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Collection « La désintégration du Québec et des régions »
Le Saguenay-Lac-Saint-Jean, réalité interdite. Plaidoyer pour la reconquête de nos droits fondamentaux Préface, par Charles Côté, sociologue
Une édition numérique réalisée à partir du livre de Mario Tremblay, Le Saguenay-Lac-Saint-Jean, réalité interdite. Plaidoyer pour la reconquête de nos droits fondamentaux. Chicoutimi, février 2003, 133 pages. M. Mario Tremblay m'a accordé l'autorisation de diffuser son étude le 27 mars 2003. Merci infiniment de partager cette réflexion.
Préface
par Charles Côté, sociologue, décembre 2002.
Cet ouvrage de Mario Tremblay traite de la loi constitutionnelle du Canada vue par un simple citoyen. À la lecture, on constatera que l'ouvrage peut être apprécié d'au moins trois façons, selon que l'on se sent simple citoyen canadien sans plus, citoyen canadien du Québec, ou enfin citoyen canadien du Québec mais résidant dans une quelconque région dite « ressource », et notamment au Saguenay-Lac-Saint-Jean ou sur la Côte-Nord.
Dans le premier cas, le texte revêt un caractère formatif offrant, en contexte, au lecteur curieux - sans être ni expert, ni impliqué politiquement - un condensé de jurisprudence touchant l'exercice de la loi, combiné avec les intentions, l'esprit et les valeurs qui animèrent ceux à qui on doit la première loi du pays.
Dans la deuxième éventualité, le texte revêt un intérêt non seulement théorique, mais il fournit de surcroît une dénonciation en règle de politiques gouvernementales aux conséquences discriminatoires et inégalitaires qui contreviennent à l'esprit même et à la lettre de la loi constitutionnelle.
Dans le troisième cas enfin, l'ouvrage a toutes les caractéristiques d'une arme de combat, à la disposition de tous ceux et de toutes celles qui, dans les faits, sont confrontés à ces politiques gouvernementales, qui en subissent les effets et qui sont ainsi contraints de défendre leurs intérêts fondamentaux par le truchement des droits qui leur sont reconnus dans la Constitution contre l'arbitraire de l'État et la pratique du pouvoir.
L'intérêt théorique
De l'aveu de ses concepteurs, la Loi constitutionnelle canadienne fut imaginée à l'origine comme le recours suprême à la disposition des citoyens canadiens pour s'opposer à l'arbitraire de politiques imposées par l'État (note 1), spécifiquement des politiques ayant pour effet de violer le principe de l'égalité des chances reconnu à tous et partant, de violer la liberté de certains en faveur de la liberté des autres. Or, pour servir à cette fonction, il fallait que le texte constitutionnel satisfasse à un certain nombre de conditions essentielles.
1. Il fallait que le texte de la loi soit compréhensible, écrit dans des mots clairs, univoques et accessibles à tout citoyen qui aurait éventuellement à l'utiliser pour les fins pour lesquelles la loi aura été conçue. Il fallait donc éviter que le texte de la loi ne soit accessible qu'aux seuls avocats, historiens et autres exégètes. En effet, comment logiquement une loi pourrait-elle servir à la protection des citoyens si ceux-ci ne peuvent euxmêmes la comprendre et donc l'utiliser à bon escient ?
2. Il fallait que les articles de la loi ne se contredisent pas mutuellement et ne puissent être interprétés dans un sens qui les ferait se contredire. Dans tel cas, la loi serait une passoire qui ne pourrait servir aux fins pour lesquelles elle aurait été promulguée.
3. Il fallait aussi que toutes les autres lois du pays - le Canada en l'occurrence - soient subordonnées à cette loi unique qui les encadre toutes sans exception. Ainsi, il fallait que la Loi constitutionnelle ait primauté non seulement sur toutes les autres lois canadiennes mais aussi sur les lois provinciales.
4. Enfin, il fallait que l'exercice de la loi et la jurisprudence qui s'y rattache soient conformes à l'esprit de la loi, accessibles à travers la pensée de ses concepteurs. C'est ce qui établit la différence entre une règle de conduite conçue pour assurer l'obéissance aveugle des citoyens et une autre règle de conduite constituant le moyen indispensable pour satisfaire à des valeurs premières dans notre société et auxquelles les citoyens peuvent adhérer librement, volontairement et consciemment. Telle est, selon moi, l'une des contributions principales de l'ouvrage de Mario Tremblay qui met en lumière cet aspect fondamental de la Loi constitutionnelle du Canada.
Ainsi, on apprend qu'aux termes de la constitution de notre pays, seuls les citoyens ont des droits alors que les droits
dont disposent les collectivités - celles du Québec par exemple - sont en fait des droits délégués par CHACUN des citoyens à des organismes publics qui en sont les fiduciaires.
On apprend aussi que, selon les concepteurs de notre constitution, cette manière de faire permet d'éviter que dans l'exercice de leur propre liberté, les plus puissants, les plus forts, les plus riches, les plus savants, les plus intelligents n'entravent la liberté des autres citoyens du pays, ou même la subordonnent à la leur. Mais plus encore, selon l'esprit de ses concepteurs, la Loi constitutionnelle et surtout la Charte canadienne des droits et libertés qui en constitue la première partie, permettent même de prévenir que les majorités briment les droits des minorités et vice versa (Trudeau op. cit. p. 387).
En effet, la valeur de l'égalité des chances pour tous, sans discrimination d'aucune sorte incarnée dans le droit, constitue l'outil de prévention qui, en toute logique et en principe, empêche de porter atteinte à la liberté des autres, en permettant à tout citoyen de se défendre contre toute discrimination exercée contre lui. Dans ce contexte, l'acte constitutionnel est lui-même le moyen d'imposer à tous le respect du droit fondamental de tout citoyen canadien à l'égalité des chances.
L'intérêt pratique
Au-delà de l'intérêt théorique, le lecteur peut aussi s'interroger sur les motivations pratiques qui poussent un simple citoyen du Québec à publier sur la Loi constitutionnelle canadienne de 1982. Qu'est-ce que cet écrit ajoute à ce que tant de juristes, d'experts et d'exégètes provenant de partout au Canada ont déjà publié sur la question ?
Bien que Mario Tremblay ne soit ni juriste, ni expert, ni exégète, il est un citoyen canadien qui, à l'instar de plusieurs autres comme lui, a acquis la conviction que le gouvernement québécois exerce consciemment et délibérément depuis une trentaine d'années une politique fondamentalement discriminatoire envers certains citoyens du Québec. Cette politique discriminatoire fondée sur la région de résidence entrave systématiquement le développement de certaines régions à l'avantage d'autres, jusqu'à engendrer la désintégration politique, économique et sociale des communautés affectées, avec tous les préjudices que cette situation fait subir aux citoyens que ces communautés locales et régionales. Une telle situation contrevient à l'évidence à plusieurs dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982, en particulier à celles qui traitent de l'égalité des chances dont est censé jouir tout citoyen canadien. D'ailleurs, les convictions développées en ce sens sont appuyées sur des faits extérieurs, identifiables, mesurés et mesurables, et non sur de simples impressions. Des faits existent qui confirment que cette situation d'inégalité des chances et de discrimination envers les Citoyens sur la base de la région d'appartenance distingue fondamentalement et globalement le Québec des autres provinces canadiennes situées plus à l'ouest.
De surcroît, cette pratique discriminatoire vient de « s'enrichir » d'un nouveau paramètre : en effet, le gouvernement québécois vient de concéder à certains citoyens canadiens, mais pas aux autres, le privilège de posséder des terres en propre, d'y exploiter les richesses tout en retirant des redevances, d'y faire des lois, des constitutions, etc. Cette concession reconnaît même la supériorité des uns et l'infériorité des autres sur la base de la race et de l'origine ethnique. Ainsi le projet de traité de l'Approche commune, s'il était adopté, aurait pour effet de créer une jurisprudence par laquelle les gouvernements des autres provinces pourraient se voir tenus de céder des terres réclamées par les nations amérindiennes, incluant le droit de « dominer » les citoyens canadiens d'autres races déjà implantées sur ces mêmes terres. Une telle situation aurait pour effet de subordonner la citoyenneté canadienne à la citoyenneté amérindienne sur les territoires concédés par les autorités provinciales.
De plus, cette situation aurait pour effet de légaliser la discrimination entre les citoyens non seulement sur la base de la région d'appartenance, mais également sur la base de la race et de l'origine ethnique, faisant ainsi des premières nations du Canada, non pas seulement des nations premières selon l'histoire, mais aussi des nations faites d'individus premiers en droits et en privilèges : une situation qui contredirait à sa face même la validité de la Loi constitutionnelle et les valeurs d'égalité pour tous dont ses pères l'ont dotée et dont elle est porteuse (note 2)
L'intérêt personnel
Mais au-delà des intérêts théoriques et pratiques, le texte de Mario Tremblay rejoint dans les faits les intérêts non pas seulement collectifs, mais d'abord personnels et fondamentaux de très nombreux canadiens : les intérêts vitaux et personnels des autres citoyens qui, comme lui, habitent dans une de ces régions soumises depuis trois décennies à l'arbitraire de politiques économiques et sociales inégalitaires, systématiquement appliquées par l'État québécois, et qui de surcroît seraient éventuellement soumises aux dispositions prévues dans le traité de l'Approche commune. Ces citoyens - que l'histoire, la naissance et les aléas de la vie ont placés dans une situation discriminatoire - doivent, à moins de fuir pour aller vivre ailleurs, envisager de se battre pour échapper aux conséquences des inégalités auxquelles on les a soumis à leur insu. Ils n'ont plus d'autres armes à leur disposition pour ce faire, que cette loi qui leur fut léguée par les pères du Canada moderne. Cette loi fut faite pour tous les Mario Tremblay du Canada, quelque soit leur nom. Elle fut faite pour chacun de ceux qui auraient à affronter semblable situation que celle à laquelle sont confrontés tous les citoyens canadiens qui habitent au Saguenay-Lac-St-Jean.
Des questions en quête de réponse
Le texte de Mario Tremblay suscite cependant certaines questions auxquelles il reste encore à répondre, dont cellesci en particulier. Depuis que la violence et la guerre ne sont plus des options, il ne reste au citoyen que le recours à la loi pour défendre ses droits. Dans un pays démocratique comme le Canada, dans quelle mesure le citoyen ne seraitil pas l'un des principaux, sinon le premier agent responsable des malheurs sociaux et économiques qui affligent sa communauté ? En effet, en négligeant et même en refusant de se prévaloir des droits qui lui sont conférés par la loi constitutionnelle, ne se trouverait-il pas à abdiquer la souveraineté qu'il a reçue en héritage, en faveur d'institutions qu'il devrait en principe pouvoir contrôler ? Dès lors, qu'advient-il dans le cas où ces mêmes institutions brimeraient la liberté ou réduiraient l'égalité des chances d'un quelconque citoyen canadien, incluant lui-même ? Mario Tremblay, pour sa part, a su se trouver des réponses à ces questions.
Mais, au Québec, il resterait encore à faire la preuve que la Loi constitutionnelle de 1982 est bien cette arme imaginée par ses concepteurs. Une arme qui, entre les mains de citoyens canadiens justifiés de le faire, devait permettre à ces mêmes citoyens de se protéger contre l'arbitraire de l'État.
Charles Côté, sociologue, décembre 2002
Notes:
Note 1: Pierre Elliott Trudeau « Des valeurs d'une société juste », dans Les années Trudeau, 1990, p. 379-407. (Retour à l'appel de note 1) Note 2: La constitution ayant été faite pour des citoyens vivants et des personnes humaines - et non pour des nations premières et des nations secondes - on remarquera que les ancêtres décédés ne peuvent négocier pour leurs descendants vivants des droits supérieurs à ceux des autres vivants du pays. (Retour à l'appel de note 2)
Dernière mise à jour de cette page le Samedi 22 mars 2003 13:49 Par Jean-Marie Tremblay, sociologue.
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