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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Denis SZABO, POLICE, CULTURE ET SOCIÉTÉ. (1974)
Avant-propos


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Denis SZABO, POLICE, CULTURE ET SOCIÉTÉ. Textes réunis et présentés par Denis Szabo. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1974, 235 pp. Une édition réalisée par Rency Inson Michel, bénévole, étudiant en sociologie à la Faculté d'ethnologie de l'Université d'État d'Haïti et coordonnateur du Réseau des jeunes bénévoles des Classiques des sciences sociales en Haïti. [Autorisation formelle accordée, le 25 mai 2005, par M. Szabo de diffuser tous ses travaux. Autorisation transmise par l'assistante de M. Szabo à l'Université de Montréal.]

[5]

Police, culture et société.
Textes réunis et présentés par Denis Szabo.

Avant-propos


Si l'on a choisi l'étude de la police comme sujet du Quatrième Symposium, c'est qu'à plusieurs titres cette institution sociale constitue un champ privilégié pour les spécialistes des sciences sociales, comme pour ceux de l'administration publique.

En effet, parmi les organisations sociales ayant des buts et intérêts précis, des rôles spécifiques, la police est de celles qui ont été étudiées bien tard, et d'une manière moins approfondie que les organisations scolaire, militaire, judiciaire ou sanitaire, pour ne prendre que ces quelques exemples. Parmi les multiples raisons de cet état de choses, une des plus importantes est, probablement, le faible degré de priorité accordé dans l'échelle des préoccupations sociales aux problèmes liés au fonctionnement de la police.

Pourtant, l'étude de la police comme phénomène social recèle des problèmes théoriques et pratiques du plus haut intérêt, comme en témoigne la littérature relativement riche qui y a été consacrée depuis une dizaine d'années. La plupart des ressources des sciences humaines, des tests de personnalité des psychologues et jusqu'aux études juridiques passant par les multiples techniques de la psychologie sociale, peuvent trouver là un terrain d'application on ne peut plus fertile.

Il est évident qu'à côté d'un intérêt purement théorique et académique, il y a également une préoccupation pratique qui se fait jour et qui a fait passer la police dans un ordre de haute priorité dans les préoccupations des gouvernements comme dans celles du grand public : la multiplicité des problèmes du maintien de l'ordre intérieur des nations rivalise là avec ceux de l'ordre international. La guerre civile sous ses diverses variantes constitue un défi au bon fonctionnement d'une société civile presque au même titre que les guerres entre les nations.

[6]

Les observateurs de l'action policière ont noté le rôle décisif joué par cet organisme dans la définition même de l'acte criminel. En effet, le pouvoir discrétionnaire exercé par le policier constitue un tuyau d'échappement indispensable pour l'appareil juridique surchargé. Selon le mot de D. Cressey, la diplomatie exercée par les agents de contrôle social, en particulier par la police, fait du jugement de ces derniers les pivots de tout l'appareil de protection sociale, bien plus que les lois et les tribunaux.

Une contradiction grave apparaît ainsi dans le système légal contemporain : on prétend que le pouvoir judiciaire exerce un contrôle sur la police et, par voie de conséquence, sur les garanties de la liberté des citoyens. En fait, la police, peu préparée à ce rôle écrasant, doit servir à tester expérimentalement les exigences de la morale publique en triant les actes conformes et non conformes à l’« ordre socialement accepté ».

On sait combien les valeurs servant de base à la morale publique font l'objet de contestations et de remises en question par certains groupes minoritaires. Pour ceux-ci, le rôle de la police est indissociable de la répression de leur conduite par une majorité exerçant ses pouvoirs d'une manière abusive. La légitimité de la sanction et de son exercice par les « pouvoirs publics » n'est plus acceptée par certains qui y opposent leur propre violence. Si les effets « socialisateurs » des institutions sont ressentis comme « répressifs » par des groupes relativement importants, le rôle de la police, comme gardienne des règles, protégeant l'exercice des libertés assumées par les lois de nos sociétés libérales, n'est plus accepté non plus.

La police a donc un rôle ambigu à plus d'un titre et ceux qui exercent la fonction de policier doivent ressentir, tant au niveau de leur conscience qu'à celui de leur action quotidienne, les effets multiples de ces ambiguïtés. Gardiens d'un ordre contesté, ils seront contestés eux-mêmes. Leur conscience reflétant les troubles de la conscience collective, une certaine incertitude caractérisera leur action et leur propre perception de leur rôle.

La crise des valeurs sociales, qui sont à la base de la légitimité dans l'exercice de la force publique, a donc sérieusement affecté la perception de la police par les diverses couches de la société et par les policiers eux-mêmes. Dans une escalade de la violence et de la contre-violence, facilement préconisée par les esprits orgueilleux qui prétendent posséder toute la vérité sur ce [7] qui est bon et souhaitable, les libertés et les droits de l'homme sont évidemment les vrais perdants. Ceux-ci ne peuvent résister à l'esprit et aux méthodes d'une guerre sociale. La tentation de subordonner les moyens aux buts est irrésistible lors de la polarisation des forces et des tendances politiques et sociales. D'où l'importance capitale que la police sache les limites précises dans l'usage des moyens que la collectivité lui confie exclusivement. Mais ceux qui opposent leur « violence privée » à celle des pouvoirs qu'ils reflètent, doivent réaliser qu'une querelle peut conduire à la guerre. Or, les libertés sont les premières victimes d'un tel état de choses. Fanatisme suscitant fanatisme, les provocations des groupes extrémistes facilitent l'installation, partout dans le monde, de gouvernements peu sympathiques aux idéaux d'une société ouverte, orientée vers le changement social. À vouloir tout prendre, on risque de ne rien recevoir, et même de perdre ce qu'on a péniblement obtenu. L'histoire des droits de l'homme est celle d'un processus infiniment délicat et pénible, pour arracher ceux-ci à l'emprise des pouvoirs et de la raison d'État.

Quel est le rôle du chercheur face à ce phénomène aussi complexe, de processus aussi chargé d'émotivité ? Une fois de plus, il faut rappeler l'exigence très difficile du postulat de l'objectivité du chercheur. Comme d'autres l'ont affirmé, on fait une étude de la police et non pas pour la police : à chaque individu, à chaque groupe social d'interpréter nos observations. On tentera d'analyser les forces sociales qui façonnent l'organisation et la mission policières, les mécanismes judiciaires et psychosociaux qui règlent l'action du policier et de la police, indiquant chaque fois les ambiguïtés, les contradictions, voire même les abus qui résultent de situations qui n'ont bien souvent en commun, sur le plan culturel, que leur extraordinaire complexité.

L'étude scientifique de la police, de l'action et du rôle du policier, répond, il va de soi, à des sollicitations idéologiques diverses. Pour ceux qui souhaitent le maintien de l'ordre, sans grands changements, il importe de savoir comment on peut accroître l'efficacité de l'action policière. Pour ceux qui pensent que la police n'est qu'une des armes du pouvoir oppressif, tout effet d'objectivité n'est qu'une prétention qui cache des motifs inavouables de complicité idéologique et de fait avec ceux qui exercent le pouvoir. Pour le criminologue, quel que soit le motif de son intérêt pour étudier la police et quels que soient ses jugements personnels sur le rôle actuel ou souhaitable de celle-ci, il [8] demeure une marge étroite mais praticable où l'analyse, la description et l'interprétation d'un phénomène social spécifique peuvent et doivent se faire. Nier la possibilité de rencontre entre chercheurs d'obédiences idéologique et méthodologique diverses sur cette marge étroite mais existante entre l'engagement idéologique direct et l'asservissement de la science par la technocratie amorale, revient à nier toute possibilité pour l'esprit humain de s'élever, jusqu'à un certain degré, au-delà des passions du forum.

Le libre exercice du jugement critique, qui se déroule dans le cadre fixé par la méthode scientifique, a assuré jusqu'à maintenant les conditions suffisantes pour le progrès, certes lent mais constant, de nos connaissances. Certains contesteront cette affirmation, mais la majorité des chercheurs y adhèrent, comme en témoignent les publications scientifiques contemporaines.

On a souligné souvent la mutation des valeurs morales, dont serait le théâtre la société contemporaine, et qui apparaît particulièrement aiguë depuis le milieu des années 60. Peu d'institutions sociales y apparaissent aussi sensibles, se trouvent dans des positions aussi stratégiquement importantes que la police. Les policiers doivent réagir en véritables sismographes aux mouvements affectifs profonds qui se déroulent au niveau de la conscience collective et au sein des diverses sous-cultures qui composent une société. Chaque société a des traditions qui influencent, d'une manière décisive, l'histoire et la culture nationales. Les particularismes britanniques, fascinants pour l'observateur extérieur sont, dans le domaine policier, intraduisibles en termes culturels continentaux, européens ou nord-américains. La centralisation des forces policières d'Europe continentale, leur rôle déclaré dans la défense de l'État et des pouvoirs que celui-ci incarne, se juxtaposent à la tradition nord-américaine où une police décentralisée n'est qu'au service de la loi, celle-ci étant, pour l'essentiel, consacrée à la sauvegarde et au respect des libertés individuelles.

La prise de conscience du public, des pouvoirs publics et de la police, des problèmes qui sont liés au rôle de cette dernière ainsi qu'à l'exercice de ses fonctions, était un des objectifs importants de ce symposium. En effet, ce n'est qu'en rendant conscients tous les protagonistes de l'ordre social des valeurs qui sont en cause dans l'action policière, qu'une évolution souhaitable peut s'esquisser pour redéfinir le rôle de la police et celui des policiers dans une société pluraliste et démocratique. Il importe [9] d'y associer tous les hommes de bonne volonté, sans lancer l'exclusive contre personne. Ce n'est que de ce dialogue entre la communauté des chercheurs, des policiers s'interrogeant sur leur rôle et des hauts fonctionnaires chargés de veiller à l'intérêt public, que des solutions nouvelles peuvent apparaître.

Denis Szabo

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Retour au texte de l'auteur: Denis Szabo, criminologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 septembre 2016 6:15
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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