Bernard Saladin d’Anglure
“La parenté élective chez les Inuit du Canada,
fiction empirique ou réalité virtuelle?”.
Un article publié dans l’ouvrage sous la direction de Agnès Fine, Adoptions. Ethnologie des parentés choisies, pp. 121-150. Paris : Édition de la Maison des sciences de l’homme, 1998, 310 pp. Collection : «Ethnologie de la France, no 19.»
- Introduction
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- 1. Construction et déconstruction du système de parenté « eskimo »
- 2. Les avatars de la parenté élective dans l’ethnographie des Inuit
- 3. Notion de personne, réincarnation et signes d'élection parentale
- 4. Les appellations parentales: des liens virtuels entre vivants et trépassés
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- Bibliographie
Introduction
Les Inuit, plus connus en Occident sous le nom d'Esquimaux (orthographié aussi Eskimo) ethnonyme d'origine algonquienne, rejettent actuellement ce dernier terme au profit du premier, une auto-appellation signifiant les (vrais) humains. En dépit de leur faible nombre (environ cent quinze mille actuellement), ils sont le peuple autochtone qui a été le plus décrit depuis sa découverte. Cela fait ressortir, par contraste, leur absence quasi-totale des débats théoriques de l'anthropologie contemporaine. Et pourtant, aux débuts de cette discipline, ils servirent d'exemple dans plusieurs travaux théoriques célèbres sur la parenté, la famille et l'organisation sociale, comme ceux d'Henry L. Morgan (1871) ou de Marcel Mauss (1906).
À l'heure où l'étude de la parenté semble connaître un regain d'intérêt dans les pays francophones - à en juger par le nombre de publications récentes qui lui sont consacrées [1] - et une certaine désaffection dans les pays anglo-saxons [2], il me paraît utile de réfléchir non seulement sur les conditions dans lesquelles le système de parenté «eskimo» a été reconnu comme le système prévalant en Occident tout au long de la courte histoire de l'anthropologie, mais aussi sur la façon dont les Inuit vivent et conceptualisent leurs relations de parenté. Et parmi celles-ci les relations électives découlant de pratiques comme l'adoption qui constituent chez eux plus du tiers des liens de parenté. Ces pratiques servent-elles à alimenter un réseau d'alliance fondé sur l'échange des enfants, parallèle à l'échange matrimonial, ou bien faut-il n'y voir qu'une fiction empirique, qu'une extension de la parenté consanguine, destinée à en palier les manques [3] ?
Ce sont là les questions qui ont été soulevées par les anthropologues. Mais si l'on veut véritablement prendre en compte le point de vue inuit, ne faudrait-il pas, comme nous allons tenter de le faire, changer complètement de perspective. C'est à dire considérer les nomenclatures de parenté comme des systèmes de classification servant à réactualiser de façon virtuelle les relations qu'entretenaient de leur vivant les trépassés entre eux, ou avec ceux qui leur ont survécu. Réactualisation qui passe par la réincarnation volontaire des défunts dans les nouveau-nés. Il nous faudra considérer la conception inuit des identités multiples, associées aux noms personnels, qui entraîne pour certains individus le chevauchement de la frontière des sexes et des générations. C'est toute notre conception occidentale du temps, de la mort, de la naissance, du réel et de l'imaginaire qui est ainsi remise en cause. Bref il nous faut reconnaître que pour les Inuit c'est le monde virtuel des esprits et des trépassés qui conditionne la vie humaine, ses aléas et ses développements. Il en résulte que dans cette réalité virtuelle toute relation de parenté est en quelque sorte élective.
1. Construction et déconstruction
du système de parenté « eskimo »
Henry L. Morgan (1871), le père de l'anthropologie sociale, est le premier à s'être intéressé aux nomenclatures de parenté «eskimo» et à les avoir utilisées. Ses présupposés évolutionnistes fortement marqués de biologisme furent cependant abandonnés par ceux qui à sa suite, tentèrent d'élaborer de façon plus scientifique une typologie des nomenclatures de parenté et des formes de famille, comme ce fut le cas avec Leslie Spier (1925) pour l'Amérique du nord.
Parmi les grands systèmes-types retenus par ce dernier, figure le système «eskimo». Les données sur les Inuit utilisées pour son étude provenaient de l'importante ethnographie concernant le groupe connu alors sous le nom d'Esquimaux du cuivre (Copper Eskimos), publiée par Diamond Jenness en 1922. Les données de Jenness sur la parenté étaient plus complètes que celles utilisées par Morgan mais néanmoins limitées et superficielles; elles ne concernaient qu'un seul groupe de l'arctique central canadien, parmi les vingt cinq différents groupes «eskimo» circonscrits dans l'arctique américain par l'anthropologie culturelle américaine (A. Kroeber 1939).
Ce sont ces mêmes données que reprit George P. Murdock (1949), lorsqu'il réalisa sa vaste étude comparative sur les structures sociales des peuples du monde, à partir du fichier des Human Relations Area Files de l'Université Yale. Murdock conserva quatre des systèmes-types de nomenclature de parenté définis par Spier dont le système eskimo . Pour chacun de ces types de nomenclature il définit un système de parenté et un type d'organisation sociale.
Pour résumer ce qu'écrit cet auteur à propos du type «eskimo», disons que la nomenclature de parenté s'y distingue notamment par le fait que les cousines croisées sont dénotées par le même terme que les cousines parallèles, mais différenciées des soeur. Il est caractérisé par l'absence de groupes de parents unilinéaires exogames, par la monogamie, par l'extension bilatérale du tabou de l'inceste, par la règle de résidence au mariage néolocale et par une règle de filiation bilatérale (dite aussi indifférenciée ou cognatique); c'est à dire qu'un individu est rattaché par la filiation à ses quatre grands-parents. Ces lignes se fondent dans la parentèle, ensemble des parents reconnus par un même individu. On retrouve ce système dans des sociétés très diverses comme les Inuit, les Ona de la Terre de Feu, les Pygmées des îles Andaman, les Yankees de Nouvelle-Angleterre et les Européens de l'Ouest. Cette similitude entre le système de parenté « eskimo » et celui des Occidentaux intrigua les premiers anthropologues. Plus récemment les préoccupations néo-évolutionnistes associées notamment à l'anthropologie marxiste [4] ont réactualisé la question du pourquoi et du comment un même système de parenté peut se retrouver aux deux extrémités de l'échelle du «développement» techno-économique humain, chez les chasseurs-cueilleurs inuit et chez les Occidentaux.
Mais si pendant longtemps les sociétés à filiation bilatérale (indifférenciée ou cognatique) auxquelles appartiennent les Inuit, vont être laissée pour compte par l'anthropologie dominante, c'est chez les Européanistes que l'on constatera autour des années 1970 (F. Zimmermann, 1993:137-139) un regain d'intérêt pour les systèmes de parenté et d'organisation sociale de type « eskimo », avec une approche d'inspiration structuraliste qui privilégiera l'alliance de mariage, la transmission du patrimoine et la parenté élective.
Très tôt en France, Marcel Mauss s'était intéressé aux «Eskimos» (Inuit), au point de leur consacrer un essai (1906). Mauss connaissait et admirait les travaux de Morgan , encore que ses tableaux sur la parenté « eskimo » lui paraissent tout à fait insuffisants. Il est urgent, écrit-il, d'entreprendre l'ethnographie du système de parenté «eskimo» (M. Mauss 1969, III:73). Il tentera donc dans son « Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos » d’amorcer une réflexion sociologique sur la parenté eskimo. Il voit dans la nomenclature de parenté un effet du dualisme saisonnier de l’organisation sociale de ce peuple: au pôle « communiste » hivernal correspondraient les termes de parenté collectifs (du type classificatoire de Morgan). Au pôle individualiste, estival, correspondraient les termes de parenté individuels (du type descriptif de Morgan). L’intérêt de la thèse de Mauss tient moins à l’explication fonctionnaliste un peu naïve qu’il substitue à l’explication évolutionniste de Morgan, qu’à l’approche holiste qu’il développe et qui lui permet de mettre en rapport la parenté et l'organisation sociale avec tous les autres grands domaines de la vie sociale (économique, juridique, religieux...) et, partant, de faire ressortir l'importance des liens électifs créés par l'adoption, par l'anthroponymie et par l'échange des conjoints, dans la construction sociale de la parenté inuit, s'écartant par là-même du biologisme inhérent à l'approche de Morgan dont l'influence se fait encore sentir en anthropologie dans la conceptualisation même de la parenté (cf. les critiques de R. Needham 1971, D. Schneider 1984, ou plus récemment de C. Meillassoux, 1993). Il est regrettable que la thèse de Mauss n'aie jamais été mise à l'épreuve du terrain chez les Inuit. C'était, à vrai dire, l'intention de Beuchat, qui aida Mauss à rédiger son essai sur les « Eskimos », et qui participa à l'Expédition arctique canadienne de 1913. Sa disparition tragique au cours du premier hivernage, mit fin brutalement à ce projet, lorsque Diamond Jenness qui n’avait ni sa formation ni sa sensibilité dut le remplacer au pied levé.
Ignorée pendant longtemps en Amérique du Nord, l’Ecole sociologique française, animée par Durkheim et Mauss, exercera son influence sur l’anthropologie britannique et sur l’ethnologie française. Il est cependant paradoxal que les deux grandes théories de la parenté, élaborées en Grande Bretagne et en France, en partie sous l'influence de cette école, aient exclu les Inuit de leur champ d'intérêt. La théorie britannique de la filiation (Radcliffe-Brown, Evans-Pritchard, Fortes...) qui ne concernait que les systèmes de filiation unilinéaires, et la théorie française de l'alliance (Lévi-Strauss, Dumont...) qui privilégiait les structures élémentaires de parenté. Seule la théorie américaine de la structure sociale (Murdock) leur faisait la part belle, tout en présentant à leur sujet des données bien incomplètes.
Les premiers travaux ethnographiques de terrain s'attachant à décrire en profondeur la parenté et l'organisation sociale inuit datent de la fin de la deuxième guerre mondiale, en Alaska (Lantis 1946, Hughes 1958, Spencer 1958...). Ils firent rapidement apparaître que le système de parenté eskimo décrit par Spier et repris par Murdock était loin d’être partagé par tous les groupes inuit. Au moins trois systèmes de parenté différents (J. Sperry 1952) ressortaient de ces travaux pour l’aire Inuit, avec une divergence majeure en Alaska du Sud-Ouest, sous la forme d’une patri-linéarité et de patri-clans. Chez tous les autres groupes inuit une règle de filiation bilatérale semblait prédominer.
Ces travaux pionniers sur la parenté inuit définie en termes substantivistes de consanguinité et d'alliance; concentraient leur attention sur la famille conjugale, dont la terminologie et les attitudes étaient conçues comme des relations primaires qui, par extension, s’étendaient aux parents plus éloignés et même à des non-parents désignés par des termes de quasi-parenté (relations d'adoption, d'échange de conjoints ou de parenté rituelle).
À partir des années 1960, une nouvelle vague de jeunes chercheurs s’intéressa à la parenté inuit, dont plusieurs avaient été formés à l’Université de Chicago par Fred Eggan et David Schneider (ou leurs disciples), anciens élèves de Radcliffe-Brown. Sensibilisés à l'importance de la langue pour la compréhension des catégories indigènes, ils s'intéressèrent aux attitudes et comportements parentaux, aux structures de résidence et de coopération économique (Damas 1963), à l'analyse componentielle de la terminologie parentale (Graburn 1964), à la reconnaissance de la parenté (Guemple 1966)... Mais loin d'apporter des réponses claires aux nombreuses questions que l'on se posait à propos du système de parenté «eskimo», ces travaux soulevèrent de nouvelles questions et mirent à jour une nouvelle complexité et de nouveaux débats, notamment sur la question de la flexibilité du système (Willmott 1960), sur l’importance de l’alliance (Guemple 1972) et sur la parenté élective (adoptive ou homonymique) comme nous allons le voir maintenant. On s’écartait de plus en plus du modèle de Murdock et de l’approche généalogique de la parenté. J. Briggs (1986), citée dans Meillassoux (1994), exprime bien le désarroi de nombreux chercheurs face à cette complexité de l’usage fait par les Inuit de la parenté, quand elle affirme que le système de parenté inuit, en apparence plutôt simple, n’est plus un système du tout lorsqu’il est en opération, mais un embrouillement de réseaux idyosyncratiques qu’il est extrêmement compliqué et difficile d’apprendre...
2. Les avatars de la parenté élective
dans l’ethnographie des Inuit
L’adoption est certainement une des pratiques sociales qui a suscité le plus de curiosité et de débats de la part des chercheurs intéressés à la parenté inuit, à commencer par Marcel Mauss, comme nous l'avons mentionné plus haut. On la retrouve dans toute l'aire inuit, avec une fréquence qui peut atteindre jusqu'à quarante pour cent des nouveau-nés. Pour prendre un exemple, je dirai qu'en moyenne dans chacune des unités domestiques des villages inuit qu’il m’a été donné d’étudier au cours des quarante dernières années, au moins un enfant avait été reçu en adoption et un autre avait été donné en adoption. Ce lien social électif, lorsqu'il est établi à la naissance de l'enfant et correspond à un réel désir de la part de la famille d'accueil, entraîne une intégration totale de l'enfant dans le système des appellations, des attitudes, des statuts, obligations et droits parentaux (seul un suffixe ajouté aux termes de référence marque la différence), sans pour autant que ses liens avec sa famille d'origine soient effacés. Ces derniers sont entretenus par les donataires et par les donateurs comme recours ultime en cas de disparition ou de défaillance des parents adoptifs. Cette double affiliation est facilitée par l'habitude de donner au petit adopté un nom choisi par la famille d'origine et un autre choisi par la famille adoptive comme nous le verrons plus loin dans les exemples présentés. Le second nom est le plus souvent celui d'un être disparu, très cher à l'un des parents adoptifs. L'effet de cette homonymie est considérable et détermine les sentiments et conduites parentales à l'égard de l'adopté.
À côté de cette parenté élective existent d'autres formes de tutelle ou de fosterage trop souvent assimilées à de l'adoption, mais qui doivent en être distinguées : c'est d'une part la tutelle des orphelins par des proches parents, qui peut correspondre à une adoption lorsqu'elle concerne des enfants en bas âge, mais pour les autres répond à une obligation de solidarité parentale ; il s'agit alors plutôt d'un rôle nourricier de la famille d'accueil ce qui n'entraîne pas de changement de statut parental.
D'autre part, certains grands-parents prennent souvent en charge, pendant des périodes plus ou moins longues, le premier-né de leurs fils, afin de permettre au jeune père, assisté de sa femme, de remplir son rôle de pourvoyeurs de gibier, lorsque la chasse nécessite de longues absences. Enfin, certaines familles qui n'ont que de jeunes enfants ou des enfants de même sexe, peuvent demander à des voisins ou parents le prêt d'un enfant pour les seconder dans leurs tâches domestiques.
Les premiers chercheurs qui ont enquêté sur l'adoption chez les Inuit étaient étaient influencés par l'approche généalogique qui leur faisaient voir dans l'adoption une extension des liens de parenté. Ils parlent donc de quasi- ou de pseudo-parenté (R.Spencer 1957, A. Heinrich 1963; L. Guemple 1965; B. Saladin d'Anglure 1967). À côté des liens électifs d'adoption plusieurs chercheurs s'intéressèrent à ce qu'ils considérèrent aussi comme des extensions de la parenté, tels les liens rituels unissant l'accoucheuse à l'enfant mis au monde (B. Saladin d'Anglure 1967, L. Guemple 1969), ou ceux qui sont associés à l'échange privilégié de biens et de conjoints (E. Burch 1972, B. Saladin d'Anglure 1990).
Certains virent dans l'adoption un ajustement démographique entre les diverses unités familiales de production (R.Dunning 1962), ou un ajustement psycho-sociologique au besoin de descendance et de pourvoyeurs pour les couples preneurs (J.Rousseau 1970). Dans le premier cas les familles donatrices seraient des unités surpeuplées en raison du décès d'un des producteurs, et les familles donataires seraient celles qui manquent d'enfants. Dans le second cas l'emphase est plutôt mise sur les besoins des couples preneurs, besoin de pourvoyeurs, de soutien affectif pour leur vieillesse et de descendance lorsqu'ils en sont privés. R. Spencer (1958) attribue une fonction sociologique à l'adoption, celle d'élargir les liens de coopération au-delà du groupe familial.
En 1979, L. Guemple tente de reformuler toute la question de l'adoption en inversant les propositions de ses prédécesseurs qui voyaient dans l'adoption et la parenté « fictive » un moyen d'introduire de la flexibilité dans un système de parenté et un système social structurés de façon rigide. Selon lui c'est l'ensemble du système social qui est flexible et l'adoption en est une partie intégrante. L'adoption, comme la consanguinité et l'affinité, comme aussi l'homonymie, le lien rituel de l'accoucheuse, les fiançailles durant l'enfance, le partenariat économique et l'échange de conjoints, constituent un réseau de liens sociaux au sein de la bande régionale ou locale ce qui permet d'établir la coopération et la distribution des ressource au mieux de l'intérêt de chacun.
Elle n'a donc pas comme finalité, ainsi que le prétend Dunning d'assurer un meilleur ajustement des individus aux ressources, mais elle constitue un lien supplémentaire entre les familles qui permet aux ressources de mieux circuler. Dans le sillage de D. Schneider (1968) il souscrit à une définition symbolique de la parenté, considérée en tant que champ d'interaction symbolique constitué par l'ensemble des rapports sociaux négociables au sein d'un groupe localisé.
Des travaux plus récents sur l'adoption inuit (Saladin d'Anglure 1988) on tenté d'aller au-delà de l'analyse de Guemple, en s'appuyant sur une ethnographie en profondeur, dans une perspective dynamique et structuraliste. Ils font ressortir que l'adoption, loin d'être un phénomène de marge, devrait être perçue comme un lieu d'articulation et de chevauchement des unités domestiques et des générations, dans l'espace et dans le temps; comme un élément clé de la structure sociale, au même titre que les transferts de biens (partage du gibier) et les transferts de conjoints (échanges rituels ou privés). Ces chevauchements, auxquels il faudrait ajouter celui de la frontière des sexes et des genres ne sont-ils pas les lieux où se resserre le lien social dans une société qui ne privilégie pour ce faire ni la filiation ni l'alliance matrimoniale ?
3. Notion de personne, réincarnation
et signes d'élection parentale
Le débat théorique sur l'adoption, en se focalisant sur des faits empiriques rencontre assez rapidement ses limites, car il renvoie à l'usage fait par les Inuit de la parenté (appellations et attitudes). Or ce domaine, simple en apparence, est en réalité très complexe chez les Inuit. De ce fait il a rarement été étudié de façon exhaustive dans toute sa complexité [5]. Pour l'aborder, il faut en effet prendre en compte la conception inuit de la personne et de l'identité, conception qui découle de la croyance en une sorte de réincarnation dans les nouveau-nés du nom des défunts. Chaque individu peut avoir plusieurs identités, une pour chacun des noms personnels qu'il a reçu. Le nom transfère à celui qui le reçoit la personnalité et les qualités acquises durant sa vie par le titulaire précédent du nom. Les éponymes sont le plus souvent des défunts; mais il arrive que, pour des raisons particulières, des individus veuillent transmettre leur nom à un nouveau-né de leur vivant. Un enfant peut recevoir aussi le nom d'un esprit mythique, notamment l'esprit auxiliaire d'un chamane, à l'occasion d'une cure chamanique.
Du point de vue d'un observateur extérieur au groupe, le nom d'un défunt est redonné au premier bébé qui naît dans le lieu où est survenu le décès; c'est ainsi que Mauss résume la question en se basant sur les observations anciennes, publiées principalement dans la seconde moitié du XIX° siècle. Nos enquêtes montrent que plus les relations sociales et affectives avec la personne disparue étaient intenses, plus vif est le désir exprimé par les survivants de redonner son nom. Chacune des familles issue du défunt voudra redonner son nom à l'un de ses futurs membres, à l'occasion d'une nouvelle naissance ou d'une adoption.
Chacune des lignes ascendantes du nouveau-né ou de l'adopté cherchera à profiter de l'événement pour combler les vides occasionnés par la disparition de ses membres (B.Saladin d'Anglure 1970). Certains enfants recevront de la sorte beaucoup de noms et d'autres moins, selon la fréquence des naissances. Des circonstances particulières peuvent faire qu'une personne âgée veuille transmettre de son vivant son nom à un nouveau-né, soit qu'elle n'aie pas de descendants et craigne que son nom ne puisse se perpétuer, soit qu'elle veuille aider le bébé à survivre, en lui apportant un surcroît de vitalité, soit enfin qu'en raison d'un handicap, elle veuille par ce biais améliorer sa condition physique en acquérant la vitalité d'un nouveau-né.
Lorsque la vie du bébé semblait menacée on faisait appel à un (ou une) chamane afin de découvrir la cause du mal. Le remède le plus sûr était, pour le chamane, de donner à l'enfant le nom de son esprit auxiliaire le plus puissant. Ce précieux support pouvait dans certains cas conduire l'enfant jusqu'à un destin chamanique. Nombre de chamanes avaient par ailleurs leur éponyme comme esprit auxiliaire. Ce qui montre bien l'imbrication étroite des deux domaines, celui des esprits auxiliaires et celui des esprits éponymes et l'importance de la dimension religieuse des noms de personne inuit [6].
Tous ces faits évoqués gagneraient à être éclairés par la pensée inuit et sa rationalité. Pour cela, il faut inverser la perspective sur le choix du nom et considérer que du point de vue inuit, ce sont les défunts qui choisissent de revivre à travers leur nom dans tel ou tel enfant, dans telle ou telle famille. C'est le monde virtuel des esprits, celui des trépassés et des grandes instances cosmiques, qui décide de ce qui se passe dans le monde des humains, à commencer par la reproduction de la vie. Le nom avec l'identité qu'il recèle, c'est à dire la marque de la dernière personne vivante qui l'a porté, constitue le point de rencontre entre les deux mondes.
La grande question que se posent les Inuit, lors de chaque naissance, c'est qui est le nouveau-né? quelle âme de trépassé cherche à se réincarner en lui ? Toutes les ressources divinatoires sont alors mises en jeu. On essaye de se souvenir des voeux émis par les trépassés avant leur mort : untel avait dit qu'il voulait revivre en garçon ou en fille, pour telle ou telle raison...un autre avait annoncé qu'il se réincarnerait quand un enfant naîtrait avec une dent... Quand on n'a pas d'indice, on peut s'adresser directement au foetus ou au nouveau-né en énumérant plusieurs noms possible, en espérant qu'il indiquera d'une façon ou d'une autre quel est le bon. Si la naissance est longue et difficile, on pense que cela peut être dû au fait qu'on n'a pas deviné le nom. Parfois c'est en tombant malade que le bébé révélera l'insatisfaction du défunt dont on n'aura pas su identifier le désir de renaître en lui.
Ou bien ce sera un geste de l’enfant, une posture, un mot qui évoquera de façon tellement claire un parent disparu que tous ses proches l'interpréteront comme un signe.Le moyen le plus habituel d'avoir accès aux désirs des trépassés était cependant le rêve. Lorsqu'en rêve un défunt s'approchait de votre habitation, y entrait et vous demandait à boire, à manger ou à coucher. C'était là le signe indiscutable qu'il avait choisi votre famille pour y élire domicile dans une nouvelle vie. À l'appui de ces croyances sur le monde virtuel des trépassés il y a les mythes qui parlent des origines, de la vie continue des premiers temps. Quand on atteignait alors un âge avancé on se régénérait par un rituel de jouvence qui transformait un vieillard en jeune adulte.La mort devint nécessaire sur terre pour enrayer la surpopulation qui menaçait l'existence même de l'humanité. Mais dans le monde virtuel des esprits c'est toujours la vie continue qui prévaut, sous une forme éthérée et impondérable. Le nom constitue le lien avec la vie continue du monde des esprits.
Chaque individu se rattache à la longue lignée de tous ceux qui ont porté le nom avant lui et qui lui portent assistance. Le terme qui traduit la mort en inuit, «toqu-» ne signifie pas un état définitif, mais provisoire, et plutôt un passage qu'une fin. Lorsque la vie d'un individu est arrivée à son terme, l'âme-double miniaturisée s'échappe du corps en même temps que le souffle et la réserve d'air qui entoure l'âme, le principe pneumatique acquis à la naissance, retourne à l'atmosphère. L'âme-double, image du corps vivant, part vivre dans l'au-delà céleste ou sous-marin, pendant que l'âme-nom cherche à se réincarner dans un foetus, à renaître dans un nouveau-né. Les divers noms que reçoit un même individu sont comme divers vêtements qu'il revêt, selon les informateurs de Rasmussen. Quand aux divers individus qui portent le même nom reçu du même éponyme, ils sont comme les parties d'un même tout et se désignent entre eux par le terme « avvaq » (moitié). Leur vie durant ils se prêtent assistance et compétitionnent pour savoir lequel d'entre eux réincarne le mieux l'éponyme.
Pour clore cette esquisse d'une définition inuit de l'individu je citerai la définition de l'enfant que je proposais au terme d'un autre travail (B. Saladin d'Anglure 1980:94): « - C'est de l'air vivant encapsulé, portion de l'atmosphère avec laquelle il entretient des rapports personnalisés ; - c'est du sperme paternel devenu structure et concrétion ; - c'est de la chair animale en recyclage, entre l'aliment et l'excrément, autres moments de cette chaîne ; - c'est une force productive en puissance, accumulée à travers les acquisitions de longues lignées d'homonymes décédés ; - c'est du sang maternel, partagé avec la mère et les germains utérins dans une relation où la vie et la mort de chacun est en jeu, dans un mouvement fragile ; - c'est une physionomie mixte, savant dosage de celles de ses géniteurs, quand il ne s'agit pas d'un prélèvement excessif et préjudiciable d'énergie vitale sur l'un d'entre eux ; - c'est le désir des autres, des morts qui veulent revivre, comme des vivants qui recherchent leurs défunts ; - c'est l'altérité dans l'identité, soi-même à une autre échelle, dans une autre phase ; - c'est un produit de tous et de personne, comme ces enfants du mythe qui sortaient de terre et qu'il suffisait de récolter pour pallier les aléas de la reproduction humaine, enfants du cosmos ; - c'est un sexe problématique, une force multiplicatrice, tantôt contenant, tantôt contenu, au gré des cycles, des expériences des morts et des besoins des vivants; le sexe, outil de la vie, est aussi fragile qu'elle ; - c'est un noeud de la vie dans la grande boucle du fil que déroule le temps.»
Afin de situer dans le vécu empirique les pratiques et croyances en rapport avec les noms personnels que nous avons évoquées plus haut et pour mieux comprendre comment se construit l'identité inuit, nous décrirons dans le détail l'exemple d'une fratrie, issue d'une femme, Iqallijuq, et de ses deux maris successifs:
Avec son premier mari, Amarualik (4A) elle eut un premier fils. L'enfant [1] (cf.figure n°1) reçut quatre noms, choisis par sa grand-mère paternelle:
(1D) Niviatsiat, le nom de la première épouse décédée du père, comme le veut la coutume après un remariage, dans le but de satisfaire l'âme de la morte;
(1A) Ittuliaq, le nom du grand père maternel défunt, mort quand Iqallijuq était bébé. Le nouveau-né étant le premier descendant du défunt, à être né depuis sa mort.
(1B) Uqi, le nom d'un grand-oncle paternel, un frère de la mère du père, décédé l'année précédente.
(1C) Ilupaalik, avec le surnom Kudluqanngittuq (pouce coupé), noms d'un autre grand-oncle paternel, un autre frère de la mère du père, décédé en même temps qu'Uqi.
Devenue veuve, peu après, Iqallijuq fut contrainte par sa belle-mère de donner le bébé en adoption, à la famille d'un oncle maternel du mari défunt. La belle-mère prit prétexte que sa brue manquait trop d'expérience pour s'occuper de son enfant et qu'elle n'avait plus de « pourvoyeur ». Ainsi dépossédée de sa progéniture, Iqallijuq revint vivre dans le campement de sa propre mère. Là, elle fut bientôt donnée en mariage, et emmenée de force par Ukumaaluk, dont elle devint la seconde épouse. Elle parvint au bout d'un certain temps à évincer sa co-épouse et donna bientôt le jour à une fille [2] qu'on dénomma (2A) Arnaannuk, d'après une parente maternelle décédée peu auparavant. Le nom fut choisi par l'accoucheuse, épouse du grand-père paternel de l'enfant.
Puis, peu de temps après la mort de sa vieille mère Nuvvijaq, Iqallijuq eut un fils [3] à qui l'accoucheuse donna le nom de la grand-mère (3A). Celle-ci avait demandé, avant de mourir, à revivre dans un homme afin de pouvoir aller chasser.
Iqallijuq nous raconta que, partagée entre le bonheur de garder auprès d'elle «sa mère», incarnée dans l'enfant, et le plaisir d'avoir un fils, son premier vrai fils (puisqu'il lui avait fallut céder celui du premier lit), elle avait , en accord avec le père de l'enfant, Ukumaaluk, donné une double éducation au petit Nuvvijaq qui apprit donc la couture et la chasse... il fut aussi habillé, jusqu'à son mariage, avec une veste de garçon et des pantalons de fille.
Deux ans plus tard, naquit un autre fils [4]. Pendant la grossesse, Amarualik (4A), le mari défunt d'Iqallijuq, lui apparût en rêve et manifesta son désir de vivre à nouveau parmi eux. Il la menaça même de la faire mourir avec l'enfant, lors de l'accouchement, si elle n'acquiesçait pas à sa demande. En fait, selon la coutume, elle aurait dû donner ce nom au premier enfant issu de son second mariage. Les circonstances troubles qui avaient entouré la mort d'Amarualik l'en avait dissuadée. Ancien chamane, il avait contracté, à son insu, un mariage mystique avec une femme esprit invisible, qui jalouse de l'épouse humaine, l'avait attiré dans le monde des esprits pour l'avoir tout à elle. Iqallijuq à qui il se confia avant de trépasser en avait retiré une grande crainte.
Son accoucheuse, la co-épouse de son beau-père, décida qu'il fallait exaucer le désir du défunt et donner à l'enfant le nom (4A) d'Amarualik. Il fut bientôt demandé en adoption par une famille apparentée du côté paternel.Comme Iqallijuq avait déjà un enfant de chaque sexe et qu'ils étaient en bas âge, elle et son mari acquiescèrent à la demande. La mère adoptive donna au bébé un second nom, celui de sa mère adoptive à elle, (4C) Ujaarsiaq, morte longtemps auparavant, et le père adoptif ajouta un troisième nom, celui de sa propre mère, (4B) Arnarjuaq, décédée quelques années plus tôt.
Une fille [5] naquit ensuite, sa seule vraie fille, précise Iqallijuq, la seule de ses trois filles qu'elle désigne par le terme de parenté panik ("fille") et qui est sa préférée. Le bébé reçut d'abord les quatre noms de la soeur de son père qui venait de mourir (5A) Qatturaannuk-Qavangat-Aliqtailaq-Uttuvaarjuk , puis les deux noms (5B) Alurut-Ikusik d'un cousin maternel éloigné qui était mort dans le même temps.
Deux mort-nées suivirent et puis à nouveau un fils [8], qui reçut cinq noms. Les trois premiers furent attribués à la suite d'un rêve qu'avait fait Iqallijuq au cours de sa grossesse. Dans ce rêve elle recevait la visite de sa tante maternelle (8B), Nanuraq, accompagnée de son mari, le chamane (8A) Makkiq. Ils exprimaient leur soif et demandaient à boire ; dans le même rêve, la vieille (8C) Kalluk, ancienne co-épouse de son beau-père et accoucheuse de ses enfants, qui était décédée quelques mois auparavant, était couchée chez elle ; ces signes furent tous interprétés comme des désirs manifestés par les défunts de voir leurs noms attribués au nouveau-né; ce qui fut fait . Le quatrième nom fut celui de (8D) Satuqsi le frère défunt d'une amie de la mère. Iqallijuq vivait alors dans le camp des parents de son mari qui avaient une grande autorité dans la région ; elle devait donc respecter leur choix quand aux noms à donner à leur descendance. Cela lui posa un problème à propos du cinquième nom de l'enfant, (8E) Ivalu, qu'elle n'osa pas proposer, en dépit d'une demande formelle qu'elle avait reçue dans ce sens. Voici le commentaire qu'elle nous fit à propos de ce nom :
- Quand quelqu'un manifestait le désir que son nom soit porté, après sa mort, par un nouveau-né, il fallait le prendre très au sérieux. Je me rappelle des paroles que me dit Ivalu, l'oncle de mon père, alors que j'étais enceinte, avant la naissance de Makkiq : "Tu es la seule parente assez proche de moi qui puisse avoir un enfant à qui donner mon nom. Quand je mourrai, tu auras un fils; si tu ne lui donnes pas mon nom, il mourra, si tu lui donnes mon nom, il vivra". Après le décès d'Ivalu, j'eus un fils qui reçut comme noms Makkiq, Nanuraq et Kalluk. Ma belle-mère, Ataguttaaluk qui me servit d'accoucheuse, en décida ainsi. Je ne cessais de penser à ce que m'avait dit Ivalu , mais je ne pouvais pas me décider à en parler. C'est pourquoi mon fils ne porta pas le nom d'Ivalu . Il était né au printemps et pendant tout l'été et tout l'automne, il resta maigre et chétif parce qu'il ne voulait pas boire de lait . Chaque fois que je le faisais boire, il vomissait. À la fin de l'automne, on pensa qu'il allait mourir, tellement il était maigre. Je perdis patience à le voir malade et tout le temps en pleurs et je m'écriais : "Ivalu devait être sérieux quand il disait que mon fils mourrait si je ne lui donnais pas son nom, à présent mon fils va mourir". Mes enfants Arnaannuk, Nuvvijaq, Amarualik et Qatturaannuk entendirent mes paroles et comme je ne lui donnais toujours pas le nom d'Ivalu , ils se mirent à l'appeler Ivalu. Le lendemain matin , au réveil nous trouvâmes le bébé en bien meilleure forme et plus heureux qu'il ne l'avait jamais été. Les jours suivants son état s'améliora et il grossit assez rapidement (...) [enregistré par B.S.A. à Igloolik en 1971].
En raison de cette variété de noms, provenant d'éponymes de sexe différents, l'enfant fut alternativement habillé, un jour en garçon , un jour en fille. Il avait les cheveux longs mais pas de tresses et fut néanmoins éduqué plutôt comme un garçon.
Lors de la grossesse suivante [9], de nombreux signes indiquaient que le foetus était de sexe masculin, couleur plus foncée des aréoles des seins de la future mère, forme plus ovale de son ventre etc... C'est alors que mourut le vieil Iktuksardjuat (9A) l'ancien chamane, beau-père d'Iqallijuq et chef prestigieux des Inuit de la région d'Igloolik, devenu borgne à la suite d'un accident de chasse.C'est sa veuve, Ataguttaaluk, la belle-mère d'Iqallijuq qui à nouveau fit fonction d'accoucheuse. Pendant l'accouchement, le périnée du bébé mâle se « fendit », il se transforma en fille. La mère lui donna le nom de (9B) Nataaq, son petit cousin mort de faim et de froid l'année précédente. Elle voulait, à travers la petite homonyme, réchauffer et rassasier le disparu ; le père lui donna les noms de (9C) Taqaugaq et de (9D) Qattalik, son frère et son demi-frère défunts . Puis, quelques jours après la naissance, Iqallijuq rêva à son beau-père (9A) décédé, mais elle n'osa pas évoquer son rêve devant sa belle-mère, ni proposer de donner le nom du vieux patriarche, jugeant incongru que le nom fut donné à une fille. Mais l'enfant tomba malade, une infection se déclara à l'un de ses yeux, le même oeil que celui perdu par le grand-père borgne.
Makkiq (8), eut très peur devant le mal qui frappait sa petite soeur. La mère effrayée, elle aussi, se décida à avouer son rêve et, sous la pression de toute la famille, elle donna le nom (9A) d'Iktuksardjuat au bébé qui guérit rapidement. L'enfant fut habillée en garçon jusqu'à l'adolescence et plusieurs années après son mariage elle portait encore des pantalons d'hommes. Iktuksarjuat (9) possède en fait une identité complètement masculine parce que ses noms proviennent tous d'hommes . Elle est cependant, d'abord ce nom prestigieux, qui fait d'elle le père de son père, le beau-père de sa mère, le grand-père de ses frères et soeurs. Son premier couteau féminin (ulu) ne lui fut offert qu'à l'âge de trente neuf ans.
Trois ans plus tard, Iqallijuq fut à nouveau enceinte, d'une fille [10] cette fois-ci : son ventre était nettement arrondi, et le foetus de grande taille ; il s'agitait beaucoup, autant de signes distinctifs du sexe féminin . La future mère et son mari étaient contents, ils avaient envie d'avoir une fille. Lorsque vint le temps de l'accouchement, le futur père fit office d'accoucheur, mais à leur grande déception, la nouveau-née se transforma en garçon. On lui donna le nom (10A) d'Uqi, le premier fils d'Iqallijuq, celui qu'elle avait du donner en adoption après son veuvage, et qui venait de mourir. Le bébé reçut en plus les noms des parents adoptifs de ce dernier : (10C) Nanuraq, le père et (10B) Uliniq la mère. Le père de l'enfant insista pour qu'on lui adjoigne aussi le nom d'une de ses cousines défunte (10E) Uviluq. Quelques jours après la naissance, Iqallijuq rêva que sa belle-mère défunte, Ataguttaaluk (10D) entrait chez elle, s'asseyait et lui disait qu'elle voulait vivre avec eux; signe qu'elle désirait que son nom fut donné au nouveau-né; ce que l'on fit aussitôt. On habilla Uqi en fille, mais il préférait les habits de garçon et sa mère ne chercha pas à le contrarier.
Cette fratrie dont les naissances s'échelonnent entre le milieu des années 1920 et l'année 1949, s'enracine dans la période chamanique, a connu la christianisation au début des années 1930 et le pluralisme religieux dans les années 1980. Elle n'en a pas moins conservé des pratiques et croyances anthroponymiques qui étaient au coeur du chamanisme et de l'organisation sociale traditionnelle. Son exemple nous montre les facettes multiples de ces pratiques où l'on voit dès la première naissance la lignée paternelle s'approprier l'enfant mâle, symboliquement, par les noms qui lui sont donnés et matériellement, par l'adoption. On voit comment il était important en cas de remariage, après un veuvage, d'aménager de bonnes relations entre le conjoint disparu et le nouveau conjoint en donnant le nom du défunt au premier né. Ce qui n'était pas sans poser néanmoins quelques problèmes si le conjoint sorti du veuvage manifestait trop visiblement son affection à l'homonyme du conjoint disparu. Le cas du troisième enfant illustre lui aussi la nécessaire négociation entre la réalité empirique et la réalité virtuelle. Ce fils est pour sa mère le premier fils qu'elle peut garder et en même temps il réincarne sa mère décédée. Comme elle se sent partagée entre ces deux identités, l'enfant sera travesti à moitié.
Le quatrième enfant nous introduit dans l'univers du rêve par lequel le monde virtuel exprime ses désirs. Le mari défunt dont on n'avait pas redonné le nom exige de revivre dans la famille et menace de faire mourir la mère et son enfant. L'adoption n'effacera pas ce lien avec l'éponyme malgré les nouveaux noms qui seront donnés à l'enfant par sa famille adoptive. Quand le jeune Amarualik atteindra l'âge adulte et se mariera, il recevra en rêve la visite de l'épouse mystique de son éponyme. Elle lui fera des avances sexuelles et tentera de le détacher de son épouse humaine, le confondant avec celui qu'il réincarne.
Le cinquième enfant est un cas spécial : c'est la seule fille qui est désignée comme telle par sa mère, et dont l'identité ne lui impose pas une relation virtuelle avec elle. On remarquera que c'est aussi la fille préférée. Est-elle préférée parce que seule à être désignée sans référence à l'éponymie, ou bien la causalité est-elle inverse ? Nous n'avons pas de réponse à cette question. Mais ce n'est pas le seul cas du même genre.
Le neuvième enfant constitue le plus bel exemple de l'interférence des trépassés et de leur univers virtuel dans l'attribution des noms et l'élection parentale. Mais là encore il faut composer avec le monde empirique, avec l'autorité de la belle-mère. Il faudra le signe évident que constitue la maladie du nouveau-né pour que sa famille proche passe outre à l'autorité parentale, impose le nom en attente et la guérison. Un problème similaire survient à la septième naissance. On n'ose pas évoquer le rêve fait par la mère du vieil aïeul trépassé, devant sa veuve, car le bébé est devenu fille en naissant. Cette fois encore il faudra un signe morbide chez l'enfant, affecté au même oeil qu'avait perdu l'aïeul, pour qu'on raconte le rêve et qu'on attribue le nom. Il en résultera une guérison complète et un travestissement complet de l'enfant. Le dernier enfant changera lui aussi de sexe en naissant et après un rêve fait par sa mère recevra le nom et l'identité de la grand-mère décédée.
4. Les appellations parentales:
des liens virtuels entre vivants et trépassés
Nous présenterons maintenant l'exemple d'une autre fratrie, issue de la précédente et donc plus jeune, en mettant l'accent cette fois sur les appellations parentales. Il s'agit des enfants procréés ou adoptés par Arnaannuk (membre de la fratrie précédente) et son mari Kupaq entre 1945 et 1974 (cf. le graphique n°2). Soit huit enfants procréés et trois enfants adoptés sur le tard, au fur et à mesure que les aînés quittaient le foyer pour fonder leur propre famille. Les «adoptés» sont une nièce [9], fille de la soeur de la mère) puis deux petits-enfants, l'un [10] est le fils aîné du fils aîné, l'autre [11], la fille de la fille aînée. Nous distinguerons dans un premier temps les termes utilisées entre parents et pour chacune des relations. En voici le détail recueilli sur le terrain au milieu des années 1970. L'utilisation de termes de parenté français pour décrire les relations en cause serait tout à fait incongru s'il ne fallait aider le lecteur à s'y reconnaître; ils ne figurent ici qu'à titre de repérage et ne prétendent nullement traduire les relations inuit.
Michel Kupaq [A'], le père, s'adresse à son épouse, Jeannie Arnaannuk [B'] par le terme qangiarannuk (de qangiaq, enfant du frère pour Ego masculin, et -annuk diminutif). Elle utilise pour lui le terme akkaannuk (de akka, oncle, frère du père, et -annuk diminutif). C'est ainsi que leurs éponymes [A] et [B] s'adressaient l'un à l'autre de leur vivant. Mentionnons que le père d'Arnaannuk était le demi-frère de celui de Kupaq. Les deux conjoints sont donc demi-cousins parallèles. En donnant son accord pour leur union, leur grand-père paternel commun avait fait remarquer qu'étant issus de deux mères différentes, leurs pères respectifs n'étaient pas reliés par le lien du cordon ombilical, ce qui rendait possible leur mariage.
[1]. Leur fils, Sirapio est appelé par son père : qangiaq (neveu, enfant du frère pour Ego masculin). Il lui répond par le terme akka (oncle, frère du père). Comme le faisaient leurs éponymes [A] et [1a]. Sa mère Arnaannuk [B'], s'adresse à lui par le terme angak (oncle, frère de la mère) comme elle le faisait pour son éponyme; il lui répond par le terme ujuruk (enfant de la soeur pour un Ego masculin) comme le faisait son éponyme.
[2]. Leur fils, Peter est mort trop jeune pour que des appellations soient retenues à son sujet.
[3]. Leur fils, Natalino est appelé par son père: najaqati (de naja, soeur ou cousine pour un Égo masculin, et -qati, qui partage) terme que ce dernier utilisait pour l'éponyme [3a] du fils. Il lui répond par le terme ujuru (enfant du frère de la mère) qu'utilisait son autre éponyme [3b] pour Kupaq. Sa mère l'appelle qiturngaqati (de qiturngaq, enfant et -qati qui partage), comme le faisait son éponyme [A] pour l'éponyme [3a] de Natalino dont elle avait adopté le fils Piugattuq. Il appelle sa mère anaana (mère).
4. Leur fille Élise est appelée par son père: paniulluaq (de panik, fille, -u- être, et -lluaq seul) « celle qui est la seule fille » ; elle lui répond par le terme anialuk (de anik frère ou cousin pour un Ego féminin, et -aluk, augmentatif), car il était le cousin parallèle de son éponyme [4a]. Sa mère l'appelle arnaulluaq (de arnaq femme, -u être, -lluaq seul) «celle qui est la seule femme», ou encore anaanatsiaq (grand-mère) car l'éponyme d'Élise, Qungattallurittuq, était la soeur de la grand-mère maternelle d'Arnaannuk. Elle lui répond par le terme réciproque irngutaannuk (de irngutaq, petit-enfant, et -annuk, diminutif) qu'utilisait l'éponyme.
[5]. Leur fille Alexina est appelée par son père: sakiruluk (de saki, beau-père ou belle-mère, et -ruluk diminutif) comme il appelait l'éponyme [5a] d'Alexina, son beau-père. Elle lui répond par le terme ningauruluk (de ningauk, époux d'un consanguin, et -ruluk diminutif) qu'utilisait son éponyme. Sa mère, s'adresse à elle par le terme ittuq (grand-père) comme elle s'adressait à l'éponyme [5a] de l'enfant, son grand-père. Elle répond par irngutaq (petit-enfant), comme le faisait son éponyme.
6. Leur fille Micheline est appelée par son père: nukaq (cadet de même sexe) car elle porte le nom [6a] d'un frère cadet de celui-ci. Elle lui répond par ujuruk (enfant du frère de la mère) car l'éponyme d'un de ses éponymes était l'oncle maternel de Kupaq. La mère l'appelle ataata (père) car l'éponyme [6b] de la fille, était son père. Elle lui répond par ukua (épouse d'un consanguin) car l'éponyme d'un autre de ses éponyme [6a] s'adressait à elle de la sorte.
[7]. Leur fille Rosalie est appelée par son père: nutarannassakuluk (de nutaraq enfant, ou cadet de même sexe -naq préféré, -ssaq destiné à être et -kuluk diminutif)«petit frère préféré» car elle porte le nom [7a] de son jeune frère décédé. Elle lui répond par akka (oncle paternel) terme qu'utilisait pour lui un autre des éponymes [7b] de la fille. Sa mère s'adresse à elle par le terme saki (père ou mère du conjoint) car l'éponyme de l'éponyme [7a] de la fille était la belle-mère de l'éponyme [B] de la mère. Elle lui répond par le terme réciproque ukuaraannuk (de ukuaq, épouse d'un consanguin, et -aannuk, diminutif).
[8]. Leur fils Francis, est appelé par son père: irniq (fils); il lui répond par le terme réciproque ataata (père). Sa mère l'appelle ani (frère ou cousin pour Ego féminin) parce que l'un des éponymes [8a] de Francis était un cousin parallèle de l'éponyme[B] d'Arnaannuk.Il lui répond par le terme naja réciproque (soeur ou cousine pour Ego masculin).
[9]. Leur fille (adoptive et nièce), Rosalie est appelée par son père adoptif: ittuq (grand-père, grand-oncle) car l'éponyme [9a] de Rosalie était son grand-oncle. Elle lui répond par le terme réciproque irngutaq (petit-enfant, petit-neveu). Sa mère adoptive l'appelle angaannuk (de angak, frère de la mère, et -annuk diminutif); elle lui répond par le terme réciproque ujuruannuk (de ujuruk, enfant du frère de la mère, et -annuk diminutif). C'est ainsi que leurs éponymes s'adressaient .
[10]. Leur fils (petit-fils, adopté de leur fils aîné), Gordon est appelé par son grand-père: ataata (père), et il lui répond par le terme réciproque irniq (fils), car il porte le nom [10a] du père de son grand-père. Sa grand-mère l'appelle irninnguaq (de irniq, fils et -nnguaq, qui tient lieu de), et il lui répond par le terme réciproque anaanannguaq (de anaana, mère, et -nnguaq, qui tient lieu de), car l'éponyme de Arnaannuk [B] avait pris en adoption Piugattuq, l'éponyme [10a] de Gordon.
[11]. Leur fille (petite-fille, adoptée de leur fille aînée) Joyce, est appelée par son grand-père: anaana (mère); elle lui répond par le terme réciproque irniq (fils); car une de ses éponymes [11a] était la mère de son grand-père. Sa grand-mère l'appelle arnarvikuluk (de arnarvik, soeur de la mère, et -kuluk, diminutif) ; elle lui répond par le terme réciproque nuakuluk (de nua, enfant de la soeur d'un Ego féminin, et -kuluk, diminutif). Ces termes étaient déjà utilisés par Arnaannuk et l'éponyme [11b] de sa petite-fille.
Ainsi nous constatons que sur les quarante termes utilisés pour les relations entre parents et enfants, trente six résultent de l'identification éponymique et quatre seulement correspondent aux liens généalogiques (termes en caractère gras souligné). Le père, Kupaq n'utilise le terme irniq (fils) que pour un seul de ses trois fils [8] qui réciproquement l'appelle ataata (père); et le terme panik (fille) que pour une seule de ses quatre filles, qui lui répond à travers un lien éponymique. La mère, Arnaannuk, est appelée «mère» par son fils cadet [3] et « substitut de mère » par le fils [10] de celui-ci qu'elle a adopté dans des circonstances un peu particulières. Elle ne devait que le garder en pension pendant l'absence de ses parents, mais elle s'est attachée à l'enfant et elle a voulu le garder. Cependant par une étrange coincidence l'appellation renvoie à une relation analogue entretenue par leurs éponymes. Elle appelle sa fille aînée [4] « seule femme », car c'est la seule de ses quatre filles qui a une identité féminine et n'a jamais été travestie. Les trois autre filles l'ont été en raison de leurs identités masculines ainsi qu'une de ses adoptées [9]. Deux de ses trois fils [3 et 8] ont été aussi travestis.
On remarque qu'il n'y a pas toujours symétrie dans les appellations, c'est à dire que parfois, dans une relation dyadique l'un des deux parents utilise l'éponymie associée à l'un de ses noms alors que l'autre lui répond en utilisant l'éponymie associée à un autre de ses noms. Parfois l'un d'eux se réfère à un lien de parenté généalogique alors que l'autre se réfère à un lien éponymique. Parmi les divers noms attribués à chacun des enfants, certains ont un pouvoir évocateur beaucoup plus fort que d'autres ainsi le fils aîné porte-t-il le nom du grand-père paternel [1a] de ses deux parents, chef prestigieux et chamane. La seconde fille porte le nom du parâtre [5a] de sa grand-mère maternelle, à qui cette dernière était très attachée. La troisième fille porte le nom du père [6b] de sa mère. Et les deux derniers [10a et 11a] qui sont en même temps des petits-enfants et des adoptés portent les noms du père du père et de la mère du père.
Afin d'approfondir ce domaine de l'appellation et de la référence (elles coincident dans les exemples étudiés ici) au sein de la famille, nous examinerons maintenant les termes utilisés par les germains entre eux. La figure 3 représente les termes associés à ces relations sous la forme d'un tableau à double entrée. On y constate que sur les quatre vingt dix relations représentées, soixante dix (78%) sont fondées sur des liens éponymiques (les cases à fond grisé léger) et vingt seulement (22%) sur des liens généalogiques (les cases à fond blanc). Les enfants qui ont reçus des noms forts (grands-parents, arrière-grands-parents) sont ceux avec qui les relations se font presqu'exclusivement sur la base de la relation éponymique avec le nom fort [1a, 5a, 6b, 10a, 11a]. À cette liste il faut ajouter le nom du troisième fils [8a] qui provient d'un grand-oncle maternel prestigieux, mort suicidé. Dans le cas des deux petits-enfants adoptés on constate qu'ils ne fonctionnent que dans le système éponymique, tant avec leurs «parents» qu'avec leurs «germains» d'adoption, comme s'il s'agissait de raccourcir l'écart générationnel qui les distingue des autres. Par contre il est intéressant de remarquer que c'est l'autre adoptée [9], la cousine maternelle de la fratrie pour qui les relations renvoient le plus souvent à la généalogie, comme si dans son cas on voulait faire oublier le transfert dont elle avait été l'objet.
En ce qui concerne la répartition symbolique des noms (et des identités) des parents trépassés, entre les enfants du couple étudié, ou ce qui revient au même, l'appropriation symbolique des enfants par les différentes lignées, on constate une tendance à l'équilibre entre les lignes maternelle et paternelle; équilibre tempéré par le caractère aléatoire et imprévisible de la mort et de la naissance et par la petite taille de notre échantillon. Nous avions déjà remarqué (B. Saladin d'Anglure 1970), pour une autre région de l'Arctique avec plusieurs centaines de noms et une centaine d'individus, qu'on arrivait à un équilibre presque parfait entre les deux lignes, ce qui confirmerait la pertinence de l'approche de B. Vernier sur l'appropriation symbolique des membres de la fratrie, par les lignées paternelles et maternelles.
Si nous considérons maintenant la nomenclature de parenté présente dans le tableau de la figure 3, on s'aperçoit qu'elle est utilisée pour 81 des 90 relations décrites, en regard de sept noms propres d'éponymes et de deux noms communs. Pour 56 des 81 relations faisant appel à des termes de parenté, un jeu subtil d'affixation introduit les distinctions nécessaires pour individualiser des relations dénotées par le même terme, dans la fratrie. Vingt et un affixes sont ainsi relevés dans le tableau ainsi que diverses combinaisons de ces mêmes affixes, ce qui donne un total de trente marques distinctives qui s'ajoutent aux 26 termes de parenté (ou assimilés) utilisés pour les relations entre germains.
Ces termes sont reconnus dans leur acception généalogique mais ils ne servent que rarement à désigner les relations généalogiques de parenté entre les gens. Ils sont surtout utilisés pour des liens résultant de l'homonymie, ce qui réactualise les liens avec des ascendants maintenant décédés que les vivants conservent encore frais dans leur mémoire. La réincarnation des défunts dans les nouveau-nés recycle les premiers dans les familles de leurs descendants et propulse les seconds dans les positions généalogiques dominantes par rapport à leurs ascendants vivants [7]. Ce système entraîne un resserrement constant des liens de parenté que la descendance généalogique a pour effet de constamment distendre. Une telle abstraction de la réalité généalogique ou biologique rend possible tous les réaménagements familiaux et résidentiels nécessités par la conjoncture. Et l'on franchit alors, sans dommages apparents, les frontières des sexes, des générations et des unités domestiques, ainsi que celle qui sépare le monde des trépassés de celui des vivants.
Cet univers virtuel où la filiation généalogique est comme au service de la filiation éponymique avec un passé constamment recyclé et projeté dans l'avenir, à travers les noms de personne, est-il propre aux Inuit, ou bien ne serait-il pas implicitement présent ailleurs, notamment chez tous ces peuples à qui l'on a prêté un système de parenté «eskimo», à fortiori les Occidentaux ? Les travaux récents de B. Vernier sur les ressemblances familiales et ceux de A. Fine sur la parenté spirituelle le laisserait à penser. Toute parenté ne serait-elle pas alors, dans cette perspective, élective ?
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[1] M. Verdon (1991), F. Zimmermann (1993), R. Deliège (1996), C. Ghasarian (1996), pour ne citer que quelques ouvrages généraux sur le sujet. Mentionnons aussi les cinq volumes sur «Les complexités de l'alliance» et celui sur «La parenté spirituelle», avec des textes rassemblés par F. Héritier et E. Copet-Rougier, publiés depuis 1990.
[2] R. Needham, éd. (1977, première édition anglaise 1971);
[3] C'est le thème de plusieurs publications sur les Inuit dont nous parlerons plus loin, et aussi de l'ouvrage comparatiste de S. Lallemand sur « La circulation des enfants » (1993).
[4] À propos de cette remarque générale, il faut signaler deux essais publiés par des anthropologues marxistes sur la parenté inuit. Le premier, celui de D. Legros (1978) s'inspirant des positions théoriques de E. Terray (1969) voit dans le système de parenté cognatique des Nunamiut d'Alaska un appareil idéologique dominant la base économique. Elle entraîne une segmentation sociale comparable à celle rencontrée dans les sociétés étatiques où prévaut le même système de parenté. Le second, celui de C. Meillassoux (1994 ) remet en question le concept même de parenté, appliqué par l'anthropologie à des sociétés comme les Inuit, sans prendre en compte leurs propres concepts et catégories.
[5] L'une des raisons est sans doute la connaissance insuffisante de la langue inuit chez la plupart des anthropologues ayant étudié la parenté sur le terrain; c'est notamment le cas de Damas (1963), Graburn (1964) et Guemple (1966). J. Briggs (1986), qui la parlait bien, a renoncé pourtant à clarifier l'usage des appellations parentales en raison de sa complexité. En dehors de nos travaux (B. Saladin d’Anglure 1970, 1978, 1986) et de ceux de P. Robbe (1981), A. Fienup-Riordan (1983) est la seule à avoir publié et analysé de façon intelligible quelques exemples illustrant l'effet de l'homonymie sur les appellations parentales. Son approche cosmologique des cycles de reproduction des noms et des gibiers a influencé plusieurs travaux récents (Nutall 1992, Guemple 1994).
[6] Voir à ce sujet notre récent travail sur le circuit des noms, des âmes et des esprits auxiliaires (B. Saladin d’Anglure 1997).
[7] C'était déjà notre conclusion après nos premières recherches sur le nom et la parenté chez les Inuit du Québec arctique (B. Saladin d’Anglure 1970). A. Fienup-Riordan (1983) arrive au même résultat.
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