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Manifeste des intellectuels pour la souveraineté
suivi de Douze essais sur l’avenir du Québec.
Deuxième partie :
Douze essais sur l’avenir du Québec
“La longue quête de l’égalité.”
Par François ROCHER *
et Michel SARRA-BOURNET
Un monde en ordre est un monde de nations
indépendantes, ouvertes les unes aux autres
dans le respect de leurs différences et de leurs similitudes.
Boutros Boutros-Ghali
à Montréal, 24 mai 1992
La subordination du Québec
Tout au long de son histoire, le Québec a fait partie d'un empire ou d'un pays plus grand que lui. Il n'a jamais joui d'un statut ou d'un traitement de société égale à ses voisines. Aujourd'hui encore, le Canada anglais le considère comme une partie de son corps politique, qui doit bien sûr obéir à sa tête, située à Ottawa. Pourtant, une majorité de Québécois considère que le Québec est lui-même un corps entier, une société complète et distincte, qui existait bien [44] avant que la Conquête eût mis fin au Régime français. Deux cent trente-cinq ans plus tard, le statut politique du Québec ne correspond toujours pas aux aspirations de son peuple. Ce qui est encore plus grave, les Québécois n'ont jamais donné leur consentement au régime politique qui les a encadrés. Et pour cause : durant toute leur histoire, ils se sont battus pour une égalité politique qui leur a échappé.
La Confédération : association ou séparation ?
Les fédéralistes présentent souvent la Confédération de 1867 comme un acte d'adhésion du Québec à l'ensemble canadien. Or, cet événement, que l'histoire officielle considère comme l'acte de naissance du Canada, est un compromis politique fort complexe qui s'est conclu dans un contexte de crise parlementaire et internationale.
L'Union de 1840 avait fondu le Canada anglais (Haut-Canada) et le Québec (Bas-Canada) dans un régime quasi unitaire. Toutefois, puisque la population du Québec était plus nombreuse et que les Canadiens-anglais ne désiraient pas que la règle de la majorité joue en leur défaveur, la règle de la double majorité fut introduite dans le jeu parlementaire. Ainsi, le gouvernement du Canada-Uni devait-il obtenir simultanément la confiance des députés du Québec (Canada-Est) et du Canada anglais (Canada-Ouest). Il en résulta une grande instabilité politique : quand le Québec et le Canada anglais élisaient des députés de tendances différentes, et que ceux-ci votaient dans des directions opposées, le gouvernement du Canada devait remettre sa démission.
Pendant ce temps, la situation démographique se renversait peu à peu. Dès le milieu du siècle, la population du Canada-Ouest dépassa celle du Canada-Est, et des leaders politiques anglophones se mirent à dénoncer l'égalité [45] conférée aux députés du Québec. Par conséquent, ils réclamèrent le « Rep. by pop. », la représentation proportionnelle à la population. Alors, dès que l'égalité entre les deux parties du Canada joua contre eux, les Canadiens anglais la répudièrent.
Ainsi, entre 1864 et 1867, la Confédération canadienne fut-elle élaborée non seulement dans le but de mettre fin à l'instabilité parlementaire, mais aussi pour éliminer l'égalité politique qui existait entre le Québec et le Canada anglais. Le contexte international fut également favorable à cette entreprise : la fin de la Guerre civile faisait craindre l'expansionnisme américain, la Grande-Bretagne désirait se délester d'une partie de ses charges coloniales et la fin du Traité de réciprocité commerciale entre le Canada et les États-Unis rendait nécessaire la création d'un grand marché au nord du 49e parallèle.
Qu'est-ce que les Québécois avaient à gagner à faire partie d'une fédération formée du Québec et de trois provinces anglaises, l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ? Ce qui attirait les leaders québécois, y compris le clergé, ce n'était pas l'intégration à l'ensemble canadien, mais la possibilité de retrouver une certaine autonomie politique. En effet, la Confédération signifiait :
- 1) la fin de l'Union de 1840 qui symbolisait la disparition de la communauté politique québécoise ;
- 2) la remise sur pied des institutions politiques autonomes reconnues par l'Acte constitutionnel de 1791.
Loin d'être la consommation de la Conquête ou une renonciation à la souveraineté, la Confédération était le premier pas vers le développement autonome de la communauté politique québécoise. Ceux qui s'y opposaient à l'époque trouvaient cette autonomie insuffisante et [46] mettaient en doute la bonne foi des politiciens de la majorité canadienne-anglaise qui, comme John A. Macdonald, auraient préféré une union encore plus forte à défaut d'un régime unitaire.
Le Canada anglais et l’Anglo-conformity
Le compromis de 1867 a été interprété de diverses façons, tant au Canada anglais qu'au Québec. À l'origine, il fut compris par les Canadiens anglais comme une concession à la minorité canadienne-française. Les « privilèges » accordés à la langue française n'étaient d'ailleurs valables qu'au sein du Parlement canadien et dans la province de Québec, où l'usage de l'anglais ne devait par contre subir aucune entrave. Parce qu'elle n'accordait pas des conditions semblables au Québec et aux provinces anglaises du Canada, la Constitution de 1867 allait à l'encontre de l'idée du « pacte entre deux nations » qui allait se développer plus tard au Québec.
De plus, à la fin du 19e siècle, une série de gestes posés par les administrations provinciales canadiennes-anglaises accélérèrent la disparition de la langue française en dehors du Québec. Dès 1871, l'enseignement du français fut interdit dans les écoles du Nouveau-Brunswick. En 1890, les écoles françaises furent abolies et l'enseignement du français défendu au Manitoba.
La notion d'une dualité canadienne présente d'un océan à l'autre a d'abord été mise de l'avant par Henri Bourassa au début de ce siècle. Elle visait à contrer le sentiment impérialiste qui rattachait les Canadiens anglais à leur mère-patrie et était fondée sur la réalité sociologique de cette époque en effet, les territoires de l'Ouest du Canada recelaient encore d'importantes communautés [47] francophones. Cette vision du Canada préconisait « l'égalité des deux races », comme le voulait l'expression consacrée à l'époque.
Cependant, le phénomène d'assimilation se poursuivit, renforcé par la volonté politique du Canada anglais que même le Premier ministre canadien-français Wilfrid Laurier ne sut arrêter. Lors de la création des provinces de Saskatchewan et d'Alberta en 1905, on refusa de garantir le droit à l'enseignement du français. Un an avant sa mort, Wilfrid Laurier se confia à Henri Bourassa en ces termes : « C'est un malheur que le Premier ministre soit un Canadien français, parce que comme Canadien français j'ai fait des choses que je n'aurais jamais faites si j'avais été anglais [1]. »
En 1915, un autre coup dur frappa les Canadiens français : le Règlement XVII supprima les écoles francophones en Ontario. Dans les décennies qui ont suivi, la situation démographique des francophones vivant ailleurs qu'au Québec s'est rapidement affaiblie. De moins en moins de collectivités francophones ont conservé la masse critique nécessaire à une vie communautaire. Par conséquent, leurs membres ont dû s'assimiler à la société canadienne-anglaise au même titre que les immigrants. Les efforts entrepris dans les années 1970 dans le but de raviver ces communautés sont arrivés trop tard.
L’effet uniformisant de la centralisation
Le gouvernement fédéral est le principal instrument du projet national canadien. Les deux crises de la conscription [48] qui ont ponctué le 20e siècle sont des exemples probant du fait que le Québec est dominé dans le régime canadien lorsqu'il s'agit d'enjeux fondamentaux. Dans les deux cas, la volonté de la majorité du Canada de conscrire des soldats a prévalu sur celle de la majorité des Québécois qui désiraient procéder par d'autres moyens.
Suite aux deux conflits mondiaux, le Canada anglais entreprit enfin de se détacher politiquement, économiquement et psychologiquement de la Grande-Bretagne. Mais plutôt que d'adhérer à une notion dualiste du Canada, il mit de l'avant un vaste projet national fondé sur la construction de l'État canadien.
C'est au cours de cette période que le gouvernement fédéral mit sur pied une kyrielle de programmes à frais partagés et accrut son intervention dans les domaines de la sécurité sociale (allocations familiales, assurance-chômage, pensions de vieillesse), de l'éducation supérieure et des soins de santé. Ces multiples interventions, qui contribuèrent à jeter les bases de l’État-providence canadien, avaient la particularité de s'effectuer dans des champs de compétence initialement dévolus aux provinces. Ces transformations reçurent un accueil favorable de la part de toutes les provinces à l'exception du Québec, qui voyait d'un mauvais œil l'extension de l'intervention de l'État. Bien que le régime ait alors été moins centralisé qu'il l'avait été au cours de la Seconde Guerre mondiale, son degré de centralisation était bien supérieur à ce qu'il avait été depuis Macdonald. Ce nouvel interventionnisme étatique attribuait aux provinces un rôle subordonné au sein du fédéralisme canadien. L'approche privilégiée par le gouvernement central fut lourde de conséquences sur l'évolution des relations intergouvernementales puisqu'elle rejetait le modèle classique du fédéralisme faisant appel à la division des pouvoirs pour [49] épouser celui du chevauchement des compétences et de l'interdépendance dans la mise en œuvre des politiques. Il est vrai que ces nouvelles fonctions étatiques n'auraient pu voir le jour sans le consentement des provinces, mais c'est d'abord et avant tout le gouvernement fédéral qui participa à la définition des règles du jeu, disposant des moyens financiers pour arriver à ses fins.
La généralisation des programmes à frais partagés contribua à rendre moins étanche la division des pouvoirs prévue dans la Constitution de 1867 et permit au gouvernement fédéral d'intervenir dans des domaines où il était auparavant exclu. De plus, en définissant les conditions d'obtention des transferts fédéraux, il était maintenant en mesure d'exercer un contrôle considérable sur l'ampleur et le contenu de ces politiques et ce, même si les provinces durent accroître aussi leur rôle puisqu'elles étaient responsables de leur administration.
Dans un premier temps, le gouvernement conservateur de Duplessis, appuyé par les élites traditionnelles du Québec, ne put faire mieux que de tenter de défendre les prérogatives provinciales du Québec. C'est toutefois sous le régime Duplessis, grâce à la Commission Tremblay qui déposa son rapport en 1956, que fut renouvelée la façon dont on appréhenda les relations fédérales-provinciales au cours des années 1960 et 1970. Mais il fallut attendre l'arrivée d'une nouvelle génération de politiciens pour donner un contenu positif à la quête d'autonomie du Québec.
Le Québec opte pour la décentralisation
À partir de 1960, le projet national québécois moderne renoua avec le mouvement vers l'autonomie lancé lors de la Confédération et rompit avec l'idée traditionnelle de la [50] dualité pan-canadienne. Il proposa une nouvelle vision du « pacte entre deux nations », celle d'une égalité entre le Québec et le Canada anglais qui appelle une décentralisation vers son gouvernement de pouvoirs constitutionnels spéciaux.
L'attitude du gouvernement de Jean Lesage à l'égard du dossier constitutionnel allait marquer un changement profond de perception et de stratégie. L'autonomie politique fut présentée non pas comme un moyen de limiter l'influence pernicieuse d'Ottawa, mais plutôt comme un moyen de restauration politique, économique et sociale du « peuple » canadien-français. Le discours autonomiste prenait donc une nouvelle orientation : la nécessité de préserver le caractère traditionnel du Canada français cédait le pas au besoin d'affirmation nationale qui exigeait la défense des pouvoirs confiés au Québec, pouvoirs jugés indispensables à la tâche de modernisation à laquelle s'attelait l'État québécois. Lesage en vint à lier la place du Québec au sein de la fédération au problème de la survivance des Canadiens français. C'est à compter de ce moment qu'il souleva la nécessité de revoir le partage des compétences et d'examiner les rapports entre les deux « groupes ethniques » qui composent le Canada. Au sein de la société québécoise, cette question devint centrale. Pour une bonne partie de la classe politique québécoise, il fallait revoir la question des relations entres les communautés francophone et anglophone.
Cette approche marqua aussi le court passage de Daniel Johnson à la tête du gouvernement de 1966 à 1968. La dualité chère à Johnson était d'abord sociologique (celle d'une communauté humaine manifestant une unité historique, linguistique, religieuse et économique animée d'un vouloir-vivre commun) et ne différait guère en cela de la [51] vision mise de l'avant par André Laurendeau. Cette dualité nationale ne dépendait pas de l'origine ethnique des citoyens, mais de leur culture. L'existence d'une nation, selon une évolution normale, devait conduire à la création d'un État national : « la nation, phénomène sociologique, tend à coïncider avec l'État, phénomène politique [2] ». Il s'agit d'une réalité que partagent les membres de la nation canadienne-française et c'est pourquoi ces derniers « cherchent à s'identifier à l'État du Québec, le seul où ils puissent prétendre être maîtres de leur destin et le seul qu'ils puissent utiliser à l'épanouissement complet de leur communauté, tandis que la nation canadienne-anglaise tend de son côté à faire d'Ottawa le centre de sa vie communautaire [3] ». C'est sur cette base que l'Union nationale voulut non pas amender la Constitution mais en réécrire une nouvelle qui s'inspirerait du principe de la dualité et du rôle spécifique que devait jouer le Québec dans l'épanouissement de sa communauté nationale. En somme, la nouvelle constitution devait affirmer le caractère binational du Canada dans ses structures politiques, économiques et sociales.
Lors des États généraux du Canada français à la fin des années 1960, ce virage des nationalistes québécois en faveur d'un statut particulier pour le Québec provoqua une rupture avec les élites francophones du Canada anglais. Ces dernières se rallièrent ensuite à la nouvelle doctrine de la dualité linguistique proposée par Trudeau.
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Le bilinguisme de Trudeau :
tactique ou panacée ?
Pour plusieurs, Trudeau a simplement voulu couper l'herbe sous le pied des nationalistes québécois en proposant sa politique de bilinguisme. Pour d'autres, la Loi des langues officielles dans les institutions fédérales, adoptée en 1969, ressuscitait l'idée d'une dualité fondée sur la langue. En préférant la dualité Canadiens français/Canadiens anglais à la dualité Québec/Canada anglais, le projet de Trudeau renvoyait à « l'égalité des deux races » du début du siècle. Au Canada anglais, on accepta le bilinguisme avec réticence, pensant que c'était la réponse adéquate et définitive au « What does Quebec want ? » et que cela réglerait la question du Québec.
En effet, les francophones pourraient dorénavant s'adresser en français au gouvernement canadien et auraient enfin accès aux emplois dans la fonction publique fédérale. Mais après plus de vingt-cinq ans, force est de constater que la langue du gouvernement central demeure essentiellement l'anglais, excepté au niveau de certains services au public. Cette politique de services dans la langue officielle masque la domination de l'anglais dans les institutions communes : des milliers de francophones ont bel et bien trouvé du travail dans la fonction publique canadienne, mais là ou les anglophones sont majoritaires, soit dans la région d'Ottawa-Hull et dans les provinces anglaises du Canada, les fonctionnaires fédéraux travaillent en anglais. En définitive, la fonction publique fédérale est un foyer d'assimilation.
Si tant est qu'elle visait la promotion du français, la politique fédérale des langues officielles a eu un succès fort mitigé les statistiques sur l'assimilation des francophones à l'extérieur du Québec sont là pour le prouver. Paradoxalement, [53] cette politique a, depuis, été remise en question par les Canadiens anglais. Ils y voient le symbole des privilèges accordés à la minorité francophone.
L'un des objectifs du rapatriement de la Constitution en 1982 était de forcer le Québec à revoir les aménagements linguistiques issus de la Charte de la langue française qui faisait du français la langue officielle du Québec. Les pressions d'anglophones québécois contestant la loi 101 adoptée en 1977 et la vision particulière des droits linguistiques promue par le gouvernement fédéral ont motivé cette approche. La politique fédérale a renforcé la promotion du statut de l'anglais au Québec, substituant à la promotion du français le principe de la protection des « minorités linguistiques » au niveau de chaque province. Cette symétrie de statut des langues était, et est toujours, loin de refléter la réalité démolinguistique du français et de l'anglais au Canada.
Il va sans dire que cette orientation fut contestée au Québec. En plus de ramener celui-ci au rang de province comme les autres, cette politique faisait oublier la condition du français au Canada en général, en détournant l'attention vers de soi-disant violations des droits des anglophones au Québec. Pendant ce temps, les provinces anglaises résistaient aux jugements des tribunaux et ne cédaient des droits scolaires aux francophones qu'en échange de la promesse de millions de dollars d'aide d'Ottawa.
Ainsi, à la notable exception du Nouveau-Brunswick, le Canada anglais a résisté à la dualité linguistique introduite par Trudeau, que ce soit sous la forme du bilinguisme au sein des institutions fédérales ou de celle de la promotion du français dans les écoles de juridiction provinciale. En même temps, on demandait au Québec de demeurer un territoire canadien bilingue où la communauté anglophone ne devait subir aucune entrave. On ne pourrait trouver [54] meilleur exemple de deux poids, deux mesures. Ce n'est certainement pas cela qu'on entend par l'expression de « statut particulier du Québec ».
La reconnaissance
de la spécificité du Québec
Le postulat de base des revendications constitutionnelles du Québec depuis 1960 qu'elles soient autonomistes ou souverainistes est l'égalité entre le Québec et le Canada anglais. Il reflète l'existence de deux sociétés qui, pour reprendre la vision d'André Laurendeau, disposent de populations importantes et géographiquement concentrées, de réseaux institutionnels éducatifs, économiques, politiques et juridiques. Après le rapatriement de la Constitution orchestré par Trudeau en 1981-1982, et dans lequel on avait ignoré le nouveau partage des pouvoirs réclamé par le Québec, ce dernier a continué à revendiquer la reconnaissance constitutionnelle de son caractère distinct.
Mais cette nouvelle expression de l'idée de dualité Québec/Canada a rencontré la résistance de la population canadienne-anglaise en général. L'échec des accords de Meech et de Charlottetown est en bonne part attribuable au rejet des dispositions se rapportant à la reconnaissance du Québec comme société distincte, en dépit de toutes les précautions qui auraient entouré son inscription dans la constitution et qui l'auraient vidé de son contenu. Plus important encore, ce double échec des négociations constitutionnelles est venu confirmer l'attachement des Canadiens des autres provinces au principe fondamental de la symétrie de statut entre les provinces et le rejet de la reconnaissance du Québec comme foyer principal d'une culture de tradition française devant disposer des moyens nécessaires à son épanouissement.
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C'est cette lecture de la réalité canadienne que faisait le rapport de la Commission sur l'avenir du Québec, mieux connu sous le nom de ses coprésidents, Michel Bélanger et Robert Campeau. Le Rapport Bélanger-Campeau retraçait les étapes de l'évolution du débat constitutionnel canadien. Il a souligné les conséquences pour le Québec de la Loi constitutionnelle de 1982 qui a contribué à renforcer certaines visions politiques de la fédération difficilement conciliables avec la reconnaissance effective et l'expression politique de l'identité distincte du Québec. Trois dimensions de la nouvelle identité politique canadienne rendent difficile l'accroissement des pouvoirs législatifs du Québec : l'égalité de tous les citoyens qui n'admet pas de reconnaissance constitutionnelle particulière de la collectivité québécoise ; l'égalité des cultures et des origines culturelles au Canada qui a banalisé la langue française et les origines culturelles francophones ; l'égalité des dix provinces canadiennes qui empêche le Québec de se voir reconnaître un statut particulier. Or les voies que peut emprunter le Québec pour briser l'impasse se limitent à deux : un fédéralisme renouvelé qui accepterait de redéfinir le statut du Québec, ou l'accession à la pleine souveraineté politique avec une ouverture à l'établissement de liens économiques avec le Canada.
Le renouvellement du fédéralisme est maintenant dans une impasse suite au cuisant échec subi par l'entente de Charlottetown.
La solution ultime :
l’égalité nationale
Colonie de la France, conquête de l'Angleterre et province du Canada, le Québec n'a jamais connu l'égalité nationale. Privé de la souveraineté politique, il ne peut entretenir de [56] relations diplomatiques avec les autres États sur la scène internationale sans violer les conventions. La souveraineté est l'ultime moyen de rendre égales des nations inégales.
Au cours du Régime canadien inauguré en 1867, les Québécois se sont battus pour l'égalité avec le Canada anglais, que ce soit à travers les revendications pour l'égalité des langues française et anglaise, la décentralisation des pouvoirs ou la reconnaissance de sa spécificité. Dans l'éventualité du maintien du Québec dans la fédération canadienne, l'objectif d'égalité avec l'ensemble de la société canadienne-anglaise risque de devenir irréalisable. Au contraire, le Québec aura à vivre sous les pressions uniformisantes du gouvernement fédéral et sous celles des autres provinces qui insistent pour ne pas rompre avec le nouveau dogme de l'égalité entre les dix provinces canadiennes.
Puisque le Québec n'aura pas atteint l'égalité politique avec le Canada anglais au sein du régime canadien, les Québécois n'auront d'autre choix, s'ils n'accèdent pas à la souveraineté, que de se rallier au nationalisme politique canadien ou de régresser vers une forme de nationalisme ethnique compatible avec la doctrine du multiculturalisme.
* * *
Après que les Régimes français, anglais et canadien les eurent laissés colonisés, conquis et minorisés, les Québécois n'ont d'autre choix que d'opter pour la souveraineté du Québec s'il désirent la véritable égalité. La libération nationale du Québec est l'affaire de tous ceux et celles qui y ont élu domicile. Peu importe leur origine et celle de leurs ancêtres, ils sont héritiers et partie prenante de l'histoire du Québec. Pour les Québécois, le référendum sur la souveraineté [57] du Québec est non seulement une occasion exceptionnelle de se prononcer eux-mêmes sur leur régime politique, mais aussi d'entrer dans une nouvelle phase de leur histoire, celle qui permettra au Québec d'accéder à l'égalité nationale, le « Régime québécois ».
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* Département de science politique, Carleton University (Ottawa).
[1] Cité dans Réal Bélanger, Wilfrid Laurier. Quand la politique devient passion, Québec et Montréal, Les Presses de l'Université Laval et Les entreprises Radio-Canada, 1986, p. 449.
[2] Daniel Johnson, Égalité ou indépendance, Montréal, Éditions de l'homme, 1965, p. 23.
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