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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

À rebrousse-poil. Sens et non-sens de la lutte contre la pauvreté. Jalons théoriques (2004)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article d'Antoine TINE, À rebrousse-poil. Sens et non-sens de la lutte contre la pauvreté. Jalons théoriques”. Communication présentée lors de la 28ème Assemblée Générale de l’Union du Clergé Sénégalais (UCS) à Ziguinchor du 20 au 24 septembre 2004. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 2 avril 2008 de diffuser ce texte dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction

« La Cité humaine ne doit être ni trop riche ni trop pauvre, car si la richesse engendre l’oisiveté et la mollesse, la pauvreté fait naître l’envie et les sentiments, qu’accompagne toujours un triste cortège de désordres ».
 
PLATON, La République, Paris, Garnier-Flammarion, 1982, pp.27-28. 

« Rien ne vient sans peine sauf la pauvreté » (Proverbe anglais).

 

La lutte contre la pauvreté constitue un axe prioritaire du développement du Sénégal, visant à réduire la précarité des conditions de vie des populations les plus démunies et à relever le niveau de développement des ressources humaines. Cette volonté de réduire la précarité des conditions de vie des populations s'est traduite par l'adoption par le Gouvernement du Sénégal du Programme National de Lutte contre la Pauvreté. C'est dans ce cadre que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) apporte un appui institutionnel au Gouvernement du Sénégal à travers le Programme Elargi de Lutte contre la Pauvreté (PELCP) qui est arrivé à terme le 30 juin 2002. 

Le mot de « pauvreté » se laisse facilement appréhender : « les mots pour le dire arrivent aisément ». Mais, est-il aussi facile de le conceptualiser ? J’en suis moins certain. Bien que problématique, le mot renvoie –cela crève les yeux- à des expériences négatives, à des maux qui s’appellent : manque, précarité, exclusion, sous-développement… De plus, il n’est pas bon d’être pauvre, c’est-à-dire d’être sans avoir, sans savoir et sans pouvoir. Par delà la caractéristique économique de la pauvreté, ce qui pose le plus problème c’est la dimension sociétale de la pauvreté : le pauvre est souvent un orphelin social, qui n’a pas de relations épanouissantes. Dans notre société, la pauvreté est, loin de la banalité théâtrale du « goorgolou », le syndrome d’un mal-être, d’un malaise onto-anthropologique, peut-être la négativité d’un « mal radical », selon la terminologie du philosophe allemand Emmanuel Kant. 

Il s’y ajoute, pour aggraver la situation, une sorte d’extraversion dans le concept : on n’est pas soi-même lorsque l’on se perçoit pauvre. C’est que, la perception que l’on se fait de la pauvreté est souvent une projection de soi et de ses valeurs sur la réalité. Peut-il en être autrement ? Ne sommes-nous pas prisonniers de ce que nous sommes culturellement préparés à percevoir ? La pauvreté dont nous parlons n’est-elle pas souvent une « denrée mentale », une représentation liée aux regards et aux critères biaisés de rentabilité qui nous entraînent à voir les réalités quotidiennes en fonction de nous et de nos projections ? En conséquence, les pauvres, ceux qui motivent nos actions de développement, sont-ils réellement ceux que nous cherchons ou sont-ils en marge des groupes ciblés ? « Langage en folie » ou identité extravertie que ce mot de « pauvreté » » ! Comme le suggère un proverbe : « Tu es pauvre parce que tu regardes ce que tu n’as pas. Vois ce que tu es, et tu te découvriras étonnamment riche ». Ce qu’on appelle « pauvreté » est souvent l’expression d’une projection à partir de ceux qui sont perçus comme riches. Est pauvre celui qui se voit au miroir de ceux qui ont plus que lui et celui qui ignore ce qu’il est, sa richesse humaine. Pour évaluer la pauvreté, l’on se sert alors de critères extérieurs et de modèles étrange(r)s appartenant à ceux qui dominent. 

Pourquoi estime t-on que la lutte contre la pauvreté est la priorité du « développement » ? Pourquoi pense t-on qu’il est urgent et nécessaire de lutter contre la pauvreté pour hâter le processus du « développement », censé favoriser la prospérité ? Comment se situer dans les multiples débats qui, depuis les années 50-60, tentent de résoudre les problèmes que pose la pauvreté de la majorité des pays (le Sud) face à l’opulence de la minorité (le Nord) ? Quelles interpellations la pauvreté lance t-elle à l’endroit d’un clergé, qui est, souvent loin de vivre les réalités de dénuement des chrétiens de base ? Quelles réflexions pour une pastorale mieux en phase avec la « question sociale », qui se réduit aujourd’hui à l’épineux problème de la pauvreté ? Dans un Sénégal, marqué par une « économie de la disette » et par des pénuries de toutes sortes, que signifie être pauvre ? Que cachent et que révèlent les approches sur la « pauvreté » ? 

Telles sont quelques-unes des interrogations auxquelles nous chercherons à répondre. Nous n’avons pas l’ambition d’ajouter une théorie supplémentaire à toutes celles qui ont été formulées jusqu’ici. Il s’agit de mettre en question l’évidence qui entoure les notions de « pauvreté » et de « développement », censées emporter l’adhésion et dont on a sans doute oublié qu’elles sont des « constructions sociales », qu’elles prennent sens à l’intérieur d’une histoire et d’une culture occidentales particulières. Dès lors, quel sens cela a t-il pour nous de répéter les discours sur la « pauvreté » et le « développement » ? 

Il n’est pas possible de discuter l’une après l’autre les multiples théories qui ont alimenté le débat sur la « pauvreté » et le « développement ». Il s’agit d’identifier les grandes approches et de les soumettre à une interrogation épistémologique et théorique. La perspective développée est d’emblée critique. Il convient d’entendre le terme « critique » dans son sens kantien de « libre et public examen » et non dans le sens ordinaire de « jugement défavorable ». Entre les deux acceptions, la différence est considérable. Rien n’est gagné d’avance quand il s’agit de « pauvreté » et de « développement ». Les définitions que l’on donne de ces deux phénomènes changent selon l’a priori implicite qui tient lieu d’origine à la réflexion et de contexte d’usage du langage utilisé. C’est pourquoi, la méfiance épistémologique est de mise pour « ne pas céder aux appréciations toutes faites qui relèvent de présupposés de la pensée ordinaire et qui obligent à tenir pour acquis que le « développement » existe, qu’il fait l’objet d’une définition univoque, qu’il a une valeur positive et qu’il est souhaitable, voire nécessaire » [1]. 

De plus, les concepts de « pauvreté » et de « développement » sont tellement envahissants, mêlés qu’ils sont à toutes les sauces, qu’ils finissent par ne plus être très rassurants. Ils brillent de mille feux et embrasent les esprits, sans que l’on sache quels sont les tenants et aboutissants des « plans de développement » et des « stratégies de réduction de la pauvreté ». Par rapport à eux, fonctionnent des mythes mobilisateurs qui, à tout prendre, ne disent pas grand chose et apparaissent inefficaces, tant les réalités sociales qu’ils prétendent changer leur résistent. Ainsi, par exemple, l’expression « lutte contre la pauvreté » ne dit pas plus que ce que Valentin-Yves Mudimbe a appelé un « même inoffensif ». Des décennies de « lutte contre la pauvreté » n’ont pas réduit substantiellement le mal : « plus on va, plus c’est la même chose, si ce n’est pas pire ». 

Franchement, le thème de la « lutte contre la pauvreté », loin de m’enthousiasmer, provoque en moi une impression de malaise. Non point parce que je suis désenchanté, mais sceptique quant au sens du discours « développementaliste » qu’il porte. Les « mots pour le dire » sont comme des nœuds d’obscurité et comme des mythes qui répandent des « certitudes » là où ce n’est pas le lieu. C’est pourquoi, l’étude ici veut éviter l’amalgame, la confusion des niveaux de discours et vaincre le « sentiment […] de s’enfoncer dans le brouillard, derrière l’écran d’un langage dont on sera le jouet [parce que prisonnier d’un univers verbal] dont les paroles proliférantes et oiseuses seront l’envers d’un silence significatif et forcé sur les questions qui nous assiègent et qui sont relatives à la survie et à la dignité quotidienne, aux décisions ou aux incuries qui engagent l’existence du grand nombre, au danger de dégradation collective » [2]. 

Il s’agit donc de mettre les choses à l’endroit, de restituer aux mots leur sens : quand je dis « pauvreté », qu’est-ce que je dis et qu’est-ce que je ne dis pas ? Cette préoccupation anime les trois (3) parties qui composent ce travail : 1)- dans une première partie, intitulée « mots et maux de la pauvreté », nous passons en revue quelques approches de la pauvreté –les approches économique et socio-politique- qui tentent, chacune à sa manière, de définir le concept de « pauvreté ». L’entreprise menée ne se contente pas de recenser des définitions, mais a l’ambition de « problématiser » la question sociale, de montrer les impasses et/ou fécondités des différentes perspectives ; 2)- dans une seconde partie, intitulée « les pièges de la lutte contre la pauvreté et du développement », nous nous intéressons à l’imaginaire mythique dont sont chargés les discours ; 3)- dans une troisième partie, intitulée « Prêtres, la pauvreté vous interroge... », l’effort déployé consiste à réfléchir sur la relation pauvreté et pastorale. Plus précisément, il est question, à partir de quelques interpellations, de réentendre la voix de l’Eglise, parlant de « développement intégral », et de proposer quelques principes d’une pastorale en phase avec « le monde de ce temps ». 



[1]   Gilbert RIST, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, p. 12.

[2]   Fabien EBOUSSI BOULAGA, A contretemps. L’enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1991, p. 43.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 29 avril 2008 18:24
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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