dans ce quon pourrait nommer la sociabilité. Celle-ci ne trouve pas en elle-même la satisfaction dans ces choses quelle met en relation: occupations, biens, informations, finalités, écrit Vincent Lemieux. Elle la trouve dans lidentification aux semblables, dans la relation affective singulière qui relie ces acteurs entre eux. Alain nommait signes absolus, les signaux par lesquels est communiquée cette relation qui est reconnaissance du semblable, plaisir de société, accord, poursuit le politologue (1982:14). Cependant, la différence est grande entre la traditionnelle dame patronnesse qui occupait ses heures de loisir au sein duvres charitables (4) et les bénévoles militants qui souhaitent une égalisation des conditions de vie. Le bénévolat exprime donc, à travers ses configurations, le renouvellement des formes du social.
En effet, la crise économique, les bouleversements sociaux à léchelle planétaire, telle la mondialisation des marchés et des échanges, réactualisent le débat sur lomniprésence de lÉtat et provoquent un questionnement sur lefficacité des services publics. Parallèlement à la structure économico-sociale, lon assiste à la naissance dune multiplicité dinitiatives prises en marge du pouvoir. Lengouement pour la création de réseaux sociaux ne constitue pas un rétrécissement individualiste, mais représente plutôt un effort pour contrer linfluence des facteurs extérieurs, une manière de créer de nouvelles formes de solidarité. Un nouveau social sinvente ainsi (Donzelot, 1984): il doit favoriser le maintien de la cohésion sociale après la perte du caractère providentiel de lÉtat. Et comme le souligne Michel Maffesoli: «Nous savons depuis Durkheim que leffervescence est lindice le plus sûr de ce qui est productif, de ce qui est appelé à durer, parfois même à sinstitutionnaliser» (1988:52). Cest donc dans cette perspective quil convient dapprécier lévolution des groupes bénévoles qui, dans le remodelage de leurs rapports à lÉtat, passent par une série progressive de transformations. Face à une économie qui sessouffle et à un gouvernement qui nest plus à même dassurer à lui seul tous les services à la collectivité, le bénévolat montre une remarquable capacité dadaptation qui nen comporte pas moins des enjeux importants. Cet ouvrage vise donc à éclairer les changements apportés par la médiation politique dans lespace social et à analyser les enjeux du bénévolat comme activité supplétive, sinon complémentaire aux mécanismes formels de lÉtat. Plus spécifiquement, létude veut atteindre trois objectifs quil y a lieu de faire connaître dès à présent:
analyser lévolution des rapports entre lÉtat et les groupes bénévoles;
étudier comment lévolution de ces rapports affecte la logique organisationnelle de ces groupes;
examiner limpact de cette logique organisationnelle sur les pratiques bénévoles.
Ce découpage en trois volets étant spécifié, il sagit maintenant darticuler le concept principal qui chapeaute létude. Dans la lignée dun Marcel Mauss cherchant à repérer empiriquement, dans une définition, son objet détude la prière il y a lieu didentifier certaines caractéristiques susceptibles de rendre compte de ce quest le bénévolat au premier abord. Laction bénévole, dans le champ de la présente recherche, ne peut seffectuer que si elle implique, en tout premier lieu, la présence dau moins deux acteurs qui agissent dans le cadre dun groupe. De plus, le lien social qui la supporte se déploie obligatoirement sur la toile de fond dune division des rôles entre un aidant et un aidé, en fonction de laquelle se départagent le travail bénévole, dans le premier cas, et lavantage quen retire le bénéficiaire dans le second. Enfin, ce genre dintervention est administré sans contrepartie pécuniaire et sans contraintes sauf celles que lindividu accepte lui-même et, au surplus, se prodigue dans un désintéressement de la part du donateur. Aussi, dans la vision particulière de cet encadrement théorique, le bénévolat peut être entendu comme une « relation daide entre deux acteurs ou plus, différenciés par des rôles respectifs de donateur et de bénéficiaire dans lexercice desquels le premier refuse du second ou dun tiers toute compensation monétaire pour son action et ne subit, pour ce faire, aucune contrainte autre que celles quil accepte lui-même suivant ses propres choix » (Larochelle, 1998:103).
Ladhésion à une telle définition ne peut être que conditionnelle. En effet, des précisions complémentaires simposent tant pour en décrire lusage que pour en spécifier la portée heuristique. Dabord, la première restriction quelle comporte limite le phénomène du bénévolat à un don de temps en excluant délibérément le don dargent ou toutes les autres formes non traditionnelles daltruisme (don de sang, dorganes, etc.). Il sagit bien dun choix de perspective dont le découpage, en loccurrence, nimplique aucun préjudice dans le traitement de lobjet détude ici exposé. Ensuite, la notion de relation daide» paraîtra excessive à tous ceux qui lui assignent le sens dun face-à-face intimiste et, à la rigueur, affectif entre deux personnes. Au contraire, dès lors quil faut bien reconnaître que lon nest pas bénévole pour soi-même mais pour quelquun dautre et quon peut lêtre aussi bien à travers des structures impersonnelles que par un échange proche, force est dadmettre que la relation dont il est question ici tient dune description minimaliste de la socialité elle-même. Bref, une manière de dire que Robinson ne pouvait être le bénévole de personne.
Par ailleurs, le critère de la compensation pécuniaire semble volontiers réducteur. Ny a-t-il pas des rétributions de nature non pécuniaire mais parfois tout aussi efficaces? Certes, la réciprocité est souvent une composante du bénévolat, du moins si lon accepte de considérer la notion déchange en termes larges. Ce quil faut comprendre, cest que cette acception ne vise pas un constat dabsence de partage effectif, mais linexistence de son attente comme condition de la relation bénévole. Du reste, une action totalement à sens unique, la vision dun unilatéralisme parfait relève, à lévidence, dun idéalisme que dément la complexité des choses. La compensation pécuniaire veut dire simplement que le mercantilisme nest pas le fondement premier du bénévolat. Quant à la notion de contrainte, rien nindique que le bénévolat ne puisse, à linstar des autres pratiques sociales, échapper au poids de la culture, des murs, voire de toutes les habitudes informelles qui meublent, en fin de compte, lhorizon de tout rapport à lautre. Le bénévolat existe tant quil relève dune autodétermination de soi, dune capacité à dire « je mengage pour lautre » sans que personne noblige le donateur du service en question. Encore une fois, précisons quune action totalement sans contrainte nest envisageable quau royaume peu fréquenté de lutopie, du non-lieu absolu et de la chimère impeccable. Somme toute, lintérêt analytique de cette définition ne consiste pas à couvrir luniversalité transhistorique du phénomène, mais à permettre une identification empirique de lobjet observé. Pourtant une objection se présente. Pourquoi sattarder au bénévolat de services dans le domaine de la santé et des services sociaux? Cest que la réduction du rôle providentiel de lÉtat et les changements démographiques, entre autres le vieillissement de la population et le virage ambulatoire, appel-lent une demande croissante dans ce secteur dintervention (5). Évidemment, laction bénévole recouvre une grande variété de formes, de buts et de significations, et demeure beaucoup plus quune réponse aux problèmes sociaux et au désistement de lÉtat-providence (Cellier, 1995:176). À laube de ce nouveau millénaire, tout comme la montré Linteau dans les années 1930, «les réactions à la crise se font surtout sur le plan individuel et à travers les réseaux de solidarité de base: famille, rue, paroisse [...]» (1986:77). Aussi, dans une période où les institutions monopolistisques héritées de lÉtat-providence ne réussissent plus à répondre à la diversité des problèmes et des contextes qui caractérisent notre époque (Apollon, 1986), les secteurs formel et informel sont de plus en plus sollicités à secourir lautre. Mais voilà que les personnes qui apportent réconfort et soutien aux individus dans le besoin vivent un certain essoufflement. Par exemple, la plupart des groupes bénévoles soulignent les difficultés quils rencontrent au chapitre du recrutement et du maintien des membres à leur engagement. Depuis plus de 10 ans, cest le bénévolat de services directs qui offre les plus nombreuses sources de désillusion pour les bénévoles (voir Blanchet, 1990). Les exigences qui entourent lexercice du bénévolat dans le domaine des services de santé et des services sociaux saccommodent mal de la liberté que les individus y réclament. Les contraintes et les formalités imposées dans le cadre de lexercice bénévole semblent éloigner les individus de cet engagement, à tout le moins celui réalisé à lintérieur dune structure.
Certes, le bénévolat benevolus, du latin bene, «bien» et volo, «je veux» dont le substantif fut dailleurs honoré par le dictionnaire Robert en 1954, ne représente pas en soi une nouveauté. Linédit tient à la remise en question des rapports entre les différents agents de la vie en société quil provoque. Le bénévolat est ici analysé en fonction des enjeux politiques quil représente pour la société. Cet ouvrage tente de montrer quune action apparemment neutre se transforme et peut servir les intérêts gouvernementaux. À lhorizon de ce paysage bénévole en mutation, pointe donc la nécessité de donner un aperçu des répercussions que peut engendrer la revalorisation du rôle socio-politique de la gratuité au Québec. Dans cette perspective, le premier chapitre vise à analyser la pratique actuelle du bénévolat en tentant de démontrer lutilisation politique que lon fait de la gratuité dans un contexte daprès-crise et de son cortège de solutions néolibérales. Certes, le néo-libéralisme et le bénévolat ne constituent pas des facteurs de causalité mais représentent plutôt une convergence dans le déroulement des processus sociaux. En somme, lambiance néolibérale favorise le développement de cette conduite sociale.
Si, pour Alexis de Tocqueville, le christianisme a fait une vertu divine et a appelé charité lespèce de bienfaisance qui porte chaque individu à soulager les maux qui frappent à sa porte, diverses thèses saffrontent depuis luvre de lillustre historien pour expliquer le phénomène du bénévolat. Certains auteurs lenvisagent comme une pratique sans théorie (Chazaud), dautres labordent en y perpétuant lidée dune certaine illusion, cest-à-dire en lidentifiant à un geste de réciprocité (Ferrand-Bechmann et Roudet). Une lignée dauteurs tendent plutôt à le voir comme un geste désintéressé (Porte, Blais, Nison), alors que dautres montrent quil sert avant tout les intérêts individuels (Wolfe, Becker). De telles exclusives paraissent caractériser les positions antithétiques que lon tient sur cette pratique sociale. Aussi, à travers la revue des écrits composés de travaux scientifiques, de documents ministériels et de réflexions des groupes bénévoles, où tantôt il y aura convergence, tantôt divergence didées, le deuxième chapitre tente de dégager le point de vue dacteurs sociaux distincts.
Ainsi quil est présenté ici, le bénévolat ne relève pas uniquement dune action individuelle, mais dune activité qui sinsère dans une structure collective sarticulant autour dune conception de vie en société et tout particulière-ment dun type dorganisation sociale, comme le suggèrent entre autres les auteurs Bovay et Tabin, 2001; Stebbins, 1998; Lamoureux, 1996. Dans cette perspective, le troisième chapitre développe, en tout premier lieu, les applications du modèle politologique des appareils et des réseaux, de même quil explique que les formes de léchange bénévole et les configurations de ses modes dexercice sont compréhensibles à travers une lecture sociale. La seconde partie du chapitre permettra de voir que lanalyse sappuie sur une réalité perceptible, en prenant pour cible les groupes bénévoles collectifs fondés sur le travail non rémunéré des membres dune région du Québec, le Saguenay. Quant au contexte de la présente étude, les entrevues ont été réalisées, selon une périodicité régulière, entre les années 1990 et 2001 auprès dune cinquantaine de personnes.
En outre, ce que lon pose comme problème en étudiant le bénévolat, cest la redéfinition de la place et du rôle de lÉtat, et le contrat que ce dernier fixe avec les groupes bénévoles. Les solidarités immédiates apparaissent comme une solution dans un contexte où il y a moins de ressources financières et de plus en plus de dépenses. De ce fait, le questionnement auquel invite le présent propos ne peut être saisi quà travers la tentative qui le sous-tend de vouloir comprendre comment se déroule la participation de deux acteurs incontournables dans lexercice du don : les dirigeants des groupes bénévoles et les bénévoles eux-mêmes. Les quatrième et cinquième chapitres présentent alors le portrait dun paysage en pleine mutation et exposent le point de vue de ces acteurs sur la tendance qui les confine de plus en plus dans un rôle de dispensateurs de services.
En dautres mots, les prémisses exposées éclairent la démarche menée dans cette enquête qui cherche à saisir les effets de linstitutionnalisation et de la bureaucratisation qui sy rattache sur le développement des réseaux sociaux de bénévoles. Il sagit de voir si, dans la ligne dargumentation retenue, la logique de fonctionnement de linstitution débouche sur la constitution de quasi-appareils. En conséquence, les effectifs bénévoles risquent-ils de diminuer parce quils ne se reconnaissent peut-être plus dans les nouvelles structures du groupe? À la lumière de ce qui vient dêtre dit, la première partie du chapitre sixième permet la vérification de ces énoncés conduite à travers trois niveaux danalyse: institutionnel, organisationnel et individuel. Chacune de ces perspectives qualifie le statut conceptuel des notions dinstitutionnalisation, de quasi-appareil et de désaffection. Par la suite, il y aura lieu de considérer les pratiques bénévoles soutenues par lÉglise, de manière à pouvoir apprécier lécart, sil y a lieu, qui sépare les deux formes dexercice du bénévolat: celui qui est subventionné par lÉtat et celui qui ne lest pas. Cela dit, une réflexion sur laction bénévole moderne va bien au-delà des motivations individuelles qui poussent les individus à agir. En effet, elle permet déclairer, de manière nouvelle, les relations entre la société civile et lÉtat (6). Toutefois, en dépit de la transformation des groupes, il sera possible dobserver la permanence du don dans la gestion des rapports sociaux, bien que ses formes puissent varier considérablement dune époque à lautre, comme en témoignent du reste les changements structurels de lespace public depuis les 20 dernières années. À cet égard, les cadres sociaux du bénévolat et leur bouleversement récent révèlent que les usages de ce phénomène ne seffectuent pas toujours en dehors de la logique des intérêts, notamment ceux de la reconfiguration de lÉtat contemporain. Somme toute, une même préoccupation semble simposer en toile de fond du bénévolat: les appels du cur ne sont pas toujours compatibles avec les réponses de la raison, voire de la rationalité moderne.
Notes : (1) Plaute est mort en -184, soit 1863 années avant Hobbes à qui on attribue dordinaire ce mot désespérant, fait remarquer Martin Blais (1984:140). (2) Terme popularisé par Ivan Illich, en 1973, emprunté à Brillant-Savarin dans un livre où il tente de préciser sa pensée sur les rapports que lhomme devrait entretenir avec la production et la société (cité par Claude Larivière, 1988:27). (3) Ces initiatives sont encore présentes dans notre société comme en font foi les actions de mobilisation observées lors des désastres naturels (inondations et tempête de verglas) quont connus le Saguenay (été 1996), le Manitoba (printemps 1997), lÎle-de-Montréal, le sud-ouest du Québec, lest de lOntario, (janvier 1998) etc. En effet, au cours de ces catastrophes, les communautés sinistrées sont devenues de véritables laboratoires de solidarité humaine. (4) Les femmes de milieux aisés navaient pas accès au travail rémunéré, socialement inacceptable. Le bénévolat était une manière honorable doccuper leurs loisirs (Bovay et Tabin, 2001; Cellier, 1996:178; Lapointe-Roy, 1987:93). (5) Pour les auteurs Bovay et Tabin, la vieillesse est incontestablement le problème social qui, en raison même de la multiplicité des besoins et de leur expansion, mobilise le plus de bénévoles (2000 :131). (6) Pour les auteurs Bovay et Tabin, la vieillesse est incontestablement le problème social qui, en raison même de la multiplicité des besoins et de leur expansion, mobilise le plus de bénévoles (2000 :131).
Dernière mise à jour de cette page le Jeudi 13 mai 2004 16:06 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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