Une édition électronique réalisée à partir du texte de M. Denis SZABO, “Inadaptation juvénile: fondements psycho-culturels”. Un article publié dans l'ouvrage de Denis Szabo, Denis Gagné et Alice Parizeau, L'adolescent et la société (étude comparative). Première partie, pp. 9-70. Bruxelles: Charles Dessart, Éditeur, 1972, 332 pp. Collection: Psychologie et sciences humaines.
Introduction
La succession des générations, l'intégration des jeunes dans les structures institutionnalisées de la société sont des problèmes majeurs qui ont retenu l'attention des observateurs de la vie sociale, qu'ils soient écrivains, philosophes ou spécialistes des sciences humaines. Les conflits qui naissent, les tensions qui se dégagent de la rencontre du monde impétueux des jeunes à l'apogée de leur expansion biopsychologique et du monde des adultes, déjà pliés aux conformismes qu'impose le poids des traditions incarnées dans les institutions sociales, intéressent le criminologue car il croit y découvrir les racines de nombreuses inadaptations, délinquances, pathologies dans la vie individuelle et collective.
L'analyse du mal de la jeunesse, du spleen, de l'anarchisme, du vandalisme, de l'aliénation - autant de manifestations de la difficulté d'être soi-même, de la recherche d'une identité -présente des problèmes d'une grande complexité. Elle sied mieux au talent d'écrivains comme Gide ou Moravia qui nous traçaient, dans les Caves du Vatican ou dans les Indifférents, des portraits d'une justesse psychologique et d'une authenticité morale difficilement égalables par ceux qui recourent à l'armature conceptuelle rébarbative des sciences sociales.
Il nous apparaît néanmoins que, dans l'étude de ce problème, en peut restaurer les intentions globalisantes de la sociologie du XIXe siècle, héritière de la philosophie et de l'histoire, qui tentait d'aider l'homme à déterminer son identité et son destin dans un monde dont l'évolution, en Occident du moins, avait pris un rythme accéléré. L'ordre, qui semblait naturel à cause de la relative stabilité dont jouissait notre société, édifiée sur les fondements judéo-helléniques et romains, fut remis en cause si radicalement que le doute envahit les consciences. L'éthos même de notre civilisation devint l'objet d'examens minutieux car on n'étudie que ce qui est opaque : lorsque les modèles de conduite, basés sur des normes et des valeurs régulièrement transmises de génération en génération, deviennent diffus, l'effet sécurisant de la culture non seulement diminue, mais est remplacé par des interrogations qui créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent.
Pourtant, ce phénomène n'est pas propre à notre époque. Les jeunes s'opposèrent toujours à leurs aînés, les innovateurs se heurtèrent toujours aux conformistes. Qu'est-ce qui lui donne ce sens d'urgence dramatique que chacun de nous ressent ? Il nous semble que c'est l'échelle à laquelle se pose le problème qui a radicalement changé. En effet, la société de consommation, soumise à un progrès technologique incessant, a généralisé un phénomène qui n'était caractéristique que d'une petite minorité. Les classes moyennes qui ne sont moyennes que par un jeu d'esprit géométrique - ne s'étendent-elles pas sur la vaste majorité de la société ? - ne subissant plus les contraintes de la société industrielle, que Marx avait raison d'appeler « lois dairain ». La civilisation de loisirs qui est la nôtre s'apparente à celle de la noblesse de l'Ancien Régime : libérée des contraintes socio-économiques, elle se libère avec allégresse de la contrainte morale. Le renouveau d'intérêt pour l'œuvre de Sade prend valeur de symbole à cet effet. La civilisation de cour, où rien ne devait limiter les aspirations qui prennent leur origine dans les instincts, l'orgueil, la vanité ou la volonté de puissance, est pratiquement à la portée de tout le monde. Cette nouvelle civilisation est un véritable bouillon de culture de moralités de toutes sortes et les hommes, jeunes et vieux, éprouvent des difficultés accrues pour sélectionner des critères de choix sûrs et des motifs d'action cohérents. Le moratoire psycho-social dont parle Erickson (1963) donne bien le cadre général de notre analyse : la prolongation de la scolarité obligatoire recule l'entrée des jeunes dans le champ de la responsabilité propre au statut d'adulte. Or les mécanismes d'apprentissage et de socialisation n'assurent pas une préparation morale, une maturité suffisante pour orienter avec assurance le destin des jeunes vers des buts précis.
Dans le présent essai, nous envisagerons le cadre macro-sociologique de notre étude en confrontant l'hypothèse de la néoténie avec celle du misonéisme. Nous résumerons, par la suite, les caractéristiques de la société et de la culture de masse, contexte sociologique précis de notre analyse. En privilégiant les éléments psychologiques et culturels dans l'étude du fait moral, nous tenterons de préciser les contributions respectives de la sociologie de la connaissance et de la sociologie de la socialisation à notre sujet ; à cette occasion nous indiquerons l'apport relatif de la psychologie et de la sociologie et nous soulèverons les problèmes heuristiques que pose la collaboration interdisciplinaire. Finalement, c'est par l'étude du concept de l'obligation que nous tenterons de poser des Wons vers l'analyse de l'inadaptation psycho-culturelle des adolescents dans notre société et nous en viendrons aux paradigmes micro-sociologiques, puis à des hypothèses partielles plus précises. Une note sur les rapports entre types de moralité et types de civilisation conclura ces propos.
Dernière mise à jour de cette page le samedi 19 août 20065:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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