Prologue
Un point brillait dans le ciel de l'Océan Indien, Bourbon, aux rivages bercés par les flots d'une mer toujours inquiète. Cela faisait deux jours que mon ami Roland avait débarqué dans l'île ; je l'avais invité ainsi que son épouse à venir passer quelques jours sous les tropiques.
Nous ne nous étions pas revus depuis une dizaine d'années sans pour autant perdre le contact. Nous nous étions connus à la maternelle dans une petite ville de province, avions suivi les mêmes classes à l'école primaire ; puis la guerre était arrivée ; mon père fonctionnaire, avait été muté à Paris.
Nous nous étions retrouvés huit ans plus tard quand il était allé faire l'École Centrale et que je préparais l'École Nationale de la France d'Outre Mer.
Pendant trois ans notre amitié dura, puis le service militaire, la vie, nous ont séparés. Je suis parti en Afrique, me suis marié, curieusement le même mois et la même année que lui.
En mars mil neuf cent soixante quatre sa mère me voyait devant sa porte avec ma femme et deux enfants ; je venais d'être nommé Magistrat au Tribunal de sa petite ville ; de son côté, il était devenu ingénieur dans une grosse société nationale.
Nous nous sommes revus régulièrement pendant sept années, au cours des grandes vacances ; les enfants ont grandi ensemble. J'ai alors été nommé Procureur de la République dans un petit tribunal du Pas de Calais, puis au chef lieu du département alors qu'il avait pris la direction d'une des usines de sa société près de la frontière Belge. Bien évidemment nous nous sommes rencontrés plus souvent pendant les dix années passées dans le Nord de la France ; nos aînées commencèrent toutes les deux leurs études à la Faculté de Lille et continuèrent l'amitié de leurs pères.
C'est alors que Roland fut appelé à la direction générale de sa société à Paris ; trois mois plus tard, j’étais nommé à Créteil, au parquet, chef de la section s'occupant plus particulièrement des grosses affaires criminelles.
J’habitais ma ville ; lui avait trouvé près de Melun une jolie villa. La proximité des deux résidences sur un même axe dans la région parisienne permit des rencontres fréquentes des "deux p'tits copains" (comme nous avaient baptisés nos épouses). Et puis, au bout de trois ans je l'appelais pour lui faire part de ma nomination comme Président de Chambre à la Cour d'Appel de Saint Denis de la Réunion.
Mis en près retraite, il commençait à s'ennuyer ferme. Il avait rapidement répondu à l'invitation que je lui avait faite de venir passer quelques jours à Bourbon.
Alors que nous nous rappelions tous nos souvenirs, j'ai ressenti ce besoin de chercher ce qui à travers les détails arrive à former la chaine et la trame d'une vie.
Au cours des longues soirées tropicales, je laissais aller ma mémoire prendre le pas sur ma pensée ; c'était pour moi un besoin de raconter, de me raconter. Depuis l'instant où, après une opération du cœur, j'avais ressenti brutalement l'espèce d'avilissement pour un individu de ne plus se souvenir ; à tout prix se rappeler, parfois jusque dans les plus petits faits.
C'est après son départ que peu à peu une idée m'est venue : écrire mon histoire,... mes histoires, à propos de rien et de tout, reprendre mes idées.
Il faut dire en effet que pendant les dix années où nous avions cessé de nous voir, j’étais parti en Afrique Occidentale Française comme employé de commerce où j’avais bourlingué de Dakar à BamaKo : j’étais devenu Greffier et m'étais retrouvé en Haute Volta, puis au Dahomey où j’avais rencontré une Réunionnaise que j’avais épousée et où ma première fille était née ; puis, muté à Dakar, j’avais été nommé magistrat, d'abord au parquet, et ensuite juge d'instruction.
Par ailleurs mon père et ma mère m'avaient suivi en Afrique. Papa, haut fonctionnaire colonial, m'avait toujours associé à ses fréquentations
Peu à peu, comme d'un trou noir les idées remontent comme des flashes (puis cela afflue ; un mot, une idée manque parce que d'autres prennent leur place).
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