[682]
Andrée Lajoie, Henry Quillinam,
Rod MacDonald et Guy Rocher *
“Pluralisme juridique
à Kahnawake ?” **
Un article publié dans la revue Les Cahiers de droit, vol. 42, no 3, septembre 2001, pp. 873-882.
- Introduction [682]
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- 1. Le pluralisme en théories [683]
- 2. Le pluralisme en pratiques à Kahnawake [687]
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- 2.1. La communauté mohawk de Kahnawake [687]
2.2. Les méthodes employées [690]
- 2.2.1. L'interprétation classique du droit positif [691]
- 2.2.2. L'observation du fonctionnement des institutions [691]
- 2.2.3. Les entrevues auprès des groupes [692]
- 2.3. Les pratiques juridiques à Kahnawake [694]
- 2.3.1. Le conseil de bande et le droit étatique canadien [694]
- 2.3.2. Les longhouses traditionnels et leurs pratiques normatives [697]
- 2.3.3.1. Trois longhouses traditionnels [697]
- 2.3.3.2. Trois ordres juridiques ? [700]
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- 3. Un pluralisme complexe et évolutif [705]
- Conclusion [707]
- Annexe. Échantillons [710]
Introduction
L'observation et l'analyse des institutions, canadienne et traditionnelles, à Kahnawake révèle que, sur le plan formel, on se trouve en face de multiples sources de normativité, étatiques et non étatiques, qui forment un pluralisme très complexe et évolutif. Au cours des dernières années, ce pluralisme juridique réel a diminué d'intensité, notamment à travers le transfert de légitimité et d'effectivité normative entre les différents ordres juridiques en cause, tout en maintenant intactes les apparences formelles d'un pluralisme à la fois intra- et extra-étatique. La domination d'un ordre juridique sur d'autres, sinon l'effectivité et même la survivance d'un ordre juridique donné, dépendraient de trois facteurs : les ressources financières, la crédibilité externe et la légitimité interne. On constate également des ressemblances entre le droit autochtone et le nôtre. Il y a similitude entre les wampums et nos lois constitutionnelles canadiennes, également imprécis, suscitant les mêmes mécanismes d'interprétation, et le même rôle, pour l'interprète, dans la production du droit. On note aussi la similitude des limites normatives, liées à une légitimité fondée sur la correspondance entre les valeurs que les producteurs du droit y inscrivent et les valeurs dominantes dans une collectivité.
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The observation and analysis of Canadian and traditional institutions at Kahnawake have demonstrated that from a formal standpoint, the observer is faced with multiple sources of governmental and non-governmental normativity, which constitute a highly complex and evolutionary pluralism. In recent years, this legal pluralism has lost some of its intensity, namely through the transfer of legitimacy and normative effectivity between the various levels of legal orders involved, while still keeping intact the formal appearances ofa pluralism both intra and extra state oriented. The dominance of one légal order over the others, not to mention the effectiveness and even the survival of a given legal order, seem to depend upon three factors : financial resources, external credibility and internal legitimacy. Resemblances between native legal Systems and our own are to be noted. The similarity between the wampums and our Canadian constitutional acts both lacking in precision call upon the same techniques of interpretation, and the same role for the interpreter, in the production of norms. There is also a similarity of normative limits linked to legitimacy based upon the correspondence between the values that legal interpreters write into law and the dominant values in the community.
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Depuis 1991, des recherches sur la conception mohawk des droits ancestraux, ralenties par la participation de certains d'entre nous aux travaux de la commission Dussault-Erasmus, nous ont amenés régulièrement à Kahnawake. Nous prévoyions au départ que cette conception ne serait pas univoque, et qu'elle risquait de varier non pas tant selon les opinions individuelles que selon le rattachement des membres de la communauté au conseil de bande ou au longhouses *, ce « gouvernement » traditionnel que l'on retrouve dans la plupart des communautés autochtones. Mais dès l'étape préliminaire de nos travaux, nous avons constaté sur le territoire de Kahnawake la présence non pas d'un mais de trois longhouses déployant une activité normative à vocation d'exclusivité : le Nation Office, le Long-house-at-the-Quarry et le Longhouse-at-Mohawks'-Trail.
Il nous est dès lors apparu que nous nous trouvions devant un laboratoire de pluralisme tel que l'on rêve de les inventer, où les liens que nous tissions quotidiennement avec les différents groupes de la communauté allaient nous permettre, dans une recherche parallèle, d'observer de près et d'analyser un cas de pluralisme juridique in vivo. Du moins était-ce là notre hypothèse de départ. Sept ans d'observation et près de mille heures d'entrevues plus tard, notre hypothèse n'est pas infirmée, loin de là... dans un sens. Mais notre concept de pluralisme juridique a évolué et ses contours, élaborés à partir de l'expérience de notre univers juridique, se sont infléchis pour accueillir d'autres formes, issues d'une tradition pourtant moins différente de la nôtre que son oralité aurait pu le laisser présager.
Il convient donc d'exposer d'abord nos choix théoriques de départ en matière de pluralisme (section 1), pour analyser ensuite les pratiques juridiques à Kahnawake (section 2) et y affirmer, le cas échéant, la présence d'un pluralisme qui reste à qualifier (section 3), avant de montrer en conclusion comment cette pratique originale remet en question nos conceptions antérieures du pluralisme.
1. Le pluralisme en théories
Le pluralismepar définition, pourrait-on direse présente sous plusieurs formes : il sera (successivement ?) social, politique, juridique [1]. On en distingue une première forme socialedès que coexistent, dans une [684] même société, des systèmes de valeurs différents portés par des groupes distincts. Dans la tradition occidentale, on qualifie ainsi de pluraliste toute société qui manifeste un accueil tolérant à l'égard de la multiplicité des valeurs impliquée de tout temps par la variété des points de vue et des intérêts portés par les différents groupes qui la composent. En ce sens, et en contexte étatique, ce pluralisme social paraît indissociable du pluralisme politique, matérialisé minimalement par le multipartisme [2]. Mais on peut concevoir une société non étatique, et cela importe particulièrement dans le cas de Kahnawake, qui abrite une diversité de courants représentant des valeurs différentes sans pour autant qu'ils s'incarnent dans de véritables partis. Dans un cas comme dans l'autre, mais par des cheminements différents, on peut, à partir de ce seuil, passer la frontière du pluralisme juridique : la question de savoir où elle se situe et quelles conditions doivent être réunies pour la franchir dépend non seulement des constructions théoriques qui inspirent la démarche mais de la définition du droit que l'on adopte.
Dans notre conception, le pluralisme juridique est tributaire du pluralisme social des valeurs et commence quand un système juridique unifié attribue à un groupe un régime particulier fondé sur les valeurs de ce groupe, ou quand un tel groupe, dès lors semi-autonome [3], se définit un tel régime particulier dans un nouvel ordre juridique distinct du premier. À partir de là, on distingue, pour l'époque contemporaine, deux conceptions du pluralisme, que Jean-Guy Belley a analysées [4]. La première, modérée [5], s'appuie sur la définition positiviste du droit, se bornant à constater l'existence de pouvoirs sociaux distincts de l'État et disposant d'un appareil de coercition souvent plus efficace que le sien, alors que la seconde, radicale [6], remet en cause la définition étatique du droit au nom d'un choix pour une forme pluraliste et décentralisée de la démocratie elle-même.
Dans cette dernière vision des choses, non seulement le pouvoir normatif est vu comme partagé entre l'État et d'autres ordres juridiques parallèles, mais ces ordres normatifs concurrents ne sont pas hiérarchisés, alors [685] que l'État se trouve, pour ainsi dire, décentré et nivelé. Autrement dit, les différents milieux sociaux créeraient leurs propres normes pour modeler le comportement social et leurs propres institutions pour renforcer et appliquer ces normes. Dans une telle conception, il y a peu de distinctions entre les normes juridiques et les autres normes sociales [7]. On aura compris que c'est la définition du droit qui est ici en cause : le droit est alors implicite et inférentiel et inclut « les principes généraux du droit et les présupposés tacites qui gouvernent l'agir des communautés [8] », et ces normesdont l'intensité juridique variable n'a pas d'importanceémanant de divers ordres juridiques se conjuguent, sans hiérarchie prédéterminée, dans Y expérience subjective de l'individu [9].
Dans la mesure où cette expérience subjective est reconstruite comme le droit lui-même et non pas comme un indice de la présence d'ordres juridiques multiples, nous ne suivrons pas cette approche. Pour nous, le droitcertes présent en dehors des cadres étatiques, dont la prééminence ou l’« aplatissement » reste à établir pour chaque cas de figure, dans chaque société déterminéedemeure un phénomène social, collectif. Même si un sujet de droit visé par un ordre juridique peut bien résister à ses règles normatives, il ne revient pas à l'individu de choisir seul les contours et les frontières d'un ordre juridique quelconque. Notre hypothèse de départ sur le pluralisme juridique à Kahnawake dépendait donc, dans la perspective théorique que nous avions adoptée [10], de la présence concomitante de plusieurs ordres juridiquesles autorités fédérales et québécoises, le conseil de bande et les longhousesc'est-à-dire d'institutions dotées d'organe(s) plus ou moins formalisés, différenciés ou non, pour exercerde façon au moins semi-autonome et pas nécessairement dans le cadre étatiqueles rôles d'énonciation, d'interprétation et d'application de normes de comportement social à vocation exclusive à l'égard de l'ensemble de la communauté, rôles auxquels renvoient obliquement, en les intégrant dans un univers plus complexe, les concepts de pré-, de co- et de sur-détermination de l'analyse systémale [11].
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Dans cette optique qui rejoint sur un autre plan celle des chercheurs du Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris I [12], le droit se présente non pas tant comme un ensemble de règles spécifiques, mais il constitue plutôt un processus internormatif de juridicisation, orienté par des facteurs liés aux conditions essentielles à la cohésion et à la perpétuation du groupe en cause [13]. C'est à l'intérieur de cette perspective qu'Etienne LeRoy et Mamadou Wane ont élaboré, en contexte africain, une typologie des systèmes de droit autochtones [14], qui nous a parumalgré la différence géographique et sans doute à cause des traits communs à toutes les situations coloniales particulièrement intéressante pour l'analyse des pratiques pluralistes à Kahnawake.
Cette théorie construit le pluralisme en contexte colonial comme une évolution en quatre phases successives. La première est caractérisée par un régime marqué par le droit traditionnel pratiqué par les populations autochtones avant l'arrivée des Européens et s'inspirant de leur vision propre. Au cours de la deuxième phase, la colonisation introduit d'entrée de jeu un second modèle, où domine le droit coutumier, et dans lequel l'administration coloniale procède à la rédaction des coutumes ou à leur utilisation dans un cadre dès lors étranger, ce qui entraîne une dénaturation du droit traditionnel. Lui succède, à la troisième phase, le droit local, apparaissant avec le développement de l'influence de l'État et de son appareil administratif, et dont les modes de formation et de légitimation sont, pour l'essentiel, déterminés par l'État, alors que ses modes de fonctionnement sont laissés plus ou moins à l'appréciation des autorités locales. Ce droit local, d'inspiration étatique, est caractérisé par la possibilité de réinterprétation des catégories juridiques étrangères à la lumière des conceptions juridiques autochtones. En réaction à ces deux dernières formes de droit [687] imposées par le colonisateur advient la quatrième phase, marquée par le droit populaire, qui se forme en dehors des instances étatiques. Il faut noter qu'il ne s'agit généralement plus vraiment de droit traditionnel, mais plutôt d'une création nouvelle, du moins en partie, où ce droit traditionnel est réinterprété dans un contexte complètement transformé. Le peu que nous savions déjà, au point de départ de nos recherches, des transformations du droit à Kahnawakeoù les ordres juridiques traditionnels que sont les longhouses ne sont réapparus de façon formelle que dans les années 70, après une éclipse durant laquelle les autorités canadiennes ont fait passer la communauté par des phases tout à fait semblables à celles que décrivent LeRoy et Wane nous a amenés à nous rallier à cette perspective. C'est donc cette hypothèse ainsi précisée que nous avons soumise au test de la réalité mohawk variée et évolutive, telle qu'elle se présente à Kahnawake.
2. Le pluralisme en pratiques
à Kahnawake
Avant d'analyser les pratiques juridiques qui se déploient à Kahnawake (2.3), il convient de présenter d'abord cette communauté mohawk (2.1) et les méthodes que nous avons employées pour mener cette analyse (2.2).
- 2.1. La communauté mohawk de Kahnawake
Située en banlieue proche de Montréal [15], Kahnawake regroupe une population estimée entre 6 000 et 7 000 habitants [16], répartis sur un territoire d'environ dix kilomètres carrés, érigé en « réserve » dès le xixe siècle [17] et officiellement dirigé, aux yeux du droit positif canadien, par un conseil de bande qui administre un budget atteignant 32 millions de dollars pour l'exercice financier 1997-1998 [18].
Comme on peut le constater facilement, il s'agit aujourd'hui d'un milieu très urbanisé, ce qu'explicitent d'ailleurs les données publiées dans un rapport du Centre hospitalier de Kahnawake dont nous avons pu prendre [688] connaissance [19]. Dotée de sa propre police (Peace Keepers), d'une cour municipale, d'un centre local de services communautaires (CLSC), d'un centre de services sociaux et d'un centre hospitalier, d'une commission scolaire, d'une église catholique et d'une congrégation protestante, la communauté, majoritairement anglophone, dispose également d'équipements culturels tels les locaux du conseil de bande qui servent, selon les besoins, de salles de cinéma, de concert ou d'exposition, ainsi qu'une radio et un journal communautaires, concurrencés par The Gazette, CFCF et la télévision américaine [20], de même que de plusieurs clubs sociaux (Rotary, Moose, Légion canadienne) et sportifs (curling, crosse, hockey sur glace, canot, kayak). Dépourvue de transports en commun locaux, la population est très fortement motorisée [21], et les lieux de consommation y sont nombreux : douze dépanneurs, sept épiceries, et vingt et une tabagies.
À côté de ces traits caractéristiques des sociétés urbanisées, appréciées ou non selon les points de vue, mais dont on ne saurait nier qu'ils modifient les modes de vie autochtone traditionnels selon une logique qui ne paraît pas être la leur, Kahnawake souffre, toujours selon le rapport du Centre hospitalier, de problèmes sociaux dont la commission Dussault-Erasmus a documenté la présence dans la plupart des réserves [22]. La communauté affiche en effet des taux élevés d'alcoolisme, de polytoxicomanie, de maternités adolescentes et d'infractions (routières, familiales, sexuelles et économiques), contextuées par les inévitables facteurs lourds d'analphabétisme et de dépendance économique. Selon les sources internes que nous avons pu consulter, tel serait donc l'état actuel de la communauté.
Inutile de dire qu'il n'en a pas toujours été ainsi.
Le territoire actuel de Kahnawake, situé sur des terres où chassaient sporadiquement les tribus iroquoises nomades depuis les temps immémoriaux, faisait partie, sous le Régime français, de la Seigneurerie du Sault-Saint-Louis, concédée en 1680 aux jésuites par le roi au bénéfice des [689] Iroquois d'abord établis à La Prairie [23]. Ces derniers n'avaient pas pour autant cédé leurs droits, ni ne s'étaient-ils soumis aux puissances étrangères, comme en témoigne un mémorandum français sur les missions iroquoises, cité (en traduction) par Jaenen [24], et confirmé en 1748 par acte notarié signé devant témoins par les Six Nations et La Galissonière [25]. Regroupées sous l'autorité de la Confédération et de leurs longhouses respectifs, les Iroquois des Six Nations, dont les Mohawks de Kahnawake, possédaient donc leur organisation politique propre bien avant l'établissement de la réserve par les autorités fédérales à la fin du xixe siècle [26].
Ces institutions politiques autochtones traditionnelles ont-elles survécu de façon souterraine depuis la création de la réserve et l'instauration du premier conseil de bande ? Ont-elles maintenu des activités dont l'intensité aurait varié dans le temps ? Sont-elles au contraire disparues, temporairement, à différentes étapes, ou pour toute la période ? Nous n'en savons rien, et la réponse dépasse l'envergure de notre recherche, pour ne rien dire de nos compétences...
Mais il n'est pas étonnant, étant donné la lecture que peuvent faire des Autochtones traditionalistes de la situation actuelle de Kahnawake que, à la suite des enseignements de Louis Hall [27] et dans la foulée des événements de Wounded Knee [28] aux États-Unis, un premier longhouse ait (re ?)fait surface officiellement en 1973. Il s'agissait du Nation Office, érigé en contre-pouvoir [690] à l'égard du conseil de bande et qui, avant de (re ?)disparaîtretemporairementen 1994, semble avoir compté plus de soixante-dix membres actifs et environ cinq cents sympathisants en 1990, alors qu'il avait presque réussi à hégémoniser l'ensemble de la communauté. S'en sont séparés, d'abord en 1976, le Longhouse-at-the-Quarrydont l'influence, à cause de son radicalisme, est plus visible que le nombre de ses membres ne le laisserait présagerayant regroupé autour de son chef charismatique Mihao une trentaine de membres et une quinzaine de sympathisants, puis, en 1991, le Longhouse-at-Mohawks’-Trail, entraînant sous l'égide du chef Me Comber un petit nombre de sympathisants, grossi depuis jusqu'à une vingtaine de membres [29].
S'agit-il là d'ordres juridiques ? Sommes-nous en face d'un pluralisme complexe, à la fois intra- et extra-étatique, où compteraient l'ordre juridique canadien et ses composantes, dont le conseil de bande, et les divers longhouses, chacun constituant un ordre juridique à part entière ? N'y a-t-il au contraire que deux ordres juridiques, l'un blanc et l'autre autochtone ? Ou même un seul, canadien et étatique, infirmant alors notre hypothèse pluraliste pour confirmer le positivisme officiel ? C'est à cette question que notre recherche veut répondre, en vérifiant l'hypothèse que nous avons posée en première partie, par des méthodes qu'il reste maintenant à décrire brièvement.
- 2.2. Les méthodes employées
Le choix des méthodes nous était dicté certes par notre cadre théorique, mais plus encore par l'objet concret et le contexte de notre recherche. Il s'agissait d'abord de vérifier une hypothèse pluraliste, à valider par la présence éventuelle dans Kahnawake d'ordres juridiques distincts et parallèles, bref d'institutions suffisamment formelles pour être repérées par les intéressés à l'intérieur de la communauté, et qui assumeraient les trois rôlesénonciation, interprétation et applicationd'une normativité à vocation exclusive à l'égard de ses membres vivant sur le territoire. Il s'agissait en second lieu de procéder à cette vérification dans une communauté de tradition orale, également régie de l'extérieur par un État dont le droit positif est formalisé.
[691]
Nous avons donc choisi, si c'est de cela qu'il s'agit, trois méthodes : interprétation classique du droit positif, observation du fonctionnement des institutions autochtones et entrevues auprès des groupes.
- 2.2.1. L'interprétation classique du droit positif
La première de ces méthodes visait à cerner le droit positif canadien de toutes sources, applicable aux habitants et au territoire de Kahnawake, et plus particulièrement au fonctionnement du conseil de bande. Elle consiste dans l'interprétation des textes pertinents, selon l'approche classique du genre, dont Pierre-André Côté a trop bien décrit les limites et les lacunes dans son traité [30] pour qu'elle demande des explications supplémentaires dans le cadre d'une revue juridique, sauf à dire que l'auteure de ces lignes [31] est parfaitement consciente du caractère construit des interprétations qui en résultent...
Il n'en va pas de même des deux autres méthodesobservation et entrevues empruntées aux sciences sociales et avec lesquelles les juristes sont moins familiarisés en ce qui concerne leurs aspects techniques.
- 2.2.2. L'observation du fonctionnement des institutions
Pour les institutions autochtones dont nous voulions vérifier si elles constituaient des ordres juridiques au sens de la sociologie institutionnaliste du droit, dont nous avions fait l'option théorique, l'observation de leur fonctionnement constituait une méthode privilégiée, compte tenu en particulier de la fréquentation régulière de Kahnawake par notre équipe de recherche dans le cadre d'un autre projet portant sur les droits ancestraux. Il ne s'agit pas d'observation participante au sens strict que lui donnent les anthropologues, mais de l'observation directe propre à l'anthropologie juridique, et dont Vanderlinden décrit les exigences : immersion prolongée dans la société étudiée, maîtrise parfaite [?] de ses modes d'expression et familiarisation que seule peut conférer la durée [32].
Aux pièges que ne manque pas de souligner par ailleurs cet auteur : transcription culturelle du sens et qualification juridique des interprétations des gestes observés, il faut ajouter, croyons-nous, les modifications introduites dans le comportement des observés par le seul fait de l'observation, compte tenu en particulier de l'identité des observateurs telle qu'elle est perçue par les observés.
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Dans notre cas, nos modalités d'accès aux quatre groupes concernés n'étaient pas les mêmes : les contacts d'Andrée Lajoie avec le chef du conseil de bande étaient antérieurs au projet, datant d'une conférence sur les revendications constitutionnelles autochtones à l'Université Queen's en 1990, alors que c'est par l'entremise de Cynthia Chataway, alors étudiante de troisième cycle à l'Université Harvard menant des recherches dans la communauté et maintenant professeure à l'Université York, que nous avons pu, l'année suivante, rencontrer les chefs des longhouses traditionnels. Nos subventions et la participation de l'équipe aux travaux de la commission Dussault-Erasmus étaient connues, et acceptées, de tous les groupes. La participation de Martha Montour, avocate mohawk résidant à Kahnawake, à l'équipe, dans le cadre de notre projet sur les droits ancestraux, de même que l'affectation antérieure, en 1980, de Henry Quillinan, comme agent de liaison entre la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) et les Mohawks sur les chantiers de construction, « coloraient » également notre identité.
Tous ces facteurs ont pu susciter dans la communauté une certaine autocensure, dont nous ne connaîtrons jamais l'orientation ni l'ampleur, et ils ont sans doute joué aussi bien dans le comportement des observés que dans celui des répondants aux entrevues, auxquelles « les difficultés inhérentes à cette méthode [d'observation] imposent toutefois, le plus souvent de recourir [33] ». Mais il s'agit de difficultés qui ne sauraient décourager que des chercheurs prétendant à la « neutralité scientifique », dont le constructivisme a montré le caractère illusoire [34]. Nous préférons assumer les limites inhérentes à nos méthodes, en les indiquant à nos lecteurs, dès lors conscients comme nous de la portée de nos résultats, circonscrite également par le cadre des entrevues effectuées.
- 2.2.3. Les entrevues auprès des groupes
Dans le contexte d'une société de tradition orale où l'écrit joue en principe un rôle mineur, les entrevues constituent un instrument de recherche [693] complémentaire à l'observation directe et visent, comme cette dernière, à nous permettre de comprendre le fonctionnement des groupes reconnus à l'intérieur de la population comme susceptibles de constituer des ordres juridiques au sens où nous les avons définis à partir des critères de la sociologie institutionnaliste du droit.
Il ne s'agissait pas de cerner les perceptions de la population à l'égard des centres de pouvoir dans la communauté ni, par conséquent, d'effectuer un sondage auprès d'un échantillon qui en soit représentatif. Nous visions à rejoindre, à l'intérieur du conseil de bande et de longhouses traditionnels préalablement identifiés, des personnes capables de nous renseigner sur le fonctionnement de ces organismes et plus précisément sur leurs fonctions et organe(s) d'énonciation, d'interprétation et d'application d'un corpus normatif à vocation exclusive. Nous nous sommes donc adressés aux chefs de ces institutions pour qu'ils nous indiquent les membres de leurs groupes en mesure de nous transmettre ces informations. Grâce à leur collaboration, nous avons ainsi interviewé un premier groupe de répondants, comptant 76 membres d'éventuels ordres juridiques à partir des listes fournies par les chefs du conseil de bande (20) et des trois longhouses (Nation Office (20) ; Longhouse-at-the-Quarry (20) ; et Longhouse-at-Mohawks'-Trail (16)) [35].
Un second groupe d'interviewés comprenait 30 résidants de Kahnawake « non alignés », choisis dans la population générale à partir d'un prétest de 150 personnes, selon deux critères : la non-appartenance à l'une ou l'autre des entités à l'étude et l'indifférence à cet égard, et une répartition égale selon le sexe et l'âge [36]. Il s'agissait dans ce second cas d'un groupe d'informateurs capables d'apprécier de l'extérieur l'évolution des forces relatives des différents groupes pendant la durée de l'enquête au cours de la période 1992-1998 et l'effectivité respective des corpus normatifs en concurrence dans Kahnawake.
Les entrevues, semi-structurées [37], portaient pour tous sur l'adhésion au corpus de la Grande Loi de la paix [38], fondement normatif des ordres [694] traditionnels, sur la survivance de ces normes à l'intrusion de la société et du droit colonial, sur leur incarnation passée ou actuelle dans un groupe traditionnel ou un ordre juridique spécifique, sur l'effectivité actuelle respective de la Grande Loi de la paix et du droit canadien dans les divers aspects de la vie individuelle et collective des interviewés : bref, sur renonciation, l'interprétation et l'application de corpus éventuellement concurrents de normes à vocation exclusive adressées à la communauté dans son ensemble. Elles ont été administrées par Henry Quillinan pour le conseil de bande et les longhouses et, pour les non-alignés, sous le sceau de la confidentialité, par des personnes connues de l'équipe comme non-alignées [39] en trois étapes : soit en 1993, en 1995 et en 1997, de manière à tenir compte de l'évolution des groupes et de leurs rapports de forces entre eux et des processus, non moins évolutifs, de juridicisation des normes et des institutions qui les portent.
- 2.3. Les pratiques juridiques à Kahnawake
C'est donc dans cette optique pluraliste, ainsi précisée, et avec ces méthodes, juridiques et sociologiques, choisies en fonction du contexte social et culturel de Kahnawake, que nous abordons l'analyse de la production normative qui s'y déploie, aussi bien dans l'ordre étatique, dont la présence est surtout matérialisée par le conseil de bande, que dans le cadre des longhouses traditionnels, dont il s'agit justement de vérifier s'ils constituent des ordres juridiques et entraînent, conséquemment, la présence d'un éventuel pluralisme, qui resterait alors à qualifier.
- 2.3.1. Le conseil de bande et le droit étatique canadien
Un juriste normalement constitué, pour ne pas dire un positiviste, ne reconnaîtrait comme droit applicable à Kahnawake que le droit étatique canadien, dont la production du conseil de bande est la trace la plus visible. D'ailleurs, pour autant, même à partir d'une approche pluraliste, il s'agit là d'un ordre juridique à ne pas négliger dans la cartographie de la normativité juridique locale. En fait, le conseil n'est que la pointe de l'iceberg des institutions étatiques canadiennes, dont le droit s'énonce comme applicable, dans son ensemble et sauf exception, au territoire de Kahnawake.
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Pour y voir plus clair, il faut commencer, comme toujours ici, par le partage constitutionnel des compétences, qui attribue à l'État fédéral celles qui concernent « les Indiens et les terres réservées aux Indiens », selon l'expression en cours au xixe siècle [40], sans exclure pour autant l'application [41] des lois provinciales de portée générale, à la fois en vertu des principes généraux du droit constitutionnel [42] et de leur confirmation par incorporation dans la législation fédérale elle-même [43]. En foi de quoi, le Parlement fédéral a légiféré très tôt après la Confédération, pour adopter d'abord en 1886 une loi générale concernant les Indiens, qui prévoit le régime juridique des « bandes » et les pouvoirs de leurs conseils [44], suivie d'arrêtés-en-conseil pour créer les réserves individuelles.
C'est donc en vertu d'un tel arrêté-en-conseil adopté trois ans plus tard qu'a été créée la « réserve » de Caughnawaga (comme elle se nommait alors) [45]. Son conseil, restructuré plus tard par décret pris en vertu de la Loi concernant les Indiens, dispose des pouvoirs réglementaires délégués à l'ensemble des conseils de bande [46]. Les règlements pris sur ces matières en vertu de ces pouvoirs délégués par le droit canadien positif, le conseil les interprète en les appliquantcomme d'ailleurs d'autres normes fédérales notamment contenues dans la Loi sur les Indienset sanctionne même leur respect par le truchement d'une cour locale [47] et de son corps de police propre, les Peace Keepers [48]. C'est dire que le Conseil constitue, sur le [696] territoire de la « réserve » de Kahnawake, un ordre juridique subalterne de l'État canadien, qui énonce, interprète et applique des normes locales et autres, exerçant ainsi des pouvoirs réglementaires délégués au sein de la pyramide positiviste classique, sous l'autorité supérieure et prépondérante de la législation fédérale [49]. Ces pouvoirs s'exercent parallèlement à la législation québécoise [50], sous l'autorité suprême de la grundnorm constitutionnelle et par conséquent dans le respect des droits ancestraux constitutionnalisés [51], tels qu'ils sont éventuellement définis par les tribunaux canadiens.
On aura reconnu là le droit du troisième type selon la classification de LeRoy et Wane [52], ce « droit local », issu du développement de l'État et de son appareil administratif, qui en détermine les modes de formation, alors que ses modes de fonctionnement sont réservés aux autorités locales. Caractérisé par la possibilité de réinterprétation du droit étranger à la lumière des conceptions autochtones, il constitue un renversement par rapport à la période antérieure, où le droit iroquois pré-colonial, dont l'existence a été établie [53], a été codifié sous l'impulsion du colonisateur en plusieurs versions entre la fin du xixe et le début du XXe siècle [54].
C'est dire qu'au terme d'une évolution où l'on distingue les trois premières étapes du schéma conçu par LeRoy et Wane, on constate la présence à Kahnawake non seulement d'un ordre juridique local d'origine étatique mais, plus globalement, de l'ordre juridique canadien. En ce sens, il y a là pluralisme à double titre. D'abord à travers le fédéralisme canadien, qui constitue déjà en lui-même une certaine formetrès modéréede pluralisme. Ensuite à travers cette autre forme de pluralismenon moins mouque constitue la dévolution de pouvoirs au conseil de bande, auquel l'État canadien unifié attribue un régime particulier fondé sur les valeurs du groupe qu'il représente. Mais, prises isolément, ces formes-là de pluralisme n'auraient pas suffi à confirmer notre hypothèse. Il s'agit en effet, dans les deux cas, de sa variété intra-étatique la plus bénigne, d'une sorte de récupération du contrôle des forces porteuses de valeurs non dominantes, [697] visant à garantir l'unité de l'État canadien sinon sa cohésion et à conjurer l'émergence d'un pluralisme plus radical, extra-étatique.
La tentative est-elle réussie ou bien sommes-nous maintenant témoins de l'émergence précisément de ce « droit populaire » du quatrième type décrit par LeRoy et Wane, qui débouche justement sur le pluralisme extraétatique ? La réponse ne va pas de soi, surtout compte tenu du fait que même nos répondants désignés par le conseil de bande pour nous renseigner n'ont jamais été unanimes à prétendre se gouverner uniquement à partir du droit canadien [55]... Mais pour la circonscrire un peu mieux, il faut d'abord examiner avec beaucoup d'attention les pratiques normatives des longhouses traditionnels.
- 2.3.2. Les longhouses traditionnels
et leurs pratiques normatives
Il y a donc trois longhouses traditionnels à Kahnawake (2.3.2.1), que traversent plusieurs traits communs, mais qui divergent entre eux, et surtout dans le temps. Tous ces éléments doivent être considérés, en plus de ceux auxquels on se réfère normalement, pour déterminer s'ils constituent par ailleurs trois véritables ordres juridiques (2.3.2.2).
- 2.3.2.1. Trois longhouses traditionnels
Nous avons présenté brièvement plus haut trois longhouses sur lesquels il convient de revenir pour vérifier si leur fonctionnement implique renonciation, l'interprétation et l'application d'un corpus normatif. Nous puisons nos informations dans les résultats de notre observation et dans les réponses à nos entrevues, de même que dans les versions respectives de h Grande Loi de la paix que chacun d'entre eux nous a indiquée comme référence [56].
[698]
Nation Office
Selon ses membres interrogés en 1993, le Nation Office adopte alors, sous l'autorité de la Grande Loi de la paix qui lui sert de constitution [57], des normes qu'il énonce et applique ; son activité interprétative s'étend même à sa constitution.
Apparu en premier sur la scène politique et normative traditionnelle contemporaine de Kahnawake, ce longhouse prend au départ une position très nette sur l'exclusivité normative de la Grande Loi de la paix et des organes que ce texte à vocation constitutionnelle institue, à laquelle tous les répondants adhèrent en 1993. En effet, même s'ils n'ont pas tous une foi inébranlable dans le mythe fondateur du Peacemaker et de la mission civilisatrice mohawk [58], ils affirment tous qu'elle contient des normes politiques, sociales et religieuses contraignantes depuis les temps immémoriaux à l'égard des Mohawks, notamment sur l'organisation des clans au sein desquels les femmes jouent un rôle déterminant, surtout par la nomination des membres des grands conseils du temps de paix et du temps de guerre, organismes chargés de l'édiction et de l'application de normes faites de droits et d'obligations corrélatives en rapport avec l'appartenance de l'individu à la nation mohawk [59]. Ils sont également unanimes à maintenir que ces normes et ces organes de gouvernement ont survécu à la colonisation et [699] s'incarnent aujourd'hui dans le Nation Office. Tous ceux qui ont une opinion sur le sujet (et ils sont dix-sept sur vingt à l'énoncer) affirment se gouverner alors de façon générale selon les principes de la Grande Loi de la paix, que ce soit en matière de relations privées entre les membres de leur famille ou entre les membres de la communauté aussi bien qu'en ce qui concerne les relations entre les organes internes du gouvernement traditionnel ou les relations avec les organes administratifs canadiens.
À partir de 1995, et plus encore en 1997 dans la foulée des suites, particulièrement pénibles pour ce groupe, de la crise d'Oka, cette belle unanimité va s'effriter. Moins nombreux encore à croire au mythe fondateur, les répondants liés au Nation Office, qui continuent cependant tous à affirmer la survie des vieilles règles de la société mohawk, ne seront plus qu'une mince majorité à maintenir celle de ses organes de gouvernement (onze sur vingt), alors qu'un nombre plus élevé (treize sur vingt) admettent se gouverner selon un mélange de préceptes de la Grande Loi de la paix et de droit canadien. S'agissant par ailleurs de leur interprétation des nonnes, ils tiennent que les organes institués par la Grande Loi de la paix sont compétents non seulement pour interpréter leur propre production normative mais la Grande Loi elle-même [60] : ainsi, le mythe fondateur est atténué, de même que l'importance de la Confédération, qui compte six nations. La modernité est partiellement acceptée, principalement en ce qui concerne les sciences et la médecine. La Grande Loi est par ailleurs construite comme attribuant aux Mohawks l'autorité sur les territoires situés au sud du Québec dans l'État de New York, dont la frontière n'est pas reconnue, et comme légitimant la violence comme toutes les ruses contre l'ennemi. Quant à l'application des normes, ce sont les mêmes organes qui s'en chargent, la réparation et, dans les cas plus graves, l'exclusion constituant l'arsenal des sanctions.
Longhouse-at-the-Quarry
Ce longhouse est beaucoup plus monolithique que le Nation Office et les réponses de ses membres à nos questions sont toutes unanimes et ne varient pas d'une année à l'autre. En effet, sur beaucoup de points, leurs positions, constantes, sont restées celles du Nation Office en 1993, notamment sur la survie des règles et des organes de gouvernement mohawk, cependant incarnées pour eux, bien sûr, dans le Longhouse-at-the-Quarry. Ils sont par ailleurs unanimes à dire se gouverner selon un mélange de droit [700] canadien et de préceptes de la Grande Loi de la paix, malgré une interprétation de cette dernière qui laisserait présager le contraire.
En effet, cette interprétation [61] valide le mythe fondateur avec lequel elle coïncide dans ses éléments les plus messianiques où l'image du créateur est puissante, les Mohawks investis d'une mission civilisatrice où la modernité est complètement rejetée, alors que la Confédération, qui comprenait cinq nations, n'existe plus et que les revendications territoriales s'étendent jusqu'en Floride. Mais la Grande Loi ne justifie pas la violence ni l'intervention dans les affaires canadiennes. Les normes sont appliquées par les grands conseils prévus dans la Grande Loi et au moyen des sanctions traditionnelles : réparation et exclusion.
Longhouse-at-Mohawks’-Trail
Aussi monolithique que le précédent, aussi constant dans ses positions, d'ailleurs identiques à presque tous les égards, ce longhouse ne s'en distingue que par une plus grande adhésion au mythe fondateur, une interprétation encore plus pacifiste de la Grande Loi et des revendications territoriales limitées à l'occupation historique iroquoise.
- 2.3.2.2. Trois ordres juridiques ?
Ces longhouses dont nous venons de décrire l'activité normative constituent-ils de véritables ordres juridiques, distincts les uns des autres ? La question ne reçoit pas tout à fait la même réponse suivant le moment que l'on choisit pour la donner.
Au début des années 90
Au moment où commencent notre observation et notre enquête, les trois longhouses constituent des ordres juridiques distincts et complets même si deux d'entre eux peuvent être considérés comme embryonnaires. Les trois exercent en effet des activités normatives complètes, énonçant, interprétant et appliquant, à travers les grands conseils du temps de paix et du temps de guerre institués par la Grande Loi de la paix, des normes de portée exclusive adressées à l'ensemble de la communauté. Il faut cependant, dès cette époque, souligner certaines particularités de ces activités normatives, rattachées plus particulièrement à la fonction d'interprétation et à l'effectivité des normes en cause.
[701]
La fonction interprétative : Si l'on tient pour acquis au départ que les ordres juridiques auxquels nous avons affaire ne sont pas institutionnellement différenciés à l'interne et que leurs trois fonctions normativesénonciation, interprétation et applicationsont assumées, pour chacun, par un seul organe, suivant la conjoncture : le grand conseil du temps de paix ou le grand conseil du temps de guerre, il n'y a pas lieu de s'étonner que les fonctions d'interprétation et d'énonciation soient exercées par les mêmes personnes. Cela n'entraîne d'ailleurs pas de conséquences pour ces fonctions tant qu'il s'agit de l'interprétation des règles adoptées par ces conseils eux-mêmes.
Mais les fonctions interprétatives des longhouses ne se limitent pas à l'interprétation de leur propre normativité respective : elles s'étendent à celle de leur constitution commune, la Grande Loi de la paix. Ces interprétations auxquelles nous nous sommes référés divergent de façon importante et font partie des différences qui permettent de distinguer entre eux les trois ordres juridiques que constituent le Nation Office, le Longhouse-at-the-Quarry et le Longhouse-at-Mohawks’-Trail.
Encore ici, il n'y a rien pour étonner un juriste familiarisé avec l'interprétation que peuvent donner de leur constitution commune, par exemple en matière de partage des compétences, les tribunaux de différents ordres juridiques d'un État fédéral : on se trouve là devant un cas de dialogisme courant dans toute communauté qui abrite un pluralisme social. Mais dans le cas de Kahnawake, les interprétations différentes, par chacun des longhouses, de la Grande Loi de la paix, semblent au premier abord en constituer en même temps renonciation.
L'impression est due à la tradition orale qui caractérise la société mohawk, où cette Grande Loi a été consignée au départ sur des wampums [62]. Il s'agit de pictogrammes qui servent à conserver les dispositions du droit et des traités et ne se lisent pas comme un livre : ce sont plutôt des aide-mémoire dont les symboles permettent de se rappeler les engagements dont ils symbolisent le caractère sacré. Dans ces circonstances, l'activité interprétative qui consistepour un longhouse appartenant à la société mohawk, dont la tradition est encore orale, mais inscrite dans la transition que lui impose l'immersion dans la société canadienne contemporaineà adopter et même parfois à transcrire sa version de la Grande Loi de la paix dans un texte ne constitue-t-elle pas, par ailleurs, une énonciation des normes qui s'y trouvent ? Y a-t-il ici non seulement exercice de la fonction [702] interprétative de cet instrument constitutionnel par un organe auquel il s'applique et qu'il a créé, mais (con)fusion des fonctions elles-mêmes ?
Contrairement aux normes internes adoptées par chacun des long-houses, celles que contient la Grande Loi de la paix sont en effet tenues pour avoir été édictées par le Peacemaker, sous l'égide du Créateur, le Grand Esprit. Mais est-ce que, dans les faits, ce ne sont pas les conseils des longhouses qui les édictent, à travers leurs choix d'une version écrite du document et leur activité interprétative orale, en énonçant ce qui n'était jusque-là qu'évoqué ? C'est Stanley Fish [63] qui serait content de voir ses théories confirmées dans une société traditionnelle ! Sans aller jusqu'à nier à l'interprète du droit toute contrainte résultant du texteici du support symbolique de la norme, on peut faire un parallèle avec nos propres interprétations constitutionnelles : au fond, les pictogrammes des wampums sont-ils beaucoup moins contraignants que certaines expressions, pourtant écrites, de la Constitution canadienne, telles que « liberté d'expression », « société libre et démocratique » ou même, et avec plus d'à-propos encore, « droits ancestraux » ?... D'ailleurs, même si l'on devait conclure ici, à tort croyons-nous, à la fusion des fonctions d'énonciation et d'interprétation et à renonciation multiple, par les longhouses, de différentes « grandes lois de la paix », cela ne ferait que renforcer leur caractère d'ordre juridique.
Il nous semble qu'il n'en va pas de même des difficultés que soulève l'effectivité [64] relative des normes que ces longhouses produisent. Car, même s'ils les vouent à l'exclusivité et les destinent à la communauté tout entière, l'adhésion et le respect dont les normes sont l'objet varient selon les groupes considérés. C'est une question à laquelle il vaut la peine de s'arrêter.
L'effectivité : Pour la période que nous considérons maintenant, et qui va de la fin des années 80 à 1994, le Nation Office entraîne dans son sillage une partie significative de la population de Kahnawake, qu'il va presque réussir à hégémoniser au moment de la crise d'Oka en 1990. Ses membres ne se gouvernent que selon la Grande Loi de la paix, il attribue à ses normes une vocation d'exclusivité, les adresse à l'ensemble de la communauté et dispose d'une légitimité suffisante pour presque complètement supplanter l'autorité étatique exercée par le conseil de bande. Une importante minorité [703] de nos répondants non alignés disent en effet à cette époque se soumettre en tout ou en partie à la normativité traditionnelle découlant de la Grande Loi, et certains d'entre eux vont même jusqu'à dire que les anciens organes du gouvernement mohawk s'incarnent alors dans le Nation Office.
Il n'en va cependant pas de même pour les deux autres longhouses, dont les membres et les sympathisants n'ont jamais dépassé quelques dizaines, et auxquels les non-alignés ne reconnaissent pas le caractère d'organes dépositaires des anciennes règles. De l'intérieur, pourtant, ces longhouses se donnent une mission qui englobe la communauté tout entière, maintiennent la vocation exclusive de leur normativité et, même lorsqu'ils admettent se soumettre aussi en partie à la loi canadienne, ils sont unanimes à souligner que ce n'est pas par choix mais par obligation et par réalisme. Techniquement, et vus de l'intérieur, ce sont donc des ordres juridiques complets ; mais la perception externe ne leur reconnaît pas aussi spontanément ce statut qu'à l'époque elle était prête à le faire pour le Nation Office. La force respective des ordres juridiques en présence à Kahnawakecomme sans doute ailleurstient donc en quelque sorte à leur succès et à l'effectivité de leur normativité, bref à leur légitimité. C'est donc en s'attachant à l'analyse de ces facteurs que l'on peut également circonscrire leur place respective et celle de l'ordre juridique étatique dans l'ensemble du tableau et voir si l'on est en face d'un pluralisme intra- ou extraétatique. La seconde période qui s'amorce en 1994 va conforter encore davantage cette constatation.
À partir de 1994
Cette question d'effectivité de la normativité et de légitimité des ordres juridiques est au cœur de l'évolution qui s'amorce à partir de 1994. Le Longhouse-at-the-Quarry et le Longhouse-at-Mohawks'-Trail vont alors conserver leur membership sans l'augmenter et maintenir leurs positions antérieures en ce qui concerne le mythe fondateur, la survie des règles et des organes de gouvernement mohawk et leur incarnation dans leur longhouse respectif, le respect volontaire des préceptes de la Grande Loi de la paix et la soumission par obligation au droit canadien dans toutes les sphères de la vie privée et publique. Mais le Nation Office amorce au contraire une évolution qui mérite commentaire. À partir de 1994 en effet, on constate que même si, au Nation Office, on continue d'affirmer la survie des anciennes règles mohawks, il n'y a plus qu'une faible majorité pour affirmer aussi la survivance des organes du gouvernement mohawk et leur incarnation dans le Nation Office, et une faible minorité seulement qui dise se gouverner uniquement à partir de la Grande Loi de la paix, même si la soumission à la loi canadienne continue d'être subie comme une obligation. Parallèlement, [704] alors que les autres longhouses restent stables pour ne pas dire figés, c'est l'ordre juridique étatique local, le conseil de bande, qui évolue, en sens symétriquement inverse au trajet emprunté par le Nation Office. Les répondants du conseil de bande, qui, jusque-là, adhéraient faiblement au mythe fondateur, niaient à l'unanimité la survie des règles et des organes traditionnels de gouvernement mohawk et disaient majoritairement se conduire mais eux aussi par obligation selon le droit canadien en toutes circonstances, se rapprochent en effet à partir de 1994 des positions traditionalistes.
Certes, ils n'adhèrent pas davantage, et peut-être même moins, au mythe fondateur, mais une faible minorité d'entre eux (trois et quatre sur vingt respectivement en 1995 et en 1997), estiment que les anciennes règles mohawks ont survécu au colonialisme, même si elles ne s'incarnent dans aucun longhouse. Plus encore, ils sont majoritaires (quinze sur vingt) en 1995, et unanimes en 1997 à admettre se gouverner à la fois selon le droit canadien, qu'ils subissent par obligation, et les préceptes de la Grande Loi de la paix...
Que s'est-il passé ? Sur le plan politique, la crise d'Oka a fortement secoué le Nation Office qui, ayant enclenché un processus qu'il n'a pas pu contrôler à la satisfaction de la communauté, s'est d'abord radicalisé, puis scindé après la mort de Louis Hall, son chef historique, autour de luttes idéologiques sur l'interprétation de sa doctrine. La perte de plusieurs membres et sympathisants, découragés par l'échec d'Oka, et des revenus qu'ils engendraient, a même amené la fermeture des locaux pendant plus d'un an. Parallèlement le conseil de bande, en perte de vitesse au départ, a reconstruit son pouvoir en gérant la sortie de crise de manière à rétablir sa crédibilité externe et sa légitimité interne. Sur le plan externe, il a réussi à donner confiance aux autorités étatiques qui attendaient, et ont obtenu, de lui qu'il ait suffisamment d'emprise sur la « réserve » pour y faire appliquer ses décisions. Sur le plan interne, il a ouvert les tribunes publiques (journal et radio communautaires) même aux membres les plus radicaux des longhouses et, surtout, intégré à son propre discours les thèmes traditionalistes, comme le montrent les résultats de notre enquête.
Ce processus de rapprochement entre l'élément local de l'ordre juridique étatique et l'ordre juridique traditionnel jusque-là dominant de même que la marginalisation conséquente des autres longhouses ne sont pas sans conséquence sur l'évolution de la production du droit à Kahnawake, et plus particulièrement sur la présence, dans la collectivité, d'un pluralisme juridique dont on peut maintenant tenter de cerner la forme.
[705]
3. Un pluralisme complexe et évolutif
On distingue d'abord à Kahnawake, nous l'avons souligné, un pluralisme interne à l'ordre juridique étatique datant de la fin du xixe siècle : le conseil de bande n'est qu'un organe administratif, exerçant à Kahnawake des pouvoirs analogues à ceux des municipalités, délégués par le Parlement canadien, dont les lois s'appliquent à la « réserve », de même que les lois québécoises de portée générale. Le fédéralisme et la délégation administrative se conjuguent donc pour créer un premier « pluralisme » intra-étatique dont les organes normatifs, non concurrents, sont hiérarchisés sous la pyramide kelsénienne coiffée par la Constitution du Canada, un État dont l'unité n'est nullement menacée par cette variété de pluralisme intégrant et récupérateur. Mais il ne s'agit là que du premier élément du paysage normatif actuel, datant des années 70, où l'on décèle un autre pluralisme, extra-étatique celui-là, où se juxtaposent trois longhouses traditionnels, chacun doté des attributs des ordres juridiquesénonciation, interprétation et application de normes à vocation exclusive adressées à la collectivité entière mais cette fois concurrents et non hiérarchisés.
Malgré leur référence communeconstitutionnelle, dirions-nousà la Grande Loi de la paix, ce sont des ordres juridiques complets. Certes, une partie importante de leur activité normative réside dans une interprétation énonciativepar un processus caractéristique des traditions orales qui consiste à expliciter les pictogrammes dessinés sur les wampumsdes normes de la Grande Loi de la paix, et si leur normativité se limitait à celle-là, il s'agirait d'ordres juridiques tronqués [65]. Ils ne rempliraient en effet dans cette hypothèse que deux des trois fonctions essentielles à cette qualification : interprétation et application.
Plus encore dans le cas présent, ces ordres juridiques tronqués seraient jumeaux, si ce n'est siamois, car rattachés à une souche commune, la Grande Loi de la paix, dont l'auteur mythiquele Peacemaker, envoyé sur terre par le Créateur pour y rétablir l'ordre à la suite du chaos déclenché par l'être humain après la créationaurait exercé pour tous la fonction dénonciation. Mais l'émission, par leurs organes internes respectifs, de normes supplétives à celles de la Grande Loi de la paix les sauve d'une telle infirmité : ce sont bien des ordres juridiques à part entière, exerçant toutes les fonctions qui caractérisent de tels organismes.
Il n'y a donc pas de doute : sur le plan formel, on se trouve devant de multiples sources de normativité, étatiques et non étatiques, qui forment un pluralisme très complexe. Mais ce pluralisme est évolutif et, pour le [706] qualifier, il faut l'examiner en deux temps successifs. On peut en effet distinguer deux étapes dans l'histoire récente de Kahnawake en ce qui concerne le pluralisme. La première va de la fin des années 70, au moment où le Nation Office, puis les deux autres longhouses surgissent sur la scène normative, jusqu'au milieu des années 90. La seconde débute en 1994, alors que les effets de la crise d'Oka, survenue quatre ans plus tôt, commencent à se faire sentir. Le pluralisme juridique réel qui les caractérise diminue d'intensité, notamment à travers le transfert de légitimité et d'effectivité normative entre les différents ordres juridiques en cause, tout en maintenant intactes les apparences formelles d'un pluralisme complexe, à la fois intra-et extra-étatique au fil de toute la période.
Durant la première étape, le Nation Office, principal ordre juridique mohawk, jouit en effet d'une légitimité croissante qui se reflète dans la reconnaissance de son autorité et l'effectivité de sa normativité dans l'ensemble de la collectivité, alors que celle des deux autres ordres juridiques concurrents n'est contraignante qu'à l'égard de petits sous-groupes de cette collectivité à laquelle pourtant elle s'adresse dans son ensemble. La scène normative, diffuse et morcelée au départ, se polarise de plus en plus entre le conseil de bande et le Nation Office, qui va presque réussir l'hégémonisation de la population au moment de la crise d'Oka. C'est le moment où un pluralisme extra-étatique réel, légitime, rejoint le pluralisme extra-étatique formel dont nous avons constaté la présence à travers celle des ordres juridiques multiples que nous avons décrits. Le droit « local » du conseil de bande coexiste avec le droit « populaire » du Nation Office [66], qui paraît sur le point de le supplanter.
Dans la seconde étape, la scène normativedès lors polariséese diffuse de nouveau, le profil de l'ordre juridique traditionnel dominant s'aplatit jusqu'à disparaître temporairement, l'ordre juridique étatique se reconsolide, et c'est le droit « local » qui triomphe, au détriment du droit « populaire ». Définitivement ? Ou bien sommes-nous devant l'un des nombreux allers-retours entre rapports de forces, dont notre recherche, malgré les années que nous lui avons consacrées, n'aurait saisi qu'un épisode, plutôt court après tout, si on l'inscrit dans la durée mokawk ? On ne nous prendra pas en flagrant délit de prédiction déterministe...
Mais on peut quand même recenser les conditions qui ont été réunies et sont peut-être nécessairesau type de revirement normatif survenu à partir de 1994. La réappropriation du champ normatif mohawk de Kahnawake par le conseil de bande s'est d'abord produite à la faveur (si c'est de cela qu'il s'agit) d'une perte de légitimité interne du Nation Office, à la suite [707] de l'échec d'Oka et de la désapprobation d'une partie importante de la population à l'égard des méthodes utilisées par ce longhouse radical durant la crise. À la suite également de la perte des revenus de ce longhouse, entraînée par le départ des éléments radicaux déçus par la tournure des événements. Cette réappropriation n'aurait pourtant pas été possible si le conseil de bande, qui répartit un important budget de provenance fédérale dans la « réserve » et dispose de l'appui de forces propres à soumettre la population à son droit, ne s'était pas, au même moment, construit une crédibilité externe aux yeux de la communauté canadiennequi est la sienneen prouvant l'effectivité de son autorité interne, dépendante à son tour de sa légitimité dans la communauté mohawkà laquelle il appartient aussien faisant, cette fois, des concessions idéologiques et autres aux traditionalistes.
Bref, la domination d'un ordre juridique sur d'autres dans un contexte de pluralisme évolutif, sinon l'effectivité et même la survivance d'un ordre juridique donné dans le même contexte, dépendraient de trois facteurs : les ressources financières, la crédibilité externe et la légitimité interne. À Kahnawake, comme ailleurs, il arrive que ces exigences ne soient pas toujours compatibles, la crédibilité externe et la légitimité interne étant difficilement réconciliables en contexte de domination et plus particulièrement de domination coloniale. Si ces observations sont justes, ce sont les variations dans ces facteurs qui sous-tendraient l'évolution imprédictible de l'ordre juridique étatique et du droit local vers la confirmation de leur statut encore précaire, ou leur supplantation éventuelle par un ordre juridique traditionnel et le droit populaire. Bien malin qui dira lequel de ces deux scénarios est susceptible de se produire le premier, sur une scène pluraliste évolutive par définition...
Conclusion
Au-delà de la confirmation de nos hypothèses, nos résultats suggèrent un constat surprenant et une piste que nous voudrions soumettre à la réflexion des lecteurs. Un constat étonnant tout d'abord : des ressemblances, là où on les attendait le moins, entre le droit autochtone et le nôtre. La première touche la similitude entre les wampums et nos lois constitutionnelles canadiennes, marqués d'une égale imprécision, suscitant les mêmes mécanismes d'interprétation, et le même rôle, pour l'interprète, dans la production du droit. Il suffit de rapprocher la création impliquée dans les différentes versions écrites des wampums qui symbolisent la Grande Loi de la paix de celle dont la Cour suprême a fait preuve récemment à propos du [708] préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [67] pour constater que nous n'exagérons en rien ces ressemblances.
Par ailleurs, cette créativité semble se heurter, dans la société mohawk comme dans la nôtre, au même type de limites liées à une légitimité fondée sur la correspondance entre les valeurs que les producteurs du droit y inscrivent et les valeurs dominantes dans une collectivité : le sort réservé après la crise d'Oka aux interprètes de la Grande Loi de la paix qui en avaient fait une caution de la violence n'est pas différent de celui qu' ont subi certains de nos juges qui ont erré dans la lecture des valeurs culturelles dominantes [68]. C'est dire que les théories du courant herméneutique, et notamment l'analyse systémale, pourtant fondées sur le rapport aux textes, et qui situent dans la communauté interprétative les limites de la créativité interprétative du droit comme des autres discours écrits [69], auraient une portée plus large que celle qu'on leur attribue généralement. Comme nous l'avions pressenti, l'analyse systémale serait valide aussi bien dans les sociétés de tradition orale, où le rapport à l'écrit serait remplacé par le rapport au support symbolique [70].
Une piste de réflexion, enfin, surgie des contradictions théoriques auxquelles nous a entraînés l'analyse du pluralisme tel qu'il se manifeste à Kahnawake. L’importance que nous avons été amenés à attribuerà cause sans doute de ses liens avec la légitimitéà l'effectivité du droit, pour rendre compte de différences significatives entre des ordres juridiques pourtant formellement semblables et tous conformes aux exigences de la théorie institutionnaliste, mène presque à faire de l'effectivité une caractéristique constitutive du droit.
C'est pourtant un piège. Car ou bien on traite sur le même pied un ordre juridique qui hégémonise une communauté et un autre dont les normes, pourtant adressées à la même communauté, au même moment, ne sont respectées que par quelques dizaines de fidèles. Ou bien on n'inclut dans le droit que les normativités effectives et l'on admet qu'à partir d'un certain point le non-respect d'une norme la prive de son caractère juridique. On se place ainsi dans la position peu enviable de déterminer quelle déviance [709] suppose encore l'existence de la norme, et à partir de quel seuil de non-respect la norme est détruite, et de nier qu'un sujet de droit puisse parfois changer d'allégeance en adhérant successivement à l'un ou l'autre des ordres juridiques concurrents qui le sollicitent, une négation impossible au vu de nos données.
La réponse à cette question impose un choix théorique que, pour notre part, nous ne sommes pas encore prêts à faire, mais qui pourrait alimenter la réflexion. En attendant de trouver mieux, nous avons opté pour la distinction, apportée plus haut, entre pluralisme « réel » et pluralisme « formel ». Mais la question reste certainement ouverte...
[710]
ANNEXE
ÉCHANTILLONS
En ce qui a trait aux membres des quatre entités à l'étude, l'échantillon de personnes interviewées a été, conformément à notre méthode, choisi par leurs dirigeants. Quant aux membres du groupe témoin, nous les avons nous-mêmes choisis, dans les conditions que nous expliquons plus loin.
- Nation Office
L'échantillon du Nation Office comptait, à l'origine, 45 répondants. Depuis, deux d'entre eux sont morts et 23 ont quitté le groupe. Les répondants 1-4, 2-5 et 3-6 forment des couples. Il est à noter qu'aucun des enfants des couples faisant partie de l'échantillon ne sont engagés directement au Nation Office ; nous ne possédons pas d'information sur l'état civil des répondants 15 à 20. Les répondants 1 à 6 ont terminé leur secondaire ; 13 et 14 ont terminé des études universitaires ; aucun des Warriors affichés n'a terminé son cours secondaire ; nous ne possédons pas d'information sur la scolarité des répondants 15 à 20.
Le revenu moyen des familles se situe autour de 29 500$ ; nous n'avons pas de données à ce sujet sur les individus 15 à 20. Tous ont participé aux actions de 1990.
TABLEAU 1
Échantillon du Nation Office
1.
|
Femme, 45 ans, militante de pointe
|
2.
|
Femme, 48 ans, militante de pointe
|
3.
|
Femme, 44 ans, militante de pointe
|
4.
|
Homme, 49 ans, époux de 1
|
5.
|
Homme, 52 ans, époux de 2
|
6.
|
Homme, 38 ans, époux de 3
|
7.
|
Homme, 26 ans, Warrior
|
8.
|
Homme, 29 ans, Warrior
|
9.
|
Homme, 27 ans, Warrior
|
10.
|
Homme, 30 ans, Warrior
|
11.
|
Homme, 54 ans, Warrior
|
12.
|
Homme, 58 ans, Warrior
|
13.
|
Femme, 55 ans
|
14.
|
Homme, 57 ans, époux de 13
|
15.
|
Homme
|
16.
|
Femme
|
17.
|
Homme
|
18.
|
Homme
|
19.
|
Homme
|
20.
|
Homme
|
- Longhouse-at-the-Quarry
L'échantillon du Longhouse-at-the-Quarry comprend 20 individus : 10 hommes et 10 femmes. À l'origine, il en comprenait 26 :2 sont décédés depuis 1993 et 4 ont quitté le groupe. Par ailleurs, 9 répondants font partie de la famille proche du chef de groupe. Les répondants 10 et 11 forment un couple ; les répondantes 12, 16, 19 et 20 ont été abandonnées par leur mari respectif. Les enfants de 12 (13, 14 et 15) et de 16 (17 et 18) ont tous eu, ou ont, des démêlés avec la police ou la sécurité du revenu. La répondante 9 était enceinte en 1993, 7 l'était en 1995-1996 et 15 l'était en 1995 et l'est en 1998. Aucun des membres de l'échantillon n'a terminé d'études secondaires. Les répondants 1, 2, 3, 4, 12, 16, 19 et 20 n'ont pas terminé leurs études primaires. Le revenu annuel des familles oscille entre 9 000 et 11 500$. Seul le répondant 10 travaille à l'extérieur de la communauté ; la plupart reçoivent des prestations de l'État.
[711]
TABLEAU 2
Échantillon du Longhouse-at-the-Quarry
1.
|
Homme, 69 ans, chef du groupe
|
2.
|
Femme, 73 ans, sœur de 1, mariée pendant 50 ans, veuve
|
3.
|
Femme, 74 ans, sœur de 1 et de 2, pendant 50 ans, veuve
|
4.
|
Homme, 69 ans, mari de 3, beau-frère de 2 et 1
|
5.
|
Homme, 31 ans, fils de 1, célibataire
|
6.
|
Homme, 34 ans, fils de 1, marié
|
7.
|
Femme, 33 ans, épouse de 6
|
8.
|
Homme, 37 ans, fils de 1
|
9.
|
Femme, 38 ans, épouse de 8 mariée
|
10.
|
Homme, 35 ans
|
11.
|
Femme, 33 ans, épouse de 10
|
12.
|
Femme, 56 ans
|
13.
|
Homme, 23 ans, fils de 12
|
14.
|
Homme, 17 ans, fils de 12
|
15.
|
Femme, 19 ans, fille de 12
|
16.
|
Femme, 49 ans
|
17.
|
Homme, 16 ans, fils de 16
|
18.
|
Homme, 15 ans, fils de 16
|
19.
|
Femme, 64 ans
|
20.
|
Femme, 61 ans, sœur de 19
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- Longhouse-at-Mohawks’-Trail
À l'origine, l'échantillon du Longhouse-at-Mohawks'-Trail comptait 25 répondants. Depuis, 1 d'entre eux est mort et 8 autres ont quitté le groupe. Les répondants 1 à 8 du Longhouse-at-Mohawks'-Trail font partie de la même famille ; les répondants 9 et 10 forment un couple ; 14 et 15 sont sœurs. Les répondants 1 et 2 sont artistes ; 3, 4, 5 et 6 fréquentent toujours un établissement d'enseignement ; 7 et 8 n'ont pas terminé leurs études primaires et 9 et 10 ont des diplômes universitaires. Nous n'avons aucune indication sur la scolarité des répondants 11 à 16.
Le revenu annuel de la famille regroupant les individus 1 à 6 est de 15 000$ ; 7 et 8 vivent de leurs allocations de sécurité de la vieillesse ; 9 et 10 gagnent respectivement des salaires de 51 000$ et 34 000$ et contribuent à l'entretien de la famille du chef dégroupe. Nous n'avons aucune indication sur les revenus de 11 à 16.
TABLEAU 3
Échantillon du Longhouse at Mohawk's Trail
1.
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Homme, 53 ans, chef de groupe
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2.
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Femme, 45 ans, épouse de 1
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3.
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Homme, 23 ans, fils de 1 et 2
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4.
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Homme, 19 ans, fils de 1 et 2
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5.
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Femme, 18 ans, fille de 1 et 2
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6.
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Femme, 16 ans, fille de 1 et 2
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7.
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Homme, 84 ans, père de 1
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8.
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Femme, 75 ans, mère de 1
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9.
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Homme, 42 ans
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10.
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Femme, 27 ans, épouse de 9
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11.
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Homme
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12.
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Homme
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13.
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Femme, 49 ans, célibataire
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14.
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Femme, 38 ans, célibataire
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15.
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Femme, sœur de 14
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16.
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Homme
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- Conseil de bande
Le conseil de bande se distingue par la prédominance des hommes. Seulement 3 femmes font partie de l'échantillon à l'étude, qui comptait 25 répondants au départ et 20 en 1998. Les 5 répondants qui ont quitté le conseil de bande, après entente à l'amiable, sont les Peacekeepers [712] qui avaient collaboré avec la Sûreté du Québec dans l'affaire des « combats extrêmes » interdits par la Régie québécoise des sports mais tenus quand même sur la réserve.
Les répondants 1, 2, 4, 11, 12, 13, 14, 15, 18, 19 et 20 ont terminé des études secondaires (formation générale ou professionnelle) ; les répondants 3, 6, 7, 8, 9, 10, 16 et 17 n'ont pas terminé leurs études primaires. Le revenu moyen des répondants n'a pas pu être établi faute de données suffisantes.
TABLEAU 4
Échantillon du Conseil de bande
1.
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Dirigeant élu, 48 ans
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2.
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Dirigeant élu, 33 ans
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3.
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Dirigeant élu, 54 ans
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4.
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Dirigeant élu, 44 ans
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5.
|
Dirigeant élu, 44 ans
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6.
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Éminence grise, 64 ans
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7.
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Éminence grise, 57 ans
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8.
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Éminence grise, 66 ans
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9.
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Éminence grise, frère de 3, 61 ans
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10.
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Éminence grise, demi-frère de 2, 61 ans
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11.
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Femme, 34 ans, secrétaire-administrative
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12.
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Femme, 26 ans, réceptionniste
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13.
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Homme, 45 ans, Peacekeeper
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14.
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Homme, 33 ans, Peacekeeper
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15.
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Homme, 31 ans, Peacekeeper, frère de 14
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16.
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Homme, 43 ans, commerçant
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17.
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Homme, 51 ans, commerçant
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18.
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Homme, 39 ans, organisateur sportif
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19.
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Homme, 48 ans, contrebandier
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20.
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Femme, 23 ans, prostituée
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- L'échantillon test des non-alignés
Henry Quillinan était, au début des années 80, agent de liaison entre la FTQ Construction et les Mohawks. Beaucoup de Mohawks travaillaient sur les chantiers de construction du Québec. Ils étaient pour la plupart syndiqués aux Unions internationales plutôt qu'à la FTQ Construction, mais ils ne participaient guère à la vie syndicale et ne se prévalaient pas de la protection syndicale, ni même de celle des lois concernant le travail. Il s'agissait de prendre contact avec les institutions de la communauté, par le truchement de militants mohawks de la FTQ, pour rejoindre les travailleurs et les sensibiliser à leurs droits, bref une campagne de maraudage syndical qui, en pleine récession économique, n'avait aucune chance de réussir. Mais son volet éducatif a été un succès d'autant plus intéressant qu'il a permis à notre interviewer de lier des amitiés au CLSC, à l'hôpital, à la commission scolaire, à la caisse populaire et même chez les curés. Ce sont eux qui, sous le sceau de la plus stricte confidentialité, ont administré notre questionnaire aux Mohawks non-alignés.
L'échantillon test comportait, au début, 150 personnes ; il a été ramené à 30 afin de faciliter la réalisation des trois phases de l'entrevue. Nous avons volontairement omis de tenir compte de la plupart des caractéristiques sociologiques de chacun des individus de cet échantillon test pour conserver son caractère purement aléatoire. Nous avions deux critères de sélection. D'une part, chacun des individus de l'échantillon devait se présenter comme non-aligné, c'est-à-dire comme ne faisant pas partie d'une des entités à l'étude et ne pas témoigner de sympathie particulière pour l'une ou l'autre de ces entités. D'autre part, l'échantillon devait refléter le rapport entre hommes et femmes et entre groupes d'âge propres à la communauté mohawk de Kahnawake.
[713]
TABLEAU 5
Échantillon test des non-alignés
1.
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Homme, 71 ans
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2.
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Homme, 66 ans
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3.
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Homme, 59 ans
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4.
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Homme, 48 ans
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5.
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Homme, 45 ans
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6.
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Homme, 36 ans
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7.
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Homme, 32 ans
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8.
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Homme, 29 ans
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9.
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Homme, 24 ans
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10.
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Homme, 19 ans
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11.
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Femme, 74 ans
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12.
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Femme, 61 ans
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13.
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Femme, 56 ans
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14.
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Femme, 42 ans
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15.
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Femme, 41 ans
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16.
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Femme, 33 ans
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17.
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Femme, 33 ans
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18.
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Femme, 23 ans
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19.
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Femme, 21 ans
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20.
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Femme, 18 ans
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* A. Lajoie et G. Rocher, professeurs, Centre de recherche en droit public. Faculté de droit, Université de Montréal ; H. Quillinan, étudiant de troisième cycle, Faculté de droit, Université de Montréal ; R. Macdonald, professeur, Faculté de droit, Université McGill.
** Le projet de recherche dont le présent article livre les résultats a été conçu et a démarré avec la collaboration d'Alain Bissonnette, interrompue à regret lorsqu'il est devenu directeur de la recherche au Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Les auteurs remercient le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada et le Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR) pour les subventions qu'ils ont accordées à leurs recherches, les chefs du conseil de bande et des longhouses traditionnels, leurs membres et, plus généralement, la population de Kahnawake, sans la collaboration desquels ce projet n'aurait évidemment pas pu être réalisé.
* Conformément à l'usage reconnu dans l'emploi de ce terme, la forme masculine et anglaise sera utilisée tout au long du présent texte.
[1] Voir : A. Lajoie, « Synthèse introductive », dans A. Lajoie, J.-M. Brisson, S. Normand et A. Bissonnette (dir.), Le statut juridique des peuples autochtones au Québec et le pluralisme, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 1, aux pages 7-20, nous nous excusons de devoir résumer dans les paragraphes qui suivent, clarté oblige.
[2] R.A. Dahl, Polyarchy : Participation and Opposition, New Haven, Yale University Press, 1971.
[3] S.F. Moore, « Law and Social Change : The Semi-Autonomous Social Field as an Appropriate Subject of Study », (1973) 7, Law and Society Review, 719.
[5] M. Reinstein (dir.), Max Weber on Law in Economy and Society, Cambridge, Harvard University Press, 1954 ; J. Griffith, « What is Legal Pluralism », (1986) 24 Journal of Legal Pluralism, 1.
[6] G. Gurvitch, L'idée du droit social, Paris, Sirey, 1932 ; J. Griffith, loc. cit., note 5.
[7] R.A. Macdonald, « Images du notariat et imagination du notaire », (1994) 1, C.P. du N., 1, 47 et 48.
[9] Cette perspective est également partagée notamment par J. Vanderlinden, « Vers une nouvelle conception du pluralisme juridique », (1993) 53 Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 513, 579.
[10] S. Romano, L'ordre juridique, traduction de L. François et P. Gothot, Paris, Dalloz, 1975, p. 174 ; G. Rocher, « Pour une sociologie des ordres juridiques », (1988) 29, C. de D., 91.
[11] G. Timsit, « Sur l'engendrement du droit », (1988) R.D.P., 39-75 ; G. Timsit, Les noms de la loi, Paris, PUF, 1991.
[12] Selon Alain Bissonnette, qui nous a familiarisés avec leurs travaux auxquels il a étroitement collaboré, pour ces chercheurs, le droit ne doit pas être abordé en tant que concept, mais plutôt comme un phénomène. Ainsi, plutôt que de chercher à définir ce qu'est le droit, ils ont choisi d'étudier, au sein des diverses sociétés, les phénomènes de juridicisation. Pour eux, le droit est moins un type particulier de relations sociales qu'une qualification spécifique que chaque société donne à certaines relations sociales. Autrement dit, si les faits juridiques sont des faits sociaux, tout fait social n'est pas juridique. Le fait social ne devient juridique qu'à la suite d'un contrôle social spécifique ayant pour fonction d'assurer cohésion et perpétuation du groupe en cause. Selon cette perspective, le droit n'est pas un ensemble de règles spécifiques, mais il constitue plutôt un processus internormatif.
[14] É. LeRoy et M. Wane, « La formation des droits non-étatiques », dans P. Touzard (dir.), Encyclopédie juridique de l'Afrique, t. 1, « L'État et le droit », Abidjan, Nouvelles Editions africaines, 1982, p. 353.
[15] La distance de Kahnawake au centre-ville de Montréal est d'une dizaine de kilomètres.
[16] Le registre du ministère des Affaires indiennes, tenu en vertu des articles 5 et 11 et suivants de la Loi concernant les Indiens, L.R.C. (1985), c. 1-5, dénombre actuellement environ 8 600 membres de la bande de Kahnawake, dont certains n'habitent pas sur la réserve. D'autres ne figurent pas sur la liste du conseil de bande, tenue selon des critères plus étroits de citoyenneté, qui n'en compte que 6 200. Le nombre de personnes, inscrites ou non sur le registre fédéral, mais habitant sur la réserve s'élèverait à 7 000 selon des sources ministérielles rapportées par les journaux. Voir M. Thibodeau, « Subventions en trop à Kahnawake ? », La Presse [de Montréal] (21 mars 1998) A5.
[17] Acte des Sauvages, S.R.C. 1886, c. 43.
[18] M. Thibodeau, op. cit., note 16.
[19] D. R., J. MV. et J. H., « All About Kahnawake : An Answer to Joe Norton », The Eastern Door, 13 novembre 1994.
[20] Selon D. R., J. MV. et J. H., loc. cit., note 19, 99,7 p. 100 de la population possède un poste de radio et de télévision, 80 p. 100, un magnétoscope et 41 p. 100 une chaîne stéréo.
[21] Toujours selon D. R., J. MV. et J. H., loc. cit., note 19, 95 p. 100 des hommes de plus de 18 ans ont une automobile et 60 p. 100 des foyers, un véhicule tout-terrain ou une motoneige.
[22] Commission royale sur les peuples autochtones du Canada, À l'aube d'un rapprochement : points saillants du Rapport, Ottawa, Ministre des Approvisionnements et Services, 1996, pp. 59-84.
[23] S. Normand, « Les droits des Amérindiens sur le territoire sous le Régime français » dans A. Lajoie, J.-M. Brisson, S. Normand et A. Bissonnette, op. cit., note 1, p. 107 à la page 134.
[24] « It must seem that the Iroquois recognize no masters. And although the French have posted the coat of arms of France among them before and after the English posted those of England, they nevertheless recognize no domination » : C. Jeanen, « The French Relationship with the Amerindians », dans Actes du IV Convengo Internazionale dell'Associazione Italiana di Studi Canadesi, Universita di Messina, Messina, 25-28 mars 1981 pp. 5-9.
[25] Acte authentique des Six Nations Iroquoises sur leur indépendance, 2 novembre 1748 signé au Château Saint-Louis à Québec et conservé aux Archives judiciaires de Québec greffe Dulaurent.
[26] Voir A. Lajoie, loc. cit., note 1, 14-16.
[27] Louis Hall, décédé pendant notre enquête quelques jours avant l'entrevue qu'il nous avait promise, était le père spirituel du Nation Office et des Warriors. Son enseignement enraciné dans la fierté mohawk, véhiculait une interprétation de la Grande Loi de la paix, basée sur le Two Row Wampum version iroquoise du pluralisme selon laquelle la le des Iroquois et celle des Blancs sont deux systèmes normatifs parallèles : two row wampum, qui coexistent sur le même territoireet prônait par ailleurs la résistance armée lorsque nécessaire.
[28] Lieu de la résistance armée des Sioux aux forces fédérales américaines qui voulaient le évacuer des locaux fédéraux qu'ils occupaient, Wounded Knee constitue le symbole de la relance du mouvement autochtone aux États-Unis dans les années soixante-dix.
[29] Comme cela est souvent le cas dans les civilisations orales, nous n'avons pas de source écrite pour valider ces données, qui sont le fruit des entrevues et de l'observation participante que nous avons pratiquées dans la communauté, et dont nous décrivons les méthodes ci-après.
[30] P.-A. Côté, Interprétation des lois, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Biais, 1990.
[31] A. Lajoie, Jugements de valeurs, coll. « Les Voies du droit », Paris, PUF, 1997.
[32] J. Vanderlinden, Anthropologie juridique, coll. « Connaissance du droit », Paris, Dalloz, 1996, pp. 63-139.
[34] P. Watzlawick, « Préface », dans P. Watzlawick (dir.), L'invention de la réalité ou comment savons-nous ce que nous croyons savoir ?, Paris, Seuil, 1981, pp. 9-11 ; V. Villa, La science du droit, Paris, LGDJ, 1991 ; V. Villa, « La science juridique entre descriptivisme et constructivisme », dans P. Amselek (dir.), Théorie du droit et science, Paris, PUF, 1994, p. 281 ; voir également, dans un contexte proche de celui où s'inscrit notre démarche : J.-P. Chauveau J.-P. Dozon, E. Le Bris, E. Le Roy, G. Salem et F.G. Snyder, « Rapport introductif aux journées d'études », dans E. Le Bris, E. Le Roy et F. Leimdorfer (dir.), Enjeux fonciers en Afrique noire, Paris, ORSTOM/Karthala, 1982, pp. 17-43.
[35] Le mot longhouse désigne la maison iroquoise traditionnelle et, par extension, à travers une métonymie du lieu analogue à celle qui fait référence au législateur comme à la « Chambre des communes », le siège et le lieu de réunion de l'organisation politique, juridique et sociale traditionnelle de la nation iroquoise.
[36] On trouvera dans l'annexe I la description de ces cinq groupes d'interviewés.
[37] On trouvera dans l'annexe II le guide pour les entretiens et le questionnaire.
[38] Comme nous l'indiquons plus loin (infra, note 57), il existe plusieurs versions de la Grande Loi de la Paix, dont les différentes interprétations spécifient chacun des longhouses. Nous nous garderons bien d'y ajouter la nôtre, mais il convient d'indiquer ici d'entrée de jeu qu'il s'agit de la référence fondatrice de la nation iroquoise. Elle porte d'abord sur le mythe fondateur de la création du monde et du Peacemaker, envoyé sur terre par le Créateur pour y rétablir l'ordre à la suite du chaos déclenché par l'être humain après la création. Mais elle structure également l'organisation politique et sociale de la nation iroquoise, les droits et obligations corrélatives des individus qui la constituent, outre qu'elle établit un code des manifestations spirituelles nécessaires à la vie collective.
[39] Ce sont des personnes liées à des institutions elles-mêmes non alignées (CLSC, centre hospitalier, commission scolaire, caisse populaire) avec lesquels Henry Quillinan avait gardé contact depuis les années 80.
[40] Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3, art. 91 (24).
[41] On devrait plutôt parler d'« applicabilité », au sens où les positivistes considèrent comme intrinsèquement applicable le droit énoncé par une source valide sur le plan constitutionnel. Dans les faits, et s'agissant cette fois d'effectivité, l'application concrète du droit provincial y compris québécoisau territoire des réserves varie selon les gouvernements au pouvoir, leur conception du statut des Autochtones et, comme toujours, les rapports de forces à un moment déterminé...
[42] Four B Manufacturing Ltd. c. United Garment Workers of America, [1980] 1 R.C.S. 1031.
[43] Loi concernant les Indiens, précitée, note 16, art. 88.
[44] Acte concernant les Sauvages, précité, note 17.
[45] Arrêté en conseil du 5 mars 1889, C.P. 466.
[46] Loi concernant les Indiens, précitée, note 6, art. 81. Ces pouvoirs concernent la santé publique, la circulation, l'observation de la loi, le maintien de l'ordre et l'inconduite, l'aménagement, certaines matières agricoles, le commerce local, les jeux et les sports, et autres matières analogues.
[47] Cette cour municipale fut créée par la Résolution conseil de bande de Kahnawake, 1989, C-432, adoptée en vertu de l'article 107 de la Loi concernant les Indiens, précitée, note 16.
[48] D'abord créé par la Résolution du conseil de bande de Kahnawake, 1979, 44/79-80 et modifié par la Résolution du conseil de bande de Kahnawake, 1991, 71/91-92, ce corps de police a été par la suite « intégré » à l'ensemble des corps de police municipaux du Québec par une série de décrets du gouvernement du Québec : Décret 1219-95 concernant le maintien d'un corps de police autochtone sur le territoire de Kahnawake, (1995) 127 G.O. II, 4271 ; Décret 433-96 concernant la prolongation de l'entente concernant les services de police sur le territoire de Kahnawake, signée le 11 septembre 1995, (1996) 128 G.O. II, 2666 ; Décret 621-97 concernant la prestation des services policiers autochtones dans la communauté de Kahnawake, (1997) 129 G.O. II, 2990 ; Décret 563-98 concernant la prestation des services policiers autochtones dans la communauté de Kahnawake, (1998) 130 G.O. II, 2682.
[49] Loi concernant les Indiens, précitée, note 16, art. 81, paragraphe introductif.
[50] Supra, notes 42 et 43.
[51] Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11), art. 25 et 35.
[52] Voir supra, p. 686 et note 14.
[53] Voir supra, notes 23, 24 et 25.
[54] P. Williams, The Haudenosaunee Law, étude pour la Commission royale sur les peuples autochtones, Ottawa, 1993, introduction, p. i ; voir également infra, note 56.
[55] Fait documenté par leurs réponses lors de nos entretiens : voir l'annexe II, « Entretiens Bloc in », p. 715.
[56] À notre connaissance, il existe au moins sept versions écrites de la Grande Loi de la Paix. G. Schaaf, « The Birth of Frontier Democracy from an Eagle's Eye View : From the Great Law of the Peace to the Constitution of the United States », Tree of Peace Society, Akwesasne (N.Y.), p. 5, en énumère six : 1) la version NEWHOUSE, due à Setl Newhouse, un Mohawk canadien, et révisée par Albert Cusick, un Onondaga new yorkais ; 2) la version des CHEFS, compilée par les chefs de la Réserve des Six Nations en Ontario, en 1900 et publiée par Duncan C. Scott dans les Proceedings and Transactions de la Société royale du Canada en 1911 ; 3) la version GIBSON, dictée en 1899 par le chef J.A. Gibson de la Réserve des Six Nations à J.N.B. Newitt, du Smithsonian Institute (Washington), révisée par les chefs A. Charles, John Buck et Joshua Buck entre 1900 et 1914 et traduite par W.N. Fenton du Smithsonian Institute ; 4) la version WALLACE, une compilation des trois premières, présentée comme une narration du docteur P. Wallace, The White Roots of Peace, Philadelphie, 1946 ; 5) la version BUCK, récit en langue mohawk de R. Buck, transcrit et édité en anglais par le North American Indian Travelling Collège Staff, Cornwall, Ontario en 1984 sous le titre The Great Law, Traditional Teachings ; 6) la version MOHAWK, une interprétation contemporaine par J.C. Mohawk, ex-éditeur des Akwesasne Notes (polycopié non daté, provenant des archives du Nation Office de Kahnawake). Nous en avons repéré une septième : la version HALL, éditée en septembre 1987 par la Confédération des Iroquois sous la signature de Louis Hall, et qui propose chaque article à la fois en langue mohawk et en langue anglaise. On notera que les versions 2, 3, 4 et 5 codifiées par ou pour le colonisateurcorrespondent au droit coutumier du second type de la classification LeRoy et Wane, alors que les versions 1, 6 et 7 matérialisent le droit populaire du quatrième type. En ce qui concerne les longhouses de Kahnawake, le Nation Office utilise la version HALL, dont il nous a fourni copie ; le Longhouse-at-Mohawks'-Trail nous a référés à la version NEWHOUSE, de même que le Longhouse-at-the-Quarry, qui indique par ailleurs sa préférence pour la version orale de son chef, Stuart Mihao.
[57] Dans la version Hall, précitée, note 56.
[58] Selon lequel le Créateur ou Grand Esprit, ayant créé un monde ordonné, auquel l'être humain a par la suite imposé le chaos, a délégué le Peacemaker pour rétablir l'ordre en révélant aux Mohawks le seul code de conduite valable pour tout être humain dans ses rapports avec les autres êtres vivants, code qui doit servir de base à la mission civilisatrice qu'il leur a confiée.
[59] Ces conseils sont constitués de membres des différents clans, désignés par les mères de clans pour leurs vertus respectives de sages et de guerriers. Ils se réunissent sous la présidence du grand chef, en présence des mères de clans, pour prendre les décisions et adopter les règles nécessaires à la gouverne de la communauté.
[60] Nous revenons plus loin (p. 707) sur les problèmes théoriques posés par la difficulté de distinguer entre énoncer des normes et les interpréter à partir de pictogrammes comme les wampums, en particulier quand l'interprétation, intervenue dans le cadre d'une tradition orale, est consignée dans un texte écrit.
[61] Conformément à l'insistance de ce longhouse sur la prépondérance de la tradition orale, même sur la version NEWHOUSE à laquelle nos répondants nous ont pourtant référés, nous avons dégagé cette interprétation des enseignements du chef de ce longhouse, auxquels Henry Quillinan a longuement assisté.
[62] Définis par Paul Williams, op. cit., note 54, p. 50, comme support de la communication et formalisation de l'échange.
[63] S. Fish, Respecter le sens commun, coll. « La Pensée juridique moderne », Paris, LGDJ, 1995 ; et surtout : S. Fish, « Is There a Text in this Class ? », Cambridge/London, Harvard University Press, 1980.
[64] L'« effectivité » est ici entendue dans son sens le plus commun, où elle désigne l'obtention du résultat apparemment attendu par l'énonciateur des normes de la part de leurs adressataires, à savoir l'adhésion, sinon le respect constant et, implicitement, la reconnaissance de son autorité.
[65] A. Lajoie, Pouvoir disciplinaire et tests de dépistage de drogues en milieu de travail : illégalité ou pluralisme, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1995, pp. 59-67.
[66] Voir la classification d'É. LeRoy et M. Wane, supra, p. 686 et note 14.
[67] Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l'Ile-du-Prince-Édouard et Renvoi relatif à l'indépendance et à l'impartialité des juges de la Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard, (1998) 1 R.C.S. 3.
[68] Voir A. Lajoie, op. cit., note 31, pp. 186-191.
[70] R. Macdonald, « Legal Bilingualism », (1997) 42, McGill L.J., 119 ; A. Lajoie, loc. cit., note 1, 13-15 et 24 ; A. Lajoie et P. Verville, « Les traités d'alliance entre les Français et les Premières Nations sous le Régime français », dans A. Lajoie, J.-M. Brisson, S. Normand et A. Bissonnette, op. cit., note 1, p. 143, aux pages 166 et 167.
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