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Collection « La désintégration du Québec et des régions »
L'Ascension, Lac-Saint-Jean, 25 mars 2004.
Lettre ouverte à Benoît Bouchard, représentant du Lac-St-Jean à la table des négociations sur lApproche commune: Autochtonie. Richard Harvey, fils du Piékouagami, fier de lêtre et déterminé à le rester ! LAscension, Lac St-Jean
Suite à votre nomination à la future table de négociation et dans le contexte dun recul évident de lApproche commune, que lon peut attribuer sans mal à lempressement pour le moins indu des négociateurs innus et de votre nouveau patron le ministre des affaires autochtones M. Benoît Pelletier à conclure cette entente; et compte tenu que daucuns vous attribueront le droit et le devoir de parler en mon nom et en celui de mes compatriotes du Saguenay et du Lac-St-Jean, je vous adresse ces réflexions sur le sujet, mises à jour pour votre gouverne, que jespère vous accueillerez avec toute lattention quelles requièrent. À lexamen attentif des points saillants de lentente rendue publique depuis le 14 juillet 2000 vous conviendrez certainement comme moi dune chose: lApproche commune est, à quelques détails près, ce dont toute collectivité moderne et résolument engagée vers le développement devrait disposer comme levier; une autonomie décisionnelle; un territoire; un droit de regard sur tout projet de développement relié aux ressources de ce territoire; une participation assurée à ce développement par le biais dun partenariat privilégié; le droit aux redevances et aux rentes assujetties au partage et enfin, laccès au financement. Le problème que pose lApproche commune est le suivant: que reste-t-il comme possibilités - comme avenir - aux autres segments de la population régionale, les quelques 276,000 citoyens blancs et métissés laissés pour compte, qui constituent 98% de la population et à qui on a imposé le bâillon de surcroît, comme sils navaient jamais existé, comme si lhistoire de cette contrée sétait écrite sans eux? Lancien gouvernement, par lintermédiaire de lex-ministre aux affaires autochtones Guy Chevrette, reconnaissait demblée la légitimité dune consultation référendaire parmi la communauté montagnaise mais refusait cavalièrement cette même légitimité aux autres citoyens régionaux. Une prise de position particulièrement outrageante, totalement endossée cependant par les négociateurs de toutes les parties et les chefs des communautés autochtones concernées de lépoque. Comment interpréter alors, autrement que par force arrogance les déclarations récentes du négociateur en chef des «innus» M.Rémy Curtness qui prétend sadjuger lappui tacite de la majorité silencieuse (sic) dont il nie depuis le début le droit de sexprimer sur le sujet? Il y a là me semble-t-il bien plus quune simple maladresse Lex-ministre déchu, puis recyclé en mandataire avait poussé laudace jusquà dire que les citoyens navaient «pas daffaires» dans les questions territoriales en invoquant larticle 35C de la loi constitutionnelle de 1982 qui confère à la «législature du Québec» un pouvoir discrétionnaire absolu en matière de cessions territoriales. Une façon bien singulière vous en conviendrez, pour un gouvernement qui se prétendait social-démocrate, dexercer la démocratie! Quand on connaît toute limportance des territoires et de leurs ressources en économie de développement, il y a de quoi se poser de sérieuses questions sur les vraies intentions de lÉtat dans ce dossier. En soumettant lensemble régional aux conditions discriminatoires du partage des leviers de développement autonomes entre les «innus» et lÉtat québécois, celui-ci pratique une politique dexclusion des citoyens régionaux non autochtones et des métis - reconnus depuis le jugement Powley au même titre que les « innus » en regard de larticle 35 de la constitution canadienne - dans le processus décisionnel. Il accentue simultanément son emprise sur léconomie régionale et ferme la porte à tout recours contre lui ou ses partenaires. Un moyen astucieux de se soustraire à ses obligations démocratiques envers la population. Car, en effet, tout laisse croire que les territoires qui feront lobjet de cessions dans cette entente ne seront pas, en cas de griefs, assujettis aux recours possibles comme le Bureau dAudience Publique en Environnement, les commissions parlementaires ou les commissions denquêtes publiques. La perte de juridiction consentie dans lentente limitera les recours éventuels au respect des normes ministérielles en matière denvironnement, ce qui est loin dêtre une garantie de protection comme en fait foi lhistoire récente. Les parlementaires pourront modifier les normes quand bon leur semblera, à la satisfaction des promoteurs, même si cela avait pour conséquences des altérations majeures à lenvironnement ou sur les populations régionales. Tout le monde sait que le laxisme réglementaire est une condition essentielle à lefficacité et à la rentabilité du productivisme. Cest vrai pour le secteur de lhydroélectricité comme pour celui de lagroalimentaire, de la foresterie ou des mines. Par la signature de cette entente, lÉtat québécois pose en fait les dernières pièces dune mécanique qui cèle toutes les issues. Le développement de lensemble régional version intégrée ou autonome - est définitivement compromis. Désormais, on nen parlera plus quen terme de partenariat (ce dernier nétant ici quun outil de détournement du pouvoir et des retombées économiques entre les mains de lÉtat et des grosses compagnies). Les planificateurs gouvernementaux se proposent donc dacheter la paix des régionaux par une série de propositions de participations monétaires aux instances politiques non électives comme les MRC et bientôt la CRÉ par le biais de sociétés en commandite, qui assureront la réalisation de certains projets de développement hydroélectrique entre autres. Ces instances servent traditionnellement de courroie de transmission des volontés gouvernementales et sont habituellement sous le contrôle entier dopérateurs économiques voraces, des partenaires ciblés et privilégiés du régime qui auront tôt fait de saccaparer des retombées positives de ces projets pour leurs propres bénéfices, accentuant ainsi la concentration de la richesse et du pouvoir entre les mains des monopoles centralisateurs. Ce constat vaut tant pour les blancs, les métis que pour les autochtones. Lexclusion des citoyens du contrôle démocratique qui résultera de la signature de ce traité aura pour conséquence aussi, danéantir lefficacité déjà fort affaiblie des groupes de pressions populaires qui sopposent à cette vision incohérente du développement et qui sinquiètent à juste titre des risques et des coûts environnementaux, sociaux et économiques qui en découleront inévitablement. Les citoyens de cette région, y compris les montagnais, sinquiètent et appréhendent de plus en plus les effets néfastes dune entente qui «exclut au lieu dinclure» [note 1]. Vu sous cet angle, cette entente ne constitue-t-elle pas, pour le gouvernement, une garantie de pouvoir mettre à exécution ces grands projets dexportation dénergie hydroélectrique vers les États-Unis, comme prévu par les bonzes dHydro-Québec? La mise en chantier du projet de détournement de la rivière Manouane et la réalisation dune autre centrale de 450 MW sur la rivière Péribonka, bien avant la conclusion du traité à venir constituent à cet égard des indices tout à fait probants des plans du gouvernement et de ses partenaires supranationaux, les banques de la Nouvelle-Angleterre, Hydro-Québec, Alcan et les grosses compagnies forestières. Cette effusion de générosité spontanée de la part de lÉtat québécois envers les populations « innus » camoufle en réalité une prise de contrôle du potentiel de développement de nos territoires communs qui aura pour triple effet denrichir les coffres de lÉtat; déliminer toute velléité de la part des citoyens régionaux quant à leur droit au partage, donc de «contrecarrer lémergence dun régionalisme québécois» qui pourrait affaiblir la métropole; et enfin de sassurer la collaboration et la docilité de lélite autochtone également des partenaires privilégiés et ciblés - pour qui lintérêt économique de la mise en chantier de ces projets faciliterait grandement le règlement de litiges éventuels liés à la gestion des droits ancestraux. Dans un pareil contexte, les populations autochtones non initiées de ces territoires sont exposées aux même dangers et menaces que les populations blanches ou métissées des régions concernées. Il existe en effet un fort risque que ces populations subissent encore et pour longtemps le népotisme et lemprise de leur élite mercantiliste sur leur destinée, à linstar des autres collectivités régionales qui elles, sont dans la mire des grands commis de lÉtat. Les inquiétudes et les appréhensions manifestées par les chefs spirituels et les mères de clans à légard de lApproche commune sont justifiées et légitimes. Labsence de transparence de la part des négociateurs des trois parties risque donc de générer des tensions. Les collectivités régionales blanches, autochtones et métissées évoluent dans des systèmes liés dont les assises communes le territoire et ses ressources doivent faire lobjet dune utilisation et dun partage équitable. Nier cette évidence cest faire abstraction des réalités historiques qui ont prévalu et qui ont déterminé les caractères spécifiques de notre organisation sociétale et de notre mode de peuplement. Cest également sexposer à voir surgir des tensions sociales non souhaitables qui risquent de briser les liens qui se sont tissés au fil du temps entre nous, par le métissage génétique, culturel et spirituel. Cest ce que lhistoire aurait dû nous enseigner. Ce nest pas ce que lApproche commune nous propose. Elle nous impose plutôt la division, les tensions, liniquité et linégalité des chances. Or, tout nest pas blanc ni rouge ici. La culture amérindienne fait partie de nous comme nous faisons partie delle, à tout jamais. Cet omission constitue au fond la grande faiblesse de lApproche commune. Elle met aussi en relief lémergence dune «autochtonie» [note 2], une tendance planétaire qui assimile une certaine «victimisation» ( intériorisation du racisme et de la persécution ) à la spiritualité; qui alimente le fondamentalisme et lorthodoxie et qui sert de base aux revendications ethnocentriques des communautés autochtones dAmérique du Nord et particulièrement du Québec et du Canada. Cela risque de provoquer léclatement territorial de ces entités respectives à moyen terme. « On est les précurseurs des premières revendications urbaines on est allé plus loin que nimporte qui le chemin quon va tracer servira aux Nigaas de la Colombie Britanique, aux autochtones des États-Unis » (A.Nepton, La Pige, octobre 2000). Ces revendications, bien que justifiées à tous égards, deviennent souvent extravagantes, parfois loufoques voire même arrogantes. Elles font même parfois lobjet dun certain débordement. Par exemple les quelques 600 « premières nations » reconnues au Canada ne revendiquent pas moins quenviron 120% de tout le territoire canadien! Cette « victimisation » est également à lorigine de linaptitude au développement ou du refus de celui-ci, ainsi que du chaos observable dans lorganisation sociale, culturelle et économique de plusieurs communautés autochtones du Québec et du Canada. Nous devons cesser de nous cacher derrière un mur dappréhensions et affronter la réalité telle quelle se présente si lon recherche réellement le bien commun. En prétendant vouloir corriger des « injustices historiques » par la mise en application des termes de lentente, lÉtat québécois commet un impair grave. Un geste antidémocratique qui cache des motifs obscurs, nébuleux . Il y aurait lieu de reformater le cadre de ces négociations pour que soient évités dans lavenir des égarements semblables et ne plus laisser le sort de populations entières entre les mains de quelques consultants plus ou moins improvisés et de fonctionnaires faiseurs de traités dont les vingt dernières années de travail bâclé, nont généré quun document pourri, inextricable, tarabiscoté et tricoté à la va comme je te pousse! De la pure incompétence! Dautre part un dialogue franc, honnête et généreux devrait permettre denvisager lavenir avec un certain positivisme, dans un contexte de paix, dharmonie et déquité. Dans lesprit dun peu tout le monde, il ne fait aucun doute que la communauté montagnaise a besoin dun rattrapage au plan socioéconomique pour assurer son bien-être et son développement. Mais ce nest un secret pour personne non plus que léconomie régionale a périclité dramatiquement depuis une vingtaine dannées provoquant ainsi le marasme et la morbidité typiques dune société qui se désintègre, destinée à lexode, à lassimilation dans un melting-pot franco-québécois « montréalisant ». Réparer les erreurs du passé est une intention noble en soi. Mais comment peut-on espérer réparer une injustice sans avoir le souci déviter la perpétration dune autre injustice ? En vertu de quels critères peut-on évaluer une « injustice historique »? Comment peut-on prétendre juger sans faille les valeurs du passé avec les yeux du présent? Cette approche déterministe de lhistoire nous entraîne dans un dédale dinterprétations, de reconstitutions historiques patentées, de jugements arbitraires et mal assurés qui servent dassises aux planificateurs et négociateurs professionnels, mercenaires de la désintégration, qui ont pour desseins depuis la révolution tranquille notre disparition pure et simple. En un sens on peut reconnaître quils y a eu injustices de la part des dirigeants et des gouvernements dans le passé justement par négligence dappliquer le principe dégalité des chances et dassurer une juste répartition des richesses entre les individus, les collectivités et les peuples, depuis lavènement des économies modernes dans nos territoires. Tout le monde conviendra aussi de la nécessité dun redressement qui passe par la mise en place de mesures concrètes pouvant favoriser et assurer le développement et lautonomie des communautés autochtones du Québec. Cependant, de plus en plus de gens croient quon peut atteindre ces objectifs sans avoir recours à des traités de ce type ( article 15C ) qui se substituent ni plus ni moins à la constitution canadienne, qui confèrent aux parties des droits qui assujettissent lensemble du droit constitutionnel canadien à une de ses composantes, et qui procurent à leurs détenteurs les titres fonciers et les prérogatives dun État, à lintérieur de lÉtat. Cette entente nest ni plus ni moins quun dérapage excessif de lÉtat québécois désormais sous lemprise de «vendeurs de pays» empressés dassainir ses finances, de garnir ses coffres pour certains, et détablir leurs «conditions gagnantes» pour dautres. Voilà lhéritage dun régime à bout de souffle! Lhéritage dune dérive institutionnelle qui met en péril les assises même de notre société. Il nous faut sortir des ornières du déterminisme et envisager lavenir et le développement futur de nos collectivités dans un cadre régional pertinent; riche de culture, de patrimoine à préserver, à mettre en valeur, à exploiter. Dans ce contexte la notion déquité devient fondamentale. Cette notion de justice naturelle ou chacun porte un jugement sur ce qui lui est dû. La recherche de léquité implique donc une démarche relative, aboutissant à une situation ou chacun peut se satisfaire des conditions de cette équité. La participation des individus concernés devient essentielle à une relation ayant pour objectif une entente cohérente et satisfaisante. Cela implique une négociation transparente, appuyée par une information claire, une consultation large et ouverte. Nous devons mettre en place aujourdhui les conditions du futur de façon lucide et civilisée dans un soucis de justice. Lincertitude et le flou qui se dégage de lApproche commune dépasse lentendement. La nécessité de remettre en question dans sa globalité cette entente simpose. La loi constitutionnelle canadienne et les principes démocratiques qui lont inspirée donnent aux peuples de ce pays toute la latitude nécessaire pour évoluer hors de lemprise des gouvernements et des multinationales dans un contexte de respect, de liberté, de dignité et de droit à légalité des chances pour tous. Richard Harvey, fils du Piékouagami, fier de lêtre et déterminé à le rester ! LAscension, Lac St-Jean
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