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L'éducation, 25 ans plus tard ! et après ?
Claude RYAN
ministre de l'Éducation
et ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science
“Vingt-cinq ans plus tard,
où en sommes-nous ?
Réflexions pour un anniversaire”.
Un texte publié dans l’ouvrage sous la direction de Fernand Dumont et Yves Martin, L'éducation, 25 ans plus tard ! et après ? Actes du colloque tenu à Québec, en novembre 1989, à l'occasion du 25e anniversaire de création du ministère de l'Éducation et du Conseil supérieur de l'Éducation, pp. 227-240. Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, 432 pp.
Je suis heureux de participer à ce Colloque dont les travaux me semblent devoir constituer une étape très importante dans le déroulement des événements qui marquent en 1989 le 25e anniversaire de fondation du ministère de l'Éducation. Nous célébrons le 25e anniversaire du ministère de l'Éducation mais c'est en réalité un événement beaucoup plus large que nous voulons commémorer. La création du ministère de l'Éducation en 1964 marqua avant tout la prise en charge par la société québécoise de son système d'enseignement, à tous les niveaux. C'est cela que nous voulons rappeler en 1989. Il ne saurait être de façon plus appropriée de le faire qu'une rencontre comme celle-ci où il nous sera donné de mettre en commun des réflexions dont la somme me semble devoir être imposante, étant donné la haute expertise des conférenciers et l'impressionnante diversité des sujets inscrits au programme de vos travaux.
À l'Institut québécois de recherche sur la culture, qui assume la responsabilité du Colloque, à son président très estimé, Fernand Dumont, et à son équipe, j'adresse les remerciements cordiaux du gouvernement non seulement pour cette initiative intéressante que [16] constitue le colloque mais aussi et surtout pour la très riche contribution que l'Institut continue de fournir à notre appropriation critique de notre héritage culturel. Avec des ressources relativement modestes, l'IQRC a accompli un travail considérable et d'excellente qualité. Je souhaite qu'il puisse recevoir avant longtemps l'assurance qu'il pourra poursuivre sa carrière dans un contexte plus propice si possible à l'action en profondeur dont il rêve à juste titre.
L'objet de votre Colloque est simple. En ce 25e anniversaire de fondation du ministère de l'Éducation, vous tenterez de mesurer le chemin parcouru depuis un quart de siècle et de discerner des avenues qu'il est permis d'entrevoir pour l'avenir. C'est avec grand plaisir que j'ai voulu m'associer à votre démarche en acceptant de manière quelque peu téméraire l'invitation que vous m'avez faite à prononcer le discours d'ouverture de vos assises. Ce discours, je le ferai en toute simplicité, sur le ton de la réflexion et de l'échange. Je tenterai de profiter de l'occasion pour partager avec vous quelques soucis que je nourris en relation avec les principaux thèmes inscrits au programme du Colloque.
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Vous ne serez pas étonnés que je vous livre d'abord quelques observations sur le premier thème que j'ai trouvé dans votre programme, soit celui de la démocratie scolaire. Ce thème me paraît très approprié, car c'était d'abord la démocratisation du système d'enseignement que l'Assemblée nationale avait en vue quand elle donna en 1964 son aval à la création d'un ministère de l'Éducation. Par la démocratisation du système d'enseignement, les réformateurs des années 1960 entendaient deux choses principales. Ils visaient en premier lieu à assurer le contrôle plénier de la population sur son système d'enseignement. Ils visaient aussi à rendre largement accessible à toute la population l'accès à l'instruction.
Que nous ayons fait des pas de géant dans cette double direction, les faits l'attestent abondamment. D'un niveau d'enseignement à l'autre, nous nous sommes donné un système d'enseignement qui est très largement public.
Au plan de l'enseignement primaire et secondaire, près de 92% des élèves d'âge scolaire étaient inscrits en 1988-1989 dans des écoles publiques gérées par des commissions scolaires formées de membres [17] élus au suffrage universel par la population. Sauf en ce qui touche l'enseignement moral et religieux catholique ou protestant, de même que l'animation pastorale ou l'animation religieuse à l'égard desquels les comités confessionnels du Conseil supérieur de l'éducation ont une responsabilité définie, tout ce qui se passe dans ces écoles est désormais sous l'autorité de commissaires d'école parmi lesquels on trouve un nombre sans cesse grandissant de parents ayant d'abord œuvré au niveau de l'école et d'un ministre de l'Éducation, tous élus par la population.
Certains s'inquiètent de la présence à côté du secteur public d'un réseau d'établissements privés d'enseignement qui a connu depuis dix ans une légère croissance de clientèles. Ces établissements - loin de nuire au secteur public - assurent au sein de notre système d'enseignement une diversité qui me paraît souhaitable. Ils répondent à une volonté claire et légitime d'un secteur non négligeable de la population. Les déboursés qu'ils entraînent pour l'État sont presque deux fois moins élevés, dans la situation actuelle, que ceux qui sont encourus pour l'école publique. Le développement des écoles privées est en outre contrôlé par l'État, qui peut toujours limiter le nombre des établissements subventionnés et ajuster au besoin le niveau des subventions versées à ces établissements, en même temps qu'il fixe par la loi une limite à la contribution financière que les établissements privés peuvent exiger des parents de leurs élèves. Dans certaines régions, le niveau maximum de développement des établissements privés est déjà atteint, à toutes fins utiles. Au cours des quatre dernières années, les nouveaux statuts subventionnés décernés à des établissements privés - une douzaine en tout - l'ont été en faveur d'établissements oeuvrant pour la plupart dans des régions où l'enseignement privé n'était pas accessible. Parler dans ces conditions d'une menace à l'intégrité du secteur public ou d'une dangereuse érosion de l'esprit de 1964, c'est se nourrir de clichés faciles. C'est plus exactement rêvé d'un monopole rigide pour le secteur public. Telle n'a pas été la conception ou du moins la politique d'aucun gouvernement québécois depuis 1964. La raison qui explique ce phénomène est très simple : la présence d'un secteur privé bien constitué répond à un vœu important de la population, de cette population dont la volonté est censée être la norme ultime des décisions politiques en régime démocratique.
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Au niveau collégial, 83% de la clientèle inscrite dans les collèges fréquentent des établissements publics d'enseignement général et professionnel dont la direction est assurée par des conseils d'administration formés soit de membres choisis par leurs pairs à l'intérieur même de chaque établissement, soit de membres représentant les milieux socio-économiques et désignés par le gouvernement. Le régime des études est défini par le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Science. Il en va de même des programmes de cours. Le gouvernement fournit la presque totalité des ressources financières dont disposent les collèges. Il fixe en retour les règles d'allocation des ressources budgétaires et exerce un contrôle direct sur l'approbation des budgets des établissements.
Au plan universitaire, les établissements jouissent d'une large autonomie. Notre régime d'enseignement universitaire est très libre. Il se compare avantageusement à cet égard à celui de n'importe quel autre pays. Mais en contrepartie, les universités retirent depuis quelques années une partie croissante de leur financement des subventions gouvernementales. Étant donné leur dépendance très grande envers cette source de financement, les universités devront inexorablement se résoudre dans l'avenir à des formes plus exigeantes de reddition de comptes. Elles devront aussi accepter, comme plusieurs établissements l'ont fait ces dernières années, de faire une place plus large à des représentants de la communauté dans leurs organes directeurs.
De manière générale, les structures que nous avons présentement me semblent appelées à durer assez longtemps. Toutes les tentatives visant par exemple à faire disparaître les commissions scolaires se sont heurtées dans le passé à des obstacles insurmontables. Il en serait de même de toute tentative d'émancipation radicale ou de domestication par l'État des établissements de niveau collégial et universitaire. Dans un tel contexte, il ne saurait être question de changement majeur aux structures que nous connaissons. Des problèmes sérieux se posent néanmoins à leur sujet. Je tenterai de les résumer brièvement.
1. Le partage actuel des pouvoirs entre le gouvernement et les commissions scolaires en matière fiscale traduit une trop forte prépondérance du gouvernement. En matière de pédagogie et d'organisation scolaire, la Loi 107 a effectué un partage de responsabilités qui me semble sain et qui est largement accepté. Le législateur, estimant que le terrain n'était pas mûr, s'est toutefois abstenu de toucher au partage [19] des pouvoirs fiscaux entre le gouvernement et les commissions scolaires. Or, le partage actuel, selon lequel les commissions scolaires retirent 91% de leurs revenus de fonctionnement sous forme de subventions gouvernementales, ne saurait être jugé satisfaisant. Il crée une dépendance trop forte des commissions scolaires envers le gouvernement. Dans les provinces situées à l'ouest du Québec, les commissions scolaires retirent de leur propre fiscalité environ 40% de leur budget total. Il n'est pas exagéré de souhaiter que nous en venions un jour à un partage fiscal qui traduirait plus fidèlement le partage réel des responsabilités entre le gouvernement et les commissions scolaires. La faiblesse des pouvoirs fiscaux dévolus aux commissions scolaires explique sans doute dans une bonne mesure le faible taux de participation de la population aux élections scolaires. La meilleure façon de renforcer cette participation, ce serait de faire en sorte que les enjeux des élections scolaires soient plus substantiels et que la marge d'initiative fiscale et administrative laissée aux commissions scolaires soit plus élevée.
2. Au niveau des collèges et des universités, des problèmes d'équilibre se posent aussi. Nous sommes à la recherche d'un équilibre plus satisfaisant en ce qui touche l'apport respectif des éléments en provenance de l'extérieur et des éléments en provenance de l'intérieur dans la gestion des établissements. Dans le contexte de financement public massivement prépondérant que nous connaissons, le concept d'établissements entièrement autogérés n'est pas acceptable. Étant donné la nature des établissements collégiaux et universitaires, le concept d'établissements qui seraient gérés par des conseils entièrement formés de membres en provenance de l'extérieur n'est pas davantage recevable. De manière générale, la prépondérance des éléments en provenance de l'intérieur est apparue trop forte, ces dernières années. Elle s'est révélée porteuse de contradictions souvent coûteuses, parfois même insolubles. Aussi le gouvernement tend-il, ainsi que l'indiquent les modifications récemment apportées à la Loi sur l'Université du Québec ainsi qu'aux chartes de l'École des hautes études commerciales et de l'École polytechnique de Montréal, à renforcer la représentation d'éléments extérieurs au sein des conseils d'administration des collèges et des universités.
3. Au niveau des structures supérieures, la Commission Parent avait fortement insisté pour que soit nommé un ministre qui serait responsable [20] de la direction politique de tout le secteur de l'éducation. Cette recommandation faisait directement suite au diagnostic de dispersion anarchique porté sur notre système d'enseignement par l'organisme d'enquête. Mais la tâche dévolue au ministre souhaité par la Commission Parent s'est révélée plus lourde, à l'expérience, qu'on ne l'avait prévu. Devant la complexité de la tâche, le gouvernement précédent, sans aucun débat préalable, décidait en 1984 de scinder le ministère de l'Éducation en deux ministères différents. À vrai dire, il le scinda en trois, car une partie très importante de la formation professionnelle des adultes fut transférée vers la même époque au ministre de la Main-d'œuvre et de la Sécurité du revenu. Les raisons de ces choix sont compréhensibles mais les risques qu'ils recelaient pour l'unité de direction du système d'enseignement étaient très sérieux. Plutôt que de consommer la rupture, le chef du gouvernement actuel - sans remettre en cause l'existence de deux ministères distincts - décidait en 1985 de confier à un titulaire unique la responsabilité du ministère de l'Éducation et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science. Sous l'angle de la cohérence des décisions et du développement harmonieux de l'ensemble du système, les avantages découlant de l'unité de direction politique sont très importants. Sans préjuger de l'avenir, j'espère que cette unité de direction politique sera maintenue au moins aussi longtemps que nous n'aurons pas mis en place des éléments de solution durables à des problèmes majeurs qui se posent au plan de l'unité et de la cohérence de notre système d'enseignement. On parle beaucoup, par exemple, et à juste titre, de la refonte des programmes de premier cycle universitaire, du réaménagement des programmes de concentration en sciences de la nature et en sciences humaines au collégial, du renforcement de l'étude des langues, des sciences et de la mathématique au secondaire, du réaménagement de la formation professionnelle au niveau secondaire et au niveau collégial, de la multiplication des choix offerts aux clientèles adultes à tous les niveaux. Pour qui connaît les difficultés de toute tentative de coordination horizontale au sein d'un gouvernement, la formule d'une autorité politique unifiée apparaît beaucoup plus efficace que toute forme d'autorité partagée ou divisée pour l'examen efficace de ces problèmes.
À ceux que peut inquiéter l'étendue des pouvoirs conférés au ministre, je rappelle que l'exercice de ces pouvoirs est balisé par toutes sortes de dispositifs qui ne laissent guère de place à l'arbitraire ou qui, à tout le moins, ne sauraient permettre à l'arbitraire de prévaloir [21] très longtemps. Parmi ces balises, il y a d'abord l'action des conseils consultatifs dont le législateur a tenu à entourer le ministre, soit le Conseil supérieur de l'éducation, avec ses deux comités confessionnels et ses commissions permanentes, le Conseil des collèges, la Commission consultative de l'enseignement privé, le Conseil des universités et le Conseil de la science et de la technologie. Il y a aussi l'action des organismes internes du gouvernement, en particulier du Conseil des ministres, du Conseil du trésor et des comités ministériels, qui scrutent avec attention les faits et gestes de chaque ministre, surtout de ceux dont le secteur d'intervention entraîne des coûts élevés et des risques politiques importants pour le gouvernement. Il y a enfin l'Assemblée nationale et la Commission parlementaire de l'éducation, où le ministre est très souvent appelé à rendre compte de sa gestion sur les sujets les plus variés et souvent les plus inattendus. Tout cela me paraît suffisant pour prévenir le système contre les excès toujours possibles, sauf peut-être contre les effets plus subtils et moins visibles qui découlent inexorablement de la médiocrité et du conformisme.
4. Vingt-cinq ans après la création du ministère de l'Éducation, l'une des critiques que l'on formule le plus souvent au sujet de notre système d'enseignement porte sur le niveau des ressources mises à la disposition des établissements éducatifs par le gouvernement. Les compressions massives des dix dernières années ont fait mal aux établissements d'enseignement à tous les niveaux. Il arrive de plus en plus souvent que l'on dénonce le soi-disant désengagement de l'État ou plus exactement du pouvoir libéral envers l'éducation. Dans plusieurs milieux, on parle volontiers de recul, de retour en arrière, de nouvelle noirceur. On me permettra de fournir à ce sujet quelques précisions qui invitent à un jugement plus nuancé.
Si l'on examine d'abord l'effort financier global du Québec dans le secteur de l'éducation, on est conduit à parler de retour à un sain équilibre plutôt que de recul. Pendant quelques années, le gouvernement s'est en effet imposé un effort financier sensiblement supérieur à celui du reste du pays en matière d'éducation. En 1981, par exemple, le Québec consacrait 8,9% de son produit intérieur brut à l'éducation dans son ensemble, contre 6,5% pour les autres provinces canadiennes et 6,6% pour les États-Unis. Cet effort extraordinaire était commandé par la démarche impérieuse de rattrapage qu'il fallait nous imposer. Mais il ne pouvait pas se poursuivre indéfiniment sans que [22] soit compromis le développement d'autres secteurs non moins importants de l'activité collective ou que soit diminuée la capacité concurrentielle de toute la société québécoise. Aussi l'effort des dernières années, une fois effectué les rattrapages majeurs qui s'imposaient, a-t-il consisté à rapprocher notre niveau de dépenses en éducation de celui qui prévaut dans le reste du pays. La part de son PIB que le Québec consacrait à l'éducation en 1988 était de 7,0%, contre 6,6% pour les autres provinces canadiennes. Nous pouvons raisonnablement viser à maintenir le faible écart qui subsiste encore, mais il est difficile de penser que nous pourrons le ramener au niveau des années où tout nous paraissait accessible et permis.
Si l'on décompose par secteur les dépenses que le Québec consacre à l'éducation, on enregistre toutefois des constatations qui invitent à des redressements dans le secteur de l'enseignement supérieur. Tandis qu'en dollars constants, les ressources consacrées à l'enseignement primaire et secondaire sont généralement demeurées stables depuis dix ans, on observe au contraire, pendant la même période, une diminution inquiétante des ressources consacrées à l'enseignement postsecondaire et surtout à l'enseignement universitaire. On serait tenté d'attribuer ce glissement à une diminution des subventions gouvernementales. Si l'on examine la situation de plus près, toujours dans une perspective de comparaison avec le reste du Canada, on découvre cependant que l'écart qui s'est creusé entre le Québec et les autres provinces provient non pas d'une diminution des subventions gouvernementales - lesquelles demeurent parmi les plus élevées de tout le pays - mais du choix politique que nous avons fait de geler les droits de scolarité au niveau où ils étaient depuis vingt ans et de réduire ainsi d'année en année la contribution réelle des étudiants au financement de leurs études. À la suite de l'ajout de 55 millions de dollars de crédits récurrents dans la base de financement des universités à l'occasion du budget de 1989-1990, l'écart qui sépare encore les universités québécoises des autres universités canadiennes est au moins de 100 millions de dollars. Nous aurons à décider au cours des prochains mois si cet écart sera maintenu, au prix des conséquences très coûteuses qui pourraient en découler pour la qualité de l'enseignement et de la recherche, ou s'il sera comblé soit par une hausse de la contribution exigée des étudiants, soit par une augmentation des subventions gouvernementales.
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Par-delà les aspects dont il vient d'être question, la décision historique prise en 1964 comportait un autre volet encore plus essentiel. En créant un ministère de l'Éducation, l'Assemblée nationale affirmait en effet la volonté de la population du Québec de prendre en charge son système d'enseignement, mais elle proclamait aussi sa volonté de faire en sorte que les avantages de l'instruction soient rendus accessibles à toute la population et dans toutes les parties du territoire partout où cela serait possible. Rendre l'éducation accessible à tous les Québécois, à toutes les Québécoises, tel fut le motif majeur de la création du ministère de l'Éducation.
Vingt-cinq ans plus tard, nous pouvons dire avec fierté que l'objectif défini en 1964 a été largement atteint. À tous les niveaux du système d'enseignement, les taux de fréquentation ont connu une augmentation spectaculaire. De 1961 à 1987, le taux de fréquentation scolaire à l'âge de 16 ans est passé de 55% à plus de 92%. Le nombre des étudiants réguliers inscrits dans les collèges et les universités a largement dépassé les prévisions les plus optimistes de la Commission Parent. L'éducation des adultes a connu, pour sa part, un essor tel que, pour une année donnée, plus de 50% des adultes québécois se livreraient désormais à des activités d'apprentissage ou des activités éducatives, sous une forme ou sous une autre. En vingt-cinq ans, le Québec a pratiquement rattrapé le retard qu'il accusait par rapport au reste du Canada en matière de scolarisation secondaire, collégiale et universitaire. Quand on sait l'importance de l'instruction pour l'épanouissement de l'individu et le progrès de la collectivité, on doit reconnaître qu'il s'agit là d'une de nos plus impressionnantes réalisations collectives.
Devant ces résultats, on serait tenté de conclure que la bataille de l'accessibilité a été gagnée et que nous pouvons désormais passer à autre chose. Il suffit cependant d'un regard attentif sur la réalité concrète des milieux québécois pour se rendre compte que cette bataille est loin d'être terminée. Sur plusieurs fronts, des défis graves se posent encore. Je mentionnerai seulement les plus aigus.
1. Nonobstant les progrès de la scolarisation, nous faisons toujours face à des problèmes très sérieux en matière d'alphabétisation. Les diagnostics touchant l'étendue du problème varient suivant la définition que l'on donne de l'analphabétisme. Selon la définition que l'on retient, il faudrait parler d'un nombre qui peut varier de 12% à [24] 30% de la population adulte. Les analphabètes se recrutent surtout parmi les couches de la population qui ne purent bénéficier des progrès encore récents de la scolarisation. Des études récentes indiquent cependant que l'analphabétisme pourrait être également un phénomène structurel engendré par l'obsolescence rapide des objets de communication et des dispositifs d'éducation. Si tel est le cas, les sommes que le Québec consacre présentement à l'alphabétisation - ces sommes sont de beaucoup supérieures à celles que les autres provinces consacrent à ce problème - resteraient bien en-deça du niveau exigé par les besoins réels.
2. Tandis que, dans un pays comme la France, des services éducatifs sont mis à la disposition des jeunes dès l'âge de trois ans, nous en sommes encore au Québec à discuter de l'âge d'admission en maternelle ou en 1ère année. C'est à peine si des mesures encore timides ont été mises en œuvre afin de faciliter l'entrée dans le système scolaire des enfants de milieux socio-économiquement pauvres ou des enfants de foyers d'immigrants. De nombreuses études indiquent que pour les enfants des milieux défavorisés en particulier, la façon la plus sûre de favoriser leur insertion réussie dans le système scolaire et dans la vie est de leur rendre accessible dès leur tendre enfance une expérience préscolaire dans un environnement éducatif. Notre système d'enseignement a encore très peu à offrir à cet égard.
3. Dans la région métropolitaine de Montréal surtout, nous faisons face à une diversification rapide et prononcée des clientèles scolaires. On observe une présence de plus en plus importante d'enfants en provenance de communautés ethniques ou linguistiques autres que française ou anglaise dans les écoles publiques. Ces changements engendrent des problèmes inédits au chapitre de l'encadrement pédagogique, de l'insertion sociale et culturelle, de la réussite des études, de l'adaptation des programmes, des rapports entre l'école et le milieu familial de l'élève, du recrutement et de la formation du personnel, etc. Plusieurs commissions scolaires accomplissent depuis de nombreuses années un excellent travail à cet égard. Mais il faudra consentir à déployer des ressources plus abondantes pour permettre à nos écoles d'être à la hauteur de ce défi nouveau. L'avenir de notre culture se jouera largement à travers le climat que nous aurons réussi à créer dans nos écoles publiques au cours des prochaines années. Aussi longtemps que nous parlerons de nous approprier à tout prix les immigrants, [25] nous pourrons leur imposer certaines contraintes extérieures mais nous ne réussirons pas à gagner leur cœur. Nous devrons apprendre à les aimer et à les servir pour eux-mêmes : l'école fournit à cette fin un terrain très propice.
4. Le nombre croissant des élèves handicapés et des élèves présentant des difficultés d'adaptation et d'apprentissage qui sont inscrits dans les écoles publiques pose un autre défi majeur à l'école d'aujourd'hui. En 1965, le nombre des élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation et d'apprentissage inscrits dans nos écoles publiques était de 20 765. En 1987, ce nombre s'élevait à 130 000, soit plus de 12% de la clientèle totale des écoles publiques. On exige de plus en plus que le système d'enseignement intègre le plus possible ses élèves dans les classes régulières. Mais on exige en retour qu'il mette à leur disposition et à la disposition des enseignants un nécessaire supplément de ressources. Nous estimons à quelque 800 millions de dollars par an les sommes que le ministère de l'Éducation consacre à la scolarisation de ces élèves. Mais de partout l'on réclame un effort encore plus considérable. Nous serons mieux en mesure, d'ici un an ou deux, de mesurer l'ampleur réelle du défi qui se pose à cet égard. Jusqu'à ces derniers temps, le ministère de l'Éducation ne disposait pas en effet des données complètes et précises qui eussent permis d'établir un bilan précis des besoins réels. Un fait paraît évident toutefois : la multiplication des cas d'élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage semble aller de pair avec les phénomènes nombreux de dislocation familiale, sociale, culturelle et morale que l'on observe dans le Québec d'aujourd'hui.
5. La chute de la natalité et la migration vers les centres urbains créent des conditions de plus en plus difficiles de survie pour les écoles appelées à desservir des populations restreintes vivant dans des régions éloignées des centres urbains. Il devient de plus en plus coûteux, et souvent risqué au plan pédagogique, de maintenir de petites écoles ne pouvant recruter des effectifs suffisants. Mais les projets de fermeture d'école se heurtent le plus souvent à la résistance farouche des populations immédiatement concernées. Le ministère de l'Éducation pratique en ce domaine une politique aussi ouverte que possible. Il s'efforce de maintenir le plus longtemps possible les petites écoles et applique à cette fin, chaque année, des mesures d'exception dont le coût dépasse les 40 millions de dollars pour la présente année. [26] Ce coût est très élevé. Dans ce domaine comme en beaucoup d'autres, il ne suffit pas de réclamer le service, il faudra que la population soit prête à en payer le prix.
6. Au niveau collégial, le taux d'inscriptions est relativement élevé. Plus de 60% des élèves qui ont complété des études secondaires s'inscrivent en effet à l'enseignement collégial. Mais autant en formation générale qu'en formation professionnelle, le taux de persévérance est relativement faible, de même que le taux de diplomation. Selon des statistiques émanant du Service régional d'admission de Montréal, la proportion d'étudiants inscrits dans les collèges qui obtiennent leur diplôme d'études collégiales serait à peine supérieure à 60%. Le taux de décrochage serait ainsi de l'ordre de 40%. Il y a là une perte d'énergie qu'une société responsable ne saurait constater sans réagir. Laisser se perpétuer une telle situation, ce serait consentir à ce que notre système de formation collégiale fonctionne à la manière d'une chaudière percée. Dans le cadre des négociations qu'il poursuit avec les enseignants du secteur collégial, le gouvernement s'est montré disposé à injecter dans le réseau collégial des ressources additionnelles dont une bonne partie seront destinées à assurer un meilleur encadrement des étudiants à l'entrée dans le réseau.
7. L'existence de 47 collèges publics dispensant l'enseignement collégial dans la très grande majorité des régions du Québec est l'une des plus belles réussites du dernier quart de siècle sous l'angle de la démocratisation de l'accès à la formation postsecondaire. Le rôle de chaque collège est capital pour la formation d'élites intellectuelles et professionnelles dans les régions. La présence du collège joue également un rôle très important dans le développement social et culturel de la région. On ne doit pas oublier cependant qu'il existe encore un certain nombre de régions ou de sous-régions qui sont privées de l'accès raisonnable à l'enseignement collégial. Au cours des dernières années, des mesures spéciales ont été prises afin de faciliter l'implantation de l'enseignement collégial à Mont-Laurier, Val-d'Or et Carleton. Tout récemment, le gouvernement a décidé d'implanter un cégep public dans la région de Beauce-Appalaches. Mais le gouvernement est présentement saisi d'une bonne dizaine de requêtes additionnelles réclamant l'implantation de l'enseignement collégial dans ces zones qui en sont encore privées, soit en raison de l'éloignement, soit en raison des développements démographiques importants qu'elles ont [27] connus. Le gouvernement est en outre saisi de requêtes en provenance de la côte nord du Saint-Laurent, de la région de Beauce-Appalaches, de la rive nord et de la rive sud de Montréal en vue de l'implantation de services de formation universitaire dans ces régions.
8. Autant au niveau secondaire qu'au niveau collégial, les demandes de services éducatifs en provenance de clientèles adultes se font sans cesse plus nombreuses et plus diversifiées. L'évolution rapide de la technologie, de l'économie et de la culture multiplie les besoins de formation dans tous les secteurs. Afin de répondre aux besoins de la population et de conserver la place prioritaire qui leur revient en matière d'offre de services éducatifs, les établissements secondaires et collégiaux devront faire montre de beaucoup d'imagination et d'initiative au cours des prochaines années. Sinon, ils risquent de se voir supplanter dans plusieurs domaines par des initiatives émanant directement des entreprises ou d'autres sources.
9. Je signalerai brièvement l'essor considérable qu'a connu la participation féminine aux études collégiales et universitaires. Désormais, les inscriptions féminines aux études collégiales et universitaires dépassent sensiblement les inscriptions masculines. Il reste cependant des progrès importants à réaliser dans certaines disciplines traditionnellement réservées au sexe masculin. Des programmes d'information à l'intention des élèves du niveau secondaire ont été mis en œuvre afin de favoriser l'éveil des filles aux possibilités de carrières dans les disciplines scientifiques.
Cette énumération est fort incomplète. Elle devrait néanmoins suffire à nous convaincre que nous sommes loin d'avoir surmonté de manière définitive le défi de l'accessibilité. De nombreuses barrières ont été brisées au cours du dernier quart de siècle. Il en reste encore de nombreuses à franchir avant que l'égalité des chances en éducation ne soit vraiment devenue une réalité vécue pour tout le monde.
* * *
Que l'accès à l'éducation soit désormais une réalité beaucoup plus répandue qu'il y a vingt-cinq ans, les faits et les statistiques l'illustrent abondamment, à commencer par l'histoire de chacune de nos familles. Mais une question plus importante doit être abordée : la qualité de l'éducation a-t-elle progressé ou diminué au cours du dernier [28] quart de siècle ? Les étudiants sont beaucoup plus nombreux que naguère au sortir de chaque cycle, mais sont-ils mieux formés ?
Il serait tentant de nous enfermer à ce sujet dans des certitudes tranquilles comme celles dont se nourrissent volontiers les appareils. Mais trop de questions ont surgi, trop de signes sont apparus ces dernières années pour que nous nous laissions entraîner à ce sujet dans des jugements mal vérifiés. La performance des systèmes de formation modelée de près ou de loin sur les conceptions américaines dominantes des dernières décennies a donné lieu à de sérieuses interrogations qui occupent de plus en plus de place dans les débats contemporains sur l'éducation. Ainsi qu'en témoignent les épreuves de français écrit instituées par le ministère de l'Éducation depuis cinq ans, le Québec n'a pas échappé à l'effet négatif de certaines conceptions pédagogiques implantées depuis l'avènement du ministère de l'Éducation.
Comme la plupart des sociétés nord-américaines, nous avons largement cédé à un courant pédagogique selon lequel il importait de mettre surtout l'accent sur les processus, c'est-à-dire sur le comment de l'éducation, sans trop se préoccuper de l'objet même de l'éducation, c'est-à-dire du développement intégral de la personne. Il en est résulté, dans l'ensemble, une prédominance excessive de l'organisation technique au détriment de la qualité et de la personnalisation des services : l'exemple le plus éloquent de ceci demeure le mode d'organisation emprunté jusqu'à ces dernières années dans les écoles polyvalentes, lequel négligeait des aspects majeurs du développement individuel de l'élève. Il en est résulté également une mise en valeur souvent trop exclusive de la fonction d'enseignement au détriment des autres volets tout aussi importants du travail d'éducation. Un autre résultat de cette approche s'est manifesté dans l'émiettement des systèmes de valeurs transmis par les établissements d'enseignement.
À l'exemple de ce qui se produit dans un grand nombre de pays, nous revenons aujourd'hui à une approche qui tente de mettre davantage l'accent sur la globalité, l'unité et la continuité de l'expérience éducative. Nous sommes beaucoup plus soucieux du contenu de l'enseignement transmis par les écoles. Nous réclamons que le système revienne à des objectifs et à des approches mettant davantage l'accent sur une conception large et exigeante de l'éducation. Le mot « rigueur », [29] longtemps tenu à l'écart du vocabulaire à la mode, a refait son entrée dans les discours sur l'éducation. Certains voient dans ce changement un dangereux mouvement de recul. J'y vois au contraire l'annonce d'un redressement nécessaire.
En réponse, par exemple, à l'atmosphère dépersonnalisée des écoles polyvalentes, on assiste aujourd'hui à la mise en place de nouveaux modes de regroupement et d'encadrement des élèves assurant que chacun sera l'objet d'une attention directe et personnelle de la part des enseignants. On observe également une tendance de plus en plus ferme à ne plus bâtir de grandes écoles polyvalentes mais à construire plutôt des écoles secondaires de premier cycle, situées à une distance moins grande du lieu de résidence des élèves et où l'on cherche à mettre en œuvre une pédagogie mieux adaptée à leur âge et à leur cheminement. Tout en continuant de souligner l'importance primordiale de la fonction d'enseignement, qui consiste à faire accéder l'élève à des biens reliés à la connaissance, on hésite moins à souligner de nos jours l'importance non moins grande des autres volets du rôle de l'enseignant. Le souci de favoriser davantage la formation de l'élève au sens le plus large du terme trouve son expression la plus vérifiable dans des exemples comme ceux que j'ai mentionnés. Il répond aussi à des besoins vivement ressentis au niveau collégial, voire au niveau universitaire.
Dans le déroulement des études proprement dites, l'accent est de plus en plus mis sur la qualité des apprentissages, surtout des apprentissages de base dans des matières comme la langue maternelle, la mathématique, les sciences et la langue seconde. Après une longue période de développement dans toutes les directions, on a senti le besoin de ramener l'école à sa fonction essentielle, qui est de faire accéder l'élève à un humanisme traduisant le mieux possible les valeurs jugées essentielles par la société tant sous l'aspect des connaissances à acquérir que des habiletés à posséder et des valeurs et attitudes à développer. Cette tendance s'est traduite au Québec ces dernières années par l'importance accordée à l'apprentissage de la langue maternelle. Le Plan d'action implanté dans ce secteur connaît un accueil remarquablement positif dans les milieux scolaires. Nous en poursuivrons l'application pendant de nombreuses années à venir. Le Plan d'action sur le français sera suivi d'autres initiatives tout aussi importantes dans les domaines de la mathématique et des sciences, [30] puis de la langue seconde. On remarque que, tout en mettant en honneur les grands apprentissages de base, le système d'enseignement sait aussi faire une place significative à de nouvelles valeurs comme celles que véhiculent par exemple les sciences de la nature et à de nouveaux langages comme celui de l'informatique. Notre système fait montre à cet égard d'une ouverture et d'une malléabilité impressionnantes. Il sait aussi s'adapter avec une remarquable souplesse aux changements qui se produisent dans les esprits au chapitre des valeurs morales et religieuses.
L'expérience du dernier quart de siècle a permis la réalisation de la plupart des objectifs définis par la Commission Parent. Elle a aussi fait éclater, en contrepartie, quelques illusions dont s'était nourrie la commission d'enquête. Parmi les objectifs du Rapport Parent qui ont mal résisté à l'épreuve du temps, je voudrais citer l'intégration de la formation professionnelle et de la formation générale au secondaire et au collégial. La Commission avait rêvé d'une savante intégration. Dans l'ensemble, cette formule n'a pas fonctionné. Nous revenons de plus en plus, par la force des choses, à une différenciation très marquée entre la formation professionnelle et la formation générale. Tel est le sens, notamment, du réaménagement de la formation professionnelle que le gouvernement approuvait il y a trois ans. Ce réaménagement entraîne déjà des changements majeurs dans le régime des études, le contenu des programmes de cours, les modes de regroupement des élèves jeunes et adultes, et aussi, cela va de soi, le régime de travail des enseignants. Contrairement à l'idéal mis de l'avant par la Commission Parent, la séparation entre formation professionnelle et formation générale semble devoir s'accentuer. La même tendance peut être observée au niveau collégial. Une fois solidement implantée la réforme amorcée au secondaire, il faudra également envisager une réforme en profondeur de la formation professionnelle dispensée au collégial.
Dans l'héritage que nous ont laissé la Commission Parent et les réformateurs de l'époque, la formation par crédits - selon le modèle américain - est l'une des pièces les plus importantes. Il serait vain de vouloir mettre en cause le système même des crédits, lequel apparaît comme un corollaire nécessaire de la démocratisation de l'accès à l'enseignement et de la diversification de plus en plus marquée des savoirs. Mais des questions sérieuses ont surgi au sujet de l'utilisation [31] que nous avons faite au Québec de ce système. Plus important encore, des réaménagements majeurs sont désormais considérés comme nécessaires non seulement au Québec mais aussi aux États-Unis.
Le chantier le plus pressant est présentement celui de la refonte des programmes de concentration en sciences humaines et en sciences de la nature au niveau collégial. À partir de l'expérience des vingt dernières années, il a fallu conclure que l'émiettement des cours offerts au collégial avait de graves répercussions sur la qualité de la formation acquise par l'étudiant. La réforme envisagée permettra d'assurer une meilleure concentration de l'effort attendu de l'étudiant et un approfondissement plus solide des champs de connaissances qu'il voudra explorer. Elle devrait logiquement nous amener à réexaminer également le contenu et la place des programmes obligatoires. Je m'étonne par exemple qu'un étudiant puisse passer deux ou trois ans en formation générale dans un cégep sans être tenu de suivre un seul cours d'anglais. Est-ce là une façon réaliste de l'aider à se préparer en vue des études universitaires ? Si au moins on avait l'assurance que de manière générale le cégep est un milieu propice à l'approfondissement de la langue maternelle, ce serait un moindre mal, mais nous ne possédons pas cette assurance, et ce malgré les quatre cours de français obligatoires pour tous prescrits par le Régime des études collégiales.
Reliées de très près aux questions qui viennent d'être soulevées, des questions tout aussi pressantes se posent concernant la vocation et l'aménagement concret des études universitaires de premier cycle. Il semble bien qu'ici aussi, nous assistions à l'éclatement d'une autre illusion entretenue par la Commission Parent. Aux yeux de l'organisme d'enquête, l'Institut, devenu ensuite le cégep, devait être un lieu de formation générale pour l'étudiant qui se destine à l'université. Celle-ci devait être un lieu de spécialisation dans une discipline. Or, la réalité s'est révélée plus complexe et plus exigeante. De toute évidence, les années passées au collège ne suffisent pas à assurer une formation fondamentale complète. Par ailleurs, on s'est interrogé de manière très critique, depuis quelques années, sur l'excès de spécialisation dans lequel ont versé en Amérique du Nord les études universitaires de premier cycle.
Ainsi que l'illustrent deux documents québécois tout récents, dont la qualité m'a vivement impressionné, soit le rapport du Comité [32] du Conseil des universités pour l'étude sectorielle sur les sciences sociales et le rapport du Comité de la Faculté des sciences de l'éducation de Laval sur la formation fondamentale, nous allons vers un virage qui permettra de faire une place plus importante à la formation fondamentale dans les études de premier cycle. Je suis de ceux qui se réjouissent de cette évolution. Le gouvernement est vivement intéressé à la seconder. Mais le Comité de la Faculté des sciences de l'éducation de Laval sur la formation fondamentale nous a prévenu des nombreux écueils qu'il faudra surmonter à l'intérieur même des universités pour obtenir des résultats. J'espère que les intéressés immédiats, en particulier les professeurs, les responsables de départements et de programmes, voudront reconnaître que les réformes projetées engageront la qualité même de l'action des universités pour au moins une génération.
Comment ne pas souligner aussi l'importance qu'il convient d'attacher à l'harmonisation des programmes et des processus d'apprentissage d'un cycle d'études à l'autre ? La pauvreté du français langue maternelle chez les étudiants de nos collèges et de nos universités témoigne à cet égard de carences criantes. On pourrait dresser de même un bilan critique de la qualité des apprentissages dans bon nombre d'autres disciplines. Sans chercher à découper les territoires de manière trop rigidement juridique, il s'impose que nous définissions avec plus de précision l'apport propre qui doit être attendu du secondaire, du collégial et du premier cycle universitaire dans la formation fondamentale et spécialisée de l'étudiant. Mais il faudra que les programmes de cours et les itinéraires de cheminement soient adaptés en conséquence. Cela exigera un travail beaucoup plus suivi de mise en commun et de concertation que ce qu'il nous a été donné d'observer jusqu'à maintenant. Les projets de réaménagement dont il est présentement question à propos de la mathématique et des sciences au secondaire, du renforcement du français langue maternelle à tous les niveaux, de la refonte des programmes de concentration en sciences humaines et en sciences de la nature au collégial, du réaménagement des études universitaires de premier cycle en fonction d'une place plus importante devant être réservée à la formation fondamentale : autant de chantiers qui se prêteront logiquement à des mises en commun et à des entreprises de concertation. Il incombera au gouvernement de veiller à ce que les jonctions nécessaires soient faites et à ce qu'aucune décision majeure ne soit prise dans un secteur [33] sans qu'aient été soigneusement pesées les implications de chaque décision pour les autres ordres d'enseignement.
Je ne voudrais pas terminer cette énumération sans dire quelques mots du thème très important de l'évaluation des apprentissages et des programmes. Il importe que, de plus en plus, la formation dispensée dans le système d'enseignement soit soumise à des évaluations rigoureuses, et ce à tous les niveaux. Au niveau primaire, la responsabilité première de l'évaluation incombe aux commissions scolaires : à celles-ci et à leurs collaborateurs, le ministère de l'Éducation a la responsabilité de fournir des instruments de plus en plus adaptés afin qu'elles puissent s'acquitter avec rigueur de leur responsabilité. Au niveau secondaire, nous entendons maintenir le système actuel d'évaluation sous lequel les élèves sont soumis pendant leurs cinq années d'études à diverses épreuves conçues tantôt par le ministère de l'Éducation, tantôt par la commission scolaire. Nous entendons en outre associer de plus en plus le Québec à des expériences interprovinciales et internationales d'évaluation des apprentissages, lesquelles nous fourniront l'occasion de comparer plus souvent nos performances à celles des autres provinces et des autres pays. Il me fait plaisir de signaler qu'un large accord s'est établi entre les ministres de l'Éducation des diverses provinces canadiennes en vue de l'instauration d'instruments canadiens d'évaluation. Au plan collégial, des pas majeurs ont été franchis depuis trois ans avec l'implantation de procédures sérieuses d'évaluation dans la quasi-totalité des établissements collégiaux. Grâce à l'entente intervenue à ce sujet entre les collèges, le Conseil des collèges et le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science, la Commission de l'évaluation du Conseil des collèges pourra suivre de près le cheminement du dossier de l'évaluation jusqu'au niveau des établissements individuels. Par l'information que diffusera la Commission, il sera possible de créer un climat propice à la mise en œuvre des redressements nécessaires. L'idée de procédures éventuelles d'évaluation des apprentissages qui serait faite au niveau de l'ensemble des collèges reste ouverte dans mon esprit. Sans rejeter cette possibilité, je suis néanmoins enclin à penser que l'effort majeur en matière d'évaluation devra venir des établissements eux-mêmes. Au niveau des universités, enfin, certains établissements se sont déjà dotés de procédures rigoureuses d'évaluation de leurs programmes. Cette procédure implique le plus souvent l'intervention d'experts impartiaux de l'extérieur, voire d'experts étrangers. [34] Étant donné la très grande autonomie dont jouissent les universités, il est normal et souhaitable qu'elles veuillent se doter de mécanismes d'évaluation impartiaux et efficaces.
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Je n'ai guère parlé dans cet exposé des intervenants les plus importants de tous en éducation après les étudiants, c'est-à-dire des enseignants. Ce n'est pas que je minimise leur apport ou que je sois indifférent à leur condition. Bien au contraire. Je suis conscient du rôle irremplaçable des enseignants dans notre système. Je sais aussi que la grande majorité d'entre eux accomplissent un travail d'excellente qualité au service de la population jeune et adulte. Mais la condition enseignante a profondément évolué au cours des dernières années, autant sous l'effet des conventions collectives que des multiples mutations survenues à l'intérieur du système. Des solutions particulières seront apportées à certains problèmes nouveaux qui ont surgi, dans le cadre des négociations en cours pour le renouvellement des conventions collectives dans le secteur de l'éducation. Mais certains problèmes afférents à la condition enseignante débordent le cadre des conventions collectives. Il devient nécessaire en particulier que nous rouvrions une fois pour toute le chantier maintes fois différé de la formation de l'enseignant. Il devient également urgent d'examiner avec une attention particulière les problèmes de renouvellement qui se posent au sein du corps enseignant à tous les niveaux. Des enseignants nombreux, à tort ou à raison, se sentent fatigués et souhaiteraient accéder à la retraite plus tôt que ne le prévoient les dispositions des régimes de retraite. Pendant qu'on les retient dans le système, des milliers de jeunes candidats formés dans nos universités attendent au guichet d'admission et doivent se contenter, parfois pendant de longues années, de laissez-passer temporaires et trop souvent non renouvelables. Ce n'est pas ainsi que nous pourrons édifier pour l'avenir un corps enseignant vigoureux, dynamique, engagé et relativement heureux sans lequel il serait vain de rêver d'un enseignement de qualité pour les générations futures. J'entends mobiliser au cours des prochains mois les ressources des deux ministères que j'ai l'honneur de diriger pour que l'avenir de la profession enseignante passe au premier rang des préoccupations gouvernementales.
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