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Collection « Les sciences sociales contemporaines »
Une édition électronique réalisée à partir de l'article de Jean-Philippe Warren, “Universalisation et traditionalisation de la discipline sociologique. Le cas du Québec francophone”. Un article publié dans la revue Sociologie et sociétés, vol. 37, no 2, automne 2005, pp. 65-89. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal. [Autorisation accordée par l'auteur le 5 novembre 2006 de diffuser cet article dans Les Classiques des sciences sociales.] Introduction Cet article s'intéresse à la fondation historique d'un champ disciplinaire national, à savoir au processus de traditionalisation scientifique en sciences sociales. Plus spécifiquement, il cherche à mieux comprendre, en la comparant sans cesse au développement de la sociologie du Canada anglophone, comment la sociologie du Québec francophone a progressivement créé un espace référentiel - paradigmatique et idéologique - et comment cette sociologie a cherché, surtout dans les années 1960 et 1970, à promouvoir une connaissance enracinée dans la réalité nationale. Ces dernières années, cette question a amené plusieurs chercheurs à s'interroger, dans une perspective de sociologie de la connaissance ou simplement dans une perspective historique et critique, sur le rapport épistémologique, théorique et politique que la sociologie entretient nécessairement avec la société concrète (Crawford, Shinn et Sörlin, 1993 ; Trindade, 2005 ; McLaughlin, 2005). « Historiquement, peut-on lire dans un rapport de l'Unesco sur "Les sciences sociales dans le monde", les sciences sociales se sont développées nationalement. La recherche s'est surtout concentrée sur les questions nationales » (Kazancigil et Makison, 2001, p. 9). Cette affirmation semble cependant de moins en moins acceptable dans le contexte d'une croissance des échanges internationaux et d'une délocalisation de la recherche. Notre objectif est donc de saisir la constitution progressive, au Québec francophone, d'un champ sociologique national afin d'établir, dans un deuxième temps, les dimensions constitutives de tout champ national. Nous appelons « universalisation » (et, inversement, « traditionalisation ») l'accroissement de la reconnaissance d'un paradigme scientifique et « internationalisation » (et, inversement, « nationalisation ») le mouvement concret de production, diffusion et consécration du savoir scientifique. Ainsi, une science est universalisée dans ses méthodes et ses théories, tandis qu'elle est internationalisée dans ses conditions institutionnelles et organisationnelles (soutiens financiers, cadres institutionnels, réseaux d'échange, instances de vulgarisation, etc.). En d'autres termes, nous désignons ici par processus de traditionalisation la constitution historique d'une tradition disciplinaire (Nisbet, 1984). La condition concrète d'apparition d'une tradition scientifique est la constitution d'un champ scientifique national (Genov, 1989a). On reconnaît d'ordinaire que l'internationalisation de l'activité scientifique se mesure à l'aune de la circulation des personnes, des textes et des objets, le mode de production du savoir et le financement de la recherche (Crane, 1972 ; Gingras, 2002). À noter, comme il faudra y faire sans cesse attention dans la suite du texte, que l'universalisation et l'internationalisation sont des processus relativement disjoints, dans la mesure où l'on peut imaginer des conditions de production locale des connaissances dans le contexte d'une science dont la tradition déborde le cadre de la nation (le cas est fréquent, pour dire le moins, en ce qui concerne les sciences dites exactes) - et inversement. Nous ne pouvons pas plus nier le caractère international de la pratique sociologique que le repliement de celle-ci sur les frontières nationales, ethniques, de classes ou de genres. « On croit souvent que la vie intellectuelle est spontanément internationale. Rien n'est plus faux. La vie intellectuelle est le lieu, comme tous les autres espaces sociaux, de nationalismes et d'impérialismes [...] » (Bourdieu, 2002b ; 1992 ; 2000). C'est à partir de cette prémisse que cet article s'intéresse à la constitution d'un champ national dans le contexte de la société québécoise. Les oeuvres sociologiques circulent entre le Québec et les autres provinces ou pays, certes, seulement eues circulent parfois difficilement, comme si une résistance continuelle s'exerçait dans le sens contraire de l'universalisation (ou de l'internationalisation) de la discipline. Situé historiquement au carrefour de quatre empires, à savoir, dit grossièrement, un empire politique (Angleterre), un empire économique (États-Unis), un empire culturel (France) et un empire religieux (Église catholique), le Québec francophone est un laboratoire particulièrement intéressant pour dégager les mécanismes de cette résistance épistémique ou politique et les structures institutionnelles ou sociales qui sous-tendent cette tension [1]. Il permet de mieux comprendre comment les clivages culturels et les aspirations à établir une connaissance objective tout à la fois se conjuguent et s'opposent de manière particulière dans l'histoire de la pratique sociologique. Société de culture fragile et incertaine, et, pour cette raison, prompte à succomber, comme ailleurs en de semblables contextes, à des crispations identitaires ou à des mouvements nationalistes, tout autant qu'à s'ouvrir, en raison de sa périphérie, aux grands courants qui traversent les champs plus centraux ou métropolitains, le Québec francophone (ou encore, avant 1960, le Canada français) permet d'illustrer quelques-uns des principes primordiaux qui orientent l'institutionnalisation d'un champ national. [1] Sur la question de l'autonomie du champ québécois par rapport aux autres disciplines, qui n'est pas notre perspective ici, lire, entre autres, Fournier, Germain, Lamarche et Maheu (1975). Adoptant une lecture qui se situe en général au niveau de l'évolution départementale, Marcel Fournier a écrit plusieurs articles qui s'attachent à décrire la progressive délimitation de la sociologie par rapport aux autres savoirs académiques (théologie, philosophie, droit, journalisme, etc.). On trouvera une illustration de ses thèses dans L'Entrée dans la modernité (1986). [Texte disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]
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