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Propos liminaires
La « réforme de l'État » est à l'ordre du jour, tant des plus hautes sphères gouvernementales des pays développés que des organisations internationales et des conversations du Café du commerce où le sens commun n'a de cesse de proposer des solutions aussi évidentes que définitives.
La matière est par nature difficile car elle naît de l'imbrication de plusieurs phénomènes :
Un phénomène politique, qui est l'évolution du rôle de l'État de l'intervention et de la gestion vers l'impulsion et la régulation.
Un phénomène organisationnel, qui est l'imbrication de la décision politique et de la gestion qui rend le processus décisionnel particulièrement lourd.
Un phénomène bureaucratique, qui n'est pas propre aux administrations publiques, qui se traduit par la progression des dépenses alors même que l'efficacité du service rendu par ces administrations diminue.
Un phénomène idéologique, qui, après n'avoir juré que par l'État, prête aujourd'hui des vertus thaumaturges aux marchés, rend ce sujet opaque à étudier. Or, l'idéologie n'a jamais permis de résoudre les problèmes et ne fait que les aggraver, au moment même où il devient possible de faire une évaluation de la répartition des rôles entre État et marchés.
C'est donc à un voyage au cœur de la complexité du pilotage stratégique des politiques publiques que le lecteur est convié. Par « pilotage stratégique », nous entendons souligner que toute activité [4] doit être conduite en fonction de la finalité qu'on lui assigne, que l'on pilote en fonction d'un cap et que l'on ne peut piloter que si l'on peut mesurer l'écart entre la situation actuelle et la situation visée.
Par « politique publique », nous soulignons qu'il s'agit d'un champ spécifique qui obéit à des lois différentes de celles des marchés, car les mécanismes décisionnels, la mesure de la valeur produite et du retour sur investissement y sont d'une autre nature, bien que le fonctionnement des organisations, qu'elles soient publiques ou privées, obéisse à des principes globalement semblables.
Nous verrons qu'il est parfaitement possible de parvenir à une gestion efficace de la dépense publique et de se diriger vers la réalisation de bénéfices évaluables par les nations et les citoyens. Mais il ne s'agit pas d'une tâche facile : la définition et la mesure de ces bénéfices sont par nature complexes et les conditions institutionnelles et décisionnelles pour réussir une réforme des administrations sont particulièrement exigeantes. Les exemples étudiés montreront que l'essentiel de l'évolution doit venir des capacités de direction des dirigeants, qui ne peuvent plus se contenter de gérer la lente dégradation de l'existant.
À QUI S’ADRESSE CE LIVRE ?
À tous ceux qui sont en charge de concevoir et de mettre en œuvre une politique publique, du parlementaire qui souhaite clarifier l'intention de la loi et la traduire en objectifs précis dont il pourra mesurer l'atteinte, aux responsables d'administration et dirigeants d'organismes publics et para‑publics chargés de leur application, tant au niveau central qu'au niveau local, à l'élu d'une collectivité locale qui souhaite piloter son développement, aux directeurs de projets et aux chefs de service en charge de plans de progrès. Les animateurs d'associations de citoyens pourront également comprendre ici la logique des politiques publiques et quel peut y être leur rôle. Le chercheur, enfin, y trouvera une contribution au développement d'une discipline encore embryonnaire.
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COMMENT A-T-IL ÉTÉ CONÇU ?
Il s'appuie sur cinq sources :
- Une revue de la littérature sur la stratégie, la gestion et l'évaluation des politiques publiques, qui permet de proposer un recours raisonné aux outils de management pour améliorer la performance des politiques publiques.
- Une recherche réalisée en France auprès des agences gouvernementales (les établissements publics nationaux), des études de cas spécifiques, les retours d'expériences présentés par des dirigeants dans des clubs de pratiques animés par l'auteur.
- Une analyse comparative des pratiques des pays développés, réalisée au sein du programme « gouvernance publique partagée » animé par l'OCDE, qui a réuni les experts et les pays les plus dynamiques dans ce domaine.
- Une analyse d'expériences étrangères menées au sein des pays de l'OCDE tant à partir de sources documentaires que d'entretiens de l'auteur avec les animateurs de ces réformes.
- L'expérience personnelle de l'auteur comme auteur et acteur de la transformation de nombreuses organisations publiques et privées.
Il repose sur quatre options :
- S'inscrire dans un contexte : le déploiement de la loi organique sur les lois de finances (LOLF) qui introduit en France la gestion axée sur les résultats, rejoignant en cela un mouvement enclenché dans tous les pays développés.
- Affirmer un choix fondamental : la gestion axée sur les résultats n'a de sens que si elle s'inscrit dans une réflexion sur la valeur stratégique des politiques publiques.
- Procéder à une analyse rigoureuse des pratiques existantes dans l'administration française et dans les administrations des autres pays développés pour identifier les meilleures pratiques démontrées au regard d'un état de l'art de la littérature managériale.
- Proposer des méthodologies opérationnelles illustrées de nombreux exemples.
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COMMENT EST-IL ORGANISÉ ?
Il comprend quatre parties :
- - Les rôles et la valeur des politiques publiques : dès lors qu'il s'agit de mesurer l'impact d'une politique publique, il importe avant toute chose de pouvoir répondre aux questions : « Les politiques publiques sont-elles créatrices de valeur » et « Peut-on en mesurer l'impact » ? On verra comment cette réflexion peut se développer dans le pilotage des politiques publiques avec la mise en place de la LOLF.
- - Faire de la stratégie et implanter une gestion axée sur les résultats ne peut se réduire à bien gérer : les nouvelles procédures budgétaires ne peuvent prendre sens que si se développent une culture et une pratique du pilotage stratégique, domaine bien distinct de la gestion. Nous proposons une adaptation de la logique du tableau de bord prospectif qui commence à être adoptée dans d'autres pays.
- - Une étude de cas sur les agences gouvernementales, en France et à l'étranger, permettra d'identifier comment s'articulent ces deux dimensions, stratégie et gestion, ou, plus fondamentalement, comment l'autorité publique peut se concentrer sur l'impulsion stratégique et s'appuyer pour sa mise en œuvre sur une dynamique entrepreneuriale portée par des structures autonomes, et un pilotage efficace de l'ensemble.
- - Enfin, ces principes ne peuvent prendre corps qu'appuyés sur des « outils et méthodes opérationnelles ». Sans vouloir faire un manuel de méthode, tâche par trop ambitieuse et surtout non pertinente les bonnes méthodes ne peuvent se construire que par l'expérience , nous soulignerons les points de passage obligés et les points clés. Le lecteur pourra trouver un pas-à-pas et quelques repères fiables pour dessiner sa route.
La démarche adoptée est d'apporter sur chaque question :
- des concepts pour comprendre ;
- des analyses pour agir ;
- des exemples pour expliquer ;
- des outils pour œuvrer.
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COMMENT EN TIRER LE MEILLEUR PARTI ?
Si vous avez l'habitude de commencer les livres par la page 1, commencez par la page 1. Vous cheminerez du général au particulier, du théorique au pratique, de l'analyse des enjeux à la mise en œuvre de terrain.
Si vous avez déjà le cuir tanné par l'expérience de terrain, vous souhaiterez sans doute comprendre pourquoi il est nécessaire de passer à une gestion orientée sur les résultats, commencez alors par les deux premières parties, où sont analysés les nouveaux enjeux des politiques publiques dans le contexte de la troisième révolution industrielle et leur rôle clé dans la compétitivité des nations. La deuxième partie établit la nécessité d'assujettir les tâches de gestion (« bien faire les choses ») à la stratégie (« faire les bonnes choses ») et le lien à bâtir entre l'une et l'autre.
Si vous êtes dirigeant ou avez la tutelle d'une agence gouvernementale, allez directement à la troisième partie pour y découvrir l'étude sur les établissements publics français, les expériences internationales de management des agences et les principes de management stratégiques qui s'en dégagent.
Si vous êtes un anxieux de l'action, allez directement à la quatrième partie : vous y découvrirez la panoplie du parfait transformateur d'organisation, et comprendrez pourquoi il n'était pas pertinent d'aller directement à cette quatrième partie.
Enfin, si vous êtes de ceux qui pestent contre ceux qui ont le temps d'écrire des livres parce que vous, vous ne l'avez pas, allez directement découvrir dans la conclusion les « règles pour réussir à échouer ». Vous comprendrez pourquoi vous n'avez jamais le temps et pourquoi il est nécessaire de suivre ce conseil que donne Luc dans son Évangile : « Qui de vous, en effet, s'il veut bâtir une tour, ne commence par s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi aller jusqu'au bout ? » (Luc, 14, 26).
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