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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Bernard Saladin d’Anglure, “Kunut et les angakkut iglulik. Des chamanes, des mythes et des tabous ou les premiers défis de Rasmussen en terre inuit canadienne.” Un article publié dans la revue ÉTUDES/INUIT/STUDIES, vol. 12, no 1-2, 1988, pp. 57-80. Québec: Département d'anthropologie de l'Université Laval. [Autorisation formelle accordée conjointement par l’auteur et la directrice de la revue Etudes Inuit/Studies le 5 mai 2008.]

Bernard Saladin D’Anglure * 

Kunut et les angakkut iglulik.
Des chamanes, des mythes et des tabous
ou les premiers défis de Rasmussen
en terre inuit canadienne
”. 

Un article publié dans la revue ÉTUDES/INUIT/STUDIES, vol. 12, no 1-2, 1988, pp. 57-80. Québec : Département d'anthropologie de l'Université Laval.


 

 

Abstract / Résumé
 
Introduction
 
La conception de l'expédition
Iglulik dans la logistique de l'expédition
Premiers contacts avec les Inuit iglulik
La "culture intellectuelle" des Inuit iglulik
Kunut et les angakkut iglulik
Des mythes et des tabous
Les Iglulik, un construit de la Cinquième Expédition de Thulé ?
Les Iglulik, un exemple de l'illusion archaïque de Rasmussen
 
Références
 

Abstract

Kunut and the Iglulik angakkut : Shamans, myths and taboos
or the first challenges of Rasmussen in Canadian territory.

 

The Iglulik Inuit play a central role in the Fifth Thule Expedition. The first group of Inuit encountered by Rasmussen on Canadian territory, they had never been the object of a systematic ethnography and were to provide the expedition with baseline data for the study of other groups. This article underlines the exceptional richness as well as weaknesses of Rasmussen's Iglulik material and shows the fruitfulness of submitting these data to a new ethno-historical and cultural examination. 

Résumé.

Kunut et les angakkut iglulik : des chamanes, des mythes et des tabous, ou les premiers défis de Rasmussen en terre inuit canadienne.

 

Les Inuit iglulik occupent une place essentielle dans la Cinquième Expédition de Thulé. Premier groupe rencontré par Rasmussen en terre canadienne, les Iglulik n'avaient jamais fait l'objet d'une véritable ethnographie et devaient servir à l'expédition de point de comparaison pour l'étude des autres groupes. Cet article souligne à la fois la richesse exceptionnelle et les lacunes des données de Rasmussen sur la culture intellectuelle des Iglulik ainsi que l'intérêt de les soumettre à un examen ethno-historique et critique.

 

Introduction

 

Les Inuit iglulik [1], et principalement leurs chamanes (angakkut), ont joué un rôle essentiel dans le succès de la Cinquième Expédition de Thulé, que ce soit par la place qui leur a été faite dans la conception même de cette expédition, par leur implication dans son organisation et sa logistique et par la qualité des données ethnographiques qu'ils lui ont fournie. Nous allons tenter de faire ressortir ce rôle en situant l'expédition dans son contexte tant historique que scientifique et géographique. 

Nous nous appuierons pour ce faire sur les travaux ethnographiques publiés par certains de ses membres (Rasmussen, 1929a, 1930 ; Mathiassen, 1928), sur les récits de voyages de plusieurs d'entre eux (Rasmussen, 1929b, Freuchen, 1939), sur quelques fonds manuscrits disponibles (Rasmussen), et sur le témoignage des Inuit, encore en vie, se souvenant de l'expédition.

 

La conception de l'expédition

 

Sans aller rechercher dans la vie de Rasmussen des raisons personnelles qui auraient pu l'inciter à quitter le Groenland en 1921 afin de poursuivre ses recherches sur le continent nord-américain, comme l'ont fait certains auteurs [2], nous nous attacherons à mettre en lumière le grand intérêt que présentaient les Inuit iglulik (et leurs congénères canadiens), pour Rasmussen et ses compagnons, intérêt découlant des résultats d'une autre grande expédition, celle de Parry et Lyon (1821-23), un siècle auparavant. 

Partie à la recherche du passage du Nord-Ouest, cette expédition avait passé deux hivers en territoire iglulik et donné lieu à la publication de récits de voyage, sous la plume de chacun des deux capitaines. Ces récits [3], qui connurent un immense succès en Occident, présentaient pour la première fois une description éclairée, bienveillante et documentée de la vie économique, sociale et religieuse des habitants de cette région, tenus longtemps pour des Pygmées septentrionaux [4]. Leur technologie y était décrite, mais aussi leurs croyances, leurs mythes, leurs tabous et même quelques pratiques chamaniques. Cinquante ans plus tard (1879) quand fut publié le journal de l'explorateur Charles Francis Hall (cf. Nourse, 1879), qui s'était rendu plusieurs fois en traîneau à chiens dans cette même région (1864-1869), à la recherche des traces de l'expédition de Sir George Franklin, on découvrit, à travers son expérience, les immenses possibilités de ce mode de transport, négligé par les grandes expéditions maritimes. Il n'en fallut pas plus, pour inciter un jeune géographe allemand, Franz Boas, futur fondateur de l'anthropologie américaine, à élaborer (1883-84) l'ambitieux projet de se rendre en traîneau à chiens chez les Iglulik à partir d'une base de départ située près d'une station baleinière de l'Île de Baffin. Pour des raisons diverses, Boas ne parvint pas à rejoindre le nord du bassin de Foxe [5], coeur du territoire iglulik et dut se contenter, après son retour à New York, de procéder à une collecte ethnographique extensive par l'intermédiaire de capitaines baleiniers (G. Comer [6]. J.S. Mutch) qui fréquentaient régulièrement cette région et celle du nord de Baffin. Deux livres sous la signature de F. Boas (1901, 1907) devaient diffuser les résultats de ces collectes, dont une part importante concernait les Iglulik. 

Il y avait donc dans la réalisation d'une étude ethnographique sur ce groupe, si difficile d'accès et à propos duquel on ne possédait jusque-là que des récits d'explorateurs ou des données de baleiniers, un passionnant défi à relever pour l'autodidacte qu'était Rasmussen et pour son équipe de chercheurs. Par rapport à ses prédécesseurs, il avait cependant un avantage appréciable, à savoir la mise sur pied d'une structure d'expédition légère et très mobile constituée par la combinaison d'une base de recherche construite en un lieu stratégique, et d'équipages de traîneaux à chiens qui lui permettraient de se déplacer pendant les trois quarts de l'année, alors que les bateaux ne pouvaient le faire que pendant la courte saison de trois mois, au cours de laquelle la mer est libre de glaces. À son avantage aussi, sa connaissance courante de la langue inuit, dans une région où les langues européennes étaient de peu d'utilité, car seuls quelques commerçants euro-canadiens commençaient à s'y installer et les Missionnaires n'y faisaient que de très rares incursions. Le chamanisme y prédominait pour quelque temps encore [7], à la différence du Groenland, d'où venait Rasmussen, où la colonisation avait débuté plus tôt et la christianisation était déjà fort avancée. Les Inuit de l'Arctique central canadien vivant entre l'île Victoria et le nord du bassin de Foxe étaient considérés à cette époque comme les plus "traditionnels" [8], et les derniers chez qui aucune recherche ethnographique n'avait encore été réalisée. 

Plus à l'Ouest venait de s'achever, dans une certaine confusion polémique, l'Expédition arctique canadienne (1913-1918) dirigée par Stefansson et Anderson, qui avait effectué des recherches, notamment sur les Inuit du Cuivre, sous la responsabilité de D. Jenness (1922), dont on attendait la publication des travaux. Elle avait Perdu dans des conditions dramatiques un de ses navires et huit hommes, parmi lesquels le Français Henri Beuchat, originellement responsable de la recherche ethnologique pour l'Expédition, l'ancien assistant et co-auteur de Marcel Mauss (1906) [9]. Une autre expédition, celle du Norvégien Christian Leden (cf. Leden, 1927), avait de 1913 à 1916 étudié, plus au Sud, les Inuit du Caribou, entre Churchill et Chesterfield, à l'Ouest de la Baie d'Hudson. Aucun des chercheurs de ces deux expéditions ne possédait cependant une connaissance suffisante de la langue inuit pour approfondir la question de la religion et du chamanisme inuit, domaine qui intéressait au plus haut point Rasmussen. Ce dernier avait en effet compris qu'il y avait là un aspect essentiel pour la connaissance de la culture inuit. Cette incapacité de communiquer couramment dans la langue inuit, qui fut le lot de tous les précurseurs de Rasmussen, explique-t-elle l'absence totale de référence à leurs travaux chez ce dernier ? C'est possible et nous y reviendrons plus loin. Mais on est surpris de ne voir citer dans ses travaux ni Boas, pourtant au faîte de sa renommée dans la discipline anthropologique pendant les années 1920, ni Mauss dont le célèbre Essais sur les variations saisonnières des Sociétés Eskimos, (co-signé avec Beuchat) constituait à l'époque la première grande tentative d'analyse théorique à propos des lnuit [10].

 

Iglulik dans la logistique de l'expédition

 

L'organisation de la Cinquième Expédition de Thulé reposait sur l'installation d'une base côtière accessible par bateau depuis la côte Ouest du Groenland, base où pourraient être entreposés les réserves de nourriture, l'équipement scientifique et les collections à recueillir. Il fallait aussi que cette base soit située, si possible, à la frontière de plusieurs groupes afin de faciliter les voyages d'étude en traîneaux à chiens et accessoirement en bateaux. L'Île Winter, dans le goulet de Lyon, lieux reconnus, nommés et cartographiés par l'expédition de Party et Lyon qui y avait hiverné en 1821-22, semblait propice à une telle base comme le confirme Freuchen (1939 : 383) :

 

Nous finîmes par sortir de l'extrémité Ouest du Détroit d'Hudson en mettant le cap sur le Nord de l'île Southampton, et marchant de là droit sur le goulet Lyon où nous avions l'intention d'installer notre quartier général dans l'île Hiver, l'endroit où cent ans auparavant avait séjourné le vieux Parry. Il venait du Sud et, faute d'hélice avait été bloqué par les glaces. Nous pensions avoir meilleure chance, et pouvoir, avec nos chiens, circuler au Nord et au Sud à la recherche des indigènes de ces parages...

 

En fait l'expédition de Rasmussen qui avait perdu au Groenland, dans l'échouage du Bélé - un de ses bateaux de ravitaillement - les cartes détaillées de la région, fut incapable, à cause du brouillard, de déterminer avec certitude si l'île où elle aborda le 18 septembre 1921 pour s'installer était bien celle où avait hiverné Parry. On la nomma l'île des Danois et plus familièrement "le soufflet", en raison du grand vent qui y régnait. On découvrit plus tard que ce n'était pas l'île Winter, mais qu'on n'en n'était pas très loin. De là de fructueux voyages de chasse purent être organisés, au cours des premières semaines, afin d'approvisionner en viande fraîche hommes et chiens. Tout le monde était impatient de rencontrer des Inuit dont il fallait à tout prix s'assurer la collaboration comme guides et comme informateurs pour commencer la gigantesque enquête comparative projetée depuis plusieurs années. 

Photo 1

Les membres de la Cinquième Expédition de Thulé à Godthaab, 1921. 1ère rangée : Capitaine P.M. Pedersen, Knud Rasmussen, Peter Freuchen, Jacob Olsen. 2e rangée : Kaj Birket-Smith, Therkel Mathiassen, Helge Bangsted. (Photo : Copyright Danish National Museum).
 

 

Premiers contacts avec les Inuit iglulik

 

Lorsque le 4 décembre 1921 Knud Rasmussen, installé depuis deux mois avec son expédition sur l'île des Danois, dans la partie méridionale du territoire des iglulik, aperçut

 

pour la première fois, lors d’un voyage en traîneau à chiens, des Inuit canadiens, ceux-là même dont il recherchait le contact, il eut d’abord l’impression d’avoir devant lui des êtres de légendes (Rasmussen 1929b : 13).
 
J'étais donc en présence des Akilinirmiut ou hommes vivant au delà de la grande mer, dont j'avais déjà entendu parler quand, adolescent, je commençais à m'intéresser aux légendes des Esquimaux. Ils m'apparaissaient ici sous un aspect des plus pittoresques / ... / en costumes fantastiques. De la tête aux pieds ils étaient vêtus de peaux de renne à poils courts. / ... / Aussi mon imagination évoqua-t-elle en un instant tout un passé de légendes...

 

Et voilà que ces gens étranges, voyageant en traîneaux eux aussi, venaient à sa rencontre, le saluaient, le comprenaient. Étonnante rencontre que celle de ces traîneaux à chiens et de leurs occupants, sur la banquise de la baie Havilland, à l'Est de l'établissement de Repulse Bay (au nord-ouest de la Baie d'Hudson) [11]. Moment historique dans la vie de l'explorateur-ethnographe, parti à la recherche d'un savoir "authentique" et des racines de son identité, moment historique aussi pour les Inuit que l'arrivée de cette première grande expédition transnationale dans leur territoire, annonciatrice de l'unification, soixante ans plus tard, à Nuuk au Groenland, des diverses organisations inuit avec l'adoption d'une Charte créant l'Inuit Circumpolar Conference, première grande organisation transnationale inuit [12]. 

À quarante-deux ans, Kunut - c'est ainsi que les Inuit ont conservé la mémoire de son nom (Knud) - fils d'un pasteur danois établi au Groenland, et petit-fils en ligne maternelle d'une Inuk groenlandaise, réalisait avec cette rencontre le premier objectif de la Cinquième Expédition de Thulé (la plus fameuse de la série) : établir le contact avec les Inuit Iglulik afin de les étudier et d'obtenir d'eux un premier corpus de données originales, avant de poursuivre des recherches comparatives au sein des groupes avoisinants : au sud-est, dans la région intérieure des Inuit du caribou, d'où l'on croyait originaires tous les Inuit [13], au nord-ouest, dans la région du passage du nord-ouest où vivaient parmi les plus " primitifs" [14] d'entre eux, et de conduire son expédition vers l'Ouest, en traversant en traîneau à chiens tout l'Arctique central canadien pour se rendre jusqu'en Alaska et peut-être jusqu'en Sibérie orientale, limite extrême de l'habitat inuit. Il s'agissait d'établir sur des bases scientifiques l'unité de la culture inuit et si possible d'étayer l'hypothèse de son origine continentale nord-américaine. Alors qu'on se passionnait en Europe pour la préhistoire occidentale et qu'on spéculait sans fin sur l'interprétation des découvertes paléolithiques, Kunut croyait avoir à sa portée l'étude d'un peuple vivant encore en partie à "l'âge de la pierre", comme en témoignent ses écrits [15]. 

Mais qui étaient donc ces premiers Inuit canadiens rencontrés par la Cinquième Expédition de Thulé ? Peter Freuchen (1939 : 390) nous donne quelques éléments de réponse : 

Le chef s'appelait Pappi [Papik] (la queue d'oiseau) et les trois familles qui l'accompagnaient faisaient partie de la tribu Netchilik [Nattilik]...
 

Photo 2
Rasmussen en territoire iglulik.
(photo : Copyright Danish National Museum)

 

 

On peut mettre en doute la généralisation de P. Freuchen quant à l'appartenance de tous les voyageurs au groupe Nattilik, car Rasmussen nous dit de son côté avoir été hébergé le même soir dans l'iglou de l'un d'entre eux, Pilakapsak (Pilakapsi), dont nous savons par ailleurs qu'il était originaire d'Iglulik, chamane et frère de deux autres chamanes iglulik qui par la suite deviendront de précieux informateurs pour Rasmussen. Cette assertion de Freuchen, sans doute en partie vraie néanmoins, prend toute sa valeur quand on sait qu'un nombre important de familles nattilik immigrantes vivaient dans la région de Repulse Bay et que plusieurs cas de mariage et d'adoption inter-groupes rendaient parfois difficile leur classement. C'est d'ailleurs une des grandes critiques faites aux travaux de la Cinquième Expédition de Thulé que d'avoir opéré des divisions catégoriques entre les groupes et les monographies les décrivant, alors qu'en ce qui concerne Iglulik, notamment, les données présentées proviennent en grande partie d'informateurs originaires d'autres groupes comme le souligne très justement G. Mary-Rousselière (1984 : 446) : 

C'est principalement dans Rasmussen (1929a, 1930) et Mathiassen (1928) que l'on trouve l'essentiel des données ethnographiques [sur les Iglulik]. Malheureusement une bonne partie des données utilisées par Rasmussen proviennent du folklore Netsilik [Nattilik] ... [notre traduction] 

Grâce aux informations fournies par Pilakapsi les membres de l'expédition apprendront l'existence de nombreux camps inuit habités, dans les environs de leur base, ou à quelques jours de traîneau, ainsi que la présence d'un comptoir commercial à Repulse Bay ; tous s'y rendront ensemble d'ailleurs le jour suivant et là, Rasmussen fera la rencontre d'un frère aîné de Pilakapsi, Ivaluarjuk, chamane lui aussi, qui allait devenir son premier grand informateur.

 

La "culture intellectuelle" des Inuit iglulik

 

Pour réaliser son rêve de traverser en traîneau à chiens l'Arctique nord-américain, avec pour seuls compagnons un couple de Groenlandais, et de franchir le "passage du Nord-Ouest", celui là même qui pendant cinq siècles avait défié toutes les tentatives (jusqu'en 1906), il fallait que Rasmussen commençât par étudier en profondeur le groupe iglulik qui lui servirait de point de comparaison avec les autres groupes. 

Tandis que ses compagnons Mathiassen et Birket-Smith, aidés par des interprètes groenlandais comme Jacob Olsen, étudieraient la culture matérielle des Inuit iglulik et caribou, il se proposait quant à lui de recueillir en territoire iglulik, puis tout au long de son périple, de la bouche des derniers chamanes en activité, des données de première main sur la culture intellectuelle des Inuit (c'est ainsi qu'on désignait à l'époque l'ensemble que constituent pour une culture son système de pensée, ses représentations, ses mythes, ses rites et ses croyances). 

Cette 5e Expédition de Thulé allait effectivement, au cours des trois années suivantes, renouveler pour longtemps les connaissances, dans ce domaine, sur les Inuit de l'Arctique central canadien et compléter utilement celles sur les Inuit du Cuivre, sur ceux du MacKenzie et d'Alaska. Elle fournirait à l'ethnologie des Inuit ses données parmi les plus précieuses à propos du chamanisme, données que depuis cinquante ans plusieurs générations de chercheurs n'ont cessé de citer et d'utiliser dans leurs travaux. Données aussi qui, paradoxalement, ne firent l'objet que de très peu de critiques, d'interprétations scientifiques ou de nouvelles recherches. 

On dirait que leur qualité exceptionnelle a comme couvert de discrédit celles recueillies par les précurseurs de Rasmussen tels que Parry, Lyon, Hall, et surtout Boas et Comer... a comme jeté un voile sur les interprétations théoriques élaborées à partir des données de ces précurseurs, comme les interprétations de Marcel Mauss et Beuchat... a comme découragé tout émule potentiel et entraîné une désaffection surprenante pour l'étude de la culture intellectuelle [16]. Pendant les cinquante années suivantes ce domaine ne sera plus l'objet que de très rares recherches sur le terrain. Le tabou qui semble entourer, depuis, ce type d'ethnographie fait aussi que cette partie de l'oeuvre de Rasmussen n'a jamais donné lieu à un véritable examen critique. C'est une lacune que nous nous efforçons de combler, depuis quelques années, en nous basant principalement sur la monographie classique de Rasmussen : The Intellectual Culture of the Iglulik Eskimos (1929). Nous l'avons soumise à une nouvelle ethnographie sur le terrain, à l'aide des nouveaux outils méthodologiques et théoriques offerts par l'anthropologie contemporaine [17]. Cela nous a conduit à revoir dans le détail le contenu de cette monographie, à en discuter le contenu avec des informateurs qui avaient connu Rasmussen et même qui avaient assisté aux entrevues rapportées dans son ouvrage [18]. 

Nous citerons comme exemple de ce travail, un passage de Rasmussen (1929a) dans lequel il décrit un rituel chamanique lors du déménagement du camp de pêche du chamane Aava pour aller dans un camp de chasse au morse sur la banquise. C'était en février 1922 ; la nièce d'Aava, Nuvvijaq, avait mis au monde un bébé fille un mois auparavant et pour la première fois l'enfant allait voyager, sortir de l'espace habité du camp. Nous mettrons en parallèle le récit de Rasmussen (1929a : 47) avec les données que nous avons recueillies à Igloolik auprès de deux informateurs qui se souvenaient de l'évènement :

 

Rasmussen (1929a : 47) Itijjariaq

Saladin d'Anglure (1971-1988) [19]

"les bagages étaient empilés sur les traîneaux [...] et lorsque nous fûmes sur le point de partir, j'eus la chance de voir comment un nouveau-né inaugurait son premier voyage en traîneau..."

Tout était prêt pour le déménagement, il restait à faire le plus important, c'est à dire un rite de passage pour la nouveau-née dont c'était le premier voyage. C'était d'autant plus important que l'enfant était sous la menace d'une malédiction chamanique prononcée jadis à l'encontre de sa mère [20]. Sa vie était en danger surtout lors de sa première sortie hors de l'espace habité, hors de l'espace du camp marqué de traces de pas.

"...un trou fut pratiqué dans la paroi, de l'intérieur, au fond de l'iglou de Kublo..."

Pour contrer la malédiction, le chamane Aava avait décidé de faire sortir l'enfant par un autre chemin que la porte, par un trou pratiqué dans la paroi de neige, comme on faisait pour les morts, pour les gibiers prohibés et les jeunes filles ayant leurs premières règles [21].

"... et sa femme sortit en rampant, tenant sa petite fille dans ses bras ; elle se tint ensuite debout devant sa maison et attendit..."

Afin de déjouer les mauvais esprits, Aava avait prescrit à sa nièce Nuvvijaq de porter pendant une année son bébé contre sa poitrine et non pas contre son dos, dans la poche de son manteau, comme c'est la coutume.

"Aua, qui en tant que chamane devait veiller au respect des rites, s'approcha alors de l'enfant, découvrit sa tête, et, les lèvres toutes proches de son visage, récita une prière magique..."

Nuvvijaq, effrayée par la malédiction qui avait déjà tué cinq de ses nouveaux-nés, avait demandé à Aava, son oncle chamane, d'assurer une protection spéciale au bébé afin de l'aider à vivre.

"... C'était le premier voyage de l'enfant et la petite fille dont le nom était Kâgjagjuk (nommée d'après Aua lui-même) devait être introduite dans la vie au moyen de cette formule magique" :

Aava, pour renforcer la vitalité de l'enfant, lui avait donné sa propre identité grâce à ses noms, entre autres Kaujjajjuk ; cette homonymie avait pour effet de souder leurs deux vies. Ce nom était aussi celui d'un de ses esprits auxiliaires de chamane, Kaujjajjuk, l'orphelin mythique qui, après avoir subi toutes sortes de mauvais traitements, fut fouetté par l'homme-lune et doté d'une force surhumaine ; Aava voulait ainsi assurer à l'enfant la plus efficace des protections.

"Je m'élève du repos avec des mouvements rapides comme le battement des ailes du corbeau, je m'élève pour rencontrer le jour Ua Ua. Mon visage se détourne de la noirceur de la nuit et regarde l'aube qui maintenant blanchit le ciel."

La petite Kaujjajjuk avait reçu avec ses noms l'identité de son éponyme (Aava, Kaujjajjuk ...) ; or le corbeau était pour ce dernier un protecteur très efficace. A sa naissance on l'avait en effet vêtu de dépouilles de corbeau. Et par la suite, ayant conservé ce premier vêtement comme amulette, il fut effectivement sauvé de la mort par un corbeau qu'il avait désespérément appelé à l'aide après être tombé à la mer, accroché à un bloc de glace : il entendit alors un battement d'aile et vit un corbeau ; il volait dans la nuit venant du levant, venant de l'aube qui blanchissait le ciel, et s'approchant, il décrivit des cercles au-dessus de lui. Le bloc de glace changea de direction et se rapprocha de la terre ferme. Il avait la vie sauve et en même temps avait acquis la lumière et la vision chamanique, grâce au corbeau son oiseau tutélaire.

 

Ces commentaires (colonne de droite) nous ont été fournis par le fils du chamane Aava, Ujaraq, et par la soeur aînée de la petite Kaujjajjuk, Iqaliijuq (cf. la photographie des deux soeurs prise à Igloolik en 1982, soixante ans après l'évènement). Ujaraq et Iqaliijuq vivaient alors ensemble et furent recensés comme jeune couple par Rasmussen, dans le camp d'Aava, à Iiijjariaq, où se passe la scène. Nos deux informateurs qui étaient âgés respectivement de seize et quatorze ans, logeaient dans l'iglou d'Aava, celui là même où s'était installé Rasmussen. Ils se souvenaient très bien, plus de soixante ans après, des questions posées par Rasmussen et des réponses d'Aava et d'Urulu sa femme. Comme on le constate, en comparant les deux textes, toutes les informations transcrites par Rasmussen sont exactes et du plus haut intérêt ; il y manque néanmoins l'information contextuelle complémentaire qui leur donne sens, tant dans le domaine symbolique que sociologique. Il en va de même pour la plupart des données publiées par Rasmussen sous le titre général de "culture intellectuelle". Un long travail ethnohistorique et critique est donc nécessaire et possible pour mettre en valeur cette immense et riche collecte ethnographique.

 

Kunut et les angakkut iglulik

 

Sa sensibilité à la "culture intellectuelle" des Inuit, Rasmussen la tenait de ses lectures de Rink, (1871, 1875), de Boas (1901, 1907) et de ses recherches antérieures conduites au Groenland sur la tradition orale inuit. Mais il était surtout très impatient de rencontrer des Angakkut (chamanes) encore en activité, ces hommes "avisés", de la bouche desquels il voulait recueillir la tradition vivante, la vision du monde, les tabous et prescriptions, les mythes et légendes, les chants, les rites et les prières ; après tant d'efforts faits par ses prédécesseurs pour visiter et décrire les Inuit, il se sentait en mesure, avec l'aide des Angakkut, d'aller plus loin, plus vrai, plus en profondeur. 

Sur près de quatre vingt dix angakkut que nous avons identifiés parmi les Inuit iglulik recensés par la Cinquième Expédition de Thulé en 1921-22 (dont dix-sept femmes angakkut), Rasmussen n'en utilisa que huit comme informateurs (soit six hommes : Pilakapsi, Ivaluarjuk, Padluq, Aava, Angutimmarik, Audlanaaq, et deux femmes : Tagurnaaq, Urulu). Il utilisa, en plus, quatre informateurs angakkut parmi les immigrants nattilik (Unaliq, Anaqqaaq, Inukpasujjuk, Naukatjiq) qui lui fournirent environ un tiers des données publiées dans sa monographie sur la culture intellectuelle des Inuit iglulik. Si nous tabulons par thèmes ou chapitres la part respective (en nombre de pages) de ces divers chamanes comme informateurs, à partir de la monographie de Rasmussen (1929a), en distinguant les iglulik (en gras) des nattilik, avec le sexe de chacun (H/F) nous obtenons le résultat suivant (sans tenir compte des illustrations) :
 

1. Autobiographies : Tagurnaaq (F.) 12p. ; Unaliq (H.) 7p. ; Urulu (F.) 5p., Aava (H.) 3p. ; Padluq (H.) 3p. ; Ivaluarjuk (H.) 3p. ; Anaqqaaq (H.) 2p.
 
2. Conception de la vie : Aava (H.) 4p. ; Anaqqaaq (H.) 2p. ; Naukatjiq (H.) 2p.
 
3. Les puissances Ivaluarjuk (H.) 13p. ; Urulu (F.) 8p. ; Inukpasujjuk (H.) 7p.
 
4. La mort, la vie Aava (H.) 8p. ; Inukpasujjuk (H.) 8p.
 
5. Les Angakkut : Aava (H.) 21p. ; Angutimmarik (H.) 12p. ; Urulu (F.) 2p.
 
6. Les amulettes : Inukpasujjuk (H.) 4p. ; Ivaluarjuk (H.) 3p.
 
7. Les paroles magiques : Ivaluarjuk (H.) 5p., Aava (H.) 4p. ; Naukatjiq (H.) 4p.
 
8. Tabous et prescriptions : Aava (H.) 10p. ; Urulu (F.) 8p. ; Audlanaaq (H.) 2p.
 
9. Les esprits : Inukpasujjuk (H.) 8p. ; Ivaluarjuk (H.) 5p. ; Aava (H.) 5p. ; Naukatjiq (H.) 2p. ; Unaliq (H.) 0,5p.
 
10. Chants et danses : Aava (H.) 10p. ; Unaliq (H.) 2p. ; plus un quart non spécifié.
 
11. Légendes et mythes : Ivaluarjuk (H.) 34p. ; Inukpasujjuk (H.) 17p. ; Naukatjiq (H.) 3p.
 

Photo 3
Iqallijuq et Uriurtuq. (Photo : B. Saladin d'Anglure).  

 

On constate qu'environ 27% des données proviennent de chamanes nattilik, immigrants dans la région, et que seuls les chapitres sur le chamanisme et sur les prescriptions et prohibitions comportent exclusivement des données iglulik. D'autre part 53% des données ont été recueillies auprès des deux frères chamanes, Ivaluarjuk et Aava, et si l'on ajoute celles de la femme de ce dernier, Urulu, on atteint 64%. Pour l'ensemble, les deux femmes chamanes ont fourni 16% des données, dont la moitié concernent leur histoire biographique et l'autre moitié des tabous et des croyances concernant les puissances surnaturelles. 

Nous avons souligné ailleurs (B. Saladin d'Anglure 1988a) les problèmes soulevés par l"'invisibilité" des femmes chamanes dans les études sur le chamanisme inuit où leur rôle est souvent confiné à celui d'informatrice dans des domaines périphériques au chamanisme. Rasmussen porte sa part de responsabilité à ce sujet, lui qui nous signale la qualité de chamane de Tagurnaaq, quand il évoque son histoire de vie, mais qui ne revient à aucun moment sur le sujet, ni ne lui pose de questions sur sa pratique. Le cas d'Urulu est encore plus flagrant puisqu'il ne signale même pas qu'elle est chamane, or tous nos informateurs sont formels à ce sujet-, Urulu était chamane et pratiquait souvent son art avec succès. Que s'est-il donc passé qui expliquerait cet oubli ? Surtout si l'on tient compte du fait qu'Urulu arrive en quatrième position pour l'importance de sa contribution comme informatrice, sur douze informateurs ? Il s'agit certainement là d'une lacune caractéristique de l'époque où Rasmussen effectua son enquête. L'ethnographie étant alors essentiellement le fait des hommes, ils recherchaient tout naturellement des chefs et des hommes sages et avisés comme informateurs, sans penser que les sociétés qu'ils étudiaient pouvaient elles aussi exprimer un androcentrisme latent. 

Parmi les chamanes mentionnés dans son ouvrage, il faut faire une place à part à Angutimmarik, l'officiant de la cure chamanique rapportée par Rasmussen (1929a : 131-141) et qui constitue un exemple classique pour l'étude du chamanisme inuit. On doit en grande partie le récit de cette cure à Jacob Olsen, le catéchiste groenlandais qui servit d'interprète aux chercheurs de l'expédition, notamment à Mathiassen qu'il accompagna sur l'île de Southampton. Incapables de revenir à leur base, en raison des mauvaises conditions de glace, les deux hommes passèrent l'hiver dans le camp du grand chamane Angutimmarik, où, presque quotidiennement, avaient lieu l'une ou l'autre séance chamanique. Le journal de bord de Mathiassen (1930) en contient quelques descriptions, mais rien d'équivalent à cette transcription verbatim faite avec l'aide d'Olsen et du chamane [22]. Ce fut Olsen également qui aida Rasmussen à transcrire en inuit les très intéressants commentaires d'Angutimmarik sur les modalités d'accession au chamanisme, qui sont intégrés dans le chapitre 5 de son livre. 

Dans l'inventaire des données ethnographiques publiées par Rasmussen il aurait fallu pour être complet intégrer aussi celles qui figurent dans un autre volume intitulé Iglulik and Caribou Eskimo Texts, Report of the Fifth Thule Expedition 1921-1924. Vol. 7, no.3. (1930) ; mais comme ces données sont soit des listes de noms de personnes ou de lieux, soit des lexiques, soit des mythes en version phonétique, sans qu'il soit toujours fait mention de leur provenance, nous ne les avons pas incluses ici dans notre analyse. Elles n'en sont pas moins intéressantes et précieuses.

 

Des mythes et des tabous

 

Mythes et tabous constituent 64% (en nombre de pages) de la monographie de Rasmussen (1929a), soit 50% pour les mythes et 14% pour les tabous, il s'agit, avec les données sur le chamanisme, des plus intéressants matériaux recueillis pour l'analyse de la pensée et de la pratique religieuse des Inuit. Or curieusement, très rares sont les chercheurs qui se sont lancés dans l'analyse de ces données. Boas S'était déjà intéressé à ce domaine et les deux volumes édités par lui en 1901 et 1907, à partir des données recueillies par les Capitaines baleiniers, G. Comer et J.S. Mutch, contiennent à peu de chose près la même proportion de mythes et de tabous que l'ouvrage de Rasmussen, soit plus de 60%. Dès 1904 Marcel Mauss (1969 :71-72) signalait dans l'Année Sociologique le très grand intérêt présenté par le premier des deux livres de Boas, pour l'étude des religions : 

"C'est surtout à propos des phénomènes religieux que ce livre est remarquable / ... / En premier lieu, ils nous fournissent des documents incomparables sur l'institution du tabou esquimau et sur le tabou en général / ... / les plus intéressants peut-être sont les tabous de mélange / ... /. Les capitaines Comer et Mutch, le Rev. Peck en ont colligé pour M. Boas, une liste considérable et remarquablement homogène, dans ces tribus. / ... / Avec les textes talmudiques, nous ne connaissons pas de documents plus significatifs sur la question / ... /. Ces usages forment le centre de la vie morale et religieuse de ces sociétés / ... /. Nous avons enfin un recueil de mythes, légendes et contes, considérable même capital / ... /. Les Esquimaux sont maintenant, parmi les groupes sociaux dits primitifs, l'un des mieux connus... 

Rasmussen, qui avait certainement en main les ouvrages de Boas, réussit le tour de force de presque doubler le nombre de mythes et de tabous recueillis ; on est néanmoins surpris de retrouver dans sa monographie les tabous cités à peu près dans le même ordre et souvent dans la même formulation que ne l'avait fait Boas (ou du moins ses pourvoyeurs), sans que les travaux de ce dernier ne soient mentionnés. Visiblement l'autodidacte Rasmussen était mal à l'aise avec l'oeuvre de son prédécesseur et grand universitaire qu'était Boas. 

Certes dans le cas de Boas on sait qu'il ne parlait pas la langue inuit, qu'il n'avait pas réussi à rejoindre Igloolik, que le contenu de ses deux ouvrages (1901,1907) avait été recueilli par d'autres, il n'en reste pas moins qu'il ne s'en est jamais caché et que le lien étroit qui semble de toute évidence exister entre ses ouvrages et ceux de Rasmussen eut gagné à être explicité ; nous sommes convaincu en effet que le contenu des ouvrages du premier servit de guide à la collecte des données du second. 

En enquêtant cinquante ans après Rasmussen sur le même sujet, à l'aide de son livre, avec les enfants de ses informateurs, il nous est apparu que Rasmussen avait travaillé très vite et dans des conditions précaires (ce qui est attesté par les divers témoignages de l'Expédition), en effet aussi riches qu'elles puissent être ses listes de tabous n'en sont pas moins laconiques et très énumératives, avec rarement des exemples, elles ressemblent beaucoup dans leur forme aux listes de Boas colligées auprès de baleiniers qui n'avaient certainement pas la formation ni la facilité de communication de Rasmussen. 

On laissera aux historiens le soin d'éclaircir cette question, surtout lorsque sera achevé le dépouillement des importants fonds d'archives manuscrites de l'Expédition [23].

 

Les Iglulik, un construit de la
Cinquième Expédition de Thulé ?

 

C'est la Cinquième Expédition de Thulé qui a défini et circonscrit le groupe inuit Iglulik ; voici comment s'en explique Rasmussen (1929a : 9) : 

"Les Aivilingmiut et Iglulingmiut constituent avec les Tununermiut de Pond Inlet, le groupe iglulik/ ... /.Iglulingmiut, pluriel de Iglulingmio, un homme ou une femme d'Iglulik, une île du détroit de Fury et d'Hecla. Amitjormiut, pluriel de Amitjoq, un des noms de la péninsule de Melville. Le territoire dont il s'agit ici est situé entre Usugârjuk et Lyon Inlet. Ils font partie de la tribu Iglulik au sens large du terme. Aivilingmiut, pluriel de Aivilingmio, quelqu'un vivant à Aivilik, l'ancien nom de la région entourant Repulse Bay / ... /. Il n'y a pas de différences très marquées entre les Aivilingmiut et les Iglulingmiut. Les dialectes sont si proches qu'il est difficile pour un étranger d'en déceler les différences. Il y a par contre une plus grande différence entre ces dialectes, d'une part, et celui des Netsilingmiut d'autre part..." 

Mathiassen (1928 : 1) ajoute pour sa part : 

"Ces groupes / ... / sont en réalité si étroitement reliés qu'ils doivent être regardés comme formant une tribu eskimo avec une culture uniforme dans tous les aspects essentiels. L'ensemble de cette tribu est ainsi appelée les Eskimo Iglulik, d'après qui depuis très longtemps a été et est toujours le principal établissement, l'île d'Iglulik à l'extrémité nord de la péninsule de Melville." 

Ce sont en fait Mathiassen et Freuchen qui ont apporté àRasmussen les informations complémentaires concernant les habitants de la partie nord de l'île de Baffin, car Rasmussen ne s'y rendit pas lui-même. Il est vrai que l'expédition reçut dans sa base la visite de nombreux voyageurs dont certains venaient du nord-Baffin. Mais l'existence et la définition d'une tribu iglulik - on dirait dans la terminologie moderne une bande régionale iglulik - restent selon nous encore à démontrer. 

Des travaux ethno-historiques récents comme ceux du Père G. Mary-Rousselière (1980), ceux de W.G. Ross (1975) ou de S. Rowley (1984) montrent en effet l'importance des mouvements migratoires inuit, tant sur l'axe Nord-Sud qu'Est-Ouest, depuis le début du XIXe siècle. Qui sont alors les vrais Iglulik ? Les informateurs de Rasmussen ? Nous avons déjà mentionné que sur douze informateurs principaux quatre étaient des immigrants nattilik ; nos enquêtes nous ont permis d'établir par ailleurs que les trois frères chamanes, Pilakapsi, Ivaluarjuk et Aava, dont les deux derniers ont fourni 50% des données de l'ouvrage de Rasmussen, avaient un père nattilik qui devenu orphelin fut adopté par une famille iglulik. Si l'on considère aussi la généalogie d'Iktuksarjuat, celui que l'on considérait du temps de la Cinquième Expédition de Thule comme le "chef' d'Iglulik (Freuchen 1939 :405), ou par la suite comme le "Roi" de la région, avec sa femme Ataguttaaluk, désignée par Freuchen comme la "dame la plus en vue" du Détroit de Fury et d'Hecla, ou par la suite comme la "Reine" d'Iglulik, on constate que le premier a des racines dans le Sud de Baffin, s'est marié une première fois dans la région du Cap Fullerton, non loin de Chersterfield Inlet, pour venir se fixer au début du siècle à Iglulik et que la seconde vécut longtemps dans le Nord-Baffin avant d'épouser en secondes noces Iktuksarjuat. 

Si l'on conjugue les effets de l'installation de comptoirs commerciaux au Sud de la Baie d'Hudson et dans l'Ungava avec ceux des voyages d'exploration, et ceux des expéditions et des stations baleinières au XIXe siècle sur les groupes désignés par Rasmussen sous les noms d'Iglulik, de Netsilik (Nattilik) et de Caribou, il devient pratiquement impossible d'établir des frontières entre les groupes, les seules frontières identifiables étant celles des régions. Ainsi l'apparente homogénéité des Inuit Aivilingmiut, Iglulingmiut et Tununermiut, censés constituer les Iglulik, pourrait-elle résulter tout simplement des mouvements de populations évoqués. Il faudrait alors reprendre toute la géographie culturelle de l'Arctique central inuit [24] jamais remise à jour depuis le travail pionnier de Boas (1888). Avant l'Expédition de Rasmussen les divers auteurs parlaient en effet des Aivilik, des Tununiq et des Iglulik comme de groupes et de régions distincts ; or depuis les travaux de cette Expédition tous les auteurs subséquents parlent des Iglulik au sens d'une grande région culturelle englobant les trois autres, comme si cela allait de soi. Seule une étude systématique et critique de la toponymie de ces trois régions, des généalogies des groupes qui y vivent, des différences linguistiques, de leur technologie comparée, de leurs mythes, rites et tabous, de leurs migrations, pourrait permettre de trancher la question.

 

Les Iglulik, un exemple
de l'illusion archaïque de Rasmussen

 

Au terme de ce survol de l'oeuvre de Rasmussen sur les Inuit iglulik, il nous faut dresser un bilan. Qualitativement le contenu de cette oeuvre est sans commune mesure avec tout ce qui a pu être écrit sur le système de pensée et la vie religieuse de ces Inuit. Avec cette nuance près que Rasmussen a travaillé vite, dans des conditions d'enregistrement précaires et n'a somme toute passé que quelques semaines avec ses meilleurs informateurs. Ceci explique le caractère un peu énumératif des données recueillies, le manque de commentaires ou d'exemples, comme dans le cas des tabous et des mythes. Mais en même temps la possession de la langue inuit et J'extrême motivation de Rasmussen lui ont permis de recueillir parmi les plus beaux témoignages ethnologiques de ce vingtième siècle. Autodidacte, Rasmussen s'est grandement appuyé sur l'oeuvre de ses prédécesseurs, en particulier Boas, dont il n'a pas su véritablement se démarquer, si ce n'est en l'ignorant. Mais à la différence de Boas qui était à la recherche d'une vocation professionnelle et d'une identité scientifique et qui la trouva en Amérique du Nord, à partir de son ethnographie arctique, Rasmussen était à la recherche d'une identité beaucoup plus personnelle, celle de ce peuple auquel il appartenait en partie. Dans son esprit il retrouvait avec les récits des chamanes l'âme "primitive" de descendants de l'âge de la pierre... 

Il y avait là, au lendemain de la guerre de 1914-18 et des pires massacres de l'histoire qu'elle entraîna, un message d'espoir, un hommage aux possibilités de la nature humaine confrontée aux pires conditions naturelles exprimées par le milieu arctique. Mais en même temps cette sensibilité extrême à l'essence de la culture inuit donne à l'oeuvre de Rasmussen une coloration d'illusion archaïque (cf. C. Lévi-Strauss 1952, et Burch 1988) intemporelle, comme détachée de l'histoire. Une des tâches les plus urgentes de l'ethnologie actuelle serait de resituer cette oeuvre dans l'histoire. Les récits de vulgarisation publiés par Rasmussen et ses compagnons nous en donnent la possibilité, de même que l'examen des archives de l'Expédition ; sans compter qu'il serait urgent de procéder à des ethnographie critiques systématiques au sein de tous les groupes visités par la Cinquième Expédition de Thulé. 

En guise de conclusion nous citerons une des pages les plus célèbres de la monographie de Rasmussen sur les Iglulik avec le témoignage du vieux chamane Aava [25] : 

"Aua [Aava] me dit : "Pour bien chasser et vivre heureux l'homme a besoin d'un temps calme. Alors pourquoi cette succession de tempêtes de neige et toute cette peine inutile pour celui qui recherche sa nourriture et celle des siens ? Pourquoi ? Pourquoi ?" Nous étions sortis juste au moment où les chasseurs rentraient de leur chasse au trou de respiration sur la glace. Ils marchaient par petits groupes et, penchés en avant, luttaient difficilement contre le vent qui par moment les arrêtait. Aucun ne remorquait de phoque. Toute la journée, ils avaient peiné en vain. Je ne pus répondre au "pourquoi" d'Aua que par un silencieux hochement de tête. / ... / Alors il m'emmena chez sa vieille soeur Natseq [Nattiq] qui, étant malade, habitait seule dans un petit iglou de neige. Elle était maigre et épuisée./ ... /Une toux mauvaise secouait tout son corps et faisait présager une issue fatale / ... /. Aua me regarda et dit : Pourquoi faut-il que les hommes soient malades et souffrent ? Nous redoutons tous la maladie. Ma soeur que voici n'a, de mémoire d'homme, rien fait de mal / ... / À présent, la voici condamnée à souffrir jusqu'au terme de ses jours. Pourquoi ? Pourquoi ? /... / Tu vois bien, me dit alors Aua, que tu n'es pas non plus en état de nous rien expliquer quand nous te demandons pourquoi la vie est ainsi faite. Et il ne peut en être autrement. Tous nos usages viennent de la vie et vont à la vie. Nous n'expliquons rien, nous ne croyons rien, mais dans tout ce que je viens de te montrer est incluse notre réponse. Nous craignons Sila l'esprit de l'air contre lequel il nous faut lutter pour arracher au sol et à l'océan notre nourriture. Nous craignons la misère et la famine dans le froid iglou de neige. Nous craignons Takanakapsâluk la grande femme du fond de la mer qui contrôle tous les animaux marins. Nous craignons la maladie que nous voyons chaque jour sévir autour de nous. Ce n'est pas la mort que nous redoutons, mais bien la souffrance. Nous craignons les mauvais esprits de la vie, ceux de la terre, de la mer et de l'air qui peuvent aider les mauvais chamanes à faire du mal aux autres. Nous craignons les âmes des morts et celles des animaux que nous avons tués. Voilà pourquoi nos pères, au cours des âges, se sont armés de préceptes qui sont fondés sur l'expérience et la sagesse de nombreuses générations..." 

Le plus grand mérite de Rasmussen et de son équipe dano-groenlandaise fut certainement d'avoir cru avec assez de passion en J'existence d'un peuple inuit, pour réaliser l'exploit d'en traverser l'immense territoire tout en se mettant à l'écoute de la parole universelle de quelques uns de ses plus grands chamanes et médiateurs. Iglulik en fut la première étape, le lieu des premiers défis, des premières découvertes. En dépit du flou qui entoure encore la définition des Inuit "iglulik", c'est certainement chez eux que S'est joué le succès de la Cinquième Expédition de Thulé. Là où Party et Lyon avaient du abandonner leur projet de passage par le Nord-Ouest, où Boas n'avait pas pu se rendre ; où le regretté Beuchat ne se rendrait jamais.

 

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*    Département d'anthropologie, Université Laval, Québec, Qc, G1K 7P4

[1]    C'est sous ce terme et avec cette graphie que Rasmussen el son équipe désignent les Inuit répartis depuis le nord de l'île de Baffin jusqu'à Chesterfield Inlet. Il inclut les groupes connus actuellement sous les noms de Tununnirusirmiut (Arctic Bay) les Mitimmmatalimmiut (Pond Inlet) les Iglulimmiut (Igloolik), les Aivilimmiut (Repulse Bay),

[2]    Cf. Malaurie (1975 : 426) : "C'est à la suite de ce très grand drame (la mort de Thorild Wulff, naturaliste suédois, au cours de la deuxième expédition de Thulé, 1916-1918) que survient la séparation entre Rasmussen - qui dirigea dorénavant ses expéditions vers le Canada Arctique, l'Alaska et le Sud-Est du Groenland - et Lange Koch qui organisa dès lors par lui-même ses grandes expéditions géologiques dans le nord et l'est du Groenland". Dans un article plus récent (Malaurie 1985) il fait le panégyrique de Rasmussen, cet auteur ne reprend pas cette remarque et tend à se démarquer de façon très critique des jugements de Lauge Koch.

[3]    Cf.Parry, (1824) et Lyon, (1824).

[4]    Cf. Oswalt, (1979) et Saladin d'Anglure et Morin, (1989).

[5]    Cf. le numéro spécial d'Études/Inuit/Studies sur Franz Boas (Vol. 8 no 1), notamment les articles de Cole, et Muller-Wille, (1984) et de Saladin d'Anglure. (1984). Le manque de chiens par suite d'une épizotie et de mauvaises conditions de neige semblent en avoir été les raisons principales.

[6]    Cf. Ross, (1984) qui démontre que Comer avait commencé sa collecte ethnographique avant de connaître Boas mais que ce dernier sût habilement mettre à profit les bonnes dispositions du premier, dans l'intérêt de l'American Museum of Natural History. Voir aussi Saladin d'Anglure, (1984).

[7]    C'est au cours de l'année 1922-23 que les Iglulik s'ouvrirent à une première forme de syncrétisme inspiré du christianisme, à l'instigation d'Inuit venus du Nord-Baffin (cf. Rasmussen 1929b). Mais ce n'est que dans les années 1930 que la majorité d'entre eux optera pour le Catholicisme ou l'Anglicanisme.

[8]    Il s'agit évidemment ici d'un jugement relatif et subjectif qui s'appuie sur les différences d'acculturation existant à cette époque entre les divers groupes inuit.

[9]    BeLichat, l'élève de Marcel Mauss avait été chargé de la recherche ethnologique ; sa mort tragique après le naufrage du Karluk, l'un des navires de l'expédition, fit reposer sur D. Jenness, antérieurement chargé de l'anthropologie physique, de la technologie et de l'archéologie, la charge des recherches du disparu pour lesquelles il n'avait ni sa sensibilité ni sa préparation.

[10]   À l'inverse on note comme une désaffection chez Boas comme chez Mauss pour l'ethnographie des Inuit après la publication des rapports de la Cinquième Expédition de Thulé. Aucune mention des oeuvres de Rasmussen, Mathiassen ou Birket-Smith ne figure dans la compilation des écrits de Mauss, pourtant, auparavant si sensibilisé au cas et aux données inuit. La mort dramatique de Beuchat en 1914 pourrait également expliquer la désaffection de Mauss.

[11]   Un comptoir de la Compagnie de la Baie d'Hudson venait d'y être installé, ce qu'ignorait Rasmussen.

[12]   Robert Petersen (1984) fait bien ressortir ce rôle de précurseur joué par Rasmussen.

[13]   Cette thèse empruntée à Steensby (1917) voulait que les Inuit du Caribou soient les descendants directs des premiers Inuit qui étaient continentaux et dont une partie s'était ultérieurement adapté à la vie côtière.

[14]   C'est l'expression de Rasmussen lui-même.

[15]   Cf. Rasmussen (1929c : 201-221) article dans lequel il établit des rapprochement directs entre les cultures du paléolithique européen et celle des Inuit.

[16]   Citons néanmoins quelques travaux ethnographiques sur le chamanisme, entre autres, ceux de A. Balikci (1963) et F. Thérien (1978), sur l'anthroponymie et l'accouchement R. Dufour (1975, 1977, 1984) et les analyses comparatives de mythes et rites de R. Savard (1970), R. Soby (1970), E. Arima (1976), J. Oosten (1976), D. Merkur (1985), I. Kleivan & B. Sonne (1985), X. Blaisel (1986). Parmi les rares études critiques de textes publiés par la Cinquième Expédition de Thulé mentionnons J. Oosten (1984), B. Sonne (1987). Les seules grandes recherches ethnographiques effectuées chez les Iglulik depuis Rasmussen sont celles de D. Damas (1963, 1975) sur l'organisation sociale et la parenté, et celles de G. Mary-Rousselière (1980).

[17]   Depuis 1971 en effet nous poursuivons des recherches sur ce groupe où nous avons effectué dix huit missions cf. B. Saladin d'Anglure 1986, 1998a et 1998b, pour une synthèse de ces travaux.

[18]   Notamment Ujaraq, le fils des chamanes Aava et Urulu, et Iqallijuq, dans l'iglou desquels logea plusieurs fois Rasmussen.

[19]   Ce texte est une version remaniée et complétée de celui qui figure dans Saladin d'Anglure (1980 : 12-13).

[20]   Elle avait été très jeune la seconde épouse d'un chasseur qui ne parvenait pas à avoir d'enfant de sa première femme. Mais cette première femme, jalouse de sa jeune co-épouse la soumit à toutes sortes de mauvais traitement jusqu'à ce que Nuvvijaq décida de s'enfuir et de retourner chez son père. C'est alors que son ex-belle-mère, la mère du polygame, qui était chamane proféra à son encontre une malédiction qui devait atteindre toute sa descendance future.

[21]   Il s'agit ici d'un des nombreux rites de passage inuit qui renvoie au travail classique de Van Gennep (1909) sur les rites de la porte.

[22]   Nous devons à R. Seby d'avoir retrouvé le texte en inuit de cette transcription.

[23]   Madame Regitze Soby a depuis quelques années commencé cet imposant travail. Elle a bien voulu nous communiquer une partie des manuscrits en langue inuit concernant les Inuit iglulik ; qu'elle en soit ici chaleureusement remerciée.

[24]   Dans le cas des Inuit Caribou ce travail critique a déjà été commencé par plusieurs chercheurs, parmi lesquels nous citerons B. Clark (1977), E. Burch (1978, 1986, 1988) et Y. Csonka (1988).

[25]   Nous empruntons ce texte à Rasmussen (1929a : 55-56) en nous inspirant de sa traduction française (1929b : 181-183).



Retour au texte de l'auteur: Bernard Saladin d'Anglure, anthropologue, Université Laval Dernière mise à jour de cette page le vendredi 25 juillet 2008 12:48
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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