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Collection « Les sciences sociales contemporaines »

La sociologie québécoise aurait-elle (sans qu'elle le sache) succombé aux Cultural Studies ?” (2005)
Introduction


Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Philippe Warren, “La sociologie québécoise aurait-elle (sans qu'elle le sache) succombé aux Cultural Studies ?” Un article publié dans la revue Bulletin d’histoire politique, vol. 14, no 1, automne 2006, pp. 237-247. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 novembre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.]

Introduction [1]

L'historien des idées François Dosse avait, il y a de cela près de dix ans, annoncé la constitution d'une nouvelle configuration du champ des sciences sociales, après trois décennies de domination du courant structuraliste. Après avoir voulu faire signe, les praticiens des sciences sociales, avançait‑il, voulaient désormais faire sens des conduites et des croyances humaines [2]. Cette intuition, accueillie avec un certain scepticisme devant la diversité des approches scientifiques et des écoles de pensée, en France comme ailleurs, en une époque qui consacrait la fin des hégémonies paradigmatiques anciennes, allait se révéler en définitive étonnement féconde, voire prophétique. Tout en reconnaissant la réalité plurielle des perspectives en vogue en sciences humaines et tout en soulignant l'impossibilité de les ramener sans nuances à quelque dénominateur commun, Dosse n'en affirmait pas moins que les jeunes chercheurs français partageaient un air de famille en ce qu'ils privilégiaient à peu près tous, contre l'anti-humanisme et l'anti-subjectivisme de leurs aînés, une certaine « inflexion interprétative ». « Le tournant paradigmatique, écrivait Dosse, accorde une position centrale à l'action dotée de sens, réhabilite l'intentionnalité et les justifications des acteurs dans une détermination réciproque du faire et du dire » [3]. II y avait là une posture propre à une nouvelle génération de chercheurs de l'Hexagone. C'était pour ainsi dire l'ensemble de la relève en sciences sociales, les enfants de 1968, qui refusait, explicitement ou implicitement, la sensibilité commune à la génération intellectuelle d'après-guerre. 

L'empire du sens qui étendait sa puissance sur le champ des sciences sociales est caractérisé par une volonté d'engagement (qui se reflète dans le refus de surdéterminer l'analyse et par une posture à la fois politique et morale), par le retour de l'historicité (qui trouve exemple, entre autres, dans la réhabilitation de la mémoire et de la perspective historique) et par la vogue de l'interdisciplinarité (les sciences sociales incorporant les trois sciences, humanities diraient plus justement les Anglais. du sens par excellence, à savoir la littérature, la philosophie et l'histoire). Plus que d'autres sciences sociales, en raison de son lien traditionnel avec l'action normative, de son approche diachronique et sa position de surplomb par rapport aux autres pratiques scientifiques, la sociologie a été prise dans cet ouragan herméneutique. Au Québec, depuis une dizaine d'années, cela a fait figure de véritable raz‑de‑marée. 

Ce sur quoi nous devons insister en premier, c'est à quel point la sociologie québécoise francophone pratiquée par la jeune génération a incorporé le paradigme herméneutique français d'une manière originale, manière qui semble la rapprocher. quoi que cette nouvelle génération en dise, des cultural studies américaines. Ce qui caractérise le courant des cultural studies, c'est à la fois un intérêt pour la formation de la subjectivité humaine à travers l'entrelacement des pouvoirs organisationnels et institutionnels, une retraduction de la théorie sociale dans le langage de l'analyse textuelle, et l'engagement critique [4]. Le fait que les cultural studies aient privilégié historiquement l'analyse du quotidien, des médias et des groupes marginaux tient simplement à cette triple perspective, et non pas à la nature propre du paradigme. C'est sans doute la raison pour laquelle - la jeune génération de sociologues québécois s'intéressant à tout sauf vraiment au féminisme et aux ethnic studies - la sensibilité qui est la sienne a pu paraître se situer à l'opposé de celle devenue populaire dans les universités américaines. 

Et pourtant, force est de reconnaître que les dernières publications des nouveaux professeur(e)s de sociologie tendent, lorsqu'ils ne flirtent pas avec la résolution pragmatique des problèmes sociaux (comme en criminologie, par exemple), à privilégier massivement l'analyse du discours. Les vastes analyses monographiques des années 1960, de même que les études des classes sociales et structures sociales des années 1970 sont désormais choses du passé. Nous avons de cette évolution plusieurs exemples, à commencer par La fin de la famille moderne [5] de Daniel Dagenais, La rencontre de deux peuples élus. Comparaison des ambitions nationale et impériale au Canada [6], de Sylvie Lacombe, ou L'empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine [7], de Céline Lafontaine. Chacun de ces ouvrages étudie la société par le bout du discours qu'elle entretient sur elle. Cette perspective correspond bien, comme l'avait prédit Dosse, à la victoire du paradigme herméneutique sur le paradigme structuraliste (ou fonctionnaliste) de la deuxième moitié du dernier siècle, ou encore, pour user d'une image réductrice mais commode, à la victoire de l'école représentée par Fernand Dumont sur l'école représentée par Gilles Bourque [8]. Aux yeux des sociologues des années 1960 et 1970, tout n'était que structures et classes sociales. Aux yeux des sociologues contemporains (ceux qui encore une fois, précisons‑le, ne partagent pas l'enthousiasme pour la gestion du système social), tout (ou presque [9] ) n'est que discours : discours des pouvoirs et pouvoir des discours.


[1]     Je voudrais remercier Gilles Gagné pour avoir, par ses critiques et ses désaccords, permis de préciser davantage certaines hypothèses formulées dans cet essai.

[2]     François Dosse, L'empire du sens. L'humanisation des sciences humaines, Paris, Éditions La Découverte, 1995.

[3]     Ibid., p. 12.

[4]     Philip Smith, The New American Cultural Sociology, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.

[5]     Daniel Dagenais, La fin de la famille moderne, Québec, PUL, 2002.

[6]     Sylvie Lacombe, La rencontre de deux peuples élus. Comparaison des ambitions nationale et impériale au Canada, Québec, PUL, 2002.

[7]     Céline Lafontaine, L'empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, Paris, Seuil, 2004.

[8]     Le cas de Gilles Bourque est particulièrement intéressant parce que, parti d'une analyse de la société en termes de classes sociales, il a lentement migré vers une analyse des idéologies politiques (et plus spécifiquement des discours du budget) de manière à dégager, à travers ce corpus, les formes de représentation de la société québécoise. Convaincu, dans les années 1970, que le discours politique était un reflet des conflits de classe et des réalités structurelles, il en vînt lentement à croire que le discours politique pouvait aussi produire la société et devait donc être étudié comme tel, selon une méthode à la fois non déterministe et constructiviste d'analyse du discours. Si Paul Ricœur a pu représenter, pour François Dosse, le pôle rassembleur d'une pléiade de chercheurs en France, Fernand Dumont, dont la parenté avec Ricœur n'est plus à établir, aurait pu jouer au Québec un rôle un peu semblable, si ce n'était du fait que l'auteur du Lieu de l'homme paraissait trop en quête d'une société globale (et de plus d'inspiration chrétienne) pour inspirer en profondeur la jeune génération de sociologues. Entre Ricœur et des cultural studies radicalisant le procès mis en branle par les intellectuels français de la trempe de Jacques Derrida et consorts, les nouveaux chercheurs se tiennent quelque part dans l'entre-deux - il est à cet égard révélateur que ce soit Michel Foucault qui soit d'ordinaire cité dans les demandes récentes de bourses doctorales et post doctorales. Néanmoins, la tendance est prise. On délaisse Bourdieu, et on s'inspire de Deleuze. On se désintéresse des Héritiers, et on se passionne pour Rhizomes.

[9]     Précisons d'entrée de jeu un fait qui mérite à peine d'être mentionné tellement il confine à l'évidence. La jeune génération dont nous tentons ici de cerner la sensibilité est trop diverse et trop multiforme pour être ramenée à une perspective et pratique uniques. Nous ne cherchons pas ici à décrire ses travaux mais à analyser sa posture. Cela oblige, comme dans l'établissement d'une règle, à reconnaître maintes exceptions et à faire de non moins nombreuses nuances.


Retour au texte de l'auteur: Jean-Marc Fontan, sociologue, UQAM Dernière mise à jour de cette page le mardi 3 avril 2007 12:38
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi.
 



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