RECHERCHE SUR LE SITE

Références
bibliographiques
avec le catalogue


En plein texte
avec Google

Recherche avancée
 

Tous les ouvrages
numérisés de cette
bibliothèque sont
disponibles en trois
formats de fichiers :
Word (.doc),
PDF et RTF

Pour une liste
complète des auteurs
de la bibliothèque,
en fichier Excel,
cliquer ici.
 

Collection « Les sciences sociales contemporaines »

L'image de l'Amérindien dans les manuels scolaires du Québec
ou Comment les Québécois ne sont pas des sauvages
. (1979)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir du licew de Sylvie Vincent et Bernard Arcand, L'image de l'Amérindien dans les manuels scolaires du Québec ou Comment les Québécois ne sont pas des sauvages. Montréal: Les Éditions Hurtubise HMH, ltée, 1978, 334 pp. Collection: Cahiers du Québec, no 51. Cultures amérindiennes. Une édition numérique réalisée par Réjeanne Toussaint, bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec. [Livre diffusé dans Les Classiques des sciences sociales avec l'autorisation de l'auteur et de l'ayant-droit de Bernard Arcand, Mme Ulla Hoff, accordée le 13 juillet 2011.]

[11]

L’image de l’Amérindien dans les manuels scolaires du Québec
ou Comment les Québécois ne sont pas des sauvages.

Introduction


L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux...
Déclaration universelle des droits de l'homme,
article 26.2.
Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
Charte des droits et libertés de la personne du Québec,
article 4.


Au moment d'entreprendre cette recherche sur les manuels scolaires francophones du Québec, nous étions convaincus de trouver assez peu sur les Amérindiens et les Inuit. Nous pensions pouvoir nous limiter à démontrer que nos programmes d'éducation mentionnent à peine l'existence sur le territoire national de populations d'origine non européenne et à redire, comme d'autres l'ont fait ailleurs, l'urgence d'introduire dans nos écoles un enseignement plus respectueux des sociétés et des cultures autochtones.

Au contraire, nous devons aujourd'hui conclure que les manuels scolaires du Québec parlent beaucoup des Amérindiens. En effet, ceux-ci apparaissent fréquemment dans les livres d'histoire, du moins lorsqu'ils traitent du Régime français, et on les retrouve aussi dans les manuels de religion, de sciences humaines et d'arts plastiques. Ces ouvrages continuent d'ignorer allègrement l'essentiel des sociétés amérindiennes mais, réflexion faite, ce n'est pas ce qui constitue leur caractéristique dominante. En effet, leurs omissions et leurs silences font partie d'un tout, ils contribuent [12] à l'élaboration d'une image spécifique de l'Amérindien. C'est cette image que nous essaierons de faire ressortir dans les pages qui suivent, en démontrant comment les manuels fabriquent le mythe québécois de l'Amérindien.

Ce travail se situe dans le cadre d'un projet beaucoup plus vaste qui, idéalement, nous permettrait d'analyser l'image de l'Amérindien dans l'ensemble de la culture québécoise, en incluant à la fois l'ancienne « mire » de la télévision et le sigle des camions de Bellechasse Transport. Puisque notre projet devait débuter quelque part, la décision de commencer par l'étude des manuels scolaires semblait présenter des avantages évidents. D'abord, les manuels forment un champ de recherche défini à priori, sur les limites duquel il ne peut y avoir de discussion. Par ailleurs, comme ils sont chaque année approuvés par le ministère de l'Éducation, nous sommes en droit de croire qu'ils représentent le point de vue officiel du gouvernement du Québec ; c'est le ministère qui détient la responsabilité de choisir, parmi tous les livres disponibles sur le marché, ceux qui définiront le contenu de l'éducation nationale. Enfin, et c'est sans doute le plus important, les manuels servent à l'éducation des enfants. Cette pensée sous-tend l'ensemble de notre travail : les textes que nous analysons sont offerts à des enfants et adolescents captifs qui ne sont pas en mesure de choisir leurs sources d'information et qui, le plus souvent, ne peuvent en faire une évaluation critique. De plus, il faut se rappeler que ces textes sont aussi imposés aux jeunes Amérindiens et Inuit qui, de plus en plus nombreux, fréquentent les écoles du Québec.

Il est évident que les manuels livrent à l'étudiant une image simplifiée de l'Amérindien. Cela semble inévitable, puisqu'ils ne peuvent jamais tout dire et sont nécessairement obligés de laisser tomber certaines nuances, certaines subtilités. Ils présentent donc un bref résumé des traits essentiels de l'Amérindien et de l'Inuk, de la même manière qu'ils se voient aussi forcés d'offrir une image simplifiée du Québécois, du Français, de l'Anglais, et de la société tout entière. Le procédé paraît inévitable, mais il faut bien admettre que, du coup, tout réside dans le choix des caractéristiques principales et donc dans la nature même de l'image qui est construite. Et il est important alors de voir dans quelle mesure celle-ci peut servir à fonder un préjugé négatif. Nous entendons par là, pour reprendre la définition déjà ancienne de Allport (1954 :7), une attitude contraire ou négative à l'égard d'une personne du seul fait de son appartenance à un groupe, sous prétexte que cette personne partage les caractéristiques négatives définies par l'image populaire du groupe. Le préjugé est une opinion toute faite, adoptée sans raison valable et sans examen sérieux et réfléchi : on juge l'individu [13] avant même de le connaître et selon l'idée préconçue que l'on a du groupe auquel il appartient. Un des buts de notre étude est donc de voir si l'image véhiculée par les manuels scolaires risque d'inculquer aux enfants des préjugés envers les Amérindiens et dans quelle mesure cette image toute faite est négative, ce qui risquerait de préparer ces enfants au racisme et à la discrimination.

Le fait que cette étude porte sur les manuels scolaires, plutôt que sur l'enseignement au Québec, soulève une difficulté qu'il nous faut dès maintenant écarter : il se peut que l'image de l'Amérindien que nous dégageons de notre lecture des manuels soit constamment corrigée, modifiée ou transformée par ceux qui ont charge de l'enseignement quotidien. Mais cela paraît presque impensable. Même si ce genre de correction doit se produire dans certains cas isolés, le contenu des manuels est sûrement enseigné dans la majorité des écoles. Il serait étonnant que le ministère de l'Éducation approuve chaque année une liste de manuels dans le seul but de les voir corrigés par les enseignants.

Parmi tous les manuels scolaires, les livres d'histoire sont ceux qui parlent le plus des Amérindiens et ceux auxquels, de ce fait, nous avons consacré la majeure partie de notre recherche. Il nous faut donc indiquer comment nous avons abordé ce type de manuel. Dès le départ, nous avons considéré l'histoire, du moins celle qui est enseignée dans nos écoles, comme faisant partie de l'idéologie québécoise. C'est-à-dire qu'elle constitue une représentation que les Québécois se font de leurs rapports avec le passé et de leur situation actuelle. L'histoire nationale est un aspect de la culture québécoise, elle appartient à ce système d'idées sur lequel se fonde toute doctrine sociale ou politique. La justification de cet argument, formulée d'abord par Claude Lévi-Strauss (1962), repose essentiellement sur deux évidences : l'histoire complète et parfaite n'existe pas, puisqu'elle nous dirait absolument tout ce qui s'est passé à chaque moment, ce qui est évidemment impossible ; et, en corollaire, l'histoire doit nécessairement choisir de rapporter certains faits, de négliger tous les autres, et chacun de ces choix sera déterminé par les intérêts particuliers de l'historien et de son époque. L'histoire de la bourgeoisie, des hommes et des Blancs sera forcément très différente de celle du prolétariat, des femmes ou des Amérindiens. Nous considérons donc l'histoire comme le reflet de l'idéologie de ses auteurs et notre travail comme celui d'ethnologues étudiant un aspect particulier de la société québécoise.

En d'autres mots, nous privilégions, dès le départ, ce qui est dit plutôt que ce qui est passé sous silence. Les événements historiques dont parlent les manuels sont des événements dont, en [14] principe, nous ne savons rien et que nous ne connaissons que par ce qu'en disent les manuels. Notre travail ne concerne donc ni l'histoire, ni les Amérindiens, mais bien l'idéologie qui se sert de l'une et des autres. On ne corrige pas une idéologie, on la remplace. C'est pourquoi, plutôt que de vouloir rétablir les faits et corriger notre histoire, il nous paraît plus important d'en comprendre la construction, de découvrir en elle le reflet d'intérêts particuliers et de prendre conscience du fait que son enseignement est un outil de manipulation idéologique. À ce sujet, nous avons été heureux de constater qu'au moins un historien, lui-même auteur d'un manuel scolaire, avait depuis déjà longtemps exprimé la même conviction :

Mais pourquoi l'école présente-t-elle une mythologie à la place de l'histoire ? C'est qu'une mythologie est un meilleur instrument que l'histoire pour transmettre aux jeunes générations la vision du monde que la société s'efforce de leur imposer à l'école. Ainsi étudier le contenu mythique de l'enseignement de l'histoire, c'est en fait tenter de saisir le psychisme de tout l'enseignement, et du même coup, celui de la société. (Lefebvre 1964 : 55-56)

Sans toutefois partager l'opinion qu'il peut exister une distinction entre mythologie et histoire, nous pouvons dire que Lefebvre exprime là notre perspective la plus générale et les buts ultimes de notre recherche.

Il nous faut, par ailleurs, expliquer la longueur de cet ouvrage que d'aucuns jugeront peut-être excessive. Nous y voyons deux justifications. L'une, d'ordre méthologique, sera exposée à la section suivante. L'autre tient au fait que les manuels scolaires du Québec ne seront probablement pas modifiés dès demain et que si notre travail veut trouver quelque utilité auprès de ceux qui ont aujourd'hui charge d'enseignement, il doit entrer dans tous les détails qui sont objets de leçons quotidiennes. Nous voulons ainsi offrir à l'enseignant un guide, un avertissement de chaque instant sur les implications possibles de chacune des références aux Amérindiens.

Signalons en terminant ce que nous avons toujours perçu comme les limites de notre enquête. Nous ne pourrons véritablement atteindre toutes les facettes de l'image de l'Amérindien que lorsque nous connaîtrons tous les sens qu'accordent les manuels aux images de l'Européen, du Français, de l'Anglais, du Québécois, etc. Pour maintenir à des dimensions abordables notre champ d'étude, nous avons été obligés d'isoler l'Amérindien de ce jeu complexe de contrastes où toutes ces images se définissent entre elles. Mais il est sûr qu'une analyse vraiment complète devrait tenir compte du fait que les Amérindiens sont partiellement définis [15] comme des non-Européens, non-Français, non-Anglais, etc., et qu'ils servent par contraste à élaborer l'image de ces Euro-Canadiens. Par contre, il faut dès maintenant être conscients du jeu inverse et comprendre que cette image de l'Amérindien fait elle-même partie de la définition des autres, en particulier de l'image simple et idéale par laquelle les manuels définissent le Québécois.



Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le vendredi 30 mars 2012 12:36
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie retraité du Cégep de Chicoutimi.
 



Saguenay - Lac-Saint-Jean, Québec
La vie des Classiques des sciences sociales
dans Facebook.
Membre Crossref