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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de M. Marc-Adélard Tremblay, “L'idéologie du Québec rural”. Un article publié dans la revue Travaux et communications, vol. 1, 1973, pp. 212-265. Travaux et communications de l'Académie des sciences morales et politiques, Montréal. Sherbrooke : Les Éditions Paulines, 1973. [M Marc-Adélard Tremblay, anthropologue, retraité de l’enseignement de l’Université Laval, nous a accordé le 4 janvier 2004 son autorisation de diffuser électroniquement toutes ses oeuvres.] I. Problématique 1. La société rurale vue comme une totalité Écrire un article sur l'idéologie du Québec rural nous apparaît une entreprise ambitieuse mais réalisable, étant donné la variété et la richesse des matériaux documentaires dont nous disposons sur le Québec rural et les essais théoriques récents, sur la notion d'idéologie et son application à l'étude de la société globale canadienne-française [1]. L'idéologie rurale est, en effet, une idéologie circonscrite faisant partie de l'idéologie nationaliste plus large à l'intérieur de laquelle nous pouvons dégager les processus d'argumentation et de justification. Elle constitue une prise de conscience qui s'élabora au moment où le Canada français était une société traditionnelle [2] et où la différenciation sociale était peu prononcée. Nous tenons à remercier nos deux assistants de recherche, mademoiselle Nicole Leblanc et monsieur Majella Angers, qui ont dépouillé l'abondante littérature consultée et qui ont effectué les analyses nécessaires préalables à l'élaboration du profil d'ensemble présenté ici. Nous exprimons notre gratitude au Ministère Fédéral de l'Agriculture qui a contribué au financement de cette étude. Cette analyse demeure une entreprise valable à la condition que nous puissions lui conférer une profondeur historique suffisante et associer, dans une même perspective, les expressions idéologiques et les éléments de la structure sociale. L'analyse diachronique s'avère nécessaire à un double point de vue. Elle nous permet d'identifier le fondement historique des idéologies courantes et de suivre leur évolution à travers des phases temporelles déterminées. Au surplus, les fabricateurs d'idéologie et les définiteurs de situation puisent dans l'histoire les divers éléments, les principes, les enseignements et les justifications qu'ils proposent en tant qu'appuis aux fins collectives.
L'idéologie, on le sait, constitue une prise de position qui découle d'une conscience formelle de soi, d'une définition et d'une compréhension d'une situation globale. Elle représente un modèle ou un principe d'action qui veut justifier d'une manière explicite et systématique la signification et l'orientation d'une série de conduites. Elle cherche ainsi à introduire, dans le vécu quotidien des membres d'une collectivité, un système à long terme structuré, clos et cohérent. Qu'il y ait des écarts plus ou moins substantiels entre les principes qu'elle propose et la réalité sociale qui se traduit dans les institutions économiques, politiques et sociales - cela va de soi et est d'intérêt pour l'analyse. Car idéologie et structure sociale représentent les deux termes complémentaires d'une même réalité plus vaste dont il nous faut saisir les liaisons fonctionnelles sans toutefois préjuger de l'antériorité de l'une sur l'autre. Les analyses empiriques des idéologies, du genre de celles que nous conduisons ici, visent beaucoup plus à définir ses principaux éléments (thèmes généraux et expressions de ces thèmes) et leurs interrelations qu'à les relier aux situations de conflit et aux mécanismes de défense qui les ont suscités. Car, dans l'étude de cas qui nous intéresse, cette liaison nous renverrait à une analyse de la société québécoise aux lendemains de la conquête et aux conflits de pouvoirs qui s'ensuivirent. Nous nous sentons incapable de poursuivre des analyses aussi complexes dans le cadre de cette étude. De plus, l'année 1880 devient notre point d'horizon : déjà l'idéologie unitaire québécoise est formellement définie et ses promoteurs sont clairement identifiables. Par ailleurs, il ne s'agit pas seulement d'identifier séparément les divers éléments de l'idéologie et leurs interdépendances : il faut encore évaluer leur importance relative dans la totalité. Tout système idéologique cherche à absolutiser un élément qui, par sa valeur et son caractère transcendant, devient incontestable et acquiert de ce fait un puissant pouvoir contraignant. Au Québec, cet élément sera le fait catholique, c'est-à-dire l'appartenance à l'Église catholique romaine, l'adhésion à sa doctrine et à ses croyances, la fidélité à ses prescriptions morales, l'obéissance à la parole sacrée de ses fonctionnaires. Les membres du clergé et de !'élite religieuse seront les fabricateurs de cette idéologie. Être catholique et d'expression française seront les principes fondamentaux qui identifieront la nature profonde de la nation canadienne-française et les traits corollaires qui constitueront son identité propre ; ils seront aussi les barèmes qui évalueront sa vocation et qui traceront les jalons de son devenir.
3. La méthodologie de l'enquête documentaire Ces divers éléments qui constituent l'idéologie rurale du Québec sont appelés dans cette étude « thèmes généraux ». Pour les fins de notre analyse documentaire, nous avons identifié seize (16) thèmes principaux qui nous permettent de comprendre à la fois le fondement de l'idéologie, sa genèse et son évolution à travers les quatre grandes périodes que nous avons découpées. Ces tranches temporelles reflètent des unités historiques qui serviront à la mise en parallèle d'une part, du système idéologique et d'autre part, de la réalité objective telle que celle-ci apparaît dans l'organisation économique et l'organisation sociale des milieux ruraux. Les thèmes généraux sont à la fois des catégories-maîtresses qui tracent le profil de l'idéologie en intégrant toute une multiplicité d'expressions particulières et des barèmes qui mesurent ses fluctuations à travers les différentes périodes. En effet, certaines expressions idéologiques contemporaines sont en continuité par rapport à des expressions antécédentes tandis que d'autres formulations récentes sont pratiquement à l'opposé des affirmations premières. Comme nous le disions plus haut, il ne nous sera pas possible d'identifier les facteurs qui sont à l'origine de ces continuités et de ces discontinuités. Seules des analyses plus poussées sur l'histoire de l'agriculture, l'histoire de la pensée sociale, la sociologie de la vie rurale et l'urbanisation nous fourniraient tous les éléments essentiels à l'explication. Nous possédons de nombreux documents sur le Québec mai.,, ils sont à peu près tous écrits et conçus par rapport à des perspectives restreintes. Sans combler ces lacunes, notre analyse vise à intégrer et à mettre en place un ensemble de matériaux disparates, qui, éventuellement, seront les éléments permettant de constituer une synthèse. Nous avons dressé une bibliographie spécialisée en inventoriant tous les thèmes qui se rapportent soit à l'agriculture et à la vie rurale ou soit encore au nationalisme québécois. Nous postulons, en effet, que l'idéologie rurale est une des composantes de l'idéologie nationaliste plus large. Ainsi, nous avons lu systématiquement les œuvres répertoriées recherchant les passages les plus significatifs qui reflétaient dans leurs expressions les plus variées, les thèmes de l'idéologie rurale ou ceux de l'idéologie nationaliste. Nous avons classé les matériaux ainsi récoltés par rapport aux seize thèmes principaux qui font l'objet d'analyses comparées à travers les quatre périodes choisies, soit : 1880-1929, 1930-1939, 1940-1945 et 1946-1968. Le choix des thèmes et des périodes s'inspire, en partie, des travaux de Gérald Fortin sur le nationalisme canadien-français et sur les changements socio-culturels récents dans les milieux ruraux. Voici les thèmes qui ont orienté et encadré les analyses:
L'analyse des différentes expressions idéologiques nous permettra, en dernier ressort, de concevoir l'idéologie rurale comme une véritable « technique d'existence » dont les principales fonctions sont d'enseigner l'amour de Dieu et de la patrie, et d'inculquer l'esprit rural. C'est à ce compte, tout particulièrement jusqu'à l'avènement de la dernière guerre mondiale, que la survie de la nation québécoise sera assurée. L'ouverture sur le monde extérieur, les contacts de civilisation, l'avancement technologique ainsi que les impératifs de la société technique allaient, durant la période de l'après-guerre, introduire des éléments si puissants de contestation que les principes traditionnels ne suffisaient plus à expliquer la réalité et à justifier les actions collectives. Il s'en suivra de profondes transformations et de nouvelles orientations nationales. Comme l'affirme Dumont, dans son étude sur la représentation idéologique des classes, « Peut-être est-il possible à l'analyse sociologique, sans se faire partisane et sans non plus prophétiser, de prévoir les issues possibles de ces idéologies en gestion. Deux traits principaux paraissent les distinguer de l'ancienne idéologie unitaire : le rôle important accordé à l'État, la volonté résolue d'une ample politique industrielle dont les Canadiens français auraient la maîtrise. L'un et l'autre de ces thèmes sont partagés aussi bien par les factions de droite que par celles de gauche, dans une sorte de confusion qui ne saurait durer bien longtemps. Il n'est pas téméraire de croire que c'est la place explicite faite à la représentation des classes qui va marquer bientôt la ligne de clivage » [3]. Une dernière remarque méthodologique s'impose pour mieux comprendre le sens de notre étude. Les périodes découpées ainsi que les thèmes idéologiques choisis ne découlent pas d'une analyse compréhensive des documents existants. Au surplus, nous n'avons pas consulté toute une série de documents importants : nous pensons, entre autres, aux nombreux journaux de campagne qui ont existé à un moment ou l'autre depuis 1840 jusqu'à nos jours et aux multiples conférences et discours présentés dans les milieux ruraux. Il nous a même été impossible de lire systématiquement des œuvres qui, sans être directement reliées à notre sujet, auraient pu apporter des éclairages nouveaux. En dépit de leur caractère extensif, les sondages bibliographiques et les analyses systématiques des documents choisis ne sont pas non plus des analyses de contenu au sens strict du terme. [1] Dumont, Fernand, « La représentation idéologique des classes au Canada français », Recherches Sociographiques, vol. VI, no 1, 1965, pp. 9-22. [2] Ce qui caractérise la société traditionnelle ce sont des techniques de subsistance plutôt simples et une grande homogénéité dans les types d'occupation et dans l'emploi du temps ; c'est un mode d'organisation sociale qui privilégie la famille et le système de parenté en tant que structures d'encadrement et principes directeurs dans l'élaboration des relations sociales créant ainsi de multiples liens de solidarité entre tous les membres de la communauté ; c'est, enfin, un ensemble de valeurs transmises que créent chez les individus une image de soi et une compréhension unanimes de la réalité ». Marc-Adélard Tremblay, « L'éclatement des cadres familiaux traditionnels au Canada français », Relations, no 305, mai 1966, p. 131. [3] Op. cit., p. 21.
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