Introduction
Le Québec amorce, tous en conviennent, une phase de son histoire qui contribuera à clarifier la trajectoire nationale. Beaucoup d’attention et d’énergie sont dirigées vers un objet central: les rapports entre le Québec et ses partenaires canadiens. C’est là un terme majeur de l’équation qui doit permettre de garantir ou non la pérennité d’une société québécoise bien distincte. On comprend d’emblée qu’il s’agit d’une question de survie nationale : comment doit-on redéfinir nos relations dans le contexte politique externe? Dans la perspective de la survie et du développement du Québec, d’autres questions aussi cruciales doivent pourtant être remises à la réflexion des citoyens du Québec: a-t-on une vision claire de l’évolution démogra-phique, sociale et économique des populations locales et régionales qui occupent le territoire québécois? A-t-on rendu explicites et débattu les choix politico-administratifs actuels et passés qui structurent l'occupation de notre territoire et qui conditionnent le développement des diverses municipalités et régions qui composent cet espace? En ce qui a trait aux choix de société, il importe que le citoyen québécois perçoive à la fois les processus externes et internes qui déterminent et modulent le devenir collectif. Il ne suffit pas de définir l’économie de nos relations avec les partenaires externes, il faut carrément voir si à l’intérieur même de notre société, les règles et les façons de faire assurent le lendemain des populations locales et régionales qui constituent le Québec. Qu’advien-dra-t-il à long terme si, faute de poser sans complaisance les problèmes et d’opérer collectivement des choix explicites et conséquents, le Québec induit ou maintient lui-même une dynamique contraire aux exigences de sa survie?
Le développement de la société québécoise ne dépend donc pas uniquement d'une planification de l'avenir et de l'obtention par négociations de leviers supplémentaires pour notre prise en charge, il repose autant sur notre capacité d’interroger les pratiques actuelles et passées et d’utiliser au mieux les leviers dont notre société dispose déjà.
Le sujet
Ce rapport relève de cet ordre de préoccupation. Il a comme propos de jeter un regard évaluatif, non complaisant, sur des mécanismes qui sous-tendent l’évolution des populations locales et régionales du Québec, souvent même à l’insu des citoyens et de leurs Élus. Il s’agit donc d’abord de mettre à jour, en s’appuyant sur des informations relatives aux 20 dernières années, les phénomènes qui affectent les populations des diverses régions du Québec. Ces informations tirées de données démo-graphiques et économiques officielles mettent en perspective l’évolution comparative du Saguenay-Lac-Saint-Jean et celle des autres régions du Québec. Cette partie du rapport rend explicite l’écart entre la réalité qu’on peut déduire des faits bruts et les tendances dominantes du discours scientifique et technocratique actuel. Elle laisse voir, en particulier, comment une ambiguïté entretenue entre les termes « développement » et «croissance» peut engendrer des erreurs énormes dans la lecture des faits.
Mais ces faits, quels sont-ils? La seconde partie du rapport précise en quoi consiste le problème. Partant de faits concrets, on y esquisse la description d’un processus de sous-développement systématique qui disloque et désintègre d’abord des populations locales regroupées à l’intérieur de municipalités.
Partant d’une réinterprétation des faits démographiques et économiques connus, on y dresse un portrait évolutif de la situation des régions: celui-ci rend d’abord évidente l’existence d’un processus systématique de vidage d’un grand nombre de régions, vidage létal puisqu’il affecte essentiellement les segments de populations qui normalement assureraient la capacité de reproduction naturelle des localités et des régions. Ce déséquilibre structurel dans la répartition des effectifs démographiques sur le territoire québécois, met objectivement en cause la capacité d’une majorité de régions, d’assurer leur pérennité.
Dans le but d’approcher les causes possibles, le rapport scrute ensuite les facteurs économiques qui peuvent expliquer cette problématique. L’analyse, dans le temps long, de la progression du rapport emploi-population dans l’ensemble des régions du Québec, laisse voir le progrès constant des indicateurs de croissance intrarégionaux, mais aussi le maintien et l’accroissement des disparités interrégionales. Mis en relation avec les faits démographiques, les faits économiques amènent à constater que le maintien des populations locales et régionales, et partant, le développement de leur milieu, ne reposent pas sur la croissance brute d’emploi, mais plutôt sur l’abolition des déséquilibres en matière d’emploi qui opposent les collectivités locales les unes aux autres. Ceci renvoie directement à la distinction qu’il faut faire entre croissance et développement.
Pour appréhender concrètement ces phénomènes, le rapport scrute la situation d’un territoire spécifique, la M.R.C. Lac-Saint-Jean-Est. À travers cet exemple, sont explorées les disparités qui affectent les municipalités d’un même territoire, ce qui permet d’amorcer l’analyse des causes du phénomène. Les informations démographiques et économiques mises en relation avec le mode de redistribution par l’État québécois de la richesse collective, font apparaître un lien causal majeur. La façon qu’a l’État de répartir les dépenses publiques dans un seul de ses secteurs majeurs d’intervention peut, à elle seule, enclencher le processus de maintien et d’accroissement des disparités entre les municipalités et entre les régions, ces disparités engendrant des déséquilibres menant à la désintégration de territoires et de régions entières. Cette affirmation majeure est démontrée à partir d’un ensemble d’informations diachroniques provenant de sources officielles.
Comment des phénomènes d’une telle importance pour l’avenir du SaguenayLac-Saint-Jean et des autres régions du Québec ont-ils pu passer inaperçus? Comment n'ont-ils pas été portés à l’attention des citoyens et de leurs Élus? Une autre partie du rapport s’attaque à cette question qui ne peut en aucune façon être éludée, car elle engage la responsabilité des organismes et des personnes qui ont pour fonction d’analyser la réalité, de la porter à l’attention des citoyens et des Élus ou de définir les outils de gestion d’un État centré sur son rôle premier: la réduction des inégalités entre les populations et entre les individus qui composent ces populations. Cette partie procède d’une logique qui, loin de s’éloigner des exigences morales de base, pose en fait la question de l’éthique et de la responsabilité dans des activités scientifiques, administratives et politiques qui déterminent implicitement ou explicitement des choix de société.
Une fois achevée la description des problèmes, des causes et des facteurs qui les entretiennent, il importe d’aborder la question des solutions. Ce rapport ne peut, à l’évidence, définir l’ensemble des mesures qui permettraient de s’attaquer à un problème mettant en cause la pérennité de vastes segments de la société québécoise et la restauration d’un mode de développement fondé sur l’occupation véritable du territoire québécois. En matière de solutions, le rapport tente d’identifier les culs-de-sac à éviter et esquisse les conditions minimales essentielles à la restauration d’un réel équilibre.
Le public-cible
Ce rapport s’adresse surtout aux citoyens et à leurs Élus. Les faits et les processus qui y sont décrits touchent directement ou indirectement l’ensemble des citoyens de la région et du Québec. En effet, les faits décrits ici peuvent, à un premier niveau, laisser croire qu’une partie des régions gagne ce que l’autre partie perd. En réalité, les disparités démographiques, sociales et économiques affectent profondément et négativement à court, moyen ou long terme, autant les banlieues triomphantes, les espaces ruraux en désintégration, que les centres-villes en mutation. Quel que soit le secteur d’activité visé santé, éducation, etc., ce déséquilibre systématique draine et drainera de plus en plus l’énergie collective pour pallier les effets les plus évidents, sans que ne soient d’aucune façon neutralisées les causes profondes.
Le rapport met en évidence le fait que, sciemment ou non, la société québécoise a entrepris de se concentrer dans la grande région montréalaise. Cette tendance, dont le mécanisme est en partie démontré ici, implique l’abandon par les populations des territoires qui ont constitué pour l’ensemble des générations antérieures le fer de lance du développement d’une société enracinée et vivante. On peut, par exemple, mettre en contraste cette stratégie nationale et celle des groupes autochtones pour lesquels l’accession à l’autonomie passe nécessairement, et a priori, par l’obtention et l’occupation de vastes territoires sur lesquels ils pourraient assurer leur développement.
Ce que ce rapport ne peut faire
Le propos de base de ce document est ambitieux, puisqu’il s’agit de rendre accessible au plus grand nombre les tenants et aboutissants d’une problématique qui fait appel à des notions tirées de plusieurs disciplines. Cette étude ne peut rendre compte de l’ensemble des 20 années d’études et de recherche qui sous-tendent les informations présentées. À titre illustratif, il n’est pas possible ici de faire état de toutes les données analysées et corrélées à l’échelle de la totalité des municipalités du Québec pour l’ensemble de la période couverte. De même, il n’est pas envisageable, dans le cadre imparti à ce document, de décrire en détail tout l’appareil méthodologique qui a présidé au traitement des informations. Un document subséquent en traitera en profondeur.
Des lecteurs pourraient aussi regretter que certains éléments de la démonstration ne se soient pas enrichis d’autres paramètres qui auraient contribué à étayer l’édifice. À cet égard, il faut rappeler que les indicateurs choisis, par exemple le rapport emploi-population, l’ont été sur la base de la théorie connue, et qu’à eux seuls ils peuvent rendre compte de l’ordre des phénomènes auxquels ils se rattachent.
Au chapitre des insuffisances pouvant affecter ce rapport, on pourrait affirmer qu’il ne cerne pas clairement l’effet des acteurs privés et publics autres que l’État québécois sur le développement. Il est clair que ce document n’a pas comme objectif de synthétiser l’articulation détaillée de l’ensemble des actions pouvant inférer sur le développement du Québec. Le rapport remet plutôt à la réflexion des citoyens et de leurs Élus un état de situation et une analyse de causes qui, à elles seules, rendent impossible le développement économique et social. Plus encore, ces causes influencent fortement les interventions des autres acteurs qui sont ainsi mécaniquement incités à renforcer le processus de déséquilibre. Dans le contexte de ce document, la question posée au lecteur porte donc bien davantage sur l’exactitude des causes et des effets décrits et sur le caractère vérifiable des faits dans l’expérience concrète des individus et des groupes. Il est évident que l’absence de tel ou tel élément d’information supplémentaire peut être invoquée par qui veut éviter de discuter de la portée réelle des informations disponibles ici. La connaissance de la réalité peut toujours être améliorée: cela ne doit jamais servir de prétexte pour reporter sans cesse l’évaluation des trajectoires et des gestes qui s’avèrent les vrais choix de société.
Le ton
Il importe de l’indiquer d’entrée de jeu. Le ton emprunté dans ce rapport ne respecte pas toujours les canons de la présentation scientifique traditionnelle. Le style y est parfois direct et cru. De nombreuses images et analogies s’y retrouvent pour rendre plus facile la saisie de phénomènes complexes. Ces choix stylistiques ont été faits de propos délibéré. Le sujet traité est grave et les euphémismes ne constituent par toujours une avenue adéquate de traitement pour une telle matière.
À titre d’exemple, si pour vous alerter d’une situation d’urgence, un premier voisin vous dit: «Comme il est regrettable que la violence soit si généralisée de nos jours», et qu’un deuxième voisin arrive et vous dit: « Eh! y a deux voyous qui sont en train de battre ton gars dans la ruelle! », tiendrez-vous réellement rigueur à ce dernier d’avoir utilisé un ton qui ne sied pas à une personne de son rang? Remercierez-vous avec autant de chaleur le premier voisin qui sait, en toute chose, garder tant d’élégance? La verdeur du propos sert parfois mieux la démonstration, spécialement quand les faits évoqués portent à conséquence.