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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

COMMUNAUTÉS ET SOCIÉTÉS. Éléments pour une ethnologie du Canada français. (1973)
Introduction générale


Une édition électronique réalisée à partir du livre de Marc-Adélard Tremblay et Gérald Louis Gold, COMMUNAUTÉS ET SOCIÉTÉS. Éléments pour une ethnologie du Canada français. Montréal-Toronto: Les Éditions HRW, 1973, 428 pp. Une édition numérique réalisée par Diane Brunet, guide de musée, retraitée du Musée de La Pulperie à Chicoutimi. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.]

[xiii]

Communautés et sociétés.
Éléments pour une ethnologie du Canada français.

Introduction générale

Éléments
pour une ethnologie
du Canada
d'expression française 
[1]

Marc-Adélard Tremblay, Université Laval
Gerald L. Gold, York University

 [xiv]

Rappelons la distinction courante entre ethnographie et ethnologie. Tandis que l'ethnographie est avant tout une science qui recueille des faits d'observation dans le but de les décrire, de les classifier et d'effectuer des analyses préliminaires, l'ethnologie poursuit des objectifs scientifiques plus ambitieux qui sont liés à son intention de comparer, de généraliser et de fournir des explications globales. Alors que celle-là recueille tous les faits accessibles, celle-ci récolte ceux qui sont pertinents et qui s'insèrent dans un schéma théorique. Les études ethnographiques sont nécessaires aux analyses ethnologiques dans le sens qu'elles leur fournissent les matériaux de base indispensables.

L'un des objectifs primordiaux de l'ethnologie, est d'analyser les genres de vie et les traditions d'un groupe dans le but de déterminer ce qu'il y a d'universel et de spécifique à une société particulière, et ce qu'il y a de culturel et d'individuel dans le comportement de ses membres. Universalisme et particularisme, tout comme culture et personnalité, sont des couples que l'on retrouve dans plusieurs analyses ethnologiques. Par ses visées généralisantes, l'ethnologie ne met pas en valeur une aire culturelle, des sociétés ou une institution parmi d'autres, un trait culturel plutôt qu'un autre. Concrètement, tel ethnologue fera ressortir un trait de culture tout comme il pourra décrire une institution donnée. Remarquons, toutefois, qu'il prendra soin de placer cette institution dans sa configuration culturelle d'appartenance tout comme il s'ingéniera à établir les relations d'interdépendance qui existent entre les divers traits qui constituent une tradition culturelle à un moment particulier. Les traits et activités forment un système, un tout fonctionnel. Cet ensemble, c'est la culture du groupe, c'est-à-dire, sa façon de se définir et de percevoir la réalité, sa manière de vivre. À ce titre, l'ethnologue étudie l'habitat, soit le milieu physique et les ressources naturelles, les relations de l'homme avec son milieu, la technologie et les techniques de subsistance, de transport et de communication, les institutions économiques, sociales, politiques et religieuses, les modes de contrôle social, les systèmes d'attitudes et de sentiments, les systèmes de connaissance, en bref, tous les aspects de la culture d'un groupe. Ces analyses, selon les divers paliers de la réalité culturelle, permettent à l'ethnologue d'identifier les points de ressemblance entre les diverses civilisations, de découvrir les constantes du comportement humain, qu'il s'agisse d'une société archaïque ou d'une société bureaucratique techniquement avancée. L'ethnologue recherche les généralisations et entend formuler des schémas d'explications valables pour des sociétés temporellement et géographiquement distantes les unes des autres.

Puisque l'ethnologie étudie le progrès de l'homme, le développement des sociétés — ce qu'il est convenu d'appeler l'histoire culturelle — elle est historique et comparative. Si l'ethnologie s'est d'abord intéressée aux sociétés sans écriture, à structure sociale simple, c'est qu'elle visait à déterminer les diverses composantes de la stabilité culturelle et, à travers celle-ci, les uniformités dans les conduites individuelles et les comportements collectifs. On comprend ainsi l'ambition des ethnologues à constituer des dossiers [xv] ethnographiques sur chacune des cultures existantes, par le biais de l'analyse des documents — lorsqu'ils existent — l'utilisation d'informateurs-clé et de l'observation participante.

Une préoccupation théorique fondamentale en anthropologie découle des fonctions universelles de la culture, telles que la reproduction, la subsistance et l'harmonie dans la poursuite des objectifs communs. On tente de voir et de comprendre de quelle manière chacune des sociétés du monde s'est organisée pour remplir ces fonctions essentielles, compte tenu des ressources disponibles du milieu et des cadres sociaux que les hommes ont inventés afin de « régler » leurs comportements. L'ethnologue essaie, pour ainsi dire, de reconstituer, pour chacune des civilisations existantes, l'histoire de sa survivance et, pour les sociétés en voie d'extinction, le processus de leur disparition.

Ces études anthropologiques pouvaient se poursuivre dans des conditions très favorables tant et aussi longtemps que ces sociétés archaïques vivaient dissociées les unes au autres. Avec la fin de l'isolement est apparue l'histoire des contacts de civilisation et la transformation plus ou moins rapide des sociétés dites primitives. Les ethnologues ont alors étudié les moteurs de changement (l'avancement technique, les contacts inter-culturels, l'économie monétaire, les communications de masse, l'industrialisation et l'urbanisation) et les répercussions qu'ils suscitaient dans les sociétés paysannes, rurales et urbaines. L'ethnologue en arrive à étudier les sociétés complexes à vocation économique multiple possédant un système pluraliste de valeurs.

Une ethnologie du Canada français est possible, mais elle devra se fonder sur tout un ensemble de dossiers ethnographiques et sociographiques des diverses régions du Québec et du Canada français. Bien que nous soyons, au premier abord, frappés par la « massification » et l'uniformisation des comportements du « Québécois moyen », l'analyse plus fine de la situation fait ressortir les processus de différenciation sociale qui sont opérants selon les milieux de résidence, les classes d'âge, l'échelle professionnelle, la structure de classe et les systèmes idéologiques — pour n'identifier que les facteurs les plus significatifs. L'ethnographie doit aussi réduire l'étendue de son objet afin de tenir compte de ces découpages qui traduisent des univers socio-culturels distincts. Or, le concept d'aire culturelle [2] représente un outil utile d'observation en ethnologie, car il permet des découpages expérimentaux du territoire qui associent géographie, histoire et culture.

Des études anthropologiques sur le Québec traditionnel et moderne existent : il n'y a qu'à consulter les différentes bibliographies sur le Canada [xvi] français pour s'en rendre compte. [3] Néanmoins, ces études sont fragmentaires et s'appliquent à des unités socio-culturelles dont l'écologie, l'histoire et les vocations économiques sont fort distinctes et qui pourraient difficilement se situer sur un continuum typologique. Les efforts de recherche se décuplèrent durant les dernières décennies sans qu'ils débouchent toutefois sur une définition globale des objectifs à atteindre, sur une politique privilégiée pour les réaliser et sur des démarches systématiques qui traduiraient une problématique d'ensemble.

Ce n'est pas dans notre intention d'énoncer une problématique d'ensemble à l'occasion de la présentation de cet ensemble de travaux. Bien au contraire, nous les concevons comme étant des éléments pour une ethnologie du Canada d'expression française dans ce sens qu'ils apportent des faits, des interprétations et des hypothèses de nature à mieux nous faire comprendre les traditions culturelles des populations qui y vivent.

Sur le plan historique, la notion d'aire culturelle postule une assez grande homogénéité dans les genres de vie et dans les mentalités à l'intérieur d'une aire territoriale donnée, et une plus ou moins grande hétérogénéité par rapport à toutes les autres aires territoriales avoisinantes et existantes. C'est Carl Wissler dans son ouvrage sur The American Indian, en 1920 et Man and Culture, en 1923, qui a défini les composantes du type idéal qu'était la notion d'aire culturelle. Nous reprenons cette notion ici, même si nous l'utilisons dans un sens technique quelque peu différent, parce qu'elle permet de grouper des contenus culturels différenciés mais qui proviennent d'une même tradition d'origine. Si on consulte la littérature empirique sur les aires culturelles, on se rend compte que la très grande majorité d'entre elles sont concentrées sur un territoire contigu, et que les habitants qui y vivent possèdent des traits culturels, des dynamismes d'évolution sensiblement comparables. D'autres aires culturelles s'étendent sur un territoire discontinu. Les frontières de l'aire culturelle du Canada d'expression française s'étendent au-delà du Québec pour incorporer les groupes d'ascendance française vivant de l'Atlantique au Pacifique : les Acadiens des provinces de l'Atlantique, les Québécois, les Franco-Ontariens, les Canadiens français des Prairies et de l'Ouest. Les Franco-Américains font également partie de l'aire parce qu'ils participent aux mêmes traditions catholiques et françaises.

Ces groupes d'ascendance française se répartissent sur un vaste territoire : ils résultent des mouvements de population et des vagues migratoires associées au développement économique du continent nord-américain. Ils possèdent une histoire commune, dont l'éloignement dépend du moment de l'émigration dans le cas des groupes au sud et à l'ouest du Québec. Quant aux groupes francophones de l'Atlantique, leurs affinités datent de la prériode pré-colonisatrice. Tenant compte des processus de différenciation en cours, nous [xvii] pouvons affirmer que certains groupes à l'intérieur de l'aire géographique sont plus dissociés des traits culturels d'origine que d'autres. Si on considère le Québec comme le foyer culturel, on se rend compte qu'au fur et à mesure qu'on s'éloigne de ce centre, un nombre de plus en plus grand de changements se produisent. C'est ainsi qu'au Québec, par exemple, les communautés de pêcheurs de la partie orientale du golfe Saint-Laurent, participent assez marginalement aux activités du foyer culturel. Elles sont influencées par les communautés terre-neuviennes en ce qui concerne leurs échanges commerciaux et matrimoniaux et, en général, leur mode de vie. Plus nous nous éloignons du Québec, plus cette participation s'affaiblit, bien que de nombreux contacts soient maintenus entre parents qui vivent éloignés les uns des autres.

Bien que l'évolution de chacun des sous-groupes suive un tracé spécifique et reflète un tempo propre selon les lignes de force en présence, il faut se référer à leur point d'horizon culturel pour en saisir les dimensions et les conséquences virtuelles. Si, à un moment donné, comme nous l'évoquions plus tôt, ces groupes possédaient des caractéristiques communes (une structure économique simple fondée sur les industries traditionnelles ; une organisation sociale constituée sur des éléments polarisateurs — famille, école, parenté, la paroisse, l'élite religieuse, etc. — et une idéologie nationale valorisant la survivance et la suprématie numérique) les moteurs de changement qui accompagnent l'industrialisation et la modernisation les orientent vers des destinés différentes. D'ailleurs, l'évolution des dernières années met en lumière les doutes qu'entretient le Québec envers l'efficacité de l'action qu'il peut entreprendre auprès des groupes francophones d'outre-frontière. Inversement, les groupes minoritaires d'ascendance française vivant à l'extérieur du Québec s'affirment de plus en plus comme étant des unités socio-culturelles autonomes, capables de se définir et de prendre position par rapport à leur avenir, tout en s'inspirant des courants idéologiques et des tentatives innovatrices du Québec dans les principaux secteurs de la vie socio-culturelle.


[1] Cette introduction s'inspire largement de deux articles parus dans Recherches Sociographiques (Marc-Adélard Tremblay, « L'ethnographie de la Côte-Nord du Saint-Laurent », vol. VIII, n° 1, 1967, pp. 81-87, et Marc-Adélard Tremblay et André Lepage, « La Basse-Côte-Nord du Saint-Laurent: une ethnologie en construction », vol. XI, nos 1-2, 1970, pp. 9-15) et du discours prononcé par M.A. Tremblay à l'occasion de sa réception académique dans la Société Royale du Canada à l'automne 1971 intitulé « L'ethnologie du Canada français: un projet à réaliser ».

[2] Nous expliciterons cette notion un peu plus loin.

[3] Celle que nous présentons en Annexe A témoigne de la diversité des études anthropologiques.



Retour au texte de l'auteur: Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l'Université Laval Dernière mise à jour de cette page le mardi 6 mars 2018 11:31
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi.
 



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