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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Denis SZABO, “Les mesures de prévention sociale” (1968)
Problématique
Une édition électronique réalisée à partir du texte de M. Denis SZABO, “Les mesures de prévention sociale”. Un article publié dans Criminologie en action. Bilan de la criminologie contemporaine dans ses grands domaines d'application, pp. 273-311. Actes du 12e cours international de criminologie tenu à Montréal en 1967. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1968, 464 pp.
Problématique
La permanence du Phénomène criminel constitue un défi à l'esprit humain, façonné par les triomphes sur la nature qu'assurent, depuis deux siècles environ, les progrès scientifiques et technologiques. Il n'y a rien de plus permanent dans l'organisation sociale que le budget des prisons : bon an, mal an, un certain nombre d'individus passent derrière des barreaux, déclarait déjà Quételet au milieu du XIXe siècle, siècle qui fut le témoin pourtant des plus spectaculaires progrès dans tous les domaines. Depuis lors, grâce à l'évolution de la philosophie morale occidentale, les esprits, qu'ils soient inspirés par les soucis de la philanthropie, de l'hygiène mentale et sociale, de la recherche scientifique ou du maintien de l'ordre publie, ont relevé ce défi sans grand succès apparent par ailleurs. La plupart des mouvements de réforme s'inspiraient d'une vision optimiste de l'homme et de la société, croyant dans leur infinie perfectibilité ; ils étaient héritiers de la philosophie de Jean-Jacques Rousseau à laquelle Darwin donnait la réplique dans l'ordre biologique et Karl Marx dans l'ordre économique. Us sciences sociales sont nées dans ce contexte et, en voulant préciser les forces sociales qui façonnent le destin des hommes, suivant l'hypothèse du déterminisme, elles se proposaient de fournir les outils à l'établissement d'un ordre social éliminant le scandale de la misère matérielle et morale. La criminologie est née elle-même dans ce même contexte ; Lombroso comme Ferri, le biologiste darwinien et le sociologue marxiste, orientaient notre discipline dans le sens de la conquête des forces pathologiques et antisociales. Il est vrai que Durkheim avait une position plus modérée, le crime étant pour lui un phénomène normal lié au fonctionnement de la société, et que Tarde avait une vue plus pessimiste encore étant donné son attachement à la notion du libre arbitre et sa conception chrétienne de la nature humaine, toujours exposée aux forces du mal. Néanmoins, la pensée prédominante, surtout celle de ceux qui furent orientés vers l'action, s'inspirait de la première tradition.
C'est à partir d'un tel contexte que nous devons aborder l'étude des mesures de prévention sociale. Celles-ci se sont développées parallèlement et quelque peu ultérieurement aux mesures médico-psychologiques, orientées vers le diagnostic et le traitement de la personnalité délinquante. Élargie progressivement à la dimension de la famille sous l'influence surtout de Freud et de la psychanalyse, l'action diagnostique et thérapeutique était centrée sur la personne. Celle-ci pouvait être exposée à cette action le mieux possible dans un contexte institutionnel ; l'insistance sur l'analogie hospitalière est une des constantes de l'histoire de la criminologie clinique contemporaine.
La tradition sociologique part d'une optique assez diamétralement opposée : c'est la société qui « fabrique » l'individu et ce sont les défauts de l'organisation sociale qui créent la délinquance, forme extrême de la conduite déviante des normes en vigueur dans une culture. Déjà Tarde nous disait qu'une personne devient criminelle non seulement parce qu'elle commet un acte proscrit mais également par la façon dont la société réagit à son acte. C'est par conséquent en examinant la société, sa structure, son organisation, que le spécialiste des sciences sociales s'efforce de remonter aux sources de la conduite déviante et d'en esquisser les causes comme, le cas échéant, les remèdes.
Le rôle de la collectivité, de la communauté dans la « déviance » fut le terrain d'élection de l'action des sociologues : si l'on veut changer les conduites individuelles, il faut agir sur les conduites collectives. Comment peut-on avoir prise sur les groupes, les catégories ou les classes sociales ? Comment peut-on peser sur les pouvoirs politiques, économiques, spirituels et moraux dont l'influence est décisive dans la réaction sociale contre la déviance et le crime ? Quelle justification théorique, quelle stratégie de l'action et quelles techniques d'intervention spécifiques peuvent être utilisées pour opérer des changements sociaux susceptibles de diminuer le potentiel délinquant d'une société ?
C'est à l'examen de ces questions que sera consacré le présent cours ; après une esquisse rapide de la théorie étiologique de la conduite délinquante, nous récapitulerons l'historique des interventions collectives dans l'ordre social. Après avoir examiné les principaux types d'action sociale contemporaine, nous en dresserons le bilan et esquisserons les perspectives d'avenir.
Quelques remarques préliminaires encore : notre sujet est un des chapitres les plus récents des sciences sociales ; la littérature sur l'intervention médico-psychologique, voire médico-psychosociale au niveau de l'individu et de sa famille est relativement riche. Les conclusions que l'on en tire sont cependant empreintes de prudence étant donné la grande complexité des situations et des cas étudiés et l'insuffisance des contrôles et des vérifications expérimentales. Les controverses soulevées par le livre de Szasz (Law, Liberty and Psychiatry) sont significatives à cet égard. Que dire alors des problèmes qui nous préoccupent ici, dont la complexité théorique et méthodologique décourage bien des bonnes volontés intellectuelles ? Les difficultés sont de trois ordres : théorique d'abord car il faudrait partir d'une conception de la société globale, de sa dynamique, de ses mécanismes de fonctionnement ; pratique ensuite, car il faudrait disposer de techniques d'intervention éprouvées ; et enfin politique, car toute action de ce genre suppose le choix dans l'ordre des priorités économico-sociales. Rien d'étonnant donc que les bilans dressés jusqu'à ce jour dans le domaine de la prévention sociale (par les Nations Unies, par le Conseil de l'Europe, par exemple) font état de lacunes et confinent à une déclaration de carence quasi complète. Le fait significatif à retenir n'est toutefois pas ce bilan fort maigre ; c'est bien plus le fait que l'opinion publique, la conscience collective dans les pays de la civilisation occidentale a légitimé ce problème à la fois dans l'ordre pratique et dans l'ordre politique ou moral. La suppression de la misère, des causes économiques des inégalités criardes, a donné naissance à une politique sociale qui s'affirmait, à travers une révolution politique dans l'Europe de l'Est, par l'instauration, par la voie démocratique, des diverses modalités du Welfare State en Europe occidentale et par l'intervention sélective, orientée vers la stimulation des énergies individuelles et collectives en Amérique du Nord. C'est maintenant au tour de la sociologie théorique de développer l'armature conceptuelle pour procéder à l'analyse des structures et situations sociales ; cette discipline rejoindra ainsi ses plus hautes traditions qui l'ont toujours orientée vers l'amélioration de la condition sociale de l'homme.
Dernière mise à jour de cette page le samedi 19 août 20066:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur au Cegep de Chicoutimi.
Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
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