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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

Collectif [Pierre de Bellefeuille, Robert Comeau, Claude G. Charron, Jocelyne Couture, Jean Dorion, Pierre Gendron, Martin Godon, André Lacroix, Marie-Thérèse Miller, Johan Nachmanson, Maria-Theresa Perez-Hudon, Pierre Noreau, Ercilia Palacio-Quintin, Robert Vandycke, membres des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO)]

Le projet souverainiste et l'État québécois. Sommes-nous en retard d'un chapitre sur l'histoire contemporaine?

Un article publié dans
Le Devoir, Montréal, Édition du samedi 28 et du dimanche 29 décembre 2002.
[
L’auteur nous a autorisé, le 14 avril 2004, à diffuser la totalité de ses publications: articles et livres]
Courriels: [email protected] ou [email protected]


Introduction

1. Individualisme et engagement personnel
2. Le rôle de l’État
3. Le fédéralisme canadien

Introduction

La question nationale suppose l'existence d'une communauté de destin. Mais comment celle-ci s'exprime-t-elle aujourd'hui, et que peut-on tirer du contexte social et politique actuel? En matière de conjoncture, on apprend beaucoup sur l'étendue des méprises possibles en fréquentant les textes de ceux qui se sont risqués, depuis trente ans, à interpréter le contexte politique québécois.

Ainsi, il n'y a pas si longtemps, l'État-nation apparaissait comme un modèle dépassé qui n'intéressait plus personne, à l'exception notoire des collectivités qui bénéficient déjà des avantages de l'État-nation. C'était avant le démembrement de l'Empire soviétique. Depuis, le besoin des peuples de bénéficier de leurs propres institutions politiques s'est exprimé de nouveau. Autres temps, autres peurs : on s'étonne aujourd'hui de la montée du conservatisme partout dans le monde occidental, aux États-Unis et en Europe. L'appui croissant accordé à l'ADQ sur l'échelle des intentions de vote au Québec participerait de ce phénomène. D'aucuns y voient l'annonce d'un virage à droite des Québécois, d'autres un piétinement au centre. Mais au centre de quoi ?

Pour le mouvement souverainiste, ce contexte doit être apprécié correctement en ces temps où la conjoncture apparaît moins propice aux grands rendez-vous. L'idée de souveraineté peut-elle résister aux grandes tendances contemporaines ? Sommes-nous en retard d'un chapitre sur l'histoire contemporaine, largués par notre propre mouvement social ? L'individualisme, la mondialisation croissante des rapports sociaux et économiques et la suspicion vis-à-vis de l'État ou vis-à-vis de tout projet de réforme ne viendraient-ils pas graduellement à bout du politique et, par extension, des idéaux souverainistes ? Le gouvernement fédéral n'a-t-il pas gagné, au cours des dernières années, la guerre des symboles ?

1. Individualisme et engagement personnel

Reprenons ces questions l'une après l'autre en commençant par l'individualisme qui semble faire le lit de tous les abandons. À l'heure où certains s'inquiètent de la grande difficulté des citoyens de se mobiliser autour d'objectifs communs ou de grands idéaux, on peut s'étonner au contraire de la grande capacité de mobilisation qui subsiste, notamment chez les jeunes. Les grandes manifestations contre une certaine définition de la mondialisation, la conscience des rapports planétaires et l'extraordinaire mobilité géographique des individus, l'entretien de rapports et de réseaux internationaux facilités par les nouvelles technologies de communication, une très grande conscience des enjeux entourant l'environnement, constituent autant d'expressions d'une profonde conscience politique. La dénonciation trop facile de l'individualisme éclipse parfois ces engagements fondés sur les diverses expressions de l'individualité.

Si la lente évolution de l'individualité peut emprunter bien des formes, y compris celle d'un repli sur la vie privée, elle crée aussi les conditions de l'engagement personnel. Elle alimente un désir d'authenticité et d'intégrité qui ne souffre pas facilement la manipulation ou la duplicité. C'est notamment le cas chez les jeunes dont on dénonce un peu promptement l'individualisme. C'est ainsi qu'il faut interpréter les mobilisations récentes en faveur de la protection des rivières menacées, de l'accès à l'éducation ou au nom de la lutte contre la pauvreté qui sont autant d'expressions d'une quête d'absolu.

La capacité d'engagement des jeunes s'exprime où elle peut et ne demande qu'à être interpellée. Il y a place, chez eux comme chez leurs aînés, pour une politique de la conviction. Reste à trouver les enjeux sur lesquels peuvent se mobiliser ces valeurs partagées. La multiplication des enjeux internationaux ne risque-t-elle pas, en effet, de favoriser une forme subtile de dilution sinon de détournement de ces engagements vers des thèmes purement symboliques et des objectifs inaccessibles ? La protection des forêts amazoniennes doit-elle faire oublier que nos propres forêts sont menacées et la lutte du peuple palestinien doit-elle se substituer symboliquement à celle du peuple québécois ? Il faut trouver en quoi ces mouvements puisent leur origine aux mêmes racines.

La mondialisation prend alors un sens différent de celui qu'on pouvait craindre. Abordant la question avec un certain recul, il faut reconnaître que les États nationaux ont largement contribué, depuis leur apparition, au développement de la mondialisation. Aussi, contrairement à ce que suggère une lecture courte du phénomène, la mondialisation, loin de conduire à un effacement des identités nationales, semble alimenter, aujourd'hui, à l'échelle des États, des débats nouveaux sur la communauté de destin.

2. Le rôle de l'État

Ce qui étonne le plus, c'est la place que les États continuent à prendre dans la définition et le respect des nouvelles normes internationales. Loin de limiter l'action des États constitués, la mondialisation est l'occasion de nouveaux débats nationaux sur les enjeux entourant notre rapport aux autres. Ainsi la signature du protocole de Kyoto offre-t-elle l'occasion, pour le Québec, d'affirmer sa spécificité en Amérique du Nord dans le débat sur l'environnement. De même les rumeurs de guerre contre l'Irak sont l'occasion de prises de position sur les valeurs démocratiques défendues par les États occidentaux. L'État devient ainsi le lieu privilégié d'un débat éthique; un lieu où la démocratie délibérative trouve encore son sens.

Si la mondialisation nous conduit à nous interroger sur la signification de l'État, il convient de situer la question au niveau national, c'est-à-dire là où les structures institutionnelles, les ressources collectives et le partage des références communes sont suffisamment poussés pour favoriser la tenue d'un débat démocratique.

L'État démocratique contemporain demeure finalement le plus solide rempart à la fois contre l'impérialisme et le repli. La mondialisation est alors l'occasion de choisir ceux avec qui nous partageons une plus étroite communauté de destin. Le mondialisation offre ainsi une justification contemporaine de la souveraineté. On est loin de l'immobilisme supposé des citoyens et de leur sentiment d'impuissance vis-à-vis de tout ce qui déborde leur quotidien.

Au Québec, l'opinion s'est répandue qu'après des décennies de changements, les citoyens n'entendent plus s'engager dans de grandes réformes mobilisatrices. Chacun voudrait maintenant rester tranquillement chez lui. Cette idée a parfois inhibé la capacité du gouvernement du Québec d'entreprendre certaines réformes qui auraient pu démontrer sa capacité de se renouveler. Elle a surtout entretenu l'impression que nous étions arrivés «au bout des grands efforts» et que, par extension, les Québécois n'étaient pas prêts à relever les grands défis que suppose notre indépendance politique.

Pourtant, il semble que ce soit par désir du changement qu'une partie de l'opinion se tourne du côté de partis nouveaux comme l'ADQ ou l'Union des forces progressistes. On peut évidemment interpréter cet engouement comme une remise en question de la légitimité de la classe politique, mais c'est un peu court. Après tout, l'opinion publique a depuis toujours entretenu la suspicion vis-à-vis des politiciens, ne serait-ce que parce que le droit à l'insatisfaction est un des fondements de la démocratie. Il faut sans doute chercher ailleurs ce désir de changement : dans le désir d'authenticité dont on a déjà parlé et dans la lassitude de l'opinion vis-à-vis d'acteurs qui se complaisent dans le discours de l'incapacité.

Or, laissée à elle-même, cette lassitude ouvre la voie à tous les populismes, comme en témoigne le programme de l'ADQ. Au-delà de ce qu'elles ne favoriseront vraisemblablement pas plus d'une seule semaine ceux qui croient en être les premiers bénéficiaires, elles minent les solidarités incarnées par l'État. Or, on ne fait pas la souveraineté quand on ne croit pas jusqu'à un certain point à l'État. Ceci expliquant cela, on comprend mieux le fondement des déclarations récentes de Mario Dumont, à Toronto.

Paradoxalement, la mondialisation redonne un certain sens à l'État. Il n'est plus suffisant d'affirmer que, formant moins de 2 % de la population en Amérique du Nord, la société québécoise ne peut, en tant que seule société d'expression française, se maintenir qu'en s'appuyant sur un État québécois fort, voire sur un État indépendant.

La nécessité de l'État doit encore être justifiée sur le plan des politiques internes. Cette obligation de démonstration passait inaperçue aux yeux des sociaux-démocrates des décennies antérieures; la place de l'État s'imposait alors avec évidence. Cette démonstration doit aujourd'hui être reprise à frais nouveaux pour contrer le discours facile de l'ADQ. Il faudra dorénavant tenir sur l'État un discours qui fait la promotion de l'exigence et de l'efficacité mais qui situe également les enjeux sur le plan de l'éthique des rapports humains, qui est celui de nos solidarités.

3. Le fédéralisme canadien

Reste la question de nos rapports avec le fédéralisme canadien. Au lendemain du référendum de 1995, l'offensive médiatique orchestrée par le gouvernement fédéral a largement cautionné l'idée que le projet souverainiste constituait un échec. Ainsi, d'une situation qui pouvait apparaître optimale du point de vue de notre rapport de force avec l'État canadien, les fédéralistes sont parvenus à faire un cul-de-sac constitutionnel. D'autres orientations allaient prendre le relais, y compris la multiplication d'initiatives qui ont graduellement fait que certains champs de compétence québécoise exclusive, comme la santé ou l'éducation, sont pour ainsi dire devenues des compétences partagées.

L'union sociale canadienne, la loi C-20 sur la «clarté» référendaire, les modifications de la loi sur les jeunes contrevenants, les bourses du millénaire, le programme des infrastructures, la multiplication des investissements fédéraux dans le domaine de la recherche universitaire sont, semble-t-il, venus à bout d'un grand nombre d'intellectuels, d'élus municipaux et d'autres acteurs sociaux. Ils sont graduellement devenus plus prompts à dénigrer leurs propres institutions sociales et politiques qu'à s'interroger sur les causes de leur dépendance envers l'État canadien.

Nous nous épuisons apparemment dans l'autocensure. Le fédéralisme a-t-il gagné la partie à force de menaces et de manipulations financières et médiatiques, tout cela avec l'argent tiré du déséquilibre fiscal et la complicité de firmes québécoises dont le travail est suffisamment gênant pour qu'on préfère continuer à en cacher les résultats ?

Malgré tout, le plus étonnant dans tout cela, c'est l'appui encore donné à l'idée de souveraineté, que les sondages situent toujours dans une fourchette qui varie de 42 à 47 %. Mais est-ce bien surprenant ? Il semble que l'inflation des drapeaux rouges et des annonces télévisées ne soit pas parvenue à affecter significativement la légitimité du projet souverainiste. Le «pari de la démesure» dénoncé par Michel Seymour est loin d'être gagné. Les Québécois sont moins susceptibles de manipulation qu'on a pu le craindre. Ils comprennent l'objet de cette campagne démagogique qui tente de leur vendre le Canada avec leur propre argent et qui exploite leur ambivalence sur le plan identitaire, plusieurs Québécois étant restés des Canadiens français.

En revanche, il faut reconnaître que, depuis le dernier référendum, l'État québécois a été largement à la remorque des initiatives fédérales, qu'il n'a pas su imposer ses priorités ni augmenter sa marge de manœuvre malgré la force du résultat favorable au camp du OUI. Il y a là un exemple qu'il faudrait éviter de suivre à l'avenir. Tout cela montre la nécessité de faire de la souveraineté une expression parmi d'autres du mouvement social, l'occasion de bâtir l'État que nous voulons.

Le débat sur la souveraineté exige une grande capacité de projection dans l'avenir et un sens élevé de la communauté de destin. Il faut dépasser le problème abstrait des compétences constitutionnelles pour s'interroger sur les valeurs que nous chérissons collectivement, faire en sorte que la souveraineté soit l'occasion de les promouvoir. La question du Québec retrouvera alors ses fondements éthiques et sociaux. Il faudra une grande détermination pour répondre au besoin profond de définir et redéfinir constamment notre rapport à nous-mêmes et notre rapport à ceux vers qui nous allons, à ceux qui viennent vers nous.

Retour au texte de l'auteur: Robert Vandycke, sociologue, Université de Montréal Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 31 octobre 2004 12:19
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
 



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