[8]
Préambule
La malveillance publique
Nous voici en 1987. Au Nouveau-Brunswick, les gens en ont assez de l'incurie du premier ministre Richard Hatfield. Ils cherchent un sauveur. Frank McKenna fait son entrée sur la scène provinciale. Il promet de faire le ménage dans les affaires publiques, de quoi faire rêver ses plus farouches opposants.
Il ne parle que d'austérité, de rigueur et de prudence. Il dit vouloir réduire les dépenses publiques et gérer la province de façon fiscalement responsable, comme une corporation. Tout cela est de la musique aux oreilles des citoyens qui, sous une sorte d'hypnose collective, lui accordent tous les sièges à l'Assemblée législative.
À l'époque, personne ne se doutait que sa vision idyllique allait faire reculer de plusieurs décennies les droits civiques des assistés sociaux. Alors que pour les mieux nantis, le régime McKenna goûtait le miel, pour les pauvres, il avait plutôt un goût de poison, ce qui rappelle bien le proverbe hindou « Un seul homme détruit un pont et des milliers se noient. »
Sa logique tenait en cinq points :
- L'aide sociale coûte cher. Un grand ménage s'impose. Elle doit être convertie en assistance-emploi.
- La seule façon d'assurer la fierté est par l'emploi. Chacun doit travailler pour vivre.
- Réduire l'assistance induira les gens à la prévoyance individuelle.
[9]
- Ceux qui sont improductifs doivent se responsabiliser et cesser de dépendre de l'État.
- L'aide sociale doit devenir une aide en direct, produite par un ordinateur. Le succès sera mesuré à partir du nombre de dossiers clos. L'aide versée en trop sera récupérée, sans droit d'appel.
Le régime institué était un feu roulant d'attaques contre les citoyens assistés. Ils étaient pourchassés continuellement par une équipe d'enquêteurs zélés à qui McKenna avait donné le champ libre. Le but était simple : les prendre en défaut et mettre fin à leur assistance.
Chaque fois qu'une personne assistée recevait un coup de main, qu'elle se faisait conduire quelque part ou qu'elle recevait de la visite, elle devait avertir son agent d'aide sociale pour éviter de perdre son droit à l'assistance. Un peu plus et on lui aurait imposé un couvre-feu et on l'aurait soumise à l'écoute électronique, comme dans un État policier.
Les pauvres étaient devenus les souffre-douleur d'un premier ministre qui les avait en aversion. À l'exemple du patriarche biblique Abraham, il était persuadé qu'il fallait les sacrifier pour que la société puisse se développer.
C'est à l'arrivée du gouvernement conservateur de Bernard Lord, dans les années 2000, que les citoyens assistés ont connu un peu de répit, mais l'effet du cliquet empêchait le nouveau gouvernement de faire marche arrière. Certaines libertés individuelles ont peu à peu été restaurées, comme la protection contre les enquêtes abusives, quoique des relents du régime autoritaire institué par McKenna subsistent encore aujourd'hui. Faire affaire avec l'État, pour les assistés sociaux, s'avère toujours une expérience négative, et les fonctionnaires font partie du problème.
[10]
Encore aujourd'hui, l'État exerce un contrôle absolu sur les plus démunis. Il n'hésite pas à s'entretenir à leur sujet avec le bureau de crédit, à fouiller leurs comptes bancaires, à interroger leurs employeurs et à vérifier le nom qui apparaît sur leurs factures. Il commet chaque fois un délit d'ingérence - autorisé par la loi, il faut le préciser. Il le fait sans gêne, sans se préoccuper le moindrement de l'effet de tels abus sur la vie privée des gens.
Un groupe s'intéresse
C'est en 1993, en plein milieu du chaos social, qu'est né le Comité des 12, un regroupement qui désirait secourir les plus faibles en les sortant du marasme, sinon les empêcher de s'y engouffrer davantage. Une douzaine de personnes - d'où le nom du Comité - se sont alors mobilisées afin de leur prêter main-forte et de leur donner une voix.
Nous n'étions pas dupes : nous connaissions bien la maxime de Franklin Roosevelt selon laquelle il ne faut jamais sous-estimer un homme infatué qui se surestime. Nous savions que tenir l'État en échec ne serait pas une partie facile à gagner, mais nous avions en notre faveur la force d'un regroupement.
Dès le départ, pour définir clairement notre champ d'action, nous avons établi les principes suivants :
- L'assistance financière doit être accompagnée d'un soutien non économique.
- Les principes de justice naturelle doivent orienter les décisions.
- L'aide sociale doit tenir compte du caractère unique de chacun, de ses antécédents, de ses capacités et de son niveau de fonctionnement.
- On doit donner à chaque personne en difficulté un maximum d'attention et d'écoute pour alléger son affliction.
[11]
Notre mission est double : assister et réformer. Le premier volet consiste à défendre la cause des moins nantis, alors que le second vise à aider la société à fonctionner humainement. Tout en aidant ceux qui ont de faibles revenus à mieux fonctionner dans la société, nous exerçons une pression sur l'appareil public. Nous l'obligeons à respecter leurs droits et à répondre à leurs besoins.
Notre pouvoir d'agir prend diverses formes. Sur le plan individuel, il comprend l'accompagnement, la représentation, la médiation et l'écriture publique. Sur le plan collectif, nous misons sur la proposition de mesures d'atténuation et de politiques progressistes et sur la sensibilisation du public aux problèmes sociaux. Au fond, la représentation personnelle et la contrainte du pouvoir public se complètent, et notre cause n'a qu'un seul but ultime : défendre les moins nantis et influencer le progrès social.
|