[125]
Alfred SAUVY (1898-1990)
Sociologue et démographe.
Directeur de l'Institut National d'Études Démographiques de 1945 à 1962.
“La population. Sa mesure,
ses mouvements, ses lois.” [1]
Un article publié dans L’ÉTUDE DE LA SOCIÉTÉ, Section 4: “La population”, pp. 125-147. Textes recueillis et présentés par Jean-Paul Montminy. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1965, 517 pp.
- Introduction
-
- Première partie. Méthodes et instruments.
-
- Chapitre 1. Rassemblement des données de base
- Chapitre 2. État de la population
- Chapitre 3. Mortalité
- Chapitre 4. Natalité, fécondité
- Chapitre 5. Mouvement général d’une population
Introduction
La lenteur des phénomènes démographiques les charge de conséquences, tout en les dérobant à l'attention des contemporains qui les subissent. La plupart des événements historiques profonds trouvent leur explication dans des considérations de population.
Si presque toute l'Amérique du Nord est de langue anglaise, si la langue et la culture anglo-saxonnes se répandent aujourd'hui dans le monde, ce n'est pas parce que Wolfe abattu Montcalm à Québec. C'est parce que pendant 150 ans, les bateaux anglais ont amené chaque année des milliers d'immigrants (du reste illettrés en majeure partie), tandis que les bateaux français n'en apportaient que quelques centaines. Le nombre devait fatalement l'emporter.
La force militaire et l'expansion française sous la Révolution et l'Empire sont, pour une large part, dues à la vitalité de la population française à ces époques et au vaste champ qu'elle offrait à la sélection des talents.
Plus près de nous, les progrès de l'U.R.S.S. et l'émancipation du Tiers Monde ne seraient pas concevables, sans leur essor démographique.
Les déboires économiques et politiques de notre pays, dans l'époque contemporaine, peuvent être tous rattachés, plus ou moins directement, au déclin de la population, et surtout à la méconnaissance, des conséquences qu'il entraîne. Un écart s'est ainsi formé entre forces réelles et conscience.
[126]
Les accords internationaux qui ont suivi la guerre de 1914-1918 ne pouvaient avoir d'effet durable, parce qu'ils négligeaient totalement les questions de population. Il serait vain de tenter une explication d'ensemble de la crise économique et de la guerre de 1939, sans accorder une grande attention aux répercussions de l'arrêt de l'immigration dans le Nouveau-Monde et en particulier aux États-Unis. En 1945, les autorités anglo-saxonnes ont à nouveau négligé les problèmes de population.
Dans les pays européens développés se produit peu à peu, inexorablement, le vieillissement de la population, qui pose et va, de plus en plus, poser des problèmes inédits, trop peu étudiés jusqu'ici.
À l'inverse, dans les pays sous-développés, une exubérance excessive (eu égard à la mortalité en recul) pose des problèmes de croissance et parfois de subsistance.
"Un problème bien posé est à demi résolu". Nous allons nous efforcer de poser aussi clairement que possible le ou les problèmes de population.
Pour pouvoir les aborder utilement, il est nécessaire d'en connaître les données essentielles. Les doctrines pèchent rarement par le raisonnement, souvent par les faits qui leur servent d'appui. C'est à cette carence qu'est due la stérilité de tant de discussions qui devraient "faire jaillir la lumière".
On peut distinguer trois parties essentielles :
- A) Exposé des méthodes. C'est la partie technique.
- B) Données de fait sur les naissances, les décès, la population par âge, sexe, etc., de divers pays. C'est la partie descriptive.
L'ensemble des deux premières parties constitue la démographie pure.
- C) Recherche des causes et des conséquences économiques et sociales des phénomènes constatés. C'est la partie doctrinale.
Les deux premières parties exigent le maniement d'outils mathématiques, les uns complexes, les autres simples. Ces derniers seuls interviennent dans ce volume.
Quant à la troisième partie, elle fait moins appel aux mathématiques, mais en revanche fait intervenir de multiples branches de la connaissance : économie, sociologie, médecine ou nosologie, biologie, psychologie, histoire et géographie, droit, sans parler naturellement de la science politique.
[127]
Première partie
MÉTHODES ET INSTRUMENTS [2]
Comme toutes les statistiques, celles qui se rapportent à la démographie comportent deux sortes de travaux :
- a) Le rassemblement des éléments de base suivi du dépouillement et de la totalisation (recensement, état civil, enquêtes, etc.) ;
- b) L'utilisation des totaux obtenus et l'étude approfondie de leur signification.
La première de ces deux opérations est surtout d'ordre matériel et administratif ; elle exige le concours d'un important personnel et la mise en œuvre de moyens étendus. Intimement liée à la population, elle est fonction des possibilités ouvertes par son degré de civilisation, l'autorité de son administration, le consentement des habitants.
La seconde opération relève au contraire du laboratoire. Elle n'exige que des locaux réduits et des moyens matériels modestes. Par contre, elle suppose le concours d'un personnel doué d'une culture générale suffisante, à prédominance scientifique et qualifié par une formation spéciale.
Bien que la plupart des calculs ne relèvent que des quatre opérations arithmétiques ou de notions algébriques répandues, ils n'ont bénéficié jusqu'ici que d'une faible diffusion.
On s'est contenté longtemps d'utiliser les tableaux statistiques obtenus directement par dépouillement des données de base. Sous cette forme initiale, ces tableaux ne sont, comme toutes les statistiques brutes, que médiocrement instructifs. Ils risquent, en outre, de provoquer des erreurs d'interprétation de la part des non-initiés. Un travail de façonnage s'impose donc pour transformer la matière brute et lui donner toute sa valeur. Sans ce travail, à vrai dire peu onéreux, les opérations de dépouillement restent en grande partie stériles.
Malgré les progrès réalisés, de nombreuses questions restent à peine explorées.
[128]
La métrologie démographique évolue avec le perfectionnement des relevés et dépouillements et aussi avec la nature des problèmes socio-politiques qui se posent.
Assez vaines, sont donc, le plus souvent, les discussions sur le meilleur instrument de mesure en soi. Chacun a son utilité propre et peut s'imposer en tel ou tel cas. La question de supériorité entre deux indices est souvent aussi vaine que celle qui serait soulevée sur l'utilité comparée du marteau ou de la scie. S'il s'agit de planter des clous, le marteau est recommandable, tandis que la scie s'impose s'il s'agit de diviser une planche. Le but pratique ne doit jamais être perdu de vue.
Chapitre premier
RASSEMBLEMENT DES DONNÉES DE BASE
Deux sortes de mesures peuvent être pratiquées :
- - Les unes statiques concernent l'état d'une population à un moment donné, sa structure, sa répartition suivant diverses caractéristiques : âge, sexe, profession, etc. Ce sont des photographies, des instantanés.
- - Les autres sont dynamiques, ou plus exactement cinématiques, car il est utile d'étudier séparément les mouvements qui se produisent et les causes qui les ont provoqués. Ce sont les naissances, les décès, l'immigration, etc. Ces statistiques de mouvement sont des films.
Lorsque la périodicité des statistiques de structure est suffisamment courte, elles peuvent également fournir une indication de mouvement, suivant un phénomène analogue à la persistance des impressions lumineuses sur la rétine.
Les statistiques résultent parfois de travaux spécialement conçus à cette intention (c'est le cas des enquêtes spéciales) ; le plus souvent elles constituent le sous-produit d'une opération administrative (c'est le cas de l'état civil, par exemple).
- RECENSEMENT D'UNE POPULATION
La nécessité de connaître le nombre des habitants et leur répartition ne fait pas de doute. On ne conçoit pas un pays policé sans recensement.
[129]
Ces recensements sont pratiqués dans tous les pays du monde. Ils vont depuis de grossiers comptages des maisons, des tentes, voire des villages, jusqu'à l'établissement d'un bulletin rempli par ou pour chaque habitant et fournissant des renseignements plus ou moins détaillés.
Ces recensements constituent un coup de sonde, une coupe de la population à un instant donné.
Le total de la population peut également être connu par des registres de population où sont portées les entrées et les sorties, Ces registres, qui permettent de suivre aussi les mouvements d'une population, reflètent à tout instant sa structure, comme une image d'un film qui serait examinée isolément.
Le total de la population, ainsi que sa répartition géographique par communes, districts, départements, etc., sert notamment en vue de dispositions législatives. De nombreuses lois font intervenir en France le chiffre de la population : élections, impôts, traitements de fonctionnaires, etc.
Les progrès de la mécanographie ont permis de procéder à des dépouillements plus détaillés. Malheureusement la périodicité a été portée de 5 ans à 10 ans et la rapidité des résultats laisse encore à désirer.
Quel degré de précision atteignent les recensements, dans quel sens se produise les erreurs ?
Dans un premier stade, une évaluation pure dans un pays neuf, basée sur des données incertaines, peut être entachée d'erreurs importantes dans un sens ou dans l'autre.
À un stade plus évolué, lorsqu'on entre dans la phase du comptage, il semble bien que l'erreur commise le soit par défaut en raison des omissions volontaires ou non. Dans la suite, le perfectionnement des méthodes entraîne un accroissement qui ne correspond pas à un accroissement réel : c'est souvent le cas pour les pays neufs.
En fin de compte, il peut arriver que les doubles emplois l'emportent sur les omissions.
Dans tous les pays suffisamment civilisés, le bulletin individuel de recensement comprend un certain nombre de données, telles que date et lieu de naissance, profession, état matrimonial, degré d'instruction, langue, nombre d'enfants, nationalité, race, religion, logement, etc. Le dépouillement des bulletins suivant les diverses combinaisons fournit la structure de la population, selon diverses caractéristiques.
[130]
La plus importante de celles-ci est sans doute la répartition par âges.
Elle peut être utilement combinée avec la répartition par état matrimonial, connue, elle aussi, avec une suffisante précision.
La répartition suivant le lieu de naissance présente une importance particulière dans les pays ayant subi des migrations intérieures (France, ville-campagne) ou une immigration étrangère (États-Unis).
Pour plusieurs questions, les réponses offrent un certain arbitraire ; de ce fait, on a tendance à appeler ces facteurs "qualitatifs". Tel est le cas de la question relative à la langue maternelle. Suivant la façon dont cette question est posée, la réponse peut varier, en sorte que l'autorité dirigeant les opérations du recensement peut en infléchir quelque peu les résultats. La profession individuelle ou collective et le degré d'instruction ne sont pas non plus toujours donnés avec exactitude. Ces distributions sortent du reste du cadre de la démographie proprement dite.
Il n'en est pas de même de celle effectuée suivant le nombre d'enfants. Elle fournit ce que l'on appelle le plus souvent la statistique des familles et peut être établie soit suivant le nombre d'enfants encore vivants, soit suivant le nombre d'enfants (vivants ou morts) qu'a eus chaque personne. Dans le premier cas, on peut établir la statistique des familles suivant le nombre d'enfants ayant un âge inférieur à un âge déterminé (par exemple de moins de 13 ans, de moins de 16 ans, de moins de 21 ans, etc.), ce qui permet d'estimer à l'avance le coût de certaines mesures sociales.
La répartition géographique présente un grand intérêt, notamment pour mesurer le degré d'agglomération des habitants ; à cet effet, on juge souvent l'importance respective des populations rurales et urbaines. La définition de la population rurale soulève de sérieuses difficultés.
- ÉTAT CIVIL
Par mouvement de population, il faudrait entendre tout changement apporté à l'état de la population. Une acceptation large du mot pourrait donc couvrir même les changements de profession ou de religion. En fait, la définition du terme reste étroitement fonction des possibilités pratiques de mesure.
Les changements d'état civil, naissances, mariages, décès, sont, dans une société policée, l'objet d'un contrôle étroit de l'autorité. Les conditions sont donc remplies pour obtenir des statistiques atteignant presque l'exactitude comptable. Les premiers relevés d'état civil ont été l'œuvre des paroisses, notamment en France.
[131]
Les naissances, décès, etc. sont enregistrés sur des bulletins individuels, ou sur des listes nominatives. Les documents sont dépouillés par les autorités locales ou régionales, ou par un service central.
De toutes les statistiques nationales le mouvement de la population est probablement celle dont les erreurs sont les plus faibles dans les pays évolués. Elle fournit donc à la démographie une assise particulièrement solide.
Les erreurs ou incertitudes ne peuvent guère provenir que de non-déclarations, suivies d'infanticides, de disparitions criminelles, de l'absence momentanée de personnes mettant au monde ou décédant hors du territoire, enfin, de la définition du mort-né.
Pour les naissances, les renseignements le plus usuellement demandés sont : lieu, date et heure, domicile des parents, sexe, légitimité et reconnaissance, âge des parents, durée du mariage, nombre d'enfants déjà nés de la même mère, durée de gestation, secours médicaux reçus, nationalité, profession, religion, race des parents, etc.
Le dépouillement permet de rechercher de multiples combinaisons de facteurs et fournit par suite des renseignements d'un grand intérêt.
Toutefois, la question relative à la profession des parents donne lieu à des réponses moins sûres et fournit par suite des statistiques plus difficiles à utiliser.
Pour les mariages, les renseignements demandés le plus couramment en dehors de la date et du lieu sont, pour chaque époux : domicile, date de naissance, nationalité, profession, religion, race, degré d'instruction, mariages antérieurs, nature du contrat.
Les divorces peuvent donner lieu à des déclarations identiques.
Pour les décès, les renseignements demandés le plus usuellement sont : lieu, date et heure, domicile, sexe, date de naissance, état matrimonial, nombre d'enfants, cause du décès constatation par un médecin, nationalité, profession, religion, race, enfin, parfois, mode d'alimentation, s'il s'agit d'un nourrisson.
Les renseignements obtenus sont de valeur très inégale. Si la date de naissance, le sexe et l'état matrimonial sont fournis avec exactitude, il n'en est pas de même de la profession du décédé, ni parfois de la cause de décès.
Souvent 1% cause est mal précisée soit par négligence ("sénilité", par exemple), soit par crainte de laisser ébruiter la vraie nature de la maladie. En [132] France, malgré les précautions prises pour assurer le secret, les décès par cancer ou tuberculose ont été longtemps attribués à une autre cause. Mais de notables progrès ont été accomplis.
Dans l'interprétation des statistiques, il est essentiel de tenir compte du degré de confiance qu'on peut accorder aux éléments de base.
Deux causes d'erreur importantes sont communes aux naissances et aux décès :
- a) Lorsque les naissances ou les décès sont comptés au lieu où ils sont survenus et non au domicile habituel des parents ou du décédé. En ce cas, les villes ou les quartiers ayant des hôpitaux ou des maternités présentent un nombre de décès ou de naissances anormalement élevé ;
- b) Lorsqu'un enfant est mort avant la déclaration de naissance, il peut être compté comme mort-né, soit figurer à la fois parmi les naissances et les décès. Les comparaisons dans le temps ou dans l'espace exigent que la même définition soit appliquée et conservée.
Les registres paroissiaux, ancêtres de l'état civil, constituent souvent la seule source de renseignements sur une population, pour l'ère préstatistique. Leur exploitation systématique à des fins statistiques relève d'une technique spéciale (L. Henry) et ouvre un vaste champ à des recherches qui appellent la collaboration entre statisticiens et historiens.
- MIGRATIONS
Aux changements d'état civil, il faut ajouter les mouvements proprement dits des populations, c'est-à-dire les déplacements d'individus, appelés du nom général de migrations.
Les migrations extérieures d'un pays A vers un pays B peuvent donner lieu à comptage, soit au départ, soit aux postes frontières, soit à l'arrivée.
Ces comptages se font de façon plus ou moins complète. Les nombres des immigrés venant du pays A d'après les statistiques du pays B ne coïncident pas avec les nombres d'émigrants vers le pays B d'après les statistiques du pays A. Certaines frontières sont traversées de façon si intense (franco-belge par exemple) qu'une erreur faible dans un sens ou l'autre peut donner une erreur relative importante sur la différence, représentant l'immigration nette.
D'une façon générale, les entrées sont enregistrées de façon plus satisfaisante que les sorties.
[133]
Aussi les statistiques de migrations, restées très en arrière des statistiques de l'état civil, sont loin de présenter le même degré de précision.
Cependant, dans les pays où les migrations se font surtout par mer (États-Unis, Angleterre), la police des ports permet un contrôle plus sévère qui aboutit à des comptages assez précis.
Des réglementations spéciales : carte de travailleur, carte de séjour, permettent aussi de perfectionner le contrôle.
Faute de statistiques directes, on a recours à des calculs indirects en rapprochant les chiffres de deux recensements consécutifs et en tenant compte des naissances et décès survenus dans l’intervalle ; ce procédé différentiel peut conduire à des erreurs relatives assez importantes.
Compte tenu de la variation de la population étrangère et des naturalisations ou autres changements de nationalité, on peut, non sans chances d'erreurs appréciables, calculer les migrations nettes de nationaux.
Quant aux migrations intérieures, elles sont moins connues encore. Les migrations définitives peuvent être appréciées en comparant les données du recensement par domicile et par lieu de naissance. On utilise aussi les listes électorales.
Quant aux navettes ou migrations alternantes (par exemple journalières entre Paris et sa banlieue), elles se mesurent en comparant le domicile et le lieu de travail, ou en utilisant les statistiques de transport.
Chapitre II
ÉTAT DE LA POPULATION
Le total de la population ne présente de signification que rapporté à d'autres données. Il serait utile de pouvoir le comparer à une caractéristique mesurant en quelque sorte la capacité du territoire, d'après ses richesses naturelles. Mais cette capacité ne se prêtant pas facilement à la mesure (ni même à la définition), on se borne en général à calculer le rapport de la population à la superficie, appelé densité, notion de plus en plus imparfaite, depuis l'exploitation de ressources naturelles non agricoles (mines, chutes d'eau, etc.).
[134]
- Répartition par âges
Parmi les répartitions possibles de la population à un moment donné, la répartition par âges ne prête à aucun arbitraire de définition, ne donne lieu qu'à de faibles erreurs et est riche de signification.
On la représente graphiquement par le procédé appelé : Pyramide des âges.
On porte en ordonnées, les âges de 0 à la limite supérieure (100 ans ou plus) et en abscisses les effectifs à chaque âge (ou chaque groupe d'âges) sexe masculin d'un côté, sexe féminin de l'autre.
Une division très poussée (en mois par exemple) donnerait, au lieu de la ligne brisée de la figure, une courbe continue.
Chaque année, une "classe" d'individus représentée par un rectangle horizontal saute d'un échelon vers le haut et perd par mortalité (et éventuellement par migration) une partie de son effectif. Mais la pyramide "repousse" par la base,
Fig. 1. -
Pyramide des âges (p. 20)
du fait des naissances.
Pour une population jeune, la "pyramide" est large dans le bas, mince dans le haut ; c'est notamment le cas des populations à forte mortalité et forte natalité. La largeur
Fig. 2. -
Un type de population jeune : Brésil 1950 (p. 20)
de la base ne doit pas faire illusion sur le graphique, puisqu'elle dépend de l'échelle adoptée. Pour éviter les erreurs d'optique qui peuvent en résulter, on peut soit observer la courbure des lignes (convexité tournée vers le bas ou vers le haut), soit ne comparer que des graphiques établis à la même échelle [3].
Une population âgée offre une base moins large et une partie élevée plus importante. C'est notamment le cas, lorsque
Fig. 3. -
Un type de population vieille : le département de l'Ariège (1954) (p. 21)
la natalité et la mortalité sont basses, ou que l'émigration porte sur les jeunes.
[135]
La figure 3 représente le département de l'Ariège en 1954 ; les deux sexes ont été réunis et la pyramide a été limitée à 80 ans. Malgré la reprise de la natalité, après la guerre, le nombre des personnes âgées de 60 à 65 ans est à peu près égal à celui des enfants de moins de 5 ans.
Sur une pyramide, par année d'âge, se lit l'histoire de la population étudiée, au cours du siècle précédent, c'est-à-dire surtout ses malheurs (guerres, épidémies, crises de stérilité, vagues d'immigration massive, etc.).
Comme les baisses de mortalité et de natalité vont souvent ensemble, la proportion des adultes, par rapport au total de la population, varie peu au cours d'une telle évolution. L'ensemble des jeunes et des vieux représente alors lui aussi une proportion assez stable.
Ainsi apparaît l'importance de la composition par âges.
Fig. 4. -
Population vieille et population en voie de rajeunissement (p. 22)
L'observation simple du total de population conduit souvent à des conclusions d'autant plus rassurantes que la proportion des adultes, donc des producteurs, reste sensiblement la même. Un certain équilibre paraît ainsi atteint, alors qu'un déséquilibre profond se creuse peu à peu, comme une caverne pulmonaire dont on ne soupçonne pas l'existence.
La "pyramide" d'une population ainsi vieillie affecte à peu près la forme d'une amphore (fig. 4 à gauche). Si une telle population entre dans la voie du rajeunissement, elle prend la forme de droite (fig. 4) ; c'est le cas de la France actuelle ; la proportion des adultes est alors inférieure à la normale.
L'âge moyen d'une population est le rapport de la somme de tous les âges au total de la population. Il ne doit pas être confondu avec la vie moyenne d'un habitant de la même population.
On peut appeler indice de vieillesse d'une population le rapport du nombre des vieux (60 ou 65 ans et plus) à celui des jeunes (moins de 20 ans).
- Population urbaine et rurale
Pour calculer la population urbaine et la population rurale, il convient d'adopter un critérium, basé sur la dispersion des habitants, leur profession etc. On adopte souvent pour définition de la population urbaine celle des communes dépassant un certain chiffre, 2000 habitants par exemple, démarcation en partie arbitraire et qui présente l'inconvénient de faire passer une commune rurale dans [136] la catégorie des villes, lorsque sa population est passée de 1999 à 2000 habitants. Aucune définition n'est pleinement satisfaisante.
La définition d'une agglomération urbaine prête à contestation. Souvent les chiffres cités concernent des divisions administratives, de sorte que les comparaisons sont dépourvues de valeur économique ou sociale. M. Bunle a proposé pour critérium de zone urbaine une densité supérieure à 10 habitants par hectare. D'autres critères sont basés sur l'intensité des relations avec le noyau central.
Chapitre III
MORTALITÉ
Dans de nombreux pays, où l'état civil est mal établi, les nombres de décès enregistrés sont inférieurs à la réalité, en particulier pour les bébés. Des rectifications sont nécessaires en ce cas.
Une fois le nombre de décès connu, l'idée première est de le rapporter, pendant une période (une année par exemple), au total de la population. On obtient ainsi le taux de mortalité générale, appelé parfois simplement mortalité :
- Influence de l'âge
Le taux de mortalité générale donne souvent lieu à de lourdes erreurs d'interprétation, car il résulte de deux facteurs bien différents :
- a) Les conditions sanitaires générales qui se traduisent par des taux de mortalité aux divers âges ;
- b) La composition par âges de la population.
[137]
Dans un hospice de vieillards, la mortalité est plus élevée que dans une prison. Cela ne veut pas dire que les pensionnaires de l'hospice soient moins bien traités, moins bien nourris ou soignés que les prisonniers.
De même, deux populations vivant sous le même climat, ayant institutions et niveau de vie semblables, peuvent avoir des taux de mortalité différents, si leur composition par âges est différente.
Au lieu de comparer le taux de mortalité générale (dans le temps ou le lieu), on peut comparer les taux de mortalité à chaque âge en rapportant, pour chaque âge, le nombre de décès au nombre d'habitants.
On en tire une table de mortalité. De la table de mortalité, on peut passer à la table de survie.
Voici, à titre d'exemple, un fragment de la table de survie des États-Unis en 1955 :
Survivants à
|
|
|
0 an
|
|
|
1 an
|
|
|
5 ans
|
|
|
10 ans
|
|
|
30 ans
|
|
|
50 ans
|
|
|
70 ans
|
|
|
Les Nations-Unies ont calculé des tables types de survie et de mortalité correspondant à des degrés différents de l'évolution sanitaire et sociale. Ces tables rendent de précieux services, pour les pays sous-développés notamment, pour lesquels on ne dispose souvent que de renseignements partiels.
Les deux tables, mortalité ou survie, se prêtent à une représentation graphique.
Lorsque, entre deux tables de mortalité, les différences sont, pour tous les âges, de même sens, on en tire une indication de même sens pour l'ensemble de la mortalité. C'est le cas, par exemple, pour la Suède et la Finlande (graphique limité aux âges compris entre 1 et 60 ans) :
[138]
Fig. 7 - Quotients de mortalité par âge
en Suède et en Finlande en 1951-1955
(sexe masculin) (p. 28)
La mortalité finlandaise est supérieure à la suédoise. Mais de combien ? Cette comparaison ne permet pas de le dire. En outre, quand les écarts aux divers âges ne sont pas tous de même sens, on ne connaît pas même le sens de cette différence, ce qui est le cas de la France et de l'Italie (fig. 8, page suivante, limitée elle aussi, entre 1 et 60 ans).
Pour comparer la mortalité de plusieurs groupes, on a jadis utilisé la méthode de la population type. On suppose que les taux de mortalité à chaque âge (pour différents pays ou différentes époques) sont appliqués à une même population ayant une composition par âges déterminés. On obtient ainsi des taux de mortalité générale "rectifiés" ne dépendant plus de la répartition par âges.
- Taux de mortalité pour 10,000
Fig. 8 - Quotients de mortalité par âge
en France et en Italie avant guerre (p. 29)
Le caractère abstrait des taux "rectifiés" de mortalité réduit leur signification et limite leur usage.
On peut également utiliser le procédé inverse de la mortalité-type. On adopte une série de taux de mortalité à chaque âge, peu éloignés des réalités moyennes, et on applique ces taux aux diverses populations dont on veut comparer les mortalités. On obtient ainsi la mortalité qu'aurait chaque population, si elle avait une table de mortalité "normale".
De plus en plus, on a recours au calcul de la vie moyenne ou espérance de vie à la naissance, qui se déduit aisément de la table de survie.
E =
|
V1 + V2 +V3 … +1/2
|
V0
|
Vo nombre des vivants initial, Vl nombre de survivants à 1 an, V2 à 2 ans, etc.
Plus la mortalité à chaque âge est faible, plus la vie moyenne est élevée. On peut également calculer l'espérance de vie à un âge déterminé 20 ans, 30 ans, etc.
La vie probable ou vie médiane est la vie que chaque individu a une chance sur deux d'atteindre. Sur la table de survie, c'est l'âge où le nombre des survivants est la moitié du nombre initial.
[139]
Ainsi, en France (tables 1952-1956), la moitié des femmes arrivent à 76 ans. Si la mortalité à chaque âge reste à l'avenir constante, une nouvelle née a donc une chance sur deux d'atteindre 76 ans.
L'expression vie moyenne devrait être employée seulement au sens rétrospectif pour mesurer quelle a été la vie moyenne d'un groupe, par exemple, d'une génération. Ainsi, la vie moyenne des Français, nés en 1840, a été effectivement de 39.7 années.
Il faut dire espérance de vie dans les autres cas. Par exemple, en 1956, l'espérance de vie d'un nouveau-né (en Israël) était de 68.3 ans.
Cependant, l'expression "espérance de vie", employée en ce sens, est impropre. Elle suppose que les taux de mortalité à chaque âge resteront constants, à leur niveau du moment. Or, il y a peu de chance que la baisse séculaire de la mortalité s'arrête brusquement. "L'espérance de vie" mesure, en fait, la mortalité du moment. S'il y avait un pari à faire, on donnerait aux nouveau-nés une espérance de vie plus élevée.
- Mortalité infantile
Une importance particulière est attachée à la mortalité infantile à cause de son taux élevé et de l'intérêt spécial que présente la lutte contre elle.
Le plus usuellement, on rapporte le nombre de décès de moins d'un an au nombre de naissances.
Pour mesurer correctement la mortalité infantile, il convient (J. Bourgeois-Pichat) de séparer les décès exogènes (dus à une cause postérieure à la naissance, donc assez faciles à éviter) et les décès endogènes (malformation congénitale, etc.).
Pour avoir de façon approchée la mortalité endogène, il suffit d'augmenter de 25% la mortalité infantile totale de 1 mois à 1 an. La mortalité endogène se déduit par différence.
- MORTINATALITÉ
Un enfant né sans vie doit être déclaré mort-né. Mais souvent, dans les statistiques d'état civil, des enfants n'ayant vécu qu'un temps très court, sont classés comme mort-nés ("faux" mort-nés).
[140]
Une autre cause d'imprécision apparaît pour les fausses couches assez tardives, qui peuvent être ou n'être pas enregistrées.
On calcule parfois des taux de mortalité périnatale, qui englobent les fausses couches tardives, les mort-nés et la mortalité néonatale (le premier mois).
- AUTRES FACTEURS
Le taux de mortalité générale n'exige la connaissance que de deux données : nombre de décès et population envisagée. Quand il s'agit de groupements nettement définis comme les personnes d'un même sexe, le risque d'erreur est faible. Il n'en est pas de même, par exemple pour la profession. Pour que les taux de mortalité par profession soient significatifs, il faut que la répartition soit faite suivant les mêmes règles au numérateur et au dénominateur, ce qui est rarement le cas. S'il est assez facile de mesurer la mortalité des médecins ou des prêtres, il n'en est pas de même de celle des "commerçants" ou des "employés de bureau".
La considération de l'âge est plus importante encore que pour des groupes nationaux. Ainsi, si la mortalité des patrons est supérieure à celle des employés et ouvriers, c'est que beaucoup d'individus sont salariés au début de leur carrière et patrons sur le tard.
Enfin, une mortalité élevée ne prouve pas que le métier soit moins sain qu'un autre, car une sélection se fait parfois dans le choix de la profession, les faibles et malades choisissant de préférence les métiers les moins pénibles et les plus sains.
Suivant l'état matrimonial, les répartitions sont moins aléatoires. Des taux de mortalité par âges sont calculés assez facilement, ce qui permet d'établir des tables de mortalité par état matrimonial et de calculer l'espérance de vie et les autres caractéristiques de la mortalité.
- Causes de décès
La répartition des décès suivant le diagnostic pose, non seulement un problème de liaison administrative et médicale, mais des questions techniques de nomenclature. Lorsqu'un individu décède d'une congestion, à la suite d'un accident de voiture, survenu du fait de son ivresse, faut-il imputer le décès à la congestion, à l'accident ou à l'ivresse ? Remonter à la cause physiologique première est recommandable, mais soulève des difficultés. Souvent la répartition se fait suivant les genres de mort (le diagnostic final).
[141]
- Variation saisonnière
L'irrégularité du rythme saisonnier (pointe d'hiver) rend assez délicate la correction classique. De ce fait, l'évolution de la mortalité dans le temps ne peut donner lieu à une observation continue et ne se fait guère que sur une assez longue période (trois ans au minimum).
Chapitre IV
NATALITÉ, FÉCONDITÉ
Comme pour la mortalité, on peut rapporter le nombre des naissances vivantes au nombre des habitants. On obtient ainsi le taux de natalité générale ou simplement "natalité".
- Influence de l'âge
Le taux de natalité ne mesure pas correctement la fécondité d'une population (dont le nombre d'enfants par ménage suggère assez bien la notion). Ici aussi, l'influence de l'âge est prépondérante. Une population qui comporte une forte proportion d'adultes entre 20 et 40 ans (souvent le cas des villes) a, toutes choses égales d'ailleurs, une natalité supérieure à une population normale.
Une première rectification consiste à rapporter le nombre des naissances non plus au total de la population, mais au nombre de femmes en âge de procréer, c'est-à-dire entre 15 et 49 ans. On obtient ainsi le taux de fécondité générale.
Mais ces taux ne sont pas encore satisfaisants, car la fécondité varie beaucoup suivant l'âge.
On calcule alors des taux de fécondité suivant l'âge, ce qui exige la connaissance de la répartition des naissances suivant l'âge de la mère.
Voici un exemple de calcul (Yougoslavie 1954) :
[142]
Age de la mère
|
|
Nombre de femmes
(en milliers)
|
Taux de fécondité
p. 1000 femmes
|
15-19 ans
|
|
|
|
20-24 -
|
|
|
|
25-29 -
|
|
|
|
30-34 -
|
|
|
|
35-39 -
|
|
|
|
40-44 -
|
|
|
|
45-49 -
|
|
|
|
50-55 -
|
|
|
|
TOTAUX
|
|
|
|
Les taux de fécondité ainsi calculés permettent d'établir des tables de fécondité et se prêtent à une représentation graphique.
Fig. 9. - Taux de fécondité (Yougoslavie 1954)
La recherche d'un taux unique, mesurant la fécondité, pose des difficultés plus grandes encore que pour la mortalité à cause de la dualité des sexes. On peut, ici encore recourir à la méthode de la population type qui présente mêmes commodités et mêmes inconvénients.
- Taux brut de reproduction
Lorsque les variations ne sont pas trop rapides, une bonne caractéristique de la fécondité est le taux brut de reproduction ou de remplacement. Sur l'exemple numérique cité plus haut, comme le nombre de femmes servant au dénominateur porte sur des groupes de 5 ans, il faut multiplier par 5 le total des taux de fécondité à chaque âge, 691.0, ce qui donne 3,455 naissances pour 1,000 femmes ou 3,455 femmes. Le nombre moyen de naissances suppose l'absence de mortalité.
Cette notion du nombre d'enfants qu'a une femme, en moyenne, au cours de sa vie, vient assez naturellement à l'esprit ; toutefois, elle s'impose plus pour les ménages que pour l'ensemble des femmes. Nous la retrouverons.
Multiplions maintenant ce nombre 3,455 naissances par la proportion des filles, soit 0,485 (un peu moins de la moitié). Nous obtenons 1,68, taux brut de reproduction.
[143]
C'est le nombre de naissances féminines (divisé par 1,000) qu'aurait une génération (une "cohorte") de 1,000 femmes soumises à la loi de fécondité de la population étudiée. C'est le taux de remplacement d'une génération par la suivante, abstraction faite de la mortalité.
Le taux brut de reproduction a une grande importance pratique, parce qu'indépendant de la mortalité, il présente en outre une signification propre, en dehors de toute comparaison à une autre population. Il donne une limite supérieure du remplacement d'une génération par la suivante, dans l'hypothèse optimiste où toute mortalité serait supprimée jusqu'à l'âge de 50 ans. En particulier, lorsque le taux brut de reproduction est inférieur ou égal à 1, aucune réduction de mortalité ne pourrait assurer le remplacement intégral d'une génération par la suivante.
Le taux brut de reproduction prête cependant à la critique. S'il ne fait pas intervenir la mortalité, c'est parce qu'il la suppose nulle.
D'autre part, les taux de fécondité d'une population, aux divers âges, à un moment donné, peuvent résulter de circonstances antérieures (guerres, etc.) et ne pas être représentatifs, on est donc parfois conduit à utiliser d'autres méthodes.
- Le problème général
Mesurer la fécondité d'une population peut se faire soit sur une génération ou cohorte donnée, suivie dans le temps, soit sur les résultats d'une année donnée, portant à la fois sur plusieurs cohortes.
La première méthode donne une réponse parfaite, mais malheureusement rétrospective. Par exemple, en 1961, on peut avoir par le recensement le nombre d'enfants des femmes nées en 1911 (à la rigueur 1921 donnerait une solution approchée). Mais les cohortes jeunes, nées de 1921 à 1940, n'entrent pas dans l'observation. Or, ce sont les plus intéressantes.
La seconde méthode utilise les derniers résultats, mais ils peuvent être trompeurs. Il arrive que des cohortes retardées dans la formation de leur famille (guerre, dépression économique, etc.) rattrapent leur retard, toutes à la fois pendant les périodes favorables ; la fécondité se trouve alors temporairement gonflée et ne traduit pas le comportement normal.
À vrai dire, aucune méthode théorique ne peut résoudre ce problème autrement que rétrospectivement. Il en est de même d'ailleurs pour la mortalité, mais l'inconvénient est moindre. Pour la fécondité, cette difficulté n'est d'ailleurs sensible que dans les populations de basse fécondité.
[144]
Selon les circonstances, divers procédés permettent dans ces populations une mesure approchée du comportement normal en matière de fécondité. On suit la constitution progressive des familles, en tenant compte des données suivantes :
- a) Âge de la femme ;
- b) Durée du mariage ;
- c) Rang de naissance de l'enfant.
En utilisant l'âge de la femme et la durée du mariage, on obtient le nombre moyen d'enfants par famille, au fur et à mesure qu'elle se forme. Cette formation progressive peut être comparée à celle des "promotions" précédentes. On en déduit en outre des probabilités pour la dimension finale de la famille.
M. Louis Henry a introduit, dans les calculs, le rang de naissance de l'enfant, utilisant la notion importante de probabilité d'agrandissement d'une famille (par exemple probabilité de naissance du 3e enfant, dans des familles de deux enfants).
Faute de pouvoir décrire dans le détail ces méthodes complexes, nous renvoyons le lecteur à l'ouvrage de M. Roland Pressat : Analyse démographique.
Le nombre d'enfants par ménage ne renseigne lui-même qu'imparfaitement sur l'équilibre démographique et le remplacement d'une génération par la suivante. Il doit être complété par des indications sur la fréquence des mariages, considérée ici simplement comme l'un des facteurs agissant sur la natalité.
- Nuptialité
Comme pour la natalité et la mortalité, on rapporte le nombre de mariages au total de la population pour avoir le taux de nuptialité générale.
Ce taux appelle mêmes observations et critiques que ceux de natalité et de mortalité, notamment du fait de la composition par âges.
La méthode de la population type est applicable sous les mêmes réserves que précédemment.
On peut aussi rapporter les mariages au nombre de personnes en âge de se marier (en France, garçons de 18 ans et plus, veufs, divorcés, filles de 15 ans et plus, veuves, divorcées). Le taux ainsi calculé n'est pas encore satisfaisant, car, à partir d'un certain âge, la nuptialité est très faible.
Au moyen des taux de nuptialité à chaque âge, on construit des tables de nuptialité.
[145]
On peut également calculer la durée moyenne des mariages, établir des tables d'extinction des mariages (par décès d'un conjoint, ou par divorce), suivant la durée du mariage et l'âge initial des époux. Ces tables peuvent, comme les précédentes, être utilisées par les compagnies d'assurances.
Les divorces doivent être considérés dans les calculs comme des mariages négatifs. Pour eux, comme pour les mariages, la répartition suivant l'âge des époux ouvre le champ à diverses recherches et calculs. On peut en outre calculer des taux de divortialité en rapportant le nombre de divorcés (ou de divorces) au nombre des personnes mariées.
Voici à titre d'exemple, la table de nuptialité calculée par M. Depoid pour le sexe féminin en France :
Fig. 10. - Table de nuptialité en France, 1930-1932
(sexe féminin) (p. 39)
La courbe des célibataires, très voisine de la courbe d'ensemble, n'a pu être tracée.
- Naissances suivant le sexe
Le rapport des naissances de garçons aux naissances de filles s'appelle masculinité. On rapporte parfois le nombre de garçons au nombre total des naissances. Le taux de masculinité se calcule également pour les mort-nés. D'autre part, il peut être également calculé suivant l'âge des parents, la durée du mariage, etc. Pour les enfants nés avant terme, il est intéressant de calculer le taux de masculinité suivant le temps effectif de gestation.
- Variations saisonnières et accidentelles
L'influence de la saison est moins sensible mais plus régulière sur les naissances que sur la mortalité. Il est donc possible de corriger suivant la méthode classique, en divisant, pour chaque mois, le nombre de naissances (ou le taux) par le "coefficient saisonnier" du mois considéré. L'influence de l'inégalité des mois doit être corrigée aussi.
Pour la nuptialité, le rythme saisonnier est plus fort et moins régulier. Il dépend notamment de la place dans l'année des fêtes religieuses mobiles et des coutumes locales.
D'autre part, les épidémies (et notamment les grippes hivernales) réduisent les conceptions et, neuf mois plus tard, le nombre des naissances.
[146]
Pour certaines variations accidentelles, les causes ne sont pas connues.
Chapitre V
MOUVEMENT GÉNÉRAL D'UNE POPULATION
- Accroissement naturel
Pour une population fermée, c'est-à-dire sans apports ni pertes extérieurs, l'accroissement de la population se juge à la différence entre naissances et décès. On l'appelle accroissement naturel. Le taux d'accroissement (annuel par exemple) s'obtient en rapportant cet accroissement à l'ensemble de la population. On parvient au même résultat en faisant la différence entre le taux de natalité et le taux de mortalité.
Pendant longtemps, l'observation s'en est tenue à ce taux. Or, au cours d'une période donnée, une population fermée se modifie de trois façons :
- a) Naissance d'enfants (d'âge 0) ;
- b) Décès de personnes de divers âges ;
- c) Vieillissement d'un an pour chaque individu.
Le taux d'accroissement ne tient compte que des deux premiers phénomènes. Encore fait-il intervenir de même façon le décès d'un adulte, d'un enfant, d'un vieillard.
Le taux d'accroissement est parfois trompeur. Par exemple, une population composée en grande partie d'adultes peut avoir un taux d'accroissement positif, alors que sa natalité est insuffisante.
La méthode de la population type est moins recommandable encore que pour la mortalité et la natalité envisagées séparément, car il est utile de juger de façon absolue la vitalité d'une population.
- Taux net de reproduction
Au lieu d'additionner les taux de fécondité à chaque âge, comme pour le taux brut, ce qui suppose la mortalité nulle, on les applique à une population ayant même composition que la table de survie. On obtient ainsi le taux net de reproduction ou de remplacement.
Voici un exemple de calcul (Yougoslavie 1954) :
[147]
|
Taux de fécondité
(voir p. 35)
|
Taux de survie
pour 1,000 naissances
|
|
15-19 ans
|
|
|
|
20-24 -
|
|
|
|
25-29 -
|
|
|
|
30-34 -
|
|
|
|
35-39 -
|
|
|
|
40-44 -
|
|
|
|
45-49 -
|
|
|
|
50-54 -
|
|
|
|
TOTAUX EN MOYENNE
|
|
|
|
En multipliât le total 574.1 par 5 (nombre d'années du groupe d'âges) puis par la proportion des naissances féminines (0.487), on obtient le taux net de reproduction : 1.39.
Un calcul approché consiste à multiplier le taux brut de reproduction par le taux de survie à 28 ans, âge le plus souvent égal à l'intervalle moyen entre deux générations.
L'interprétation de ce taux est aisée : on suit un effectif de 1,000 filles à la naissance. Cet effectif est réduit suivant les lois de mortalité de la population considérée, puis obéit également à ses lois de fécondité et donne naissance à un nombre de filles qui n'est autre que le taux de reproduction. Ce taux mesure en somme le rapport entre deux générations successives.
Le taux de reproduction a un sens nettement prévisionnel. Il revient à dire : "Si les taux de fécondité et de mortalité à chaque âge restent ce qu'ils sont, une génération assurera son remplacement à concurrence de ... %".
Une population peut croître, malgré un taux de reproduction inférieur à l'unité (et inversement). Mais à la longue, la diminution est fatale, sauf allongement illimité de la vie humaine.
[1] Alfred SAUVY, La Population. Sa mesure, ses mouvements, ses lois. Paris, Presses Universitaires de France, (Coll. Que sais-je ? no 148), 1961, p. 5 - 43 (extraits).
[2] Pour renseignements plus détaillés, consulter le Cours de démographie et de statistique sanitaire de Michel HUBER (Hermann, 1940), le Traité de démographie, d’Adolphe LANDRY (Payot, 1949), l'ouvrage Analyse démographique, de Roland PRESSAT (P.U.F. et I.N.E.D., 1961) et Leçons d'analyse démographique, de Louis HENRY (C.D.U. et S.E.D.E.S., Paris, 1960). On pourra consulter aussi le Dictionnaire démographique établi par les Nations-Unies.
[3] Par même échelle, il ne faut pas entendre même longueur pour un même effectif, puisque les populations totales sont différentes, mais même longueur pour un même pourcentage de la population totale.
|