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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

LA MARCHE DES QUÉBÉCOIS. LE TEMPS DES RUPTURES (1945-1960). (1975)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Jean-Louis Roy, LA MARCHE DES QUÉBÉCOIS. LE TEMPS DES RUPTURES (1945-1960). Montréal, Les Éditions Leméac, 1975, 383 pp. [Autorisation accordée par l'auteur, par l'intermédiaire de mme Viviane Poirier, Bureau du Président, Droits et démocratie, le 24 octobre 2006, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

par Jean-Louis Roy
Montréal
22 avril 1975.
 

 

La guerre et la crise, l'une lointaine mais présente dans la mémoire collective et individuelle, l'autre encore vivante en chaque esprit, en chaque maison, village et ville, constituent ensemble comme une caisse de résonance mentale, une référence à dimensions multiples que les Québécois se rappelleront en vivant l'après-guerre. 

Si la guerre a créé une apparente prospérité à la ville et à la campagne, assuré de nouveaux circuits à l'économie et de nouveaux marchés à la production, la démobilisation inquiète. La rentrée des soldats donne lieu au débordement du retour marquant les souffrances de ceux qui depuis 1940 ont reçu le télégramme-formule les informant du regret du gouvernement d'avoir à leur annoncer le décès d'un être cher « mort pour la liberté ». 

Cette aventure essentielle, imposée aux Québécois contre leur volonté, a profondément modifié le paysage social. 

– Dans les rapports humains, des citoyens se trouvent obligés de réévaluer leurs conditions d'existence, leur engagement familial, leur situation dans la main-d'œuvre. 

– Dans les rapports sociaux, des catégories de citoyens, en particulier les vétérans et les femmes, ont à se relocaliser à long terme. Les mentalités et les attitudes ont subi des mutations qu'un séjour en Europe, en usine, en ville, explique.
 
– Dans les rapports politiques, la guerre force les Québécois à réexaminer leur « sécurité nationale » au sein d'une confédération qui assure au gouvernement fédéral une priorité de fait dans des secteurs fondamentaux en raison des « exigences » militaires du temps. 

Vaguement, la fin de la guerre ramène l'inquiétude d'une récession économique. 

Qu'adviendra-t-il des usines dites « de guerre », des bases militaires, des camps d'entraînement et de l'activité économique qui en découlait ? 

Dans les remous de l'après-guerre, les images des dévastations européennes évoquent les souvenirs des temps de misères et privations qui ont marqué les visages et les esprits dans les années trente. 

Gabrielle Roy a signifié cette inquiétude en dégageant une imagerie de la guerre « comme une chance vraiment personnelle », comme la fin du règne « de l'assistance publique ». 

De ces confusions, nées de souvenirs et d'expériences récentes, émergent des situations qui sont les tensions de l'après-guerre. 

– Volonté de conserver cette liberté chèrement assurée. En de subtiles dimensions des existences, chacun cherchera des zones accrues de temps libre, de loisirs, de voyages, d'appropriation. Une éthique plus autonome germe lentement, prépare les mutations des valeurs depuis enregistrées. En même temps que s'organisent les divers types de sécurité collective, chacun poursuit ses objectifs privés. À l'effort collectif imposé, succède un individualisme fondamental.
 
– Crainte des ennemis « communistes » partagée par de vastes sections de l'opinion publique occidentale. De plus, cette question s'entremêle avec l'épineux problème des « libertés religieuses » dans les démocraties populaires à l'Est, les « persécutions des évêques, prêtres et fidèles » rendues plus dramatiques encore par de constantes condamnations du pape Pie XII, sans doute l'une des figures les plus vénérées ici dans la décennie de l'après-guerre. 

C'est une rapide transformation des rapports inter-alliés au lendemain de la guerre, conjuguée à la défaite des nationalistes en Chine qui alimenta ce climat permanent de « guerre froide » dont Dulles fut l'un des artisans les plus convaincus. 

En Asie, l'effondrement de l'Empire japonais plonge dans le chaos l'Indochine, l'Indonésie, la Birmanie (en partie) et la Malaisie. Pour chacun de ces territoires, se pose l'épineux problème des rapports avec les métropoles européennes. De ces chaos, allaient naître des conflits dont les échos nous parviennent encore quotidiennement et qui continuent de marquer l'évolution des comportements politiques collectifs et privés dans la plupart des pays du monde. 

La Chine est déchirée par une guerre civile dont les résultats constituent l'un des événements majeurs de l'Histoire de l'humanité. 

L'Inde cherche à terminer une lutte cinquantenaire pour prendre en main le contrôle de ses choix politiques et son développement. 

En Europe, l'inventaire des destructions n’en finit plus. L'Union soviétique manifestait de multiples manières la fin de l'alliance anti-nazis. En 1948, la mort de Jan Masarik en Tchécoslovaquie, la mise en place des régimes frères en Europe de l'Est, l'usage de la « subversion », de l'« espionnage », de la « brutalité », du « chantage » donne une arme privilégiée pour l'instauration des régimes communistes dans les territoires occupés ; autant de stimuli fréquemment invoqués, fondant les inquiétudes des démocraties libérales dévastées. 

La première réponse officielle fut l'énoncé de la doctrine TRUMAN : aide massive aux États européens du Sud pour consolider leur position face aux pressions en provenance de l'Est. 

La seconde réponse en provenance de l'Ouest est connue. Il s'agit du plan Marshall, opération américaine de treize milliards et demi de dollars pour assister l'Europe alliée dans sa reconstruction. 

Aux consolidations des démocraties libérales, les soviétiques répondent par une extraordinaire activité militaire, scientifique, industrielle et sociale qui transforme l'Union et lui permet, à l'été de 1949, de faire exploser sa première bombe atomique. 

La terreur nucléaire née à Hiroshima s'intensifiait. 

De plus, le « blocus » de Berlin, en 1948, avait, pour les occidentaux, le visage d'une provocation inhumaine et explosive. 

En 1949, l'OTAN était créée. 

Dans les esprits, la crainte du communisme avait succédé à la crainte du nazisme. Les Québécois vont, de loin, mais intensément, participer à cette division absolue des blocs, l'un porteur de toutes les menaces et contraintes, l'autre responsable de la liberté. 

Le communisme, avant la guerre, était confiné à l'Union soviétique, en 1950, il couvrait l'Europe de l'Est en son entier, était devenu le principe organisateur de la Chine, la cause d'une guerre en Corée, tentait, « selon l'analyse américaine », de s'implanter au Guatemala et animait l'agitation en Europe de l'Ouest, voire même aux États-Unis. Eisenhower, en 1952, en acceptant d'être candidat à la présidence des États-Unis invoquait comme l'un des motifs de sa décision « l'apathie et l'apparente ignorance gouvernementale face à la pénétration communiste au sein du gouvernement américain... » 

Déjà fortement impressionné par l'envahissement du communisme mondial, le nouveau président nommait John Foster Dulles, avec lequel, pour reprendre son expression « il se trouvait en accord quant aux conceptions du développement des relations internationales », au poste de Secrétaire d'État. 

« Les forces du mal et les forces du bien sont rassemblées face à face et s'opposent... » 

Par ces mots, Eisenhower, aux cérémonies de son inauguration, définissait le schéma d'une période.

La société québécoise était réceptrice des messages qui lui parvenaient de toutes parts, amplifiés par les nouveaux media qui brisaient son isolement culturel et géographique. Tant d'autorités conjuguées confirmaient la ligne idéologique qui avait été son langage officiel, et avait façonné ses structures sociales et mentales ! 

– Préoccupation des dangers que représentent les innovations et attitudes spirituelles et intellectuelles sans lien avec la tradition de la théologie et de la philosophie « Pérénnis ». Si Maritain et Mounier étaient lus par des groupes restreints, on craignait et condamnait les hommes qui s'inspiraient du second dans leur volonté de libérer la cité.
 
– Du marxisme lointain et « stalinien » on savait finalement peu de choses : mais notre conception et notre tradition de la marginalité de l'État, des libertés individuelles, de la liberté d'entreprise, confirmait, au niveau du réflexe et du choix, les condamnations répétées qui, de Rome, Washington, Bonn, parvenaient jusqu'ici.
 
– Préoccupations aussi des dangers que représentent les innovations et attitudes mentales renouvelées par la recherche sociale. Ces innovations introduisent dans l'organisme social fonctionnel des préoccupations relatives aux justifications et aux finalités, à l'équilibre des rapports sociaux et à leur transformation. 

Chacun sait qu'à long terme l'équilibre dans les rapports sociaux est constamment rompu et réinventé dans un rythme qui doit être laissé à lui-même, affirment les uns, tandis que les autres proposent des modèles de désagrégation et de reconstruction, d'accélération et de contrôle qui modifient les rythmes sociaux et assurent des contrôles nouveaux. De ces oppositions, allaient naître des conflits majeurs entre ceux qui avaient renoncé à la parole usée et ceux qui se considéraient les gardiens du patrimoine et contrôlaient les pouvoirs. 

Dans ces combats pour la « sauvegarde de la civilisation », les pouvoirs traditionnellement liés se rapprocheront encore davantage si possible. Ceux qui, à l'intérieur de ces pouvoirs, percevaient des signes de changement et invoquaient des directions inédites dans les rapports sociaux, furent intimidés, quelquefois réduits au silence, voire même à l'exil. Ce ne fut pas là l'un des moindres effets de la guerre froide que d'imposer une crainte de l'innovation. Comme on l'a écrit, les attaques contre les fausses idées se transformèrent en luttes contre toutes les idées. Tout esprit critique, dans un tel contexte était limité à la dimension descriptive des situations, sans plus. Mais le changement s'imposait en chaque secteur. 

La fascination de l'après-guerre québécois se trouve à la jonction de ces deux réalités irréconciliables. Premièrement, la confirmation solide d'un choix ancien quant à la structure sociale, la place de l'État, la définition de la liberté. Deuxièmement, la volonté de voir les droits sociaux définis et respectés, la volonté de moderniser l'État et de lui reconnaître un rôle privilégié dans l'organisation et la planification du développement économique et social. Ces volontés sont amplifiées par le modèle de vie « étatsunien » avec ses fascinantes invites au bien-être, au confort, fondées sur la possession de l'argent et du crédit, des objets et des convoitises. Les aspirations sont amplifiées par la publicité écrite, parlée et visuelle et font déborder les structures traditionnelles de la société, l'obligeant à s'approprier, en partie, certains usages de la liberté, tout en provoquant une réelle mutation dans la structure sociale. L'après-guerre représente un fascinant épisode de ce conflit entre l'âge de la répétition et l'âge de l'innovation. 

L'objectif du présent ouvrage est de faire apparaître les transitions qui ont marqué la vie des groupes dans la période de l'après-guerre au Québec. Pour effectuer la sélection de ces groupes, il fallait choisir, donc éliminer. 

Des groupes importants, soit par l'ampleur de leur membership, la qualité de leur travail ou par l'impact de leur pensée sur la société québécoise sont absents de cette étude. Leur absence marque les limites de notre travail et pointe des directions de recherche riches et encore neuves. Notre intention n’était pas d'écrire une histoire intellectuelle mais bien de rassembler des matériaux pour une histoire sociale. Le principe de sélection des groupes étudiés est tributaire de cette intention initiale. On remarquera, de plus, qu'aucune analyse systématique des rôles d'intervention et d'abstention de l'Église et de l'État québécois n’est présentée. Un ouvrage que nous sommes en train de compléter comblera cette lacune. Trop de questions posées dans le présent ouvrage resteraient sans réponse sans ce complément indispensable. Il convenait cependant de présenter nos recherches dans cet ordre. La société québécoise est plus vaste, plus diversifiée dans les faits et dans ses aspirations que l'État qui n’en incarne et n’en exprime que des éléments partiels. 

Les Québécois sous Duplessis ont vécu et activé des phénomènes apparemment marginaux qui, pendant et malgré le long règne du chef, transformaient la société québécoise. Ce temps des ruptures en est un de gestation, une longue marche qui préparait ce qui fut appelé la Révolution tranquille. 

Afin de mieux présenter notre travail, peut-être est-il nécessaire de dire ce que ce livre n'est pas : 

Il n’est pas une histoire des idées. Nos objectifs de recherche et la sélection des groupes que nous avons effectuée, indiquent clairement que ce travail ne saurait être reçu et défini comme une histoire des idées. Notre intérêt est du côté des groupes d'action, des catégories sociales réelles, obligées de vérifier dans les exigences quotidiennes des services, de la production et de la concurrence, leur système d'organisation. 

Cette vérification est à sa manière génératrice d'idées. Par un curieux paradoxe, et sans l'avoir recherché, nous nous sommes retrouvés en plein débat d'idées au sein des groupes, ainsi qu'entre ces groupes et l'État. 

Il n’est pas une histoire politique. Et sans l'être par choix, il l'est à sa manière. Chacun des groupes étudiés, chacune des idées recensées dans notre recherche rejoint par un aspect ou l'autre l'ère des choix, des décisions, des abstentions collectives. En affirmant que notre ouvrage n’est pas une histoire politique, nous voulons souligner que le champ d'activité proprement politique dont l'analyse comporte ses contraintes et ses exigences scientifiques, n’est jamais abordé pour lui-même mais tel qu'il est apparu pour les groupes sociaux. 

Il n’est pas une histoire culturelle, sinon au sens très large du terme. Si l'histoire culturelle est définie par la fabrication des structures d'opération et de développement et par la reconnaissance de nouvelles valeurs de regroupement de solidarité, peut-être alors faut-il parler ici d'une étude d'histoire culturelle. S'il fallait cependant la définir à partir des critères plus spécifiques généralement retenus pour définir les domaines des arts, alors l'expression histoire culturelle ne saurait être retenue pour définir notre recherche. 

En définissant ce que ce livre n’est pas, nous en avons marqué les limites. Des domaines entiers de la vie collective n’y trouvent pas leur place. Certains groupes qui ont sans doute joué au plan de la réflexion et de l'intervention sociale un rôle fondamental sont à peine mentionnés ; nous pensons en particulier aux mouvements d'action catholique, à l'aventure de Cité Libre et du Rassemblement. Les ruptures qui ont affecté l'expression artistique n’y sont pas recensées. 

Nous n’avons pas non plus étudié le rôle de la presse nationale et régionale dont l'importance quantitative ne cesse de croître tout au long de la période de l'après-guerre. Enfin, l'apparition de la télévision, qui brise des isolements anciens, mériterait à elle seule une analyse exhaustive. Les média, anciens et nouveaux, ont amplifié la volonté de changement exprimée par de nombreux groupes dans divers secteurs. Ils ont permis une expression cumulative de ces désirs et structuré en quelque sorte la transition à venir. 

Cette transition se manifesta par la volonté d'organisation, le désir de définir et de s'approprier une connaissance utilisable concrète, de voir l'État effectuer les modifications législatives indispensables afin de permettre aux groupes de s'ajuster à leur propre croissance, à la redéfinition de leurs objectifs spécifiques et aux nécessités impérieuses nées des modifications technologiques et des ajustements sociaux correspondants. Bref, mieux informés à partir de leur propre expérience, plusieurs groupes découvrirent que les limites de leur propre développement dépendaient de modifications substantielles aux normes qui régissent le développement collectif. La redéfinition du rôle de l'État s'imposa d'abord au niveau des groupes avant d'apparaître comme une impérieuse nécessité pour les dirigeants politiques. Quand il décideront, forts de l'appui de l'électorat, de moderniser l'État, ils pourront prendre appui chez de très nombreux groupes qui ont déjà vécu par et pour eux-mêmes la transition. 

L'ensemble des débats, des ruptures, des projets vécus par les groupes sociaux retenus pour notre recherche dessine une image des volontés de développement apparues, définies et proposées dans la société québécoise de l'après-guerre. Chaque chapitre est consacré à l'analyse d'un groupe spécifique ou d'une famille de groupes réunis par leur vocation commune ou complémentaire. 

Le capital humain 

Il aura fallu la grande crise économique, la guerre, et des mouvements démographiques importants pour ébranler au Québec l'identification entre la doctrine sociale et la connaissance sociale. Cette identification, maintenue tout au long de la première moitié du XXe siècle, explique en partie la lente dégradation de l'irremplaçable ressource humaine. 

Ce fut le difficile travail effectué dans les universités, dans les groupes sociaux, voire même au sein de la fonction publique québécoise qui fit apparaître la contradiction entre le vécu quotidien des individus et des groupes et l'arsenal de termes, de thèses, de slogans et de symboles des spécialistes de la doctrine sociale. 

L'émergence, comme discours autonome, de la connaissance sociale, imposa un choix entre la répétition et l'innovation. À la fin des années cinquante, de nombreux représentants de groupes d'intérêt, de classes de citoyens partageaient la certitude que l'organisation sociale traditionnelle ne pouvait plus combler adéquatement les besoins sociaux des québécois. Pour eux la définition et l'implantation d'une politique sociale plus apte à conserver et à développer le capital humain s'imposaient comme une priorité collective. 

L'aménagement social et économique 

La transition vécue par les Québécois dans l'après-guerre n’est nulle part plus visible que dans la consolidation ou la création de mouvements et d'organismes à vocation socio-économique. 

En effet, la génération née de la crise et de la guerre produit des élites qui brisent avec une tradition doctrinale voire même doctrinaire, vérifiant dans l'action les hypothèses de regroupement et d'organisation des groupes de pression et d'intérêt socio-économique. L'héritage reçu était plutôt mince. 

Mise à part la Chambre de commerce, l'inventaire des mouvements patronaux nous met en présence d'un grand nombre de petites associations locales isolées et sans influence ou d'organismes canadiens ni préparés, ni désireux d'accueillir et de servir les besoins particuliers des industriels québécois francophones : besoins d'éducation économique et administrative, besoins d'information technique relative aux pressantes nécessités de l'organisation du travail, des relations industrielles, de la mise en marché, de la conquête de nouveaux marchés, du regroupement industriel etc. 

Le schéma idéologique qui présida dans l'après-guerre au premier regroupement significatif des industriels québécois témoigne du conservatisme ambiant. Les difficultés pratiques expérimentées nous informent d'une mentalité individualiste et de l'isolement des « patrons » canadiens-français, leur volonté de conserver l'acquis, leur crainte devant des innovations indispensables, en particulier dans le secteur des relations industrielles, et marquent les frontières de renouvellement possible des idées et des attitudes. 

Malgré ces précises limitations, l'expérience de regroupement des « patrons » québécois dans l'après-guerre mérite un examen attentif. Elle constitue un phénomène nouveau. Elle est comme un révélateur de situations individuelles et collectives : absence de tradition dans ce domaine, ambiguïté des fondements, des valeurs motivant l'activité économique, etc. 

Dans le secteur syndical, la croissance du savoir, le renouvellement du leadership, la dureté de certains affrontements à l'occasion de conflits de travail, les premières expériences d'action éducative et d'éducation politique, l'élaboration d'une pensée sociale de mieux en mieux articulée, la lutte constante pour la reconnaissance d'un régime de travail plus juste, marquent la transition d'un syndicalisme d’accommodement, sous-équipé pour définir ses propres orientations, à un syndicalisme devenu suffisamment solide pour interpeller l'ensemble du corps social et les pouvoirs qui le contrôlent. 

L'inventaire du mouvement coopératif témoigne d'une croissance remarquable dans l'après-guerre. Qu'il s'agisse de la consolidation de certains secteurs dont les racines s'enfoncent loin dans l'histoire sociale québécoise, tels les secteurs de l'épargne et du crédit, de l'agriculture et des pêcheries, ou de nouveaux secteurs tels la consommation et l'habitation, la formule coopérative est un instrument collectif qui transforme la vie de milliers de Québécois devenus, grâce à elle, partiellement maîtres de leurs activités socioéconomiques. Malgré certains échecs et des demi-réussites, l'ampleur des investissements et des réalisations du mouvement coopératif marque une transition significative. 

La transmission du savoir 

Malgré des retards injustifiables, des excès de prudence, des improvisations, des volontés de contrôle avouées ou inavouées, le savoir, sa transmission et l'importance qu'on lui reconnaît dans l'après-guerre au Québec, acquièrent une primauté d'intention et de fait autour de laquelle gravitent une constellation d'innovations, de débats et d'inquiétudes profondes. 

Quelle conception de l'homme et de l'organisation sociale faut-il privilégier pour absorber « les valeurs de toutes sortes que la science et la technique, en particulier les moyens de diffusion, présentent comme contenu de la « modernité » et en même temps, préserver et développer l'identité culturelle et nationale qui définit la raison d'être de l'existence québécoise ? 

Quelle autorité faut-il reconnaître comme raisonnablement apte à assurer la définition, l'implantation et le développement d'un réseau d'institutions scolaires, coordonnées entre elles, et adaptées aux exigences cumulatives de la croissance démographique, scientifique et culturelle du Québec ? Cette société, de moins en moins homogène idéologiquement et spirituellement, est emportée par la croissance et comptabilise pour la première fois des situations de dénuement physique et social, appelant des réformes radicales. 

Peut-on rénover le système traditionnel, l'agrandir, l'ajuster, conserver l'acquis de trois générations de Québécois ayant, en certains secteurs, constitué des institutions remarquables et y ajouter les services et les enseignements devenus indispensables ? Plusieurs y ont cru et ont sérieuse ment travaillé dans cette direction ; mais chaque réforme, sitôt définie et implantée, semble déjà dépassée, en particulier par la croissance démographique. 

En plus des problèmes généraux de caractère interne du système scolaire lui-même, du partage des responsabilités et des pouvoirs d'initiative et de contrôle, par ses implications pratiques et constitutionnelles « il fait pièce, pour reprendre l'expression du Rapport Tremblay, avec le problème général de la culture et des cultures comme il se pose au Canada et, par suite, avec la raison la plus profonde de l'autonomie de la province de Québec. » 

En superposant les études particulières des divers groupes sociaux qui composent chaque chapitre de notre recherche, des images précises s'imposent avec force. La société québécoise de l'après-guerre vit comme un grand organisme disparate. Elle vit d'une énergie sociale puissante qui préside à ces milliers de rencontres, de discussions, d'initiatives inédites, de tentatives avortées ou réussies. Elle vit d'une volonté jamais tarie, qui porte dans des secteurs divers, des milliers de Québécois à bâtir, souvent sans autre moyen que la ressource humaine, des lieux de regroupement et d'organisation. 

Elle cherche son principe d'organisation. Entre les formes de sa structure ancienne et les modèles de plus en plus précis de sa modernisation, elle vit une période difficile de transition, matérielle et spirituelle. 

Jean-Louis Roy
Montréal
22 avril 1975.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mercredi 24 septembre 2008 15:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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