Antoine TINE
“ALLÉGEANCES POLITIQUES ET LÉGITIMATION
DÉMOCRATIQUE. Éléments pour une théorie de la pluralisation
des identifications partisanes au Sénégal.” *
Un article publié dans la revue POLIS.Revue camerounaise de science politique, vol. 7, numéro spécial, 1999-2000, pp. 139-168.
- Introduction
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- I. PLURALISME ET IDENTITES PARTISANES.
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- II. STRATÉGIQUE ALLEGEANCE...
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- 1. C’est quoi le primordial ?
- 2. L’allégeance ambiguë : entre territorialisation et dé-territorialisation.
- 3. Notes sur la « banalité » du clientélisme.
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- Références bibliographiques
Introduction
- « Il n’y a pas d’identité naturelle qui s’imposerait à nous par la force des choses. (...). Et le terme d’ “identité primordiale”, couramment utilisée par les anthropologues ou les politologues, est tout aussi malheureux. Il n’y a que des stratégies identitaires, rationnellement conduites par des acteurs identifiables (...) et des rêves ou des cauchemars identitaires auxquels nous adhérons parce qu’ils nous enchantent ou nous terrorisent ».
- (Jean-François BAYART, L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996, p. 10)
La question de l’allégeance politique est cruciale pour repérer dans une société donnée les modes d'identification et les usages de l’autorité. Nous sommes là au coeur de la théorie ou de la philosophie politique, dont la préoccupation principale est d’analyser comment se combine au sein d’une collectivité le commandement et l’obéissance ou la capacité du pouvoir à créer du consentement et/ou de l’obligation politique. Pour qu’il y ait politique en effet, il faut que s’affirme un pouvoir qui réalise l’ordre ou l’unité et impose sa domination, que celle-ci soit acceptée ou subie [1]. C’est ce que pensait Hobbes, dans le Léviathan [2]. Selon lui le contrat social implique que le souverain, en vertu de son autorité, puisse exiger l’obéissance. Mais, pense t-il, ce n’est pas toujours le souverain qui possède l’autorité. Le souverain qui ne peut protéger, qui menace la vie des citoyens qu’il représente, ne peut et ne doit imposer l’obéissance. L’allégeance politique requiert la légitimité du pouvoir : « Obligo ergo protego » et vice versa. L’allégeance ne définit pas un statut. C’est une attitude, un sentiment ou un lien de loyauté par rapport à une autorité ou un pouvoir politique. La relation qu’elle tisse ainsi est fondamentale ; elle donne de la légitimité au pouvoir politique en produisant du consentement.
Mais, le politique ne se consomme pas uniquement dans cette dimension verticale, qu’on peut appeler principe de souveraineté ou comme Olivier BEAUD « puissance de l'État » [3]. Il y a aussi la relation horizontale du vivre ensemble, dont l’allégeance, qu’elle soit de « convenance » ou de « conviction » [4], est précisément la condition de possibilité et la charpente. L’adhésion qui vient du sentiment d’allégeance ne requiert pas la ressemblance entre le citoyen et l’État. En effet, elle n’implique pas une appartenance à une « communauté ethnique » : dans un État, les citoyens ne sont pas rassemblés dans un territoire, sous un pouvoir souverain, parce qu’ils se ressemblent et se choisissent.
Comment préserver, en effet, un ordre politique si des volontés ne consentent à se soumettre à des obligations ou alors ne se trouvent pas coincées dans des règles du jeu qu’elles ont elles- mêmes contribué à produire par le biais de leurs interactions ? Le problème du politique ne consisterait-il pas à chercher à savoir comment composer le hiérarchique et le consensuel de manière à fabriquer de l’unité dans la pluralité des opinions, des convictions et des perspectives de vie. Difficile tâche... En tout cas, pour que des individus d’une société puissent vivre ensemble, il importe qu’ils s’identifient à des répertoires de valeurs, à des codes, à des procédures, à des significations, fussent-elles imaginaires. Comme l’écrit Cornélius Castoriadis : « ce qui tient une société ensemble c’est le tenir ensemble de son monde de significations » [5]
Cependant, tout être ensemble est fragile, fragmentaire, lacunaire et problématique. Ainsi donc l’allégeance n’est pas une identité figée. Il y a sans cesse des compositions et recompositions d’allégeances, de multiples stratégies d’identification politique, au gré de ce qui est vécu comme (é) preuve de légitimation ou perçu comme telle.
Dans un régime de démocratie pluraliste, les partis politiques peuvent être considérés comme des instruments de cette formation des identités politiques et d’expression des positions conflictuelles qui traversent la société. Cette fonction contraint les partis à engager vis-à-vis de leurs électeurs réels et putatifs un véritable travail de légitimation. Il y va de leur crédibilité, c’est-à-dire de leur capacité à représenter des groupes de citoyens et de désigner des individus aptes à compétir pour « la conquête de trophées politiques » [6].
Comment se présente au Sénégal cette dialectique dynamique allégeance / légitimité dans le contexte d’une histoire de démocratisation et d'un déficit du crédit du politique [7] ? Quelles conceptions de l’identité et de la différence transparaissent à travers les pratiques de « ralliement » et les tactiques d’« encadrement » ? Que signifie au fond être terrritorialisé au Sénégal ?
Il nous sera loisible d’examiner ici la problématique des allégeances partisanes en lien avec celle de la légitimité démocratique. Nous verrons que la formation des identités politiques obéit au principe du pluralisme, qu’elle se réalise à travers de multiples clivages et réseaux nationaux ou transnationaux, se situant ainsi dans une sorte d’entre-deux : elle est à la fois reconnaissance de la territorialisation de la souveraineté étatique et dé- territorialisation ou contestation d’une conscience nationale. En d’autres termes, le processus d’identification politique, censé soumettre l’individu à un pouvoir impérial [8], est bien complexe. En tout cas, il n’est pas réductible à une simple homogénéisation des identités, car il y a toujours dans l’individu-citoyen [9] un je-ne-sais-quoi de besoin de déborder les frontières rigides d’un « État absolutiste » [10]. En démocratie, l’individu, même quand il accorde sa loyauté à une autorité politique, demeure toujours libre de la retirer au profit d’une autre. De toute façon, l’adhésion à un parti politique n’échappe point à l’ambiguïté et à la fragilité de ce qui se construit dans le temps et l’espace : bien prétentieux qui peut prédire que ce qui est valable ici et aujourd’hui le sera demain d’ans d’autres circonstances ! Youssou Ndour, dans une de ces chansons célèbres, a raison de répéter que « ces temps-ci et ces temps-là (de nos ancêtres) sont différents ». Et d’ailleurs, les loyautés politiques ne sont-elles pas variées, éclatées à l’image de l’individu lui-même ? L’allégeance partisane, celle qui est une fabrique sociale de la légitimité démocratique, ne saurait être un consensus forcé ou du ressort d’une « théologie politique » de la soumission absolue à une souveraineté absolue [11]. Il ne faut pas comprendre le mouvement de formation des identités partisanes dans une vision par trop dogmatique et passive de l’obéissance.
I- PLURALISME ET IDENTITÉS PARTISANES.
L’analyse des partis politiques considère l’action politique, non pas du point de vue singulier de l’individu, mais du point de vue de l’interaction des groupes en concurrence politique, c’est-à-dire en « lutte pour le principe légitime de légitimation et, inséparablement, pour le mode de reproduction légitime des fondements de la domination » [12]. Il s’agit donc d’observer et d’analyser les dynamiques et les contraintes du « champ politique » au sens que Bourdieu donne à cette expression, c’est-à-dire l’espace-temps de la compétition politique, électorale en particulier et d’énonciation des règles du jeu politique [13]. Pourtant, nous ne nous limitons pas à une analyse systémique [14] du politique, au point de reléguer aux oubliettes la place de l’action d’acteurs individuels dans la formation des problématiques politiques. Embrassant l’individuel (ou la multiplicité des acteurs politiques) et le collectif (ou l’unité que représente le système des partis), nous cherchons à examiner le processus pluriel de formation des identités partisanes, c’est-à-dire comment se façonnent les allégeances partisanes.
C’est que les partis politiques sont, dans une société traversée par des clivages multiples, des lieux de réactivation des appartenances plurielles des individus - religieuse, familiale, tribale, parentale, professionnelle, sexuelle- et d’instrumentalisation de ressources diverses pour conquérir ou renouveler la légitimité sociale. Les partis- chaque parti- revendiquent le droit de représenter les citoyens d’un État et celui de sélectionner les dirigeants, aptes à briguer des postes politiques. Pour ce faire, ils utilisent différentes « stratégies de légitimation », qui s’appuient sur des relations clientélaires et de multiples mobilisations concrètes de symboles adaptés à leurs militants. Selon Jacques LAGROYE, les légitimités sont variées. Il distingue deux modalités de légitimation [15] : 1)- la légitimation du droit à représenter les citoyens et 2)- la légitimation à sélectionner les dirigeants politiques. D’un côté, les partis revendiquent, chacun pour sa part, le monopole de la représentation politique légitime et se placent sous le jugement des électeurs, seul en mesure de leur reconnaître, par la voix des urnes, la qualité de représentants. D’un autre côté, il s’agit de prétentions des élites partisanes, qui se présentent elles-mêmes comme aptes à gouverner en vertus de leurs qualités politiques ou morales, de leurs compétences professionnelles, de leurs propriétés sociales et de leurs ressources. Les partis politiques se disent des « partis de modernisation » ou des « partis exprimant et réalisant la volonté d’élites modernistes » [16].
Il serait sans doute intéressant de souligner ce que signifie, du point de vue de la portée de la représentation politique, l’affrontement de ces deux modèles contradictoires (et non contraires) de légitimation. Deux propositions peuvent être avancées : d’une part, la prétention briguer des mandats politiques ne saurait en lui-même tenir lieu de critère suffisant de légitimité démocratique. Il peut, tout au plus, être considéré comme principe et motif qui fonde une allégeance partisane, c’est-à-dire ce qui pousse des citoyens à se réclamer de tel ou tel parti. D’autre part, la légitimation la plus déterminante est celle qui est donnée par le travail des urnes, celle qui reconnaît à un parti le droit de représenter des citoyens. C’est cette légitimité des représentants qui établit la « vérité » des prétentions dont se prévalent les partis, quand ils sont engagés dans des stratégies de compétition électorale. L’accès à des fonctions de représentation politique constitue pour chaque organisation politique un gage de légitimité démocratique, une reconnaissance de sa valeur.
En définitive, les deux modalités de légitimation sont certes contradictoires : la première est d’ordre « objectif » et a pour auteurs les citoyens ; la seconde est d’ordre « subjectif » et a pour auteurs les partis eux-mêmes. Toutefois, elles se complètent, car il est difficile de concevoir le succès aux élections sans la prégnance des prétentions et la qualité des ressources que mobilisent les membres d’une organisation politique. Par ailleurs, le poids de la représentativité politique donne un supplément de légitimation aux hommes qui appartiennent à un parti politique : « (...) les élus peuvent se prévaloir de leur propre légitimité de « représentants du peuple », légitimité dont ils font bénéficier leur organisation s’ils tirent inversement parti de la légitimité de celle-ci : la légitimation des partis n’est pas dissociable de celle des représentants qui se réclament d’eux ; et pas davantage de celle de leurs dirigeants. » [17]
Prenons garde cependant de fétichiser la légitimation électorale des représentants. L’élection ne suffit pas à garantir la légitimité démocratique d’un pouvoir politique. Elle en est le principe et la promesse. Une fois cela acquis, il reste à vérifier que l’exercice du pouvoir corrobore ce qui le fonde, en l’occurrence qu’il est porteur d’efficacité, de stabilité politiques et qu’il emporte le consentement des citoyens dans leur grande majorité. Dans un régime multipartisan, il est capital que la représentation parlementaire soit le signe d’une légitimité des partis, car « l’injustice dans la représentation menace la stabilité du système politique » [18].
Pour utiliser la terminologie d’Isaiah Berlin, nous pouvons penser que la sanction électorale donne une « légitimité de principe ». C’est l’adoption de règles et la mise en oeuvre de procédures favorisant le pluralisme et la participation effective des citoyens qui confère aux représentants une « légitimité d’exercice ». Le vote n’est donc pas un sceau définitif et indélébile de légitimité démocratique. Du reste, quand les gens votent, ils ne le font pas nécessairement parce qu’ils croient que le programme qu’on leur présente est le meilleur ou que les candidats qui demandent leurs suffrages les convainquent par leurs idées. De plus en plus aujourd’hui, le vote - manifestation routinière du suffrage universel- est l’expression d’une mélancolie et d’un dégoût face à la situation actuelle. D’où l’abstentionnisme massif qui entoure cet acte. D’année en année, le vote mobilise très peu la population, parce qu’il n’est pas transparent et qu’il ne traduit pas l’aspiration au changement social. Quand le vote ne répond pas aux appels de pluralisme de la société et qu’il trahit les espérances du vécu des citoyens, il y a lieu de se poser des questions. Certes, l’issue des urnes n’est pas la traduction automatique des aspirations citoyennes - encore qu’il est difficile de les mesurer ou de les quantifier- ni le reflet du vécu social. Cependant, quand les élections sont régulièrement sujettes à caution, comme au Sénégal, on ne peut pas manquer de s’interroger sur sa sincérité et de douter de sa puissance légitimatrice : et si l’élection était le signe d’un vide de légitimité [19] ?
D’ailleurs, ne faut-il pas renoncer à concevoir la légitimité d’une façon homogène et en dehors de la multiplicité des allégeances partisanes ? On peut faire l’hypothèse qu’il y a des légitimités plurielles et que la légitimité d’une organisation politique est fonction des effets de positions des individus dans le champ politique, de l’efficacité des relations clientélaires que ceux-ci entretiennent, de leur degré de représentativité sociale, c’est-à-dire leur capacité de mobiliser les forces sociales. L’allégeance partisane est fonction de la présomption de compétence sociale et politique dont bénéficie les élites d’un parti, c’est-à-dire de la relation de confiance (« trust ») qui existe entre les dirigeants et les militants, voire tous les électeurs potentiels.
La légitimité démocratique des représentants d’un parti est variable. Elle est soumise au changement, à la contingence de la compétition politique et des allégeances partisanes. C’est que, en régime démocratique, la conquête du crédit politique ne repose pas ni sur une uniformisation des pratiques, des croyances ni sur des arguments d’autorité, du type de ceux qui ont cours dans le monopartisme : de gré ou de force, tout le monde est tenu d’appartenir au parti unique ! Dans la perspective de la variété des processus d’identification partisane, il est illusoire de penser l’allégeance partisane d’une façon homogène et intemporelle. En fait, il faut tenir compte de deux facteurs :
1)- l’alchimie des circonstances de temps, de lieu et de personne. La légitimité accordée à une organisation politique est circonstancielle, contingente et mobile, car elle est tributaire des choix, préférences du moment et des conjectures historiques. En effet, elle suit, selon une conception de Machiavel, les vents de la « fortuna » et de la « virtù » [20]. Voilà pourquoi les allégeances politiques sont réversibles. Les mutations dans le cham politique sénégalais le montrent à suffisance : ce qui est désigné sous le nom de « transhumance politique » n’est-il pas l’indice que le politique est polymorphe et que l’allégeance accordée à un groupe politique obéit à une « morale du provisoire » ; elle est propice aux variations de l’histoire, au jeu complexe des opportunités et se transforme sous « l’aiguillon de la nécessité » du moment favorable. C’est que l’allégeance politique est une ruse, une tactique de positionnement. Aussi convient-il d’être souple dans l’analyse de la formation des identités politiques.
En outre, la légitimité est corrélée à l’allégeance partisane d’un individu, c’est-à-dire à l’ensemble des liens ou relations - clientélaire, idéologique, primordiale - qui l’identifient au sein de la scène politique. Le choix de soutenir un groupe politique dépend de la capacité de ce dernier à répondre, d’une façon efficace, aux besoins de ses adhérents. Souvent, ces besoins sont articulés sur la famille, de la vie privée, de l’économique. Les Grecs appelaient cette dimension l’« oikos » ; cet espace n’est pas à négliger pour comprendre le caractère opportuniste et dynamique des allégeances partisanes. La formation des allégeances partisanes n’est-elle pas l’espace et le temps d’un cerain « marchandage » politique, de compétition des partis politiques sur le « marché des biens électifs » [21]. De ce point de vue, l’« économique », comme sphère du privé, de la « maison » et pas seulement des échanges et de la production des richesses, est de toute importance, car il permet d’enraciner la légitimité politique dans les préoccupations quotidiennes. Des historiens ont bien montré que la légitmité politique résulte bien souvent de la valorisation de qualités « économiques » bien spécifiques, se rapportant à des formes de clientélisme, permettant d’investir des gains économiques au profit de « clients ». Paul VEYNE soutient ainsi que l’obligation du don ou l’évergétisme à Rome comme en Grèce tend à fonder la légitimité d’une race de notables et à « exclure ceux qui ne peuvent pas exhiber en toute occasion les mêmes qualités qu’eux » [22].
2)- le pluralisme des identités politiques. La légitimité n’est ni homogène ni irréversible. Elle suppose un consensus sur le pluralisme et l’existence de multiples processus concrets, où sont valorisés le débat démocratique et la compétition ouverte entre les prétendants aux postes politiques. N’est-ce pas ce que les Grecs désignaient sous le concept d’« agora », l’espace public-privé [23] où les individus peuvent se rencontrer pour échanger, discuter et former des entreprises et des associations. C’est cette exigence de pluralisme politique qui fonde ce qu’on appelle depuis le XVIII è siècle d’un terme qui prête souvent à confusion, la société civile. Le pluralisme démocratique ne saurait être réduite à l’apparition du multipartisme ni à la pratique d’élections compétitives ni à l’installation d’institutions représentatives comme l’Assemblée Nationale, le Sénat. Le pluralisme partisan est certes un indice nécessaire d’une volonté de pluralisme démocratique, mais il doit être relayé par des espaces-temps d’apprentissage de savoir-faire citoyens (l’acte de voter, l’éducation aux devoirs et droits du citoyen) et la croyance que la démocratie doit être l’unique règle du jeu politique. Les partis politiques comme les autres types d’agences politiques (associations, groupes d’intérêt, organisation de défense des droits de l’homme...) ont tous pour fonction de contribuer à former,chacun à sa manière, le citoyen. Il convient donc de se départir de la dichotomie simpliste entre parti politique et société civile. De même que les organisations dites de « société civile » n’ont pas l’apanage de l’indépendance, de même le parti politique ne saurait prétendre occuper tout le champ de construction des identités politiques, de la représentation démocratique et de participation au pouvoir.
En démocratie, une organisation totalitaire, qui réclamerait pour elle seule le monopole de la représentation, ne saurait être légitime. Il faut reconnaître que bien souvent les partis politiques, quels qu’ils soient, sont peu portés vers une défense radicale de cette exigence pluraliste. Si les partis n’ont pas gagné la légitimité dont se pare le pluralisme démocratique, c’est qu’ils apparaissent comme des organisations « disciplinaires », soucieuses de garantir l’ordre ou l’unité de la collectivité politique. On peut encore évoquer la fameuse thèse de Roberto Michels, connue sous le nom « la loi d’airain de l’oligarchie » [24]. Malgré les objections qu’on peut adresser contre la théorie de Michels, il est difficile de nier le caractère oligarchique et conservateur des partis politiques. En effet, ceux-ci, à mesure qu’ils croissent, se transforment très vite en « appareils idéologiques », en structures bureaucratiques. Ils se caractérisent alors par la volonté de réguler la compétition politique et de discipliner l’expression du pluralisme. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le pluralisme démocratique représente une difficulté face à la tentation hégémonique des partis politiques. Pourtant, c’est le pluralisme qui fonde l’être partisan. Mais, l’institutionnalisation partisane du pluralisme tend à figer les opinions et à réduire la portée du « fait du pluralisme ». Le pluralisme démocratique dépasse la configuration partisane et n’est équivalent à la simple arithmétique des partis politiques : « (...) tantôt analysé comme instrument de division d’un politique unifié, tantôt compris comme négation de la pluralité du politique, le parti est dans tous les cas placé aux origines d’une question qui pourtant le dépasse. Il est l’impensé de la démocratie parce que le pluralisme lui-même est l’impensé du politique » [25].
Contradictoire l’articulation entre pluralisme et identités partisanes ? Si l’on voit la formation des allégeances partisanes comme un processus de rassemblement et d’intégration politique l’on comprend comment cette modalité contribue à réduire les frontières et les poussés d’un pluralisme agonistique. Il faut prendre garde d’exagérer cette contradiction ou s’en offusquer, pour faire du système des partis un lieu de dénégation du pluralisme. N’est-il pas plus juste de considérer que cette contradiction, plutôt que d’être négation absolue du pluralisme, est constitutive du politique. La contradiction réside en ce que le politique demeure tendu entre deux exigences, l’unité et la pluralité, l’identité et la différence, le plein et le vide. De là le paradoxe du politique. Le pluralisme suppose l’exercice de la libre concurrence des idées et des représentation, pouvant mener au « polythéisme » [26] des choix, des valeurs et des identités partisanes. L’idée du pluralisme se présente comme un fondement de la démocratie. Pourtant, au même moment elle affirme que rien n’est fondamental. Elle se pose en s’opposant à elle-même. L’argument du pluralisme, l’absence du fondement, peut-il être appliqué à l’idée même du pluralisme ? Le pluralisme ne serait-il pas, en son principe, auto-contradictoire ou en tout cas ambigu ? N’absolutisons pas cette question de logique philosophique : le pluralisme accepte le principe de contradiction. Il est vrai que le pluralisme est non seulement en butte à toutes sortes de fondamentalismes, mais peut lui-même devenir un fondamentalisme. Le pluralisme et la recherche du fondement de l’action appartiennent à la même matrice [27]. Ce qui est rejeté à travers l’exigence de la pluralité, ce n’est pas l’idée du fondement en soi, mais une certaine dogmatisation du fondement, qui consisterait à dire qu’il y a un seul principe du croire et du savoir, comme dans « l’État théologien » que dénonce à juste titre Achille MBEMBE [28].
Pour une vue plus modérée, nous proposons d’articuler la recherche du pluralisme à l’existence de pôles de consensus politique, signes de réussite de procédures de légitimation et d’adoption de règles publiques d’action. Une société politique ne peut se réaliser dans la confusion chaotique des identités partisanes. La reconnaissance de la pluralité des allégeances partisanes n’est pas une absolutisation outrancière des différences politiques. Un pluralisme non régulé peut exposer la société au syndrome de Babel ou à un individualisme atomistique.
Voici quelques repères théoriques pour penser la dialectique allégeance-légitimité démocratique. Cette esquisse conceptuelle a permis de montrer que les identifications partisanes, loin d’être figées et homogènes, sont plurielles et sont au coeur du « travail de légitimation ». Il nous sera loisible d’approfondir l’étude de cette problématique en examinant de plus près ce que l’on appelle le “primordialisme” et le clientélisme, que nous pouvons considérer comme deux modalités de formation et d’entretien des allégeances politiques. Du reste, l’allégeance, fût-elle primordiale, ne relève t-elle pas plus d’une stratégie d’identification que d’une appartenance naturelle ?
II- STRATÉGIQUE ALLÉGEANCE...
1- C’est quoi le primordial ?
Le terme “primordial” est dû à Edward SHILLS [29] qui, dès 1957, l’utilise pour poser sa thèse sur l’importance des groupes primaires dans l’intégration et la reproduction de la société globale. Pour Shills, ce qui guide l’homme ordinaire dans ses conduites quotidiennes ce n’est ni une idéologie abstraite ni une vision cohérente du monde, mais son implication dans des liens personnels dits “primordiaux”. Ces attachements sont caractérisés par l’intensité de la solidarité qu’il suscitent par leur force coercitive, par les émotions et le sentiment du sacré qui leur sont associés.
Si la paternité du lexique revient à Shills, c’est néanmoins à KALLEN qu’il faut se référer pour la théorisation du phénomène primordial. Celui-ci, dans un essai sur le pluralisme culturel en 1915, faisait de la ressemblance intrinsèque entre individus partageant un héritage culturel commun (même s’ils ne l’ont pas choisi), la source d’attachements primaires et fondamentaux. Ces attachements tissent des relations d’appartenance et/ou de solidarité fondés sur des critères comme la race, l’ethnicité, la religion, la nationalité, la parenté, la langue, la région, le “gender”, la sexualité... Le primordialisme postule une spécificité de ces modes identitaires, notamment le caractère ineffable, évident, irrationnel et profondément ressenti des sentiments qu’ils inspirent.
Aujourd’hui, l’un des auteurs les plus pertinents de cette théorie primordialiste, c’est Clifford GEERTZ [30]. Il postule l’existence des liens primordiaux comme des identités culturelles dérivant de sentiments d’affinité naturelle plus que de l'interaction sociale. Ces relations font appel à des modes de loyauté concurrentiels à la loyauté civique, qui est une construction historique.
Notons que DURKHEIM voyait dans la solidarité des liens primordiaux la base de la formation du lien social. Ce qui crée selon lui la solidarité, ce n’est pas la coopération, mais « des forces impulsives comme l’affinité du sang, l’attachement à un même sol, le culte des ancêtres, la communauté des habitudes » [31]. Ce disant, Durkheim fondait le lien politique à partir de la société et non à partir de l’individu.
De nos jours, le primordialisme est considéré comme une théorie anthropologique controversée. La critique de ses thèses apparaît nécessaire pour une reconceptualisation des notions d’ethnicité [32], d’identité, de nationalisme et donc une nouvelle problématisation de la question de l’allégeance politique. Plusieurs objections peuvent être formulées contre la théorie primordialiste :
1)- Le primordialisme néglige le politique. Il fait comme si les identités primaires et les solidarités ethniques étaient homogènes et des variables explicatives indépendantes ou autosuffisantes. Or, celles-ci sont mixtes. Elles ne sont pas, non plus, des propriétés essentielles transmises dans et par un groupe, en dehors des dynamiques internes et externes du jeu politiques, c’est-à-dire par exemple les luttes de pouvoir, d’influence et les relations avec les autres - amis ou ennemis [33] - les “out-groups”. Peut-on véritablement établir que les attachements primordiaux sont des substances spécifiques et innées ? Ne sont-ils pas des construits sociaux, produits de l’environnement historique, économique et politique dans lequel évoluent les individus et les groupes ?
2) Le postulat primordialiste définit l’ethnicité en termes de traits primordiaux qui, à leur tour, sont utilisés pour “expliquer” l’ethnicité comme lien primordial. Ce disant, la spécificité postulée n’est pas clarifiée, puisque le même est expliqué par le même. Il y a donc tautologie. Dans leur ensemble, les théories primordialistes ne rendent pas compte de la « complexité sociale » [34], enfermant l’individu et le groupe qui s’en inspirent dans une sorte d’universalisme autarcique et figé du particulier culturel, ethnique, religieux, linguistique ou sexuel. Or, les identités individuelles et communautaires, même culturelles, ne sont ni a priori ni ineffables. Elles sont constamment en mutation, en situation de composition et de recomposition. Elles se font et se défont, évoluent, se transforment. Elles peuvent être, selon la théorie bourdieusienne, des « habitus » [35], c’est-à-dire des dispositions engendrées par la socialisation et l’expérience commune.
Cela étant, il est difficile de nier l’existence de tout lien primordial. L’ethnicité par exemple n’est ni une fiction idéologique ni une pathologie culturaliste. Cependant, il est illusoire de la figer dans des caractères intrinsèques ou de la substantialiser par un discours objectiviste, cherchant à en donner l’essence intemporelle ou le “quid proprium” permanent. Il me semble que les liens primordiaux sont des lieux de la “construction sociale de la réalité” et traduisent des manières d’identifications, relevant non de contraintes allant de soi, mais de choix stratégiques. L’allégeance, fût-elle primordiale, n’est pas acquise d’emblée ne varietur. Elle est le résultat d’une conduite rationnellement orientée par des acteurs, individuels ou communautaires, bien situés sur l’échiquier social, politique et économique d’un pays, occupant des territoires et des positions de pouvoir bien définis.
À titre d’exemple, il peut être observé que le vote au Sénégal se fait en partie selon le répertoire des allégeances primordiales de type ethnique, religieux, régional. Sans doute, convient-il d’éviter de privatiser ou de primordialiser à outrance le politique en le réduisant aux frontières d’une subjectivité identitaire. Néanmoins, comme le montre Christophe JAFFRELOT pour ce qui est de l’Inde, le ressort communautaire du vote n’est pas absence de rationalité politique ni déviance démocratique [36]. D’ailleurs, l’ethnicité n’est pas en soi un dysfonctionnement social. Il est pertinent, dans des sociétés où la donne ethnique est déterminante d’institutionnaliser politiquement cette “distinction” sociale. C’est là un moyen de reconnaître la vérité des clivages sociaux comme condition de possibilité des modes d’identifications politiques. Cependant, il n’y a pas forcément stricte adéquation entre réalités sociales et stratégies politiques. Celles-ci ne sont pas la simple répétition de celles-là. En tout cas, le primordial ethnique n’est pas un mal politique. Qu’il s’exprime, il n’y a là rien de suspect ni de diabolique. Là où le bât blesse, c’est quand l’ethnicité devient un critère unique et tyrannique de discrimination, d’allégeance et d’exclusion. Elle devient alors “espace de racisme” [37] et de xénophobie.
Tel n’est pas le cas au Sénégal, parce que l’identification ethnique n’y est pas une variable déterminante des choix politiques [38]. Il y a une relative harmonie ethnique, résultat d’un grand travail d’intégration nationale. Cependant, une observation attentive du champ politique sénégalais montre qu’il y a régulièrement des revendications identitaires de type ethnique et/ ou religieux. La rébellion casamançaise en est un exemple. Le compromis national sénégalais n’est pas définitif. Il n’est pas irréversible. L’identité politique sénégalaise se dit de plusieurs manières, car il n’y a pas de référent unique. Du reste, n’assiste - on pas aujourd’hui à une crise du nationalisme sénégalais et du rapport au pouvoir politique ? C’est dans ce contexte critique qu’il convient de poser le problème de l’allégeance politique au Sénégal, dans un Sénégal en quête de plus de démocratie. Le rapport du Sénégalais au politique est ambigu et se joue dans une sorte de « dialectique du oui et du non », sur fond d’une crise des repères, des valeurs et des terroirs qui portent les allégeances politiques et sociales.
2- L’allégeance ambiguë : entre territorialisation
et dé-territorialisation.
Aujourd’hui, devant la dégradation dramatique de leurs conditions de vie et les fréquentes supercheries du jeu électoral, beaucoup de Sénégalais en viennent à panser que leur pays est en régression démocratique. Les fabrications idéologiques qui ont accompagné le processus de légitimation de la démocratie sénégalaise se révèlent de moins en efficaces. Il y a aujourd’hui un sentiment de frustration politique et d’une démocratisation confisquée. De plus en plus, l’on assiste aujourd’hui à une remise en cause de la fiabilité des institutions et de la porosité du système politique : le « contrat social sénégalais » [39] est brisé. Il apparaît aujourd’hui que la démocratie sénégalaise participe en partie à une logique d’affabulation et de simulacre [40], car elle ne donne lieu ni à des élections régulières ni, encore moins, à la possibilité d’une alternance démocratique. En conséquence, la politique manque de crédit, souffre d’un déficit symbolique, balançant sans cesse entre le flou et l’instable, l’ordre et le désordre, l’aléatoire et le contradictoire.
Dans ce temps de « désenchantement de la liberté » et de scepticisme généralisé, que signifie faire allégeance au pouvoir politique ? Quel rapport au politique, à la territorialité politique, que matérialise et / ou représente l’obéissance à l’autorité souveraine d’un État ?
Il est question de ruse dans la construction et la mobilisation des allégeances politiques. En ces temps de déception, l’engagement politique revêt ,des formes plus subtiles et les allégeances qui s’expriment sont parfois plus de “convenance” que de “conviction”. D’où son ambiguïté : ici le ralliement à une cause partisane n’est pas nécessairement une preuve de légitimation ni un chèque en blanc accordé aux hommes politiques leur permettant d’agir à leur guise. Désormais, la coexistence sociale demeure incertaine, poreuse et marquée par un polythéisme de postures et de stratégies identitaires. S’il y a encore allégeance, celle-ci est plus le signe d’une fonction hégémonique de l'État que l’économie d’un devoir de loyauté envers les classes dirigeantes. On peut penser que la production de l’allégeance politique conjugue deux effets contraires (et non contradictoires) : 1)- la territorialisation ; 2)- la dé-territorialisation.
Qu’est-ce au juste territorialiser ? C’est à la fois occuper une terre nourricière (« terra ») et exercer une violence (« terrere »), celle de l’État, dont Max Weber dit qu’il a le « monopole de la violence physique légitime » [41] . Faire donc allégeance politique, c’est donc appartenir à un territoire, se sentir solidaire d’une population soumise à l’autorité d’un pouvoir qui détient le principe de souveraineté. Faire allégeance à un pouvoir politique implique de recevoir de lui la subsistance matérielle, la sécurité physique et l’obligation politique (devoirs civiques). C’est tout cela la citoyenneté. L’avantage d’une telle identification - fût-elle précaire et instable - c’est de rompre le cercle de l’individualisme solipsiste et de favoriser l’émergence d’un ordre social et politique, « la constitution de la société » [42], dans laquelle peut s’exercer, comme le théorise Anthony GIDDENS, la « dualité du structurel », au sens où les règles et les ressources mobilisées par les acteurs sociaux dans la production et la reproduction de leurs actions sont en même temps les moyens de construction et de consolidation du système social concerné.
Néanmoins, être territorialisé ne suffit pas à identifier d’une façon définitive et totale, dans le temps et dans l’espace, un individu et/ou un groupe. Les limites de mon identité et de mon monde, pour paraphraser Wittgenstein, ne sont pas confinées aux frontières de mon territoire. Un individu est toujours au-delà de son masque social, de son personnage. Un groupe transcende toujours son “nous” collectif ou précisément il ne se perçoit comme telle que s’il sort de lui-même, face à un eux ou à une altérité. Bref, l’identité se dit au pluriel et les appartenances sont multiples. La pluralité des identités indique qu’il existe divers lieux et manières de territorialisation, allant des relations formelles dans des institutions à celles plus informelles du genre relations de sociabilité, d’amitié, de voisinage... Malgré les possibles dérives identitaires et fondamentalistes, il est périlleux se réduire l’allégeance politique à sa déclinaison nationaliste, au pôle unique d’une inscription définitive dans un État-nation. Il me semble plus judicieux d’essayer de saisir le jeu complexe des « engagements situationnels » d’un individu et/ou d’un groupe, la diversité des terroirs qu’il est amené à occuper. Prendre donc acte de la pluralisation de « l’imaginaire national » [43] et du fait territorial, c’est analyser la politique du point de vue des temps et contretemps de ses manifestations ou en fonction de la relativité spatio-temporelle qui la caractérise [44]. Ce faisant, on choisit de saisir la variété des trajectoires historiques corrélativement à la polysémie des allégeances politiques qu’impose les différentes stratégies identitaires, ce qui donne lieu à des conflits et à des luttes d’influence.
Au Sénégal, l’État n’a pratiquement jamais réussi à enrôler toute la société sous son drapeau. Même s’il s’est longtemps imposé comme le centre d’un réseau de relations personnelles et d’alliances, cet État fut dans l’ensemble inachevé ou à « polarisation variable », selon l’expression de Guy Nicolas. Ce manque d’intégralisme a rendu possibles les pratiques de dé-territorialisation, d’escapade et de remises en cause de l’autorité de l”État. Pour étayer ce propos, on peut se référer aux capacités sociales de se situer en dehors des obligations politiques que stipule l’État, en l’occurrence les mouvements de contestation et d’« indocilité » [45] qui travaillent, de temps à autre, la société sénégalaise et brisent les bases du consensus national. Ce sont les grèves des travailleurs, les émeutes urbaines post-électorales, les mobilisations des jeunes et les non moins importantes revendications paysannes ( « malaise paysan », refus de l’impôt...). Par ce biais, se forment d’autres espaces d’expressions de la différence où certains acteurs investissent le champ politique traditionnel, le subvertissent et en modifient la territorialité, parfois de manière non pas détournée mais ouvertement agressive. Des exemples en sont fournis par la rébellion casamançaise et les actions collectives du mouvement islamique des « Moustarchidines Wa Moustarchidat ». On peut citer ici aussi la résistance des espaces confrériques, du mouridisme surtout, à la domination étatique. Dans les capitales confrériques, à Touba notamment, des lois valables, comme le Code de famille de 1972, sur tout le territoire de la République peuvent être suspendues. L’Islam confrérique n’est pas un distributeur automatique d’allégeances par le biais des « ndiggël » maraboutiques. L’Islam joue parfois une fonction de « contre-pouvoir » et donc de déterritorialisation. Il a parfois la capacité de contester les pouvoirs publics, de renégocier le rapport d’allégeance du citoyen à l’État et de forcer l’État sénégalais à se pencher sur le malaise économique et social de la population. C’est ce que Christian Coulon appelle la « fonction tribunitienne » de l’Islam confrérique. Au fond, le « ndiggël » n’est-il pas, en partie, une condition, une stratégie dans la négociation d’un nouveaux rapports d’allégeance : « j’appelle à voter pour toi, à condition... » ou « si j’appelle à voter pour toi, tu es tenu d’être bienveillant à mon égard ». Pour parler comme Tullock, n’est-ce pas un « calculus of consent », un contrat utilitariste ?
Ajoutons à cela les contestations de la dominance du modèle islamo-wolof, qui représente sans doute un centre névralgique des logiques de politisation étatique et le « lieu imaginaire » de la réussite sociale. Les contestations prennent la forme de la revendication ethnique, qu’elle soit territoriale ou foncière comme au sein de la société diola ou linguistique comme dans le milieu des locuteurs du pulaar, dans les associations Haal pulaaren.
Ainsi donc, il est difficile à l’État sénégalais d’« homogénéiser l’espace d’une société politique nouvelle » [46]. Il y a une crise régulière de la « fonction démiurgique » de l’État, c’est-à-dire de l’idée selon laquelle c’est l’État qui crée la société et l’organise selon ses propres critères de territorialité. Le rapport des citoyens au pouvoir politique ne se décline pas toujours selon le schéma de l’allégeance légitimatrice ou de l'acquiescement contractualiste à la Hobbes, mais aussi de la liberté critique, de la remise en cause de l’autorité de l’État, de l’« exit option ». Il me semble d’ailleurs que cette faculté de « distanciation » n’est pas nécessairement incompatible avec des résidus de positionnement identitaire et même dans cette situation, les formes d’allégeance politique permettent de mieux contester de l’intérieur l’ordre établi comme Socrate - ce doux rebelle - obéissant aux lois injustes de la Cité athénienne pour les récuser, en souhaitant qu’elles changent [47]. On ne saurait donc affirmer péremptoirement que toute obéissance est acceptation des règles du jeu. On peut se trouver coincé dans l’ordre qu’on a soi-même contribué à fabriquer. Mais, en régime démocratique, il n’y a pas d’obéissance aveugle, aucune mystique de l’allégeance politique n’est tolérable. L’allégeance est une vigilance et contrôle. Et, la dé- territorialisation dont est porteuse l’affirmation d’une identification divergente ou dissidente est pouvoir d’un oui consentant à un minimum de sociabilité - au risque d’installer l’anarchie -, mais dans la force d’un non refusant l’arbitraire ou la domination abusive : « Sic et non » (Abélard)... L’allégeance politique, librement consentie (quelle difficile liberté !), assume dialectiquement un « ensemble de droits et de devoirs définis par les institutions » [48]. L’un des droits attachés au principe de la loyauté démocratique s’appelle précisément la capacité de désobéissance, de résistance à l’injuste et à l’arbitraire. Au fond, n’est-ce pas là la portée des sursauts de dé- territorialisation ?
Remarquons néanmoins que souvent les mouvements d’indiscipline et de désobéissance au Sénégal se déploient de façon fluide ou chaotique et ne concrétisent pas d’une manière durable une participation forte et constante à la réalité politique. Et alors, les liens qui se créent entre les partis politiques et les citoyens ne relèvent pas toujours des modèles allégeance - légitimation, obéissance - protection, mais du « linkage » [49] clientéliste, électoraliste et primordialiste. Le clientélisme est une modalité de construction de l’allégeance politique ou de politisation des rapports sociaux, par le truchement des liens de famille, d’alliance, d’amitié et des groupes d’intérêts. Vu sous ce rapport, le clientélisme n’est l’apanage d’aucune société politique. Elle peut revêtir différentes formes, mais il demeure un phénomène non seulement universel mais constituant dans la formation des identités partisanes.
3- Notes sur la « banalité » du clientélisme.
Souvent, la vie politique sénégalaise et africaine a été analysée à travers les catégories du factionnalisme et du clientélisme. Senghor parlait de la « sénégalité » pour stigmatiser les pratiques de la “politique politicienne”, celle des clans et du népotisme. Ici, le mot “clan” n’est pas prendre au sens de l’anthropologie sociale et culturelle. Le clan est une faction politique, qui opère à l’intérieur des institutions de l’État et des partis. Il existe avant tout pour promouvoir les intérêts de ses membres par le biais de la compétition politique, de l’accumulation des richesses et de la redistribution des prébendes. Donald Cruise O’Brien élève le clientélisme au rang de paradigme ; il parle de « clan politics » [50]. D’autres ont tenté de montrer avec talent et parfois avec une profusion anecdotique que la nature du clientélisme des États africains réside dans le « néo-patrimonialisme » [51] des élites politiques. Que dire alors de l’allégeance politique dans cette « configuration » [52] ? La réponse semble aisée : du moment que l’État contrôle les itinéraires d’accumulation des biens matériels et de la violence, le citoyen ne peut bien évoluer dans la sphère publique qu’en s’intégrant dans les réseaux de sociabilité et de cooptation. Une telle lecture a connu un raffinement épistémologique et méthodologique dès le début des années 80 autour de la revue “Politique africaine” et du « Groupe d’analyse des modes populaires d’action politique » avec l’approche de la « politique par le bas » [53]. L’un des auteurs les plus représentatifs de cette perspective, Jean-François Leguil BAYART émit la thèse que la « manière africaine de faire la politique » se résume en la « politique du ventre » [54]. Cette énonciation se voulait un nouveau paradigme, visant à appliquer à l’espace du politique africain le concept foucaldien de « gouvernementalité ».
Cette entreprise de théorisation a contribué, dans une large mesure, à renouveler les études africaines en élevant au rang de paradigme la « banalité », « l’historicité » des sociétés africaines et de relativiser les pratiques clientélaires en Afrique. Cela dit, n’est-il pas abusif de spécifier cette « banalité » en la corrélant à une africanité politique ? À vrai dire, même si Bayart ne tombe pas dans les pièges essentialiste et normatif, il sort de la précaution de relativité et ne tire pas jusqu’au bout les conclusions logiques et comparatives de cette banalisation du clientélisme politique. Pourtant, Bayart dit très bien que l’Afrique n’a pas le « monopole du ventre et de l’escapade » [55], mais alors pourquoi particularise t-il le paradigme du ventre ? Prendre acte de la « banalité » du politique, comme nous y invite Bayart, implique de relativiser le phénomène du clientélisme, non pas pour le décontextualiser, mais pour situer les manifestations africaines dans le jeu complexe et ambigu des complicités entre les États africains et leurs partenaires bilatéraux et multilatéraux du monde occidental. La banalité du phénomène serait ainsi son universalisation concrète, « humain trop humain », dirait Nietzsche. Il n’y a de « manière africaine de faire la politique ». C’est le contexte territorial et socio-historique qui diffère, mais non les principes ou présupposés de l’action politique. Cela étant, il ne me semble qu’on puisse soutenir que la politique soit pareille partout. Elle varie selon les circonstances de temps, de lieu, de personne, selon ce que Machiavel appelait la « fortuna ».
Mais par dessus tout, le ressort clientéliste de la politique n’est ni un sous-développement politique ni une pathologie ni une déviation démocratique. Il n'est pas un "résidu" d'un archaïsme culturel réfractaire à la modernité démocratique. Le “clan politics” peut être considéré comme une dimension démocratique de l’État sénégalais, dans la mesure où il permet aux notables locaux - marabouts par exemple - et à leurs clients de tirer quelque bénéfice de la compétition politique et d’affirmer leurs prérogatives face aux élites dirigeantes, qui ont tendance à tout accaparer. Le rapport de clientèle est un échange réciproque de services entre des individus de statuts sociaux inégaux (le "patron" et ses "clients"). Sous sa forme politique, il se traduit par une relation fondée sur l'échange de biens matériels ou symboliques et d'une protection contre un soutien électoral accordé à un notable par ses alliés. Tout compte fait, le clientélisme politique permet d’analyser la politique du point de vue de son ancrage social et signifie qu’un lien d’origine privée, familiale, ethnique, régionale, primordiale, peut générer un lien d’appartenance politique de nature civique et démocratique et en fournir les “cadres d’expérience” et la justification rationnelle. C’est ce que nous fait comprendre Jean-Louis BRIQUET à propos de la relation entre clientélisme et politique en Corse. Il écrit :
- « Si les réseaux de sociabilité modèlent les groupements politiques locaux, c’est que les solidarités qu’ils impliquent dans l’ordre du domestique tendent à se reproduire dans l’espace public. Si le vote répond à un service rendu, c’est que l’expression d’une opinion politique est perçue comme une réponse possible à l’obtention d’un bien matériel » [56].
Ainsi que nous pouvons le comprendre, le clientélisme est une modalité déterminante de socialisation politique et de fabrication d'allégeances politiques. Le rapport de clientèle peut se manifester soit dans les ruses de territorialisation étatique, soit dans les stratégies identitaires qu'expriment les liens de parenté ( respect, consanguinité, filiation, affection) ou travers l'amitié, le corporatisme professionnel ou académique, la religion. Au Sénégal, longtemps l'État s'est appuyé sur l'ethnie wolof et l'Islam, notamment dans le bassin arachidier, pour asseoir son hégémonie et obtenir le ralliement de la société. C'est cela que Mamadou Diouf appelle le « modèle islamo-wolof » [57]. Cependant, cette pratique d'encadrement tend à s'essouffler aujourd'hui. Elle ne réussit pas à maintenir à jamais sous tutelle définitive des marabouts et de l'État le monde rural - et encore moins l'espace urbain -. Tout de même, l'Islam demeure un « capital social » au sens de Robert Putnam, une ressource importante de domination politique et de gestion de l'allégeance.
RÉFÉRENCES
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* Ce texte est la version revue et corrigée d’un papier présenté lors d’un séminaire sur « Construction des allégeances politiques et démocratisation » à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, pendant l’année académique 1996-1997. Je remercie Mr Guy Hermet pour ses remarques à l’époque.
[1] Cf. Julien FREUND, L’essence du politique, Paris, Sirey, (1965), 1986.
[2] Thomas HOBBES, Le Léviathan. Traité de la matière et de la forme et du pouvoir de la république écclésiastique et civile, trad. de l’anglais par François Tricaud, Paris, Sirey, 1971. Le propos de Hobbes, dans cet ouvrage, est de conceptualiser le passage de l’état de nature à la société politique. Selon lui, à l’état de nature, c’est la « guerre de tous contre tous » : les hommes s’entre-déchirent. Pour obtenir la sécurité, ils doivent se déssaisir de leur instinct de mort, de leur égoîsme et soumettre leur volonté ainsi que leur jugement à un « pouvoir commun » qui les tient en respect. Les hommes délèguent toute leur force à un seul homme ou à une seule assemblée. Cette transaction qui fonde le contrat hobbesien renvoie à la légitimité du pouvoir politique d’un souverain absolu. Le Léviathan est une légitimation de la souveraineté absolue. Mais, le pouvoir du Souverain n’e doit pas être totalitaire. En effet, si l’autorité politique, au lieu de veiller sur la sécurité de ses sujets, menace la paix et accroît les risques de guerre, elle devient illégitime et peut être rejetéé. En ce moment, les liens de la communauté politique sont rompus. Voir Franck LESSAY, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, Paris, P.U.F., 1988. [Traduction française de cette œuvre par Philippe Folliot disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
[3] Olivier BEAUD, La puissance de l'État, Paris, P.U.F., 1994.
[4] Nous empruntons à Guy HERMET cette distinction. Cf. Les désenchantements de la liberté. La sortie des dictatures dans les années 90, Paris, Fayard, 1993.
[5] Cornélius CASTORIADIS, L’institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil, 1975, p.481.
[6] Luc SINDJOUN, « Elections et politiques au Cameroun : concurrence déloyale, coalitions de stabilité hégémonique et politique d’affection », in African Journal of Political Science, vol.2, n°1 (June 1997),p.104.
[7] N’assiste-on pas aujourd’hui à une défiance des Sénégalais à l’égard de la classe politique, doublée d’une crise du parlementarisme ? Il semble même que les députés, censés être des professionnels de la politique et des représentants de la nation, sont les premiers à jeter le discrédit sur l’engagement partisan. Laissant à part les nombreuses irrégularités lors des investitures électorales, qu’il nous suffise d’épingler ici le peu d’intérêt que les élus de la nation attachent au travail parlementaire. Pour exemple, la dernière session budgétaire 1998 a été marquée par un absentéisme record des députés : 20 députés en moyenne sur 120. Cf. Sud Quotidien, n° 1416 du 24/12/ 1997 et n°1419 du 29/12/1997.
[8] Voir dans cet ordre d’idées les théories sur la construction de l’État-nation (notamment les travaux de Samuel N. Eisenstadt, Traditon, Change and Modernity, New York, Wiley, 1973 et de Stein Rokkan) ainsi que celles sur le nationalisme : Benedict Anderson, Ernst Gellner,Anthony Smith. Cf Gilles DELANNOI et Pierre-André TAGUIEFF, dir., Théories du nationalisme, Paris, Kimé, 1991.
[9] Cf. Jean LECA, « Individualisme et citoyenneté », in Pierre BIRNBAUM et Jean LECA (sous la dir.), Sur l’individualisme. Théories et méthodes, Paris, Presses de Sciences Po, 1986.
[10] Cf Perry Anderson, L’État absolutiste (2vol.), Paris, Maspéro, 1978.
[11] Nous employons ici « théologie politique » au sens qu’il a chez Carl Schmitt,Théologie politique, 1922, 1969, trad. de l’allemand par J.-L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988. Chez le juriste allemand, ce concept est un concept de philosophie et de sociologie politiques. Ce qui intéresse Schmitt dans l’étude du domaine religieux, c’est de voir comment les concepts théologiques sont des métaphores politiques, c’est d’examiner la transposition du religieux au politique. Schmitt énonce la thèse suivante : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sontdes concepts théologiques sécularisés » (p.46 ; c’est nous qui mettons en gras). Voir aussi Ernst H. KANTOROWICZ, Les deux corps du roi, Paris, Gallimard, 1989 ; Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Paris, Gallimard, 1985.
[12] Pierre BOURDIEU, La noblesse d’État, Paris, Minuit, 1989, p. 376.
[13] Pierre BOURDIEU, « La représentation politique. Eléments pour une théorie du champ politique », in Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 36-37, février-mars 1981.
[14] Cf. David EASTON, Analyse du système politique, Paris, Armand Colin, 1974.
[15] Jacques LAGROYE, Sociologie politique, (3è édition revue et mise à jour), Paris, Presse de Sciences Po et Dalloz, 1997, p. 224 et sqq.
[16] J. LAGROYE, Ibid., p.225. Cf. David APTER, The Politics of Modernization, Chicago, The University of Chicago Press, 1965 ; Pour l’État contre l’État, Paris, Economica, 1988.
[17] J. LAGROYE, Ibid., p.227. Les italiques sont de l’auteur.
[18] Manfred J. HOLLER, ed., The Logic of Multiparty Systems, Dordrecht, Boston, Lancaster, Kluwer Academic Publishers, 1987, p.15.
[19] L’organisation des élections législatives du 24 Mai 1998 réussira t-il à supprimer ce doute ? La mise en place d’un Observatoire National des Elections, chargé de superviser les opérations électorales et de veiller au bon respect du Code Electoral est, sans doute, un indice d’une volonté de transparence et de légitimation du travail des urnes. Nous laissons aux journalistes le soin de décrire, aux lendemains des élections, les performances de cette structure ainsi que celles de l’administration. L’analyse politique se doit d’être plus distante, moins engagée dans les tribulations et les péripéties du moment. Soyons donc circonspects ! Cf Norbert ELIAS, Engagement et distanciation. Contribution à la sociologie de la connaissance, trad. de l’allemand par Michèle Hulin. Avant-propos de Roger Chartier, Paris, Fayard, 1993.
[20] Nicolas MACHIAVEL, Le Prince. Préface de Raymond Aron, coll « livre de poche », Paris, Gallimard, 1980 ; Discours sur la première décade de Tite-Live. Préface de Claude Lefort, Paris, Bibliothèque Berger-Levrault, 1980. Voir aussi Claude LEFORT, Le Travail de l’oeuvre, Paris, Gallimard, 1986 (1972) ; Paul VALADIER, Machiavel et la fragilité du politique, Paris, Seuil, coll. « Essais », 1996, pp.49-66.
[21] Michel OFFERLE, Les partis politiques, Paris, P.U.F., 1987.
[22] J. LAGROYE, op.cit., p.144. Cf. Paul VEYNE, Le pain et le cirque. Sociologie historique d’un pluralisme politique, Paris, Seuil, 1976. Lire aussi : Mamadou DIOUF, « Le clientélisme, la "technocratie" et après », in Momar Coumba DIOP (dir.), Sénégal. Trajectoires d'un État, Dakar, CODESRIA ; Paris, Karthala, 1992, pp. 233-278.
[23] Cf. Jürgen HABERMAS, L’espace public, Paris, Payot, 1978.
[24] R. MICHELS, Les partis politiques, Paris, Flammarion, 1971 (1re éd. 1911)
[25] J.-M. DONEGANI et M. SADOUN, La démocratie imparfaite. Essai sur le parti politique, Paris, Gallimard, 1994, p.183.
[26] Max Weber, Le savant et le politique, tr. J. Freund, avec une préface de R. Aron, Paris, Plon, 1959, p. 83 et sqq [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]; Cf. Sylvie MESURE et Alain RENAUT, La guerre des dieux. Essai sur la querelle des valeurs, Paris, Grasset, coll. « Le collège de philosophie », 1996, pp. 45-59.
[27] Cf. Louise MARCIL-LACOSTE, « The Paradoxes of pluralism », in Chantal MOUFFE (ed.), Dimensions of radical democracy : pluralism, citizenship, community, London, Verso, 1992, pp. 128-142 ; William E. CONNOLLY, The ethos of pluralization, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1995.
[28] Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, État et Pouvoir en Société Postcoloniale, Paris, Karthala, 1988,p.
[29] Edward SHILLS, “Primordial, personal sacred and civil ties”, in British Journal of Sociology, 8, 1957, pp. 130-147.
[30]- Clifford GEERTZ, “The Integrative Revolution. Primordial Sentiments and Civil Politics in the New States”, in Clifford GEERTZ (ed.), Old Societies and New States, New York, The New Press, 1963.
[31] Émile DURKHEIM, La division du travail social, PARIS, P.U.F., 1973, p. 262 [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT]; Voir Bernard LACROIX, Durkheim et le politique, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques et de l’Université de Montréal, 1981 et "Ordre politique et ordre social", in Madeleine GRAWITZ et Jean LECA, Traité de science politique, Paris, P.U.F., 1985.
[32] Voir Jean-Loup AMSELLE et Elikia MBOKOLO, (dir.), Au Coeur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte, 1985 ; Philippe POUTIGNAT et Jocelyne STREIFF-FENART, Théories de l’ethnicité suivi de “les groupes ethniques et leurs frontières” de Fredrik Barth, PARIS, P.U.F., 1995 ; Gil DELANNOI et Pierre-André TAGUIEFF (éds.), Théories du nationalisme. Nation, nationalité, ethnicité, Paris, Kimé, 1991 ; John HUTCHINSON et Anthony D. SMITH, Ethnicity, Oxford, Oxford University Press, 1996 ; Jean-Pierre CHRÉTIEN, Le défi de l'ethnisme. Rwanda et burundi : 1990-1996, Paris, Karthala, 1997.
[33] Carl SCHMITT, La Notion de politique. Théorie du partisan, trad. de l’allemand par Marie-Louise Steinhauser, Préface de Julien Freund, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
[34] Cf. Danilo ZOLO, Democracy and complexity. A Realist Approach, transl. from the Italian by David McKie, Cambridge, Polity Press, 1992.
[35]- Pierre BOURDIEU, Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980. Dans cette perspective, voir G.C. BENTLEY, "Eth nicity and practice", in Comparative studies in society and history, vol.29, n°1, pp. 24-55.
[36]- Christophe JAFFRELOT, “L’élection comme ressort individualiste de la démocratie”, in Revue internationale de politique comparée, vol. 3, 1996, pp. 591-606.
[37] Michel WIEVIORKA, L’espace du racisme, Paris, Seuil, 1991, trad. en anglais The arena of racism, London, Sage, 1995.
[38] Voir Makhtar DIOUF, Sénégal, les ethnies et la nation, Dakar, UNRISD - Forum du Tiers Monde ; Paris, L’Harmattan, 1986 ; Amady Aly DIENG, “Question nationale et ethnies en Afrique noire : le cas du Sénégal”, in Africa Development, vol.2 0, n°3, 1995, pp. 129-156.
[39] Donal Cruise O’BRIEN, “Le contrat social sénégalais à l’épreuve”, in Politique africaine, n°45, mars 1992, pp. 9-20.
[40] Cf. Jean BAUDRILLARD, Simulacres et simulations, Paris, Galilée, 1985. Pendant longtemps, le Sénégal fut présenté comme un modèle ou une vitrine de la démocratie. Cette figuration positive a été l’un des facteurs de la considération internationale dont a joui le pays et a servi de fonds de commerce. Jusqu’à présent, même si cette imagination a perdu peu à peu de sa force, il reste qu’elle demeure toujours vivace comme représentation. Le concept de « représentation » est à prendre ici au sens kantien. Elle signifie cette fonction et faculté d’imaginer ou de penser une matière concrète en l’organisant sous des catégories a priori. La représentation chez Kant est une production subjective, un art caché de l’imaginaire. C’est ce qu’il désigne par l’expression « schématisme transcendantal ». Voir E. KANT, Critique de la Raison Pure,trad. fr. avec notes par A. Tremeseygues et B. Pacaud. Préface de Ch. Serrus. Paris, Quadrige / P.U.F., 1990 (1944), p.150 et sqq. Pour comprendre ce qui est en jeu dans cette conception épistémologique, nous pouvons nous référer à la définition kantienne du transcendantal : « J’appelle transcendantale toute connaissance qui ne concerne pas proprement les objets, mais en général les concepts a priori que nous avons des objets ». La représentation est a priori, c’est-à-dire elle est non pas constatée, mais construite.
Traduisons : La démocratie sénégalaise renvoie à un régime de représentation, de « monstration », de construction, obéissant à une logique de signe, de symbole, d’imaginaire. Toutefois, rapporter le processus de démocratisation à la représentation, ce n’est en nier l’enjeu démocratique ou dire que tout obéit à une volonté d’exhibition et de faire-valoir. Il y a de la réalité démocratique, mais celle-ci est de l’ordre imaginaire et représentatif. Celle n’est pas moins déterminante de choix et de stratégies politiques, en tant que « fait de conscience » précisément ou « construit social ».
[42] Anthony GIDDENS, La Constitution de la société. Eléments de la théorie de la structuration, trad. de l’anglais par Michel Audet, Paris, PUF, 1987.
[43] Benedict ANDERSON, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, trad de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, La Découverte, 1996 ; en anglais Imagined communities. Reflections on the origin and spread of nationalism, London ; New York, Verso, 1983.
[44] Voir dans cette perspective Michel BEN ARROUS, L’État, ses dissidences et leurs territoires : la géographie par le bas, Dakar, CODESRIA, coll. « Série des Monographies », 1996.
[45] Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme, Pouvoir et État en société postcoloniale, Paris, Karthala, 1988.
[46] Souleymane Bachir DIAGNE, « L’avenir de la tradition », in Momar C. DIOP (sous la dir.), Sénégal. Trajectoires d’un État, Dakar, CODESRIA, 1992, p.288.
[47] Cf. Maurice MERLEAU-PONTY, Eloge de la philosophie et autres essais, Paris, Gallimard, 1953 et 1960, pp. 42-49.
[48] John RAWLS, Théorie de la justice, trad. de l'américain par Catherine Audard, Paris, Seuil, 1987, pp. 275-276.
[49] Kay LAWSON(éd.), Political Parties and Linkage. A comparative Perspective, New York, Yale University Press, 1980.
[50]- Donal Brian Cruise O'BRIEN, Saints and Politicians. Essays in the Organisation of a Senegalese Peasant Society, London and New York, Cambridge University Press, 1975, pp. 149-185.
[51]- CF. Samuel N. EISENSTADT, Traditional Patromonialism and Modern Neopatrimonialism, Berverly Hills, Sage, 1973 ; S.N. EISENSTADT et L.RONIGER, Patrons, Clients and Friends, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; Jean-François MEDARD, "Le rapport de clientèle", in Revue française de science politique, n°1, février 1976, pp. 103-131 et L'État sous-développé en Afrique noire. Clientélisme ou néo-patrimonialisme ?, coll. " Travaux et documents", Bordeaux, CEAN, 1982. Pour une comparaison, voir Luigi GRAZIANO, Clientelismo e sistema politico, il caso dell’ italia, Milan, F. Angeli, 1980; Jean LECA et Yves SCHEMEIL, "Clientélisme et néo-patrimonialisme dans le monde arabe", in International Political Science Review, n°4, 1986 ; Jean-Louis BRIQUET, La tradition en mouvement. Clientélisme et politique en Corse, Paris, Bélin, 1997.
[52]-Cf. Norbert ELIAS, Qu'est-ce que la sociologie ?, trad. de l'allemand par Yasmin Hoffmann, La Tour d'Aigues, Editions de l'aube, 1991, pp. 154-161.
[53]- Cf. J.-F. BAYART, A. MBEMBE, C. TOULABOR, , La politique par le bas en Afrique. Contributions à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992. Pour une revue critique de cette perspective, voir : Christian COULON, "L'exotisme peut-il être banal ? L'expérience de Politique africaine", in Politique africaine, n°65, mars 1997, pp. 77-95.
[54] Jean-F. BAYART, L'État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989.
[56]- Jean-L. BRIQUET, op.cit., p.62.
[57] Voir Abdoulaye-Bara DIOP, La société wolof. Tradition et Changement. Les Systèmes d'Inégalités et de domination, Paris, Karthala, 1981 et M.-C. DIOP et M. DIOUF, Le Sénégal sous Abdou Diouf. État et Société, Paris, Kathala, 1990.
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