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Introduction
Parfois, l'État a tellement honte
qu'il doit se couvrir la tête avec un sac.
L'idée d'écrire ce livre m'est venue quand un jour, une députée fédérale a déclaré avoir trop honte de se faire voir en public parce qu'elle n'avait pas tenu parole. Les caricaturistes n'ont pas tardé à la représenter avec un sac de papier gris sur la tête pour montrer à quel point elle craignait d'affronter le public. [1]
Qu'une représentante de l'État se sente honteuse à ce point a de quoi susciter la curiosité, en effet. Je me suis dit : « Si l'État protège le bien commun et s'il a une conduite irréprochable, de quoi alors aurait-il honte ? »
Je me suis ensuite rappelé l'histoire des trois passoires de Socrate. On s'approcha un jour de lui pour lui transmettre une rumeur, mais après avoir posé trois questions, il conclut qu'elle n'était ni vraie, ni bonne à entendre, ni susceptible d'aider, et qu'elle ne méritait donc pas d'être répétée. En appliquant un test semblable aux qualités morales de l'État, je me suis demandé s'il est juste, franc, de bonne foi et bienveillant, et s'il défend l'intérêt public.
S'il fait tout cela et s'il s'acquitte de ses responsabilités sociales, il ne devrait pas avoir honte de quoi que ce soit, mais est-ce bien le cas ? Pour répondre à cette question, j'ai puisé dans mes recherches et mes observations, ainsi que dans ma collection de reportages médiatiques.
Pour ce livre, j'ai choisi comme présentation l'essai graphique, qui se situe entre l'essai et la bande dessinée, voulant me servir de ce format pour combattre l'image par l'image, tout en sachant qu'il rejoindrait un plus grand nombre de lecteurs. Alors que certains s'intéresseront surtout aux passages écrits, d'autres s'attarderont aux images qui, parfois, parlent plus fort que les mots.
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Parmi les images qui nous habitent, les plus fortes sont celles provenant de scènes vécues durant notre enfance, en particulier celles qui gravitent autour de notre milieu familial. Les modèles qui restent ancrés en moi et qui m'inspirent le plus sont, en effet, ceux que m'ont transmis mes parents.
J'ai eu la chance de grandir dans une famille dont les parents étaient aimants, attentifs et prévoyants, en plus d'être droits et honnêtes. Ils veillaient sur nous pour que nous ne manquions de rien. Quand un enfant se blessait, ils lui portaient secours et lui consacraient plus d'attention pendant un certain temps pour qu'il puisse se rétablir plus vite.
Mon père n'avait qu'une parole. Il était un homme de peu de mots et ne disait que la vérité. On pouvait prendre pour argent comptant tout ce qu'il disait, car il ne savait pas mentir. Je ne l'ai jamais entendu induire des gens en erreur. Il était franc. Il ne gagnait pas beaucoup d'argent et par conséquent, il était précautionneux, sachant que toute dépense inutile se ferait au détriment de ses enfants. Il s'assurait que les besoins de ses enfants passent en premier lieu. J'ai donc grandi avec la persuasion qu'il ne faut exploiter personne ni les riches ni les pauvres et qu'il faut dépenser sagement.
L'image que je me faisais de l'État me rappelait celle de mon père, mais voilà que l'incident rapporté plus haut au sujet de la députée est venu secouer mes convictions. S'ensuivit dès lors un questionnement personnel par rapport au caractère moral de l'État et c'est de cette réflexion qu'est née l'idée de ce livre.
Claude Snow
Caraquet, NB, le 1er mai 2010
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